• Logorrhée verbale


    « Vos réponses ne doivent pas excéder 2 ou 3 minutes, le temps de dire juste ce qu’il faut, sans tomber dans la logorrhée verbale ni vous répéter » (propos de Patrick Amar, à l'occasion de la parution de son livre Développez votre assertivité aux éditions Leduc).

    (paru sur cadreonline.com le 22 juin 2012, lu le 9 octobre 2012) 

     

      



    FlècheCe que j'en pense


    L'assertivité, vous connaissez ? Moi non plus. D'après Wikipédia, il s'agit d'« un concept de la première moitié du XXe siècle introduit par le psychologue new-yorkais Andrew Salter désignant la capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres ». Bigre ! Et moi qui aurais innocemment parlé d'affirmation de soi... Mais là n'est pas mon propos.

    Voilà donc un auteur – que dis-je ? un coach ! – qui nous affirme tout de go que, si l'on souhaite réussir un entretien d'embauche, mieux vaut ne pas s'égarer dans la logorrhée verbale. Il n'est pas certain que verser dans le pléonasme soit plus apprécié d'un recruteur...

    Sans doute est-il opportun de rappeler la signification exacte de ce substantif féminin à la graphie à haut risque pour qui n'est pas familier de son étymologie grecque : composé des éléments logo- (du grec logos, « mot, discours ») et -rrhée (du grec rheîn, « couler »), logorrhée désigne littéralement un flux de paroles (généralement inutiles) et, en psychiatrie, le besoin incoercible de parler. Pour faire bref : pas de logorrhée sans paroles, voilà une assertion que ferait bien de retenir notre auteur, s'il veut éviter qu'on le croie atteint de « pléonastite aiguë »...

    Remarque 1 : On retrouve le suffixe -rrhée dans divers noms de pathologie où il  indique l'écoulement d'un liquide organique (diarrhée, blennorrhée, gonorrhée, galactorrhée, séborrhée, ainsi que catarrhe...). Bien que de graphie proche, le substantif féminin pluriel arrhes (somme d'argent donnée en gage) ne partage pas la même étymologie : il est emprunté du latin arr(h)a, « gage ».

    AstuceUne astuce pour se rappeler la place du h dans logorrhée : penser à l'écoulement... du Rhin, le fleuve ! Logo-Rhin... Encore faut-il ne pas oublier de doubler le r.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Vos réponses ne doivent pas excéder 2 ou 3 minutes, le temps de dire juste ce qu’il faut, sans tomber dans la logorrhée.

     


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  • Se référer de


    « Des arbres remarquables … Gambsheim peut se référer de quelques beaux spécimens dans et en dehors du village. Parmi eux un platane séculaire, un tilleul ancestral, un chêne majestueux, un magnifique cèdre, une famille de saules pleureurs. »

    (Hubert Hoffmann, sur le site de la commune dont il est le maire, le 8 octobre 2012) 



    (source www.mairie-gambsheim.fr)



    FlècheCe que j'en pense


    Il ne fait aucun doute que Gambsheim fait partie de ces charmantes communes alsaciennes des environs de Strasbourg, si l'on s'en... réfère au descriptif sylvestre qu'en donne son maire.

    Pour le reste, je m'interroge. Car il se pourrait bien que l'arbre cache la forêt de l'orthodoxie syntaxique. Se référer n'est-il pas en effet, depuis plus de cinq siècles, un verbe transitif indirect qui se construit avec la préposition à, en Alsace comme dans le reste de la France ? Appliqué aux personnes, il signifie « recourir à quelqu'un qui fait autorité » (se référer à un supérieur) ; appliqué aux choses, « se rapporter à » (se référer à un texte de loi).

    Tout porte à croire que, sous l'épaisse frondaison des essences alsaciennes, plane l'ombre d'une confusion avec se targuer de, se prévaloir de, se vanter de.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Gambsheim peut s'enorgueillir de quelques beaux spécimens.

     


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  • Se rappeler de la victoire

    « "En 2008 - on ne se rappelle que de la victoire, mais on ne se souvient pas toujours des bosses sur la chaussée", a t-il lancé » (à propos de Barack Obama, photo ci-contre, candidat à sa propre succession).

    (Adèle Smith, sur lefigaro.fr, le 8 octobre 2012) 

     

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Pete Souza)


    FlècheCe que j'en pense


    Il ne saurait être ici question de mettre en doute la maîtrise par le président des États-Unis d'Amérique de la langue de... Shakespeare.

    Non, la remarque vise ici clairement notre journaliste traducteur (Académie) / traductrice (Robert et Larousse), qui ferait bien de se rappeler que, si se souvenir se construit correctement avec la préposition de, il n'en va pas de même avec se rappeler !

    Après tout, cela ne fait qu'un peu plus de deux siècles que la langue soignée dénonce ce solécisme. Elle n'est plus à un « quadriennat » près...

    Voir également le billet Se rappeler / Se souvenir.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On ne se rappelle que la victoire.

     


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  • S'expliquer de quelque chose

    « Une trentaine de policiers de la brigade anti-criminalité des quartiers nord de Marseille vont devoir à présent s’expliquer de faits de corruption et de racket. »

    (Frédéric Ploquin, sur marianne2.fr, le 6 octobre 2012) 

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Encore une bizarrerie de la langue française... que je ne m'explique pas !

    À la forme pronominale, le verbe s'expliquer signifie « faire connaître, faire comprendre sa pensée en la développant » (Je me suis sans doute mal expliqué), « comprendre la raison, le bien-fondé de quelque chose » (Je ne m'explique pas son attitude) et « devenir intelligible » (Tout s'explique). Il s'enrichit d'être suivi d'une préposition : ainsi, s'expliquer sur prend le sens de « justifier un fait, un comportement, une opinion » (Il s'est expliqué sur son absence) ; s'expliquer avec, celui d'« avoir une discussion destinée à éclairer ou à justifier des intentions ou une conduite » (Il s'est longuement expliqué avec lui).

    Mais quid de s'expliquer de ? Ma brigade de dictionnaires usuels reste étonnamment muette sur la question. Et je ne me l'explique pas, tant il semble habituel, à Paris comme à Marseille, de dire d'un adolescent qui vient de rater son bac qu'il va s'en expliquer avec ses parents – ce qui suppose, vous en conviendrez, que l'on puisse s'expliquer de quelque chose.

    Littré est plus disert : « S'expliquer d'une chose, en dire ce qu'on en pense, en parler. Il n'était pas le seul qui s'expliquât d'un tel dessein (Bossuet). » Si le tour est clairement attesté au XVIIe siècle, on est fondé à se demander s'il est encore vivant de nos jours, tant Larousse et Robert semblent l'avoir enterré comme le dernier des criminels.

    Qu'en pense la BAC – entendez la bible de l'ACadémie ? Pas plus de trace, à première vue, de ladite construction dans son Dictionnaire, si ce n'est de façon détournée avec ce désormais classique Après s'en être expliqués, ils se sont réconciliés. Je dis « à première vue » car une recherche plus approfondie me mène sur une piste, dans les quartiers nord de l'article « préface » : Il s'est longuement expliqué de ses choix esthétiques dans sa préface. C'est à n'y rien comprendre... Si s'expliquer peut correctement être suivi de la préposition de, pourquoi ne pas le préciser clairement à l'entrée « expliquer » ? Je ne me l'explique toujours pas... mais l'Académie se justifie, elle, en précisant qu'elle n'a pas vocation à « indiquer explicitement toutes les constructions verbales possibles ». Dont acte. Le mystère n'en reste pas moins épais, à mes yeux, en ce que je ne perçois pas davantage la différence entre s'expliquer sur ce fait et s'expliquer de ce fait.

    La chose qui me rassure, dans cet univers policé où la violence des mots supplante parfois celle des actes, c'est que je ne suis pas seul à m'interroger. Féraud, déjà, en 1787, écrivait dans son Dictionnaire critique de la langue française :

    « S'expliquer se dit, ou tout seul, expliquez-vous ; ou avec la préposition sur. Il faut vous expliquer sur cette proposition, ou là-dessus. Bossuet [encore lui !] lui donne l'ablatif pour régime. N'est-ce pas vouloir tout embrouiller que de s'expliquer si foiblement du libre arbitre. — On dirait aujourd'hui, sur le libre arbitre. — On dit, à la vérité, s'en expliquer, mais l'ablatif n'est bon qu'avec ce pronom. »

    Voilà peut-être un début... d'explication.

    Remarque 1 : Le tour est pourtant attesté de longue date : « Et encore après tout cela ils ajoutent qu'ils n'oseroient s'expliquer de ce qu'ils pensent de tant de belles maximes » (Vaugelas, 1647), « Pour s'expliquer de ses sentimens anciens sur cette matière » (Jean Chapelain, 1665), « S'expliquer de quoi que ce soit qui regarde sa liberté » (cardinal de Retz, avant 1679), « S'expliquer de rien avec le roi » (Saint-Simon, avant 1825), « Il avait raison de vouloir s'expliquer de ses projets avec mademoiselle d'Estorade » (George Sand, 1859).

    Remarque 2 : Curieusement, le TLFi ne mentionne, pour le sens de « justifier une attitude, un comportement, une opinion », que les constructions « s'expliquer (de qqc.), s'en expliquer » (aucune trace de s'expliquer sur !), sans toutefois citer d'exemples avec de.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    « Ils vont devoir s’expliquer de faits de corruption et de racket » ou, plus couramment, « Ils vont devoir s’expliquer sur des faits de corruption et de racket ».

     


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  • Sans compter sur


    « Mais c'est sans compter sur le fait que lorsque les Français coupent la tête de leur roi, ce n'est pas pour le rappeler sur le trône » (à propos d'un hypothétique retour au pouvoir de Nicolas Sarkozy, photo ci-contre).

    (paru sur marianne2.fr, le 5 octobre 2012) 

     

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par EPP)

     

    Sans compter sur

    « C'était sans compter sur sa première passion avec le Haïtien Jean Dominique » (à propos de la romancière Maryse Condé, photo ci-contre).

    (Marianne Payot, dans L'Express no 3204, novembre 2012)

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par MEDEF)



    FlècheCe que j'en pense


    La confusion est fréquente entre les locutions compter sans (« ne pas tenir compte de »), sans compter (« sans faire entrer en compte ») et compter sur (« avoir confiance en, se fier à »).

    On écrira correctement : Je compte sur le fait qu'il viendra (ou, plus légèrement : Je compte qu'il viendra). Nous serons donc dix à table, sans compter les enfants. Mais l'on peut se voir rétorquer : C'est compter sans le fait qu'il est souffrant.

    Revenons-en à nos exemples : en toute logique, c'est sans compter sur devrait signifier « c'est sans avoir confiance en », là où tout porte à croire que l'on voulait dire « c'est oublier (que) ».

    Comptons sur nos journalistes pour prendre en... compte ces remarques afin de régler définitivement celui de ces quiproquos.

    Voir également le billet Compter sans / Compter sur.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est compter sans le fait que...

    C'était compter sans sa première passion...

     


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