• Se rappeler de la victoire

    « "En 2008 - on ne se rappelle que de la victoire, mais on ne se souvient pas toujours des bosses sur la chaussée", a t-il lancé » (à propos de Barack Obama, photo ci-contre, candidat à sa propre succession).

    (Adèle Smith, sur lefigaro.fr, le 8 octobre 2012) 

     

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Pete Souza)


    FlècheCe que j'en pense


    Il ne saurait être ici question de mettre en doute la maîtrise par le président des États-Unis d'Amérique de la langue de... Shakespeare.

    Non, la remarque vise ici clairement notre journaliste traducteur (Académie) / traductrice (Robert et Larousse), qui ferait bien de se rappeler que, si se souvenir se construit correctement avec la préposition de, il n'en va pas de même avec se rappeler !

    Après tout, cela ne fait qu'un peu plus de deux siècles que la langue soignée dénonce ce solécisme. Elle n'est plus à un « quadriennat » près...

    Voir également le billet Se rappeler / Se souvenir.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On ne se rappelle que la victoire.

     


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  • S'expliquer de quelque chose

    « Une trentaine de policiers de la brigade anti-criminalité des quartiers nord de Marseille vont devoir à présent s’expliquer de faits de corruption et de racket. »

    (Frédéric Ploquin, sur marianne2.fr, le 6 octobre 2012) 

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Encore une bizarrerie de la langue française... que je ne m'explique pas !

    À la forme pronominale, le verbe s'expliquer signifie « faire connaître, faire comprendre sa pensée en la développant » (Je me suis sans doute mal expliqué), « comprendre la raison, le bien-fondé de quelque chose » (Je ne m'explique pas son attitude) et « devenir intelligible » (Tout s'explique). Il s'enrichit d'être suivi d'une préposition : ainsi, s'expliquer sur prend le sens de « justifier un fait, un comportement, une opinion » (Il s'est expliqué sur son absence) ; s'expliquer avec, celui d'« avoir une discussion destinée à éclairer ou à justifier des intentions ou une conduite » (Il s'est longuement expliqué avec lui).

    Mais quid de s'expliquer de ? Ma brigade de dictionnaires usuels reste étonnamment muette sur la question. Et je ne me l'explique pas, tant il semble habituel, à Paris comme à Marseille, de dire d'un adolescent qui vient de rater son bac qu'il va s'en expliquer avec ses parents – ce qui suppose, vous en conviendrez, que l'on puisse s'expliquer de quelque chose.

    Littré est plus disert : « S'expliquer d'une chose, en dire ce qu'on en pense, en parler. Il n'était pas le seul qui s'expliquât d'un tel dessein (Bossuet). » Si le tour est clairement attesté au XVIIe siècle, on est fondé à se demander s'il est encore vivant de nos jours, tant Larousse et Robert semblent l'avoir enterré comme le dernier des criminels.

    Qu'en pense la BAC – entendez la bible de l'ACadémie ? Pas plus de trace, à première vue, de ladite construction dans son Dictionnaire, si ce n'est de façon détournée avec ce désormais classique Après s'en être expliqués, ils se sont réconciliés. Je dis « à première vue » car une recherche plus approfondie me mène sur une piste, dans les quartiers nord de l'article « préface » : Il s'est longuement expliqué de ses choix esthétiques dans sa préface. C'est à n'y rien comprendre... Si s'expliquer peut correctement être suivi de la préposition de, pourquoi ne pas le préciser clairement à l'entrée « expliquer » ? Je ne me l'explique toujours pas... mais l'Académie se justifie, elle, en précisant qu'elle n'a pas vocation à « indiquer explicitement toutes les constructions verbales possibles ». Dont acte. Le mystère n'en reste pas moins épais, à mes yeux, en ce que je ne perçois pas davantage la différence entre s'expliquer sur ce fait et s'expliquer de ce fait.

    La chose qui me rassure, dans cet univers policé où la violence des mots supplante parfois celle des actes, c'est que je ne suis pas seul à m'interroger. Féraud, déjà, en 1787, écrivait dans son Dictionnaire critique de la langue française :

    « S'expliquer se dit, ou tout seul, expliquez-vous ; ou avec la préposition sur. Il faut vous expliquer sur cette proposition, ou là-dessus. Bossuet [encore lui !] lui donne l'ablatif pour régime. N'est-ce pas vouloir tout embrouiller que de s'expliquer si foiblement du libre arbitre. — On dirait aujourd'hui, sur le libre arbitre. — On dit, à la vérité, s'en expliquer, mais l'ablatif n'est bon qu'avec ce pronom. »

    Voilà peut-être un début... d'explication.

    Remarque 1 : Le tour est pourtant attesté de longue date : « Et encore après tout cela ils ajoutent qu'ils n'oseroient s'expliquer de ce qu'ils pensent de tant de belles maximes » (Vaugelas, 1647), « Pour s'expliquer de ses sentimens anciens sur cette matière » (Jean Chapelain, 1665), « S'expliquer de quoi que ce soit qui regarde sa liberté » (cardinal de Retz, avant 1679), « S'expliquer de rien avec le roi » (Saint-Simon, avant 1825), « Il avait raison de vouloir s'expliquer de ses projets avec mademoiselle d'Estorade » (George Sand, 1859).

    Remarque 2 : Curieusement, le TLFi ne mentionne, pour le sens de « justifier une attitude, un comportement, une opinion », que les constructions « s'expliquer (de qqc.), s'en expliquer » (aucune trace de s'expliquer sur !), sans toutefois citer d'exemples avec de.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    « Ils vont devoir s’expliquer de faits de corruption et de racket » ou, plus couramment, « Ils vont devoir s’expliquer sur des faits de corruption et de racket ».

     


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  • Sans compter sur


    « Mais c'est sans compter sur le fait que lorsque les Français coupent la tête de leur roi, ce n'est pas pour le rappeler sur le trône » (à propos d'un hypothétique retour au pouvoir de Nicolas Sarkozy, photo ci-contre).

    (paru sur marianne2.fr, le 5 octobre 2012) 

     

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par EPP)

     

    Sans compter sur

    « C'était sans compter sur sa première passion avec le Haïtien Jean Dominique » (à propos de la romancière Maryse Condé, photo ci-contre).

    (Marianne Payot, dans L'Express no 3204, novembre 2012)

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par MEDEF)



    FlècheCe que j'en pense


    La confusion est fréquente entre les locutions compter sans (« ne pas tenir compte de »), sans compter (« sans faire entrer en compte ») et compter sur (« avoir confiance en, se fier à »).

    On écrira correctement : Je compte sur le fait qu'il viendra (ou, plus légèrement : Je compte qu'il viendra). Nous serons donc dix à table, sans compter les enfants. Mais l'on peut se voir rétorquer : C'est compter sans le fait qu'il est souffrant.

    Revenons-en à nos exemples : en toute logique, c'est sans compter sur devrait signifier « c'est sans avoir confiance en », là où tout porte à croire que l'on voulait dire « c'est oublier (que) ».

    Comptons sur nos journalistes pour prendre en... compte ces remarques afin de régler définitivement celui de ces quiproquos.

    Voir également le billet Compter sans / Compter sur.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est compter sans le fait que...

    C'était compter sans sa première passion...

     


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  • Pas prêt d'oublier

    « Le Président reprit son téléphone et demanda à parler à la secrétaire du PDG de Peugeot, on la lui passa immédiatement, et s'ensuivit un dialogue que je ne suis pas prêt d'oublier, ni elle non plus » (extrait du livre de Camille Pascal sur la dernière année du quinquennat de Nicolas Sarkozy).

    (paru sur lefigaro.fr, le 5 octobre 2012)

     
     


    FlècheCe que j'en pense


    Les mauvaises langues feront remarquer qu'on a beau avoir été la plume d'un président de la République on n'est pas pour autant à l'abri d'un dérapage syntaxique.

    Pour ma part, je serais bien incapable de dire si la coquille est du fait de l'auteur, de son éditeur (Plon) ou du Figaro (lors de la retranscription). Tout ce dont je suis sûr, c'est qu'il y a là confusion entre les locutions être près de (= être sur le point de) et être prêt à (= être disposé à).

    Comparez : Elle est prête à oublier nos différends (prêt, adjectif, est variable) et Elle n'est pas près d'oublier tes bêtises (près, adverbe, est invariable).

    Bien sûr, d'aucuns objecteront que le XVIIe siècle ne s'est pas embarrassé de ces conventions (1) et que l'on n'est jamais autant « sur le point de faire quelque chose » que quand on y est disposé... Il n'empêche : la distinction est désormais de rigueur !

    Voir également le billet Près de / Prêt à.


    (1) Chez les classiques, prêt pouvait être suivi de à ou de de :
    « Il tenait un moineau, dit-on, Prêt d'étouffer la pauvre bête. » (La Fontaine)

    « Le voilà prêt de faire en tout vos volontés. » (Molière)
    « Dans quel péril est-il prêt de rentrer ? » (Racine)

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un dialogue que je ne suis pas près d'oublier.

     


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  • Insusceptible

    « Les propositions démocrates, insusceptibles de soulever l'élan de 2008, induisent des choix également classiques » (à propos de la campagne de Barack Obama, photo ci-contre).
    (Christian Makarian, dans L'Express no 3196, octobre 2012) 

     


    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Pete Souza
    )

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Je l'avoue, j'ai d'abord tiqué (encore un de ces néologismes inutiles !). Puis je me suis précipité – sur mon Robert illustré 2013 et sur le Dictionnaire de l'Académie (mot inconnu au bataillon, comme je le pensais). Avant de m'étrangler. Indubitablement.

    Contre toute attente, l'adjectif insusceptible est bien consigné dans le Littré (avec le sens, on l'aura deviné, de « qui n'est pas susceptible de »). Et sous les meilleures plumes, encore : « C'est un grand charme / D'être insusceptible d'alarme » (Corneille), « Une âme insusceptible de toute appréhension » (Malherbe). À ma décharge, ce mot était déjà considéré comme rare à l'époque (1) ; il n'en demeure pas moins correctement formé, sur le modèle capableincapable.

    Pour autant, on est fondé à s'interroger sur l'opportunité de son emploi dans cette phrase. Il existe en effet une distinction, héritée de l'époque classique, entre capable et susceptible : le premier a un sens actif (« qui a les qualités nécessaires pour faire quelque chose »), et le second, un sens passif (« qui peut recevoir quelque chose qui le modifie ») hérité du latin suscipere (« recevoir »). Ainsi ne devrait-on pas dire : un homme susceptible de nuire, mais un homme capable de nuire. Force est cependant de constater que les mises en garde des grammairiens du XIXe siècle (2), reprises par l'Académie, ont souvent été négligées, même par les meilleurs écrivains. Qu'on en juge : « Caliban était susceptible de faire des progrès » (Ernest Renan), « Un étalage de choses [...] susceptibles de s'envoler au moindre souffle » (Pierre Loti), « Une vérité susceptible d'affaiblir le bras qui combat » (André Gide), « Joseph avait un chauffeur et un valet de pied susceptible lui aussi de tenir le volant » (Georges Duhamel), « Un type de fromage susceptible de concurrencer ceux du Niolo » (Pierre Benoit), « Susceptible d'accomplir de très grandes choses pour plaire à cette séduisante personne » (Émile Henriot), « Elles [des idées] ne sont pas plus susceptibles de me réconforter que ne pourrait rassasier l'ombre d'un gigot sur le mur » (Georges Bernanos), « Un objet susceptible d’envoûter » (Jean Cocteau), « Il déclara ne pouvoir indiquer [...] vers quelle date le corps expéditionnaire [...] serait susceptible de retourner à la bataille » (Charles de Gaulle), « Des photos d'inconnus qu'elle se figure susceptibles de m'intéresser » (Julien Green). Littré lui-même n'était pas le dernier à enfreindre ses propres prescriptions : n'emploie-t-il pas susceptible à propos d'une possibilité active quand il définit, à l'entrée « couleur » de son Dictionnaire, la couleur complémentaire comme celle « qui est susceptible d'exhausser le ton d'une autre couleur » ? Quant à l'Académie, elle ne semble plus aussi catégorique dans la neuvième édition de son Dictionnaire : « Un moyen susceptible de provoquer la décision » (à l'entrée « balance »), « Soldat qui [...] est susceptible de prendre part au combat » (à l'entrée « combattant »), etc.

    Vous l'aurez compris, la distinction entre capable et susceptible se situe désormais ailleurs : selon Robert et Grevisse, celui-ci exprime l'idée d'une capacité latente (pour les personnes), d'une possibilité d'utilisation occasionnelle (pour les choses), alors que celui-là suppose une capacité permanente et reconnue, une aptitude. Dupré ne dit pas autre chose, quoique dans des termes un peu différents : « Alors que capable suppose un talent qui reste implicite, susceptible suppose la capacité mais, en outre, l'occasion de l'exercer. » Comparez : Il est capable d'enseigner le latin (= il a les connaissances nécessaires) et Il est susceptible d'enseigner le latin (= il en a les connaissances et il peut être appelé à exercer les fonctions de professeur de latin). Toujours est-il qu'il paraît difficile, dans ces conditions, de trouver à redire à l'affaire qui nous occupe.

    Las ! c'était compter sans Hanse, prompt à rappeler dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne que « c'est incapable qui s'impose si l'on nie la capacité ». Il était écrit que la prose de notre journaliste serait susceptible d'amélioration...

    (1) « Ce mot était peu usité au dix-septième siècle, et il est souligné dans l'édition originale des Mélanges poétiques de P. Corneille. [...] On en rencontre d'assez rares emplois jusqu'à notre époque » (Lexique comparé de la langue de Corneille, Frédéric Godefroy, 1862).

    (2) « Il ne faut pas confondre susceptible avec capable. Ce dernier signifie "qui est en état de faire", et se dit des personnes ; susceptible signifie "qui peut recevoir", et se dit des choses » (Laveaux, 1822), « Il ne faut pas confondre susceptible et capable. On est susceptible de recevoir, d'éprouver, de subir ; mais on est capable de donner ou de faire. Un édifice est susceptible de réparations ; un architecte est seul capable de les concevoir telles qu'il les faut. Ce colonel serait bien capable d'être général ; mais les lois militaires ne le rendent pas encore susceptible de cet avancement » (Littré, 1877), « Susceptible ne doit pas être employé au lieu de capable » (Académie, 1965).


    Remarque 1 : Capable s'est dit autrefois des choses considérées par rapport à leur capacité intérieure : Une salle capable d'accueillir cent personnes. On dira plutôt de nos jours : Une salle susceptible d'accueillir cent personnes ou, plus couramment, une salle pouvant accueillir cent personnes.
    Employé absolument, capable se dit d'une personne qui est habile, susceptible, d'une personne qui se vexe facilement. 

    Remarque 2 : Selon Girodet, capable suppose une action louable, qui demande un effort. « On n'écrira donc pas : Cet élève est capable de commettre des erreurs par étourderie, mais est susceptible de commettre des erreurs. » Cet emploi est toutefois admis par l'Académie dans un contexte ironique : « Il est bien capable d'avoir oublié notre rendez-vous » (neuvième édition de son Dictionnaire).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Des propositions incapables de soulever l'élan de 2008 (selon Hanse).

     


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