• Aller l'amble

    « Monsieur Hollande, n'hésitez plus entre "compétitivité" et "social" : les deux vont l'amble. »
    (Christine Kerdellant, dans L'Express no 3196, octobre 2012) 

      

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Jean-Marc Ayrault)

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Voilà une fort jolie expression... dont on est fondé à croire que notre journaliste ne maîtrise pas le sens.

    Le substantif masculin amble dérive du verbe ambler, qui vient du provençal amblar, lui-même emprunté du latin ambulare, « marcher ». Ambler, aller l'amble (ou aller à l'amble), c'est adopter l'allure d'un quadrupède (cheval, âne, mulet, chameau, ours, girafe, éléphant...) qui se déplace en levant en même temps les deux pattes du même côté.

    Si le sens propre n'est l'objet d'aucun débat, on peut s'interroger sur le sens figuré qui, à mon grand étonnement, n'est pas consigné dans les dictionnaires usuels. La tâche n'est pourtant pas bien ardue : le TLFi, après avoir précisé, à juste titre, que cette allure se situe « entre le pas et le trot », cite l'anatomiste Georges Cuvier (1805) : « Le corps étant porté alternativement sur deux pieds de même côté, est obligé de se balancer à droite et à gauche pour ne pas tomber; et c'est ce balancement qui rend cette allure douce et agréable pour les femmes et les personnes foibles ». Une allure douce, agréable, modérée, voilà le sens étendu que l'on retrouve sous les meilleures plumes :

    « On a dit de Fontenelle, écrivain, qu'il allait à l'amble, là où d'autres couraient et se déployaient avec force ou gravité. Cette sorte d'allure, on le sait, est surtout agréable aux femmes et aux délicats. » (Sainte-Beuve)

    Partant (à vive allure), je m'étonne de l'emploi que notre journaliste réserve à cette expression. Bien sûr, aller l'amble, ça vous pose un article... mais tout porte à croire, à deux comme à quatre pattes, qu'il y a là confusion avec aller de pair (aller ensemble en étant sur un pied d'égalité).


    Voir également le billet Pair / Paire / Père.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les deux vont de pair.

     


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  • Il eut fallu

    « Il eut fallu commencer avec humilité par une analyse critique du bilan : distinguer ce qui a marché, ce qu'il faudrait prolonger [...], ce qui a échoué et ce dont il faudrait se défaire » (à propos du quinquennat de Nicolas Sarkozy, photo ci-contre).
    (Jean-Marie Colombani, dans L'Express no 3196, octobre 2012) 

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par EPP)

     

    FlècheCe que j'en pense


    « C'est une faute fréquente et grossière d'écrire sans accent circonflexe on eût dit dans le sens d'on aurait dit. » Gageons que Hanse n'aurait pas fait preuve de plus d'indulgence envers l'expression il eût fallu...

    La différence entre le passé antérieur de l'indicatif (il eut fallu) et le conditionnel passé deuxième forme (il eût fallu, variante littéraire identique au plus-que-parfait du subjonctif mise pour il aurait fallu) ne tient, il est vrai, qu'à un accent circonflexe. Encore faut-il l'employer à bon escient.
    Comparez : Quand il eut fallu partir, il appela un taxi (= Quand il a fallu partir, il a appelé un taxi) et Il eût fallu partir plus tôt pour ne pas manquer l'avion (= Il aurait fallu partir plus tôt).

    Voir également le billet Fût-ce.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il eût fallu commencer par une analyse critique du bilan.

     


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  • Une étude en atteste

    « C'est difficile à croire, mais une étude dans PLOS ONE en atteste : le paludisme [...] a commencé à se manifester au nord de Fairbanks, en Alaska. »
    (paru dans L'Express no 3196, octobre 2012) 

    (photo Wikipédia)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Rappelons que le verbe attester (emprunté du latin attestari, dérivé de testis, « témoin ») change de constructions selon ses acceptions.

    Au sens de « certifier » et de « servir de témoignage », il se construit avec un complément d'objet direct ou avec une proposition introduite par que : J'atteste sa bonne foi. J'atteste que ses propos sont vrais.

    Au sens de « prendre à témoin », il suit généralement la construction attester quelqu'un de quelque chose (ou attester quelqu'un que) : Attester le ciel de sa bonne foi. J'en atteste les personnes présentes.

    Larousse a beau jeu d'attester aujourd'hui dans son Dictionnaire en ligne que les formulations attester quelque chose / attester de quelque chose sont toutes deux correctes ; en 2005, dans le PLi, seule la construction transitive directe était consignée...

    Selon toute vraisemblance, ce sont plutôt la confusion entre ses différentes acceptions ainsi que l'analogie avec témoigner de (au sens de « être la preuve de ») qui sont à l'origine de l'emploi abusif de la préposition de après le verbe attester. La langue soignée se piquera de s'en garder.

    Voir également le billet Attester.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une étude l'atteste.

     


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  • Entreprenariat

    « La ministre déléguée au PME, Fleur Pellerin [...], recevra jeudi des associations représentatives de l'entreprenariat numérique. »
    (Dominique Albertini, sur liberation.fr, le 3 octobre 2012)
     
     
    Fleur Pellerin (photo wikipédia sous licence GFDL par Nicolas Reitzaum)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Une fois n'est pas coutume, nos chers dictionnaires ennemis sont unanimes : la seule graphie consignée chez Larousse et Robert pour désigner l'activité, la fonction de l'entrepreneur est entrepreneuriat, quoi qu'en dise une certaine encyclopédie en ligne : « Entreprenariat : Variante orthographique d'entrepreneuriat » (Wiktionnaire).

    Après tout, ce mot semble logiquement formé, à partir du substantif entrepreneur (attesté dès le XIIe siècle selon le Dictionnaire d'ancien français de Grandsaignes d'Hauterive), auquel a été ajouté le suffixe -(i)at, propre aux dénominations de fonctions. Telle est également la graphie recommandée depuis 1984 par la Commission générale de terminologie (qui suggère également comme équivalent : « esprit d'entreprise »). Et pourtant, ce i intercalaire me chiffonne...

    Reprenons : de formation récente, entrepreneuriat est apparu dans la langue de l'économie en même temps qu'actionnariat, partenariat, etc. La tentation était donc grande de privilégier, par analogie, la graphie fautive entreprenariat. Fautive, car entrepreneur n'est pas entreprenaire : il ne saurait fournir une telle dérivation, faute d'appartenir à la famille des substantifs en -aire, dont la terminaison se combine avec le suffixe -at pour prendre la forme savante -ariat, issue du latin -arius (c'est, du reste, la raison pour laquelle les variantes commissairiat et secrétairiat, influencées par commissaire et secrétaire, sont considérées comme des barbarismes). D'aucuns feront sans doute valoir l'analyse que Hanse fait du mot interprétariat : « [Il] a près de cent ans et est bien installé dans l'usage. Il est donc vain de lui reprocher d'être mal formé ; il ne dérive pas d'un nom en -aire. » On pourrait encore citer podestariat, vedettariat et quelques formes créées pour la circonstance (flicariat...). Gageons que l'usage ne laissera pas entreprenariat mener à bien son... entreprise de concurrence déloyale.

    Pour autant, la forme entrepreneuriat ne me satisfait pas davantage. Pourquoi ne pas s'être contenté d'entreprenorat, sur le modèle docteurdoctorat, moniteur → monitorat, professeur → professorat, tuteurtutorat (même si les racines latines ne sont évidemment pas les mêmes) ?

    En attendant de connaître la position de l'Académie sur ce sujet, on s'en tiendra à la graphie préconisée par Larousse et Robert.


    Remarque 1 : De même, on évitera les formes fautives entrepreuneuriat, entrepreunariat, qui résultent d'une confusion phonétique.

    Remarque 2 : Voir également le billet Entrepreneur.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Elle recevra des associations représentatives de l'entrepreneuriat numérique.

     


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  • Au chevet de

    « Le chef de l'Etat s'est rendu au chevet des familles des deux victimes dans la soirée » (à propos du meurtre de deux adolescents à Échirolles).

    (dépêche AFP parue sur nouvelobs.com, le 2 octobre 2012)



     
    (photo wikipédia sous licence GFDL par Jean-Marc Ayrault) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Le sujet ne se prête guère à l'ergotage, mais je ne peux m'empêcher de trouver cette formulation inappropriée.

    Après tout, que signifie l'expression se rendre (venir, rester) au chevet de quelqu'un ? Venir veiller un malade – pour ne pas dire un mourant –, rester auprès de son lit et l'entourer de soins. Emprunté du latin capitum (de caput, tête), chevet est ici à prendre au sens de « partie du lit où l'on pose la tête ».

    Tombée du lit, l'expression s'est appliquée par extension à des pays, à des villes, à des gouvernements, à des entreprises, à des économies, à des monnaies jugés – à tort ou à raison – moribonds : L'État au chevet de l'euro, de PSA, de la Libye, etc. Mais n'est-il pas abusif de poursuivre cette extension de sens au-delà des personnes alitées ou des entités mal en point ? Les familles des victimes sont, certes, endeuillées mais, souhaitons-le, pas elles-mêmes au seuil de la mort.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le chef de l'Etat s'est rendu auprès des familles des deux victimes.

     


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