• Munificence / Magnificence

    « Cette munificence d'hôtel particulier (...), ces arbres si hauts, tout affirme une île de terre civilisée » (à propos du Château d'Avignon, photo ci-contre).

    (La cuisine des châteaux de Provence, G. et B. du Pontavice, aux éditions Ouest-France, 2001)

    (photo wikipedia sous licence GFDL par marlèned)


    FlècheCe que j'en pense


    Voilà un bien bel hommage à ce château de la fin du XIXe siècle, actuelle propriété du conseil général des Bouches-du-Rhône. Dommage que celui-ci soit gâché par cette regrettable confusion entre les paronymes munificence et magnificence.

    Le premier, emprunté du latin munificentia (de munus, proprement « charge, fonction » et, par dérivation « don, cadeau » et facere, « faire »), a à voir avec la libéralité : la munificence se caractérise par une certaine grandeur dans la générosité. La munificence royale ou, au figuré, la munificence divine. De façon plus terre à terre, on dira de nos jours que l'État n'a plus les moyens d'agir avec munificence... Quant à nos auteurs, ils ne sortent pas grandis d'avoir employé, dans un excès non pas de libéralité mais bien de liberté, un terme réservé aux seules personnes (et assimilés).

    Le second, emprunté du latin magnificentia (« noblesse, grandeur d'âme », de magnus, « grand », et facere), ressortit au luxe, à la splendeur : la magnificence est la qualité de celui qui fait grandement les choses, de ce qui est imposant par sa grandeur, sa somptuosité, son faste... en d'autres termes, de ce qui est magnifique. La magnificence d'une cathédrale, d'un style. Tel était à l'évidence le propos de nos auteurs.

    Là où les choses se compliquent, c'est que nos dictionnaires usuels enregistrent une acception supplémentaire (qualifiée de « littéraire ») au substantif magnificence appliqué aux personnes : « générosité, prodigalité », toutes qualités qui ont normalement trait à... munificence. De quoi perdre de sa superbe !


    Remarque
    : L'élément -ficence correspond à la forme savante de -faisance (bienfaisance).

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Cette magnificence d'hôtel particulier.

     


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  • Casse-toi, pauvre "s"


    « Casse-toi riche con ! » (à propos de Bernard Arnault, soupçonné d'exil fiscal).

    (une de Libération, 10 septembre 2012)



     

    FlècheCe que j'en pense


    La une choc du journal Libération aura au moins eu le mérite, en matière de langue, de rappeler à nos compatriotes que les verbes du premier groupe ne prennent pas de s à la deuxième personne du singulier de l'impératif. Preuve que, si l'argent ne fait pas le bonheur syntaxique, il y contribue...

    Mais si d'aventure l'impertinente équipe de journalistes s'était mis en tête de raviver la lutte des classes en exhortant nos concitoyens à faire la peau à toutes les fortunes de France, il eût assurément fallu recourir audit s – pour des raisons d'euphonie sans plus de rapport avec la désinence de l'impératif – dès lors que le verbe est suivi des pronoms en ou y : Casses-en, des riches cons ! (version chamboule-tout) ou Casses-y la gueule, aux riches cons ! (version populo). Bref, la grande c(l)asse...


    Voir également le billet Impératif.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Pas grand-chose, j'en ai bien peur...

     


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  • En grandes pompes

    « L'abbaye de Savigny célèbre en grandes pompes son 9e centenaire. »

    (publié sur lamanchelibre.fr, le 9 septembre 2012)


    (photo wikipedia sous licence GFDL par Crochet.david)


    FlècheCe que j'en pense


    Il y a des coups de pied au derrière qui se perdent ! Sans doute l'abbaye de Savigny fut-elle en son temps une grosse pointure, architecturalement parlant, au sein de l'ordre de Cîteaux, mais de là à confondre voûte abbatiale et voûte plantaire il fallait oser franchir le pas... À l'évidence, notre journaliste s'est pris les pieds dans le tapis rouge entre deux substantifs féminins paronymes.

    Empruntée du grec pompê (« escorte, procession »), la pompe – en la circonstance – désigne le faste que l'on donne à un cérémonial (la pompe d'un couronnement) ; de ce sens découle la locution adverbiale en grande pompe, qui signifie « avec faste » et s'écrit au singulier. Au figuré, on parlera de la pompe d'un discours officiel (entendez sa solennité ou, par exagération, son emphase, sa grandiloquence), d'où un discours pompeux. Au pluriel, pompes se rencontre de sinistre mémoire dans les pompes funèbres et, plus rarement, dans l'expression renoncer au monde et à ses pompes, c'est-à-dire renoncer aux vanités, aux plaisirs futiles.

    Cet emploi de pompes au pluriel est source de confusion avec le terme féminin qui, en argot, désigne une chaussure (T'as pas vu mes pompes ? Non, répondit la paire de Shadoks). Inutile, donc, de chausser du 48 pour aller traîner ses guêtres du côté de Savigny-le-Vieux. Notre journaliste, depuis l'incident, est dans ses petits souliers...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    L'abbaye de Savigny célèbre en grande pompe son 9e centenaire.

     


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  • Ils y iront

    « "Sa responsabilité, ce soir, c'est de dire aux Français où ils vont aller ensemble et comment ils y iront", déclare le leader centriste » (propos de François Bayrou, photo ci-contre, au sujet de François Hollande qui doit s'exprimer ce soir à la télévision).

    (paru sur lefigaro.fr, le 9 septembre 2012)

     
    (photo wikipedia sous licence GFDL par Guermonprez)



    FlècheCe que j'en pense


    Je tombe des nues ! Comment François Bayrou, ancien ministre de l'Éducation nationale, soucieux s'il en est de beau langage, a-t-il pu oublier que le français ne goûte guère le redoublement de sons identiques ? Inattention, prononciation hasardeuse, erreur de transcription du journaliste, passage à vide après sa double défaite aux élections législatives et présidentielle ?

    À moins qu'il ne s'agisse, bien au contraire, d'un effet de style qui se voudrait relever du langage soutenu...

    Reprenons : pour des raisons d'euphonie, l'usage évite d'employer l'adverbe de lieu y « devant un verbe commençant par un i » (selon Thomas), du moins « devant le futur et le conditionnel d'aller » (selon Hanse). Ainsi convient-il de dire : J'y vais mais J'irai (pour J'y irai).

    Il semble pourtant qu'il n'en fut pas toujours ainsi. Cette suppression euphonique aurait même été un temps considérée comme appartenant au registre familier. Après tout, Fénelon ne s'est-il pas appliqué à écrire : « Non, je n'y irai pas ; ils n'y iront pas eux-mêmes » ? Ce qui fit dire à Bescherelle que, si l'auteur de Télémaque « ne s'est pas fait scrupule d'employer l'adverbe y avec le verbe aller au futur, [on] peut donc après lui s'en servir sans crainte, soit dans le style épistolaire, soit dans le discours soutenu ; mais il est encore mieux de le supprimer ». Tout (y) est dit !


    Remarque : Histoire d'en imposer en société, sachez que ce phénomène phonétique, consistant à supprimer un des deux phonèmes identiques et successifs, s'appelle l'haplologie (ex. tragicomique pour tragico-comique).

    Voir également le billet S'ensuivre.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Dire aux Français où ils vont aller ensemble et comment ils iront (ou : comment ils feront pour y aller, comment ils iront là-bas).

     


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  • Un choix de vie drastique


    « D'anciens Parisiens ayant fait un choix de vie drastique » (à propos des origines des nouveaux producteurs de vin en France).

    (Thierry Desseauve, dans L'Express n° 3192, septembre 2012)

     


     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Jean-Marc Rosier)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Passe encore que notre époque ait oublié la signification première de l'adjectif drastique, réservé à l'origine aux remèdes puissants (spécialement aux purgatifs). Après tout, l'Académie n'a-t-elle pas fini par enregistrer dans la dernière édition de son Dictionnaire le sens figuré et encore critiqué de « très rigoureux, très contraignant », sous l'influence de l'anglais drastic ?

    Mais notre journaliste ajoute l'ambiguïté à l'anglicisme, tant on est fondé à se demander ce que peut bien vouloir signifier « un choix de vie très rigoureux, très contraignant » : faut-il y voir une allusion aux conditions de travail particulièrement difficiles qu'exige la culture de la vigne, à une décision prise sous la contrainte plus que par choix délibéré ou, plus vraisemblablement, à un radical changement d'existence ? Avis à ceux qui savent lire dans le marc de raisin...


    Voir également le billet Draconien / Drastique.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    D'anciens Parisiens ayant fait un choix de vie radical (?).

    Mieux : D'anciens Parisiens ayant décidé de changer (radicalement) de vie !

     


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