• Enseigner un viatique

    « Notre école excelle à former une petite élite, parvient à enseigner un viatique minimal à une large cohorte. »

    (Émilie Lanez, dans Le Point no 2092, octobre 2012)

    (photo Wikipédia)


    FlècheCe que j'en pense


    On va encore dire que je chipote.

    Emprunté du latin viaticum (« ressources, provisions », puis « voyage »), viatique est un substantif masculin qui désigne au sens propre la provision d'argent ou de nourriture qu'on donne à quelqu'un (spécialement un religieux) pour un voyage : Son père lui donna cent euros pour tout viatique.

    Les mêmes idées de voyage et de secours se retrouvent dans son acception religieuse : chez les catholiques, le viatique désigne le sacrement de l'Eucharistie administré aux malades en péril de mort : On lui a donné le viatique (comme un secours apporté à celui qui va faire le voyage de l'autre monde).

    Au figuré, dans un emploi unanimement qualifié de littéraire, le mot prend le sens de « soutien, secours, aide » (« le moyen de parvenir », précise Littré) : Savoir est un viatique ; penser est de première nécessité (Hugo). L'expérience est son meilleur viatique pour affronter cette épreuve.  

    Forts de ces considérations sémantiques, revenons-en à l'expression employée par notre journaliste. Enseigner un viatique minimal : enseigner un soutien, un secours ? Le choix du verbe ne semble guère approprié... Certes, me ferez-vous remarquer avec juste raison, on comprend le propos : il est ici question de faire acquérir aux élèves un bagage minimal. On conçoit même le cheminement : depuis le sens propre du bagage du voyageur jusqu'à celui, figuré, du bagage intellectuel, entendez l'ensemble des connaissances nécessaires pour le voyage de la vie. Il n'empêche : donner, fournir, acquérir, recevoir un viatique constituent des compagnons de voyage plus fréquentables que enseigner un viatique.

    Surtout, je m'étonne qu'aucun de nos dictionnaires usuels (pas même le Dictionnaire historique de la langue française, c'est tout dire !) n'évoque explicitement cette proximité de sens avec bagage, pourtant satisfaisante du point de vue de l'étymologie. La question se pose donc : est-on fondé à faire de viatique un « mot valise » (si j'ose dire) synonyme de soutien comme de bagage ? Dans le doute... mieux vaut faire simple et plier bagage !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Notre école parvient à enseigner un savoir minimal à une large cohorte (éventuellement : à donner un viatique minimal à une large cohorte ?).

     


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  • Répond-t-il

    « "La gauche est au pouvoir en ce moment, la question se pose d'abord à ceux qui sont aux responsabilités", répond-t-il en substance » (propos de Christian Jacob, photo ci-contre, au sujet d'une polémique autour des 35 heures).
    (Estelle Gross, sur nouvelobs.com, le 30 octobre 2012)  
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Jean-François Benard)
     

    FlècheCe que j'en pense


    « Euphonique », voilà comment on appelle d'ordinaire ce t placé entre une forme verbale se terminant par une voyelle et le pronom sujet, afin de faciliter la liaison en cas d'inversion du sujet : Va-t-il se remettre au travail ? Lui a-t-on proposé de prendre un jour de RTT ?

    Le d muet prenant le son t en liaison avec une voyelle (Un grand amour), on rappellera à notre journaliste que le t euphonique ne saurait se justifier – à moins de se voir qualifié de cacophonique – après un verbe qui se termine par un d (a fortiori par un t) : Qu'attend-on pour négocier ? Nous prend-il pour des amateurs ? Voilà un débat sans tabou, conclut-elle.

    On se gardera enfin de confondre ledit t euphonique (encadré de deux traits d'union) avec le t suivi d'une apostrophe, forme élidée du pronom te : Va-t'en au diable, avec tes heures sup ! Les 35 heures, ne t'y fie pas !

    Voir également le billet Dit-il.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Répond-il en substance.

     


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  • Convoler en juste noce

    « [François Fillon entend] revenir sur la loi si elle était adoptée. Pas moins. Et avec quel statut pour ceux qui auront convolé entretemps en juste noce ? » (à propos du projet de loi sur le mariage pour tous).

    (Joseph Macé-Scaron, sur marianne.net, le 30 octobre 2012)

     

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)


    FlècheCe que j'en pense


    Il convient de bien distinguer les acceptions du substantif noce, selon que celui-ci est employé au singulier ou au pluriel.

    Écrit au pluriel, noces correspond à la célébration d'un mariage : La nuit de noces. Les noces d'or. Les Noces de Figaro. Pour désigner la fête donnée à l'occasion dudit mariage (ainsi que l'ensemble des personnes invitées), le singulier est aujourd'hui de rigueur : Le repas de noce. Faire la noce.

    L'expression convoler en justes noces ayant trait à la célébration du mariage, le pluriel est unanimement avancé dans les dictionnaires usuels. En revanche, le sens exact a longtemps été débattu : l'Académie (suivie par Littré) a voulu attacher au verbe convoler (du latin convolare, « voler avec ») l'idée de contracter un nouveau mariage, en parlant d'une femme, d'où le recours à l'adjectif juste (souvenir de la formule juridique latine justae nuptiae), vraisemblablement pris ici au sens de « légitime, légal ». La dernière édition de son Dictionnaire enregistre désormais l'acception communément admise de « se marier », précédée de la mention « familier » mais sans plus de distinguos de sexe ni de fréquence.

    Jean-François Copé et François Fillon envisageront-ils un jour de convoler en droites noces ?...

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Avec quel statut pour ceux qui auront convolé entre(-)temps en justes noces ?

     


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  • La côte Est

    «  Le centre du cyclone a touché terre lundi soir sur la côte Est des États-Unis » (à propos de l'ouragan Sandy, photo ci-contre).
    (paru sur lefigaro.fr, le 30 octobre 2012) 

     

     

     (photo Wikipédia)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Il faut croire qu'un vent de confusion souffle à propos de l'usage des majuscules dans les noms de points cardinaux. On retiendra que, lorsqu'ils sont employés comme adjectifs, ils prennent la minuscule (et restent invariables) : Les quartiers nord de Marseille.

    La minuscule est également de rigueur quand ils expriment une simple direction (Il se dirige vers le nord. Un vent d'ouest) ou quand le point cardinal est déterminé par un complément (Marseille est située au sud d'Aix-en-Provence).

    En revanche, on écrira avec une majuscule le point cardinal qui correspond à une région déterminée (J'habite dans le Sud-Ouest. Il est né dans le Nord), à un territoire bien défini (L'Allemagne de l'Est mais Il vit dans l'est de l'Allemagne) ou à une entité (La gare de l'Est. Le pôle Nord).

    On relèvera une certaine incohérence dans les exemples du Dictionnaire de l'Académie (L'Ouest de la France mais Les routes pavées du nord de la France), mais pas de quoi perdre ledit nord pour autant.

    Notre journaliste, quant à lui, semble désespérément à l'ouest : ne s'obstine-t-il pas à écrire, un peu plus loin, que Sandy « avait déjà fait 67 morts dans les Caraïbes avant de remonter vers le nord, le long de la côte Atlantique » ? Difficile, vous en conviendrez, de rester pacifique devant une telle tourmente syntaxique.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La côte est des États-Unis.

     


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  • Les fonds baptismaux

    « La grande majorité des militants avaient opté pour la motion "gouvernementale" portée sur les fonds baptismaux par Jean-Marc Ayrault et Martine Aubry » (lors du dernier congrès du Parti socialiste).
    (Sylvain Courage, sur nouvelobs.com, le 29 octobre 2012) 

     

     

    Martine Aubry (photo Wikipédia sous licence GFDL par Philippe J)

    FlècheCe que j'en pense


    Il faut bien dire que l'article avait mal commencé. Une photo tout en sourire des ténors du PS avec, en guise de légende, « Harlem Désir, au centre, entourré de Jean-Marc Ayrault et Martine Aubry », et l'on en vient à penser que notre journaliste ne manque pas d'air...

    Mais là, on touche le fond ! Hésiter entre un fond de caisse et un fonds de caisse, passe encore, tant la distinction entre ces deux substantifs qui partagent la même étymologie (latin fundus) semble artificielle. Mais ces homonymes ne sauraient frayer avec fonts, nom masculin pluriel emprunté du latin fontes (fontaines) et prononcé fon, qui ne s'emploie plus que dans l'expression fonts baptismaux (vasque, pas si profonde, où l'on conserve l'eau bénite dont on se sert pour baptiser).

    Vous l'aurez compris – cela coule de source –, porter (ou tenir) sur les fonts baptismaux signifie au sens propre « porter (son filleul) sur les fonts pour le faire baptiser ». Curieusement ignorée des dictionnaires usuels au sens figuré, l'expression doit vouloir dire « lancer, mettre en œuvre quelque chose qui existait déjà mais qui n'était pas publiquement connu » (Littré enregistre de son côté le sens figuré et familier de « s'entretenir en détail, ou questionner minutieusement »).

    Au fond, il n'y a pas de quoi se noyer en eau si peu profonde...

    Voir également le billet Fond / Fonds / Fonts.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une motion portée sur les fonts baptismaux.

     


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