• Déchiffre et des lettres

    « Bicentenaire du déchiffrage des hiéroglyphes par Champollion. »
    (Kevin Lognoné, sur breizh-info.com, le 22 septembre 2022.) 

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Champollion (dit le Jeune) doit se retourner dans son sarcophage. Car enfin, je ne sache pas que le fameux égyptologue ait jamais employé un autre terme que celui de déchiffrement dans son domaine : « Cette écriture se présentera à nous sous un aspect entièrement neuf, et nous aurions fait un pas immense vers son déchiffrement » (Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens, 1824), « Les deux savants allemands ont [dû] travailler au déchiffrement des écritures égyptiennes » (Lettre à M. le duc de Blacas d'Aulps, 1826).

    Il n'y a là, au demeurant, rien que de très conforme à l'usage de l'époque. Déchiffrement, attesté depuis le XVIe siècle, a en effet été longtemps le seul terme reconnu pour désigner l'action de déchiffrer (ainsi que le résultat de cette action), dans toutes les acceptions du verbe :

    (comprendre, expliquer quelque chose d'obscur, de mystérieux ou de secret) « Entendre le deschiffrement de ses volontez » (Pierre Matthieu, 1610), « Le blasme des prestres et dechiffrement de leur vie » (Agrippa d'Aubigné, 1616).

    (traduire en clair un texte chiffré [1]) « [Il] luy avoit envoyé le deschiffrement d'une lettre » (François de Boyvin du Villars, 1553), « Il vous portoit une depesche de moy fort importante, avec le dechiffrement et l'alphabet des lettres interceptees » (Henri IV, 1593), « Les deux principales clefs du déchiffrement » (Le Journal des savants, 1668), « Il faut avoir un certain genie pour le dechiffrement des lettres » (Dictionnaire de Furetière, 1690).

    (parvenir à lire une écriture peu claire, ancienne ou inconnue) « La bibliographie est la connoissance et le dechiffrement des anciens manuscrits » (Jacob Spon, 1679), « [Le] déchiffrement de la microscopique écriture de mon frère » (Edmond de Goncourt, 1888), « Le déchiffrement des inscriptions cunéiformes » (Littré, 1863).

    (plus tardivement lire une partition qu'on voit pour la première fois [2]) « Rien n'arrêtera plus [l'élève] dans le déchiffrement des airs qui suivent » (Pierre Ypres de Séprés, 1829), « Il fut un temps où l'on rencontra des maîtres assez fous pour faire subir comme épreuve scientifique, à un confrère qui leur était présenté, le déchiffrement d'un canon obscur et quelquefois même absolument indéchiffrable » (Alexandre-Étienne Choron, avant 1834), « Le déchiffrement d'une partition ne pourra faire naître que des sensations passagères » (Maria Deraismes, 1862), « Le déchiffrement d'une sonate » (Littré, 1863).

    Et pourtant... Lorsque Champollion s'apprête à annoncer sa découverte, en 1822, la graphie déchiffrage se tient déjà en embuscade, comme le confirment ces attestations isolées : « Comme seroit le déchifrage De l'escriture hors d'usage » (De Laboussière, 1649), « Ces recherches et le déchiffrage [d'une correspondance secrète] avoient mis toutes les pieces aux mains de plusieurs personnes » (Jean Victor Marie Moreau, 1804), « Déchiffrage ou classement des toisons suivant le degré de finesse [de la laine] » (Annales de l'agriculture françoise, 1820 ; il s'agit là d'un emploi technique). Tout s'accélère dans la seconde moitié du XIXe siècle, quand déchiffrage, fondant sur la proie déchiffrement à la manière d'une plaie d'Égypte, vient la concurrencer (bien inutilement, siffleront les mauvaises langues) dans tous ses emplois : « Il y avait deux mois que le scribe travaillait au déchiffrage de ce manuscrit » (baron de Pirch, 1846), « Assister chez Érard à un déchiffrage de morceaux de piano » (Liszt, lettre non datée mais antérieure à 1849), « La question de déchiffrage en public, [cette épreuve de] lecture à première vue » (Le Ménestrel, journal de musique, 1860), « Absorbé que j'étais dans le déchiffrage de ces hiéroglyphes [il s'agit d'une lettre dont l'écriture est peu lisible] » (Émile Greyson, 1865), « Pour le chiffrage et pour le déchiffrage [des dépêches] » (Dictionnaire pour la correspondance télégraphique secrète, 1867), « Le déchiffrage de la signature de l'armurier [à propos de sabres japonais] » (Edmond de Goncourt, 1881), « Déchiffrage d'âmes » (Joséphin Péladan, 1891), etc. Les dictionnaires usuels et normatifs attendront le siècle suivant pour ouvrir leurs colonnes au dernier venu, mais − allez savoir pourquoi − dans sa seule acception musicale : « Action de lire de la musique à première vue » (Larousse universel, 1922), « Action de déchiffrer une partition musicale. Le déchiffrage d'une sonate de Mozart » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1991). Et c'est là que les ennuis commencent...

    Si le Dictionnaire de l'Académie rattache logiquement déchiffrage à chiffrage pris dans son sens musical de « procédé qui consiste à chiffrer les accords, plus spécialement ceux de la basse », on peine à comprendre pourquoi, en matière de correspondance secrète, il exige déchiffrement mais laisse le choix entre chiffrage et chiffrement : « Chiffrage. Action de chiffrer un texte pour en assurer le secret ; résultat de cette action. Le chiffrage d'une dépêche, d'un ordre de combat. (On dit aussi Chiffrement.) » (neuvième édition dudit ouvrage) (3). On ne comprend pas davantage pourquoi, dans le cas de déchiffrer, le dérivé en -age serait d'un usage plus limité que le dérivé en -ment, alors que c'est l'inverse qui est constaté dans le cas de chiffrer. Ce que l'on perçoit aisément, en revanche, c'est le malaise pharaonique des scribes du quai Conti devant l'arbitraire de leurs propres prescriptions. Ne lit-on pas à l'article « paléographie » : « Science du déchiffrage et de l'interprétation des écritures anciennes trouvées sur les manuscrits, les chartes, les diplômes et les sceaux » ? (4)

    Le Dictionnaire de l'Académie n'est, du reste, pas le seul papyrus de référence à être pris en flagrant délit d'inconséquence. Méritent aussi de se faire épingler :

    • le TLFI. Comparez : « Dans ces emplois [au sens de "action de traduire en clair un texte chiffré"], on ne rencontre que la forme déchiffrement » (à l'article « déchiffrage, déchiffrement ») et « Caractère qui ne signifie rien et qu'on emploie dans les correspondances chiffrées pour en compliquer le déchiffrage » (5) (à l'article « nul »).
    • le Larousse encyclopédique. Comparez : « [Il] se passionna très tôt pour le déchiffrement des hiéroglyphes » (à l'article « Champollion ») et « Les hiéroglyphes, dont Champollion amorça le déchiffrage en 1822 » (à l'article « hiéroglyphe »).

    Et que penser encore de ces analyses, contradictoires, qui ne font qu'ajouter à la confusion ambiante ?

    « Déchiffrer. Il désigne l'opération inverse de celle de chiffrer, c'est-à-dire la transcription en lettres de messages exprimés en chiffres. On dit déchiffrage et non déchiffrement » (Julien Le Clère, Glossaire des termes de marine, 1960).

    « Chiffrage et chiffrement [...] ont pris surtout l'acception cryptographique, c'est-à-dire qu'ils signifient l'opération d'écrire un texte non pas en lettres normales, mais en chiffres... ou même en caractères conventionnels, pour lui assurer le secret [...]. Déchiffrage et déchiffrement, que Larousse donne comme absolument interchangeables [6], ne s'appliquent qu'à la lecture de textes ésotériques » (André Thérive, Procès de langage, 1962).

    « Déchiffrage est réservé à la musique [...]. On dit déchiffrement quand il s'agit d'un manuscrit, d'un télégramme chiffré, etc. » (Thomas, Dictionnaire des difficultés de la langue française, 1971).

    Les faits, comme les chiffres, sont pourtant têtus : la répartition annoncée des valeurs de déchiffrer entre déchiffrage (d'une partition musicale) et déchiffrement (dans tous les autres cas) est loin d'être aussi nette que ce que Thomas ou l'Académie veulent nous faire croire.
    D'un côté, déchiffrage est abondamment attesté hors de la scène musicale : « Peut-être l'avais-je lu étourdiment, dans le lapsus d'un déchiffrage trop rapide » (Proust, 1918), « Comme pour le déchiffrage d'un langage secret » (Simenon, 1955), « Le déchiffrage qu'a su faire un de Gaulle de l'Histoire » (Mauriac, 1964), « Il est bon d'expliquer rapidement ce qui rendit si difficile le déchiffrage et la compréhension de la langue d'Eléa » (Barjavel, 1968), « Une opération de déchiffrage littéraire » (Michel Déon, 1987), « Une charte est un document complexe, et le mot fait penser à un déchiffrage difficile » (Alain Rey, 2006), « Je vais pouvoir retourner à mes carnets noirs, à leur déchiffrage » (Gabriel Matzneff, 2010), « Le déchiffrage des églogues » (Marc Lambron, 2011), « La lecture croisée de tous les livres d'Albert Camus, le déchiffrage de ses correspondances » (Michel Onfray, 2012), « Je mettais à l'étude du déchiffrage de textes la même fougue qu'à celle des degrés entre amitié et amour » (Chantal Thomas, 2015), « Le déchiffrage de grimoires sous une pâle lampe électrique » (Jean-Marie Rouart, 2021) − je me dois d'ajouter, à la décharge de notre journaliste, ces exemples ayant directement trait à notre affaire : « Le déchiffrage de la pierre de Rosette par Champollion » (Danièle Sallenave, 2009), « Le père Kircher, qui avait raté de peu le déchiffrage des hiéroglyphes égyptiens » (Alain Rey, 2014), « Un déchiffrage digne de Champollion » (Alain Veinstein, 2015), « Des dizaines d'apprentis Champollion décryptent ses brouillons [= ceux de Proust] avec un zèle inemployé depuis le déchiffrage de la pierre de Rosette » (Jean-Paul Enthoven, 2016), « L'étude des hiéroglyphes égyptiens au XVIIIe siècle et surtout leur déchiffrage par Champollion » (Dictionnaire historique de la langue française, 2010).
    De l'autre, l'emploi de déchiffrement en contexte musical n'est pas si rare, que ce soit avec le sens de « action de lire et/ou de jouer une partition vue pour la première fois » : « Le travail forcené du déchiffrement musical » (Pierre Schaeffer, théoricien de la musique, 1952), « Un essai rationnel de déchiffrement d'un morceau de musique » (Vladimir Volkoff, 1963), « Le déchiffrement de la partition » (Jean-Claude Margolin, 1965), « Les difficultés qu'impose le déchiffrement de la partition » (Bernard Brugière, 1979), « La partition musicale, qui demande déchiffrement, choix d'un tempo… » (Jean Greisch, 1987), « Son déchiffrement de la partition de telle ou telle fugue [de Bach] » (Jean-Pierre Arnaud, hautboïste, 1990), « Le déchiffrement de partitions » (Pierre Bergounioux, 1995), « Le déchiffrement d'une œuvre requiert des connaissances techniques précises » (Jean Gribenski, musicologue, 1997), « Le déchiffrement de la section suivante, une fugue régulière d'une trentaine de mesures » (Alexandre Dratwicki, musicologue, 2009), « [Le domaine] du déchiffrement musical » (Dictionnaire historique de la langue française, 2010), « Le déchiffrement de la partition par Matthaüs » (François Emmanuel, 2019), « La réflexion nécessaire au déchiffrement de la partition » (Vincent Manresa, 2020) ou avec celui, plus attendu, de « mise en notation moderne des anciens manuscrits de musique » : « Se livrer au déchiffrement des manuscrits de musique du moyen âge » (François-Louis Perne, 1830), « Découvrir les règles du déchiffrement des neumes, ces vrais hiéroglyphes de la musique du moyen âge » (Théodore Nisard, 1857), « Ces systèmes portaient le nom de tablatures de luth et chaque pays avait les siennes, de telle sorte que le déchiffrement exige, à l'heure actuelle, une véritable spécialisation » (René Dumesnil, 1934).

    Alors quoi ? Déchiffrement et déchiffrage sont-ils condamnés à être perçus comme momie blanche et blanche momie ? Des observateurs de renom, persuadés d'avoir plus de nez que Cléopâtre, ont cru pouvoir justifier la différence de suffixe en revenant à l'idée première de chiffre, de code. Las ! leurs arguments soulèvent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses.
    Ainsi de Dupré, qui écrit dans son Encyclopédie du bon français (1972) : « Pour Littré, on dit le déchiffrement d'une sonate comme le déchiffrement d'une dépêche. Il n'y a pas cependant dans le premier cas l'idée d'un code, connu des seuls initiés ; le déchiffrement d'une écriture dans une langue et des caractères inconnus suppose un effort intellectuel différent de celui d'une lecture musicale à première vue. » Larousse et Robert s'accordent pourtant, de nos jours, pour parler (fût-ce par analogie) de déchiffrement à propos d'un simple texte dont la graphie est peu claire...
    Ainsi également d'André Thérive, qui fait observer que « déchiffrement s'opèr[e] sur un texte dont on sait le chiffre », contrairement à décryptement ou décryptage qui « s'opère[nt] pour découvrir le chiffre ». Le Dictionnaire de l'Académie n'est pas loin de lui emboîter le pas : « Décrypter. Dérivé savant du grec kruptos, "caché". Traduire, mettre en clair un texte chiffré dont on ne possède pas la clef ou le code. Décrypter un message. Par analogie. Déchiffrer une écriture inconnue ; trouver le sens d'un texte obscur ou difficilement lisible », « Décryptage ou décryptement. Action de décrypter ; résultat de cette action » (neuvième édition)... mais se refuse pourtant à trouver décrypter, décryptement plus congruents à la découverte de Champollion que déchiffrer, déchiffrement.

    En vérité, je vous le dis : cette affaire, qui n'embaume décidément pas, se révèle une énigme plus obscure que ne le furent jamais celles du Sphinx (de Thèbes, pas de Gizeh).
     

    (1) Rappelons que chiffrer, dans cet emploi, reprend le sens « caché » du mot chiffre : « Manière secrète d'écrire au moyen de caractères, de signes conventionnels. Écrire en chiffres, à l'aide d'un code. La clef du chiffre, le code qui sert à chiffrer et à déchiffrer les dépêches secrètes » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    (2) L'Encyclopédie catholique (1846) nous explique l'origine de cette acception musicale : « Dans la plupart des partitions, et même des pièces d'orgue et de clavecin, pour figurer les intervalles des accords, on plaçait simplement des chiffres au-dessus de la basse fondamentale [de là l'expression basse chiffrée]. Il fallait donc alors calculer les rapports chiffrés : on déchiffrait. Et pourtant, à l'époque où ces signes étaient employés, on ne se servait pas de cette expression. Du moins, elle n'est pas dans les dictionnaires spéciaux de cette époque. »

    (3) Chiffrement est attesté dès le XVIe siècle avec l'idée d'écriture secrète : « C'estoit un chiffrement à double sens, tout formé de monosyllabes, selon la table que vous voiez » (Blaise de Vigenère, 1586), « [Il est] bien difficile d'user de chiffrement sans plusieurs erreurs » (Sully, 1603). Chiffrage est d'usage plus récent et plus étendu : « Le chiffrage de ces accords [de musique] » (Alexandre-Étienne Choron, 1808), « J'ai employé le chiffrage du texte hébreu » (Psaumes et cantiques, 1809), « La difficulté consistait dans le chiffrage [= évaluation financière] de la loi [sur les retraites, déjà !] » (Léon Say, cité par Littré, 1876).

    (4) À comparer avec : « Science qui traite des écritures anciennes, de leurs origines et de leurs modifications au cours des temps et plus particulièrement de leur déchiffrement » (TLFi).

    (5) À comparer avec : « Lettre, mot, phrase ou partie de phrase dépourvus de signification et qu'on emploie dans les correspondances chiffrées pour en rendre le décryptage plus difficile » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    (6) Force est de constater que la maison Larousse n'a cessé de changer d'avis sur le sujet : « Déchiffrage. Action de lire de la musique à première vue. Déchiffrement. Action de déchiffrer : déchiffrement d'un manuscrit » (Larousse universel, 1922), « Déchiffrage ou déchiffrement. Action de déchiffrer un morceau de musique, un texte » (Nouveau Larousse classique, 1957), « Déchiffrage. Action de déchiffrer de la musique. Déchiffrement. Action de déchiffrer un texte, un télégramme [comprenez : un texte écrit en clair ou en code] » (Petit Larousse, 1964), « Déchiffrage. Action de déchiffrer de la musique ; déchiffrage est également employé dans le vocabulaire technique de la pédagogie : le déchiffrage d'un texte (dans l'apprentissage de la lecture). Déchiffrement. Action de lire un texte écrit peu lisiblement, un texte codé, une langue inconnue » (Larousse en ligne).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Bicentenaire du déchiffrement (selon Champollion lui-même) des hiéroglyphes.

     


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  • « Ce duel [entre deux équipes de football] a tourné à la faveur de Wasquehal. »
    (paru sur lavoixdunord.fr, le 17 septembre 2022.) 

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Quelque chose ne tourne pas rond dans ce duel sportif... et je ne parle pas du ballon. Vous, je ne sais pas, mais moi, j'en étais resté à l'expression tourner à l'avantage de quelqu'un pour dire qu'une situation (une compétition, un conflit, une discussion...) prend une tournure qui procure un avantage, une supériorité à l'un des protagonistes sur la concurrence.

    « Et bientôt le combat tourne à son avantage » (Racine, cité par Littré).
    « La guerre, qui sera de cent ans, n'a cessé de tourner à l'avantage des Anglais » (Jean d'Ormesson).
    « La situation a tourné à son avantage » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Tout porte à croire, vous l'aurez deviné, que c'est sous l'influence décisive de en faveur de que notre journaliste s'est emmêlé les crampons entre à la faveur de et à l'avantage de, trois tours dont le Dictionnaire de l'Académie nous rappelle utilement les définitions :

    « À la faveur de, grâce à, par le moyen de ; à l'occasion de. Il s'est sauvé à la faveur de la nuit, à la faveur d'un déguisement. »

    « En faveur de. À l'avantage, au profit de. Le roi abdiqua en faveur de son frère. Il a fait son testament en faveur d'un ami. Le jugement est en votre faveur. Je lui parlerai en votre faveur. Ce mécène s'est dépensé en faveur des arts. »

    « À l'avantage de, de façon à donner le dessus, une supériorité à. La discussion s'est terminée à l'avantage de nos thèses. »

    Puisse l'intéressé mettre à profit cette saine lecture pour regagner au plus vite la faveur des arbitres de la langue !

    Mais voilà qu'un vieux réflexe masochiste (on ne se refait pas) me pousse à élargir mes recherches à d'autres ouvrages de référence. Mal m'en a pris : l'affaire, tout compte fait, se révèle moins simple que je l'avais supposé.

    D'abord, parce que la langue n'a pas toujours nettement distingué les deux premières locutions. Il n'est que de consulter les textes anciens pour relever, ici, une attestation de à la faveur de au sens de « au profit de, à l'intention de » : « [Il] se voit ainsin villener et menassier a la faveur et pour l'amour de damp Abbés » (Antoine de La Sale, 1456), « Il se esmerveilloit de ce que le roy faisoit telle requeste à la faveur d'un homme qui l'a si mal traicté » (Lazare de Baïf, 1532), « Chantez, mes vers, un petit chant joyeux A la faveur de ces nouveaux espoux » (Charles Fontaine, 1555), « Le Prince doit soustenir ce qui est faux en la religion, pourveu que cela tourne à la faveur d'icelle » (Discours sur les moyens de bien gouverner, édition de 1609 ; l'édition originale de 1576 comporte « en la faveur d'icelle ») ; là, un emploi de en (la) faveur de au sens de « grâce à » (selon Huguet) : « Et pour ceste cause, en faveur d'elle il sortit du palais imperial quand il alla prendre possession de son consulat » (Jacques Amyot, 1559), « Fusmes delivrez bien tost apres de leurs mains, en la faveur d'un capitaine neapolitain » (André Thevet, 1575)... et même, pour corser le tout, au sens de « par le moyen de, en profitant de » (selon Lacurne de Sainte-Palaye) : « Et s'ils failloient ils se pouvoient sauver, en faveur de ce bois que je vous ay dit » (Robert III de La Marck, avant 1536) − à comparer avec « S'estant jetté hors du couvert d'un moulin à vent, a la faveur duquel il s'estoit approché » (Montaigne, 1580). Mais ça, c'était avant, me direz-vous avec juste raison. Depuis lors, à la faveur de a pris le sens moderne que l'on sait, et l'on fera bien de ne plus l'en détourner.

    Ensuite, parce qu'une certaine confusion entoure l'analyse de l'expression tourner à l'avantage de. Tournons-nous par exemple vers ces définitions de dictionnaires usuels : « À l'avantage de quelqu'un, de nature à le servir, ou de façon à lui donner la supériorité : La situation peut tourner à notre avantage » (Larousse en ligne), « À l'avantage de quelqu'un, de manière à lui donner une supériorité. La situation a tourné à son avantage » (Robert en ligne). Elles laissent entendre que le verbe tourner (pris au sens de « évoluer, changer » ?) est ici modifié par la locution prépositive à l'avantage de, celle-là même que l'on trouve dans : « Cette guerre finit à l'avantage de Lacédémone » (Bossuet), « S'il s'y trouve quelque différence, il est aisé de voir combien elle est à l'avantage de la question présente » (Pascal), « La fortune tourne tout à l'avantage de ceux qu'elle favorise » (La Rochefoucauld ; notez la présence du complément d'objet direct tout).
    Rien à voir avec l'analyse proposée par Féraud : « On dit adverbialement à l'avantage de, comme on dit, à l'honneur, à la gloire, à la satisfaction de, etc. Cette manière de négocier prospéroit au grand avantage des deux nations. Mais dans tourner à l'avantage, celui-ci n'est pas adverbe. Ces querelles littéraires [...] tournent à l'avantage des sciences » (Dictionnaire critique, 1787). Autrement dit, pour qui sait lire entre les lignes, on aurait plutôt affaire à la construction indirecte tourner à + article défini + substantif, au sens de « évoluer vers » (selon Hanse), « se transformer pour aboutir à (tel résultat) » (selon le Grand Robert), « avoir une certaine issue » (selon Littré) : tourner à l'avantage (avec avantage pris au sens de « ce qui fait qu'on l'emporte sur quelqu'un, qu'on est au-dessus de lui ») à l'instar de tourner au tragique, à la catastrophe, à l'orage, au vinaigre, etc.
    L'ennui, c'est que certains équipiers se montrent incapables de choisir leur camp. Ainsi du Grand Robert qui, à l'article « avantage », range notre expression sous les couleurs de la locution : « À l'avantage de (quelqu'un, quelque chose). La contestation s'est terminée, a tourné à son avantage », mais plaide en faveur de la construction indirecte à l'article « tourner » : « Tourner à..., en... Chose qui tourne à l'avantage, au profit, au désavantage de quelqu'un. »
    D'aucuns me rétorqueront que cela revient au même pour le sens. C'est sans doute le cas avec avantage... mais pas avec faveur. Qu'on en juge :

    Tourner à la faveur de : il ne peut s'agir ici que de la locution prépositive (que signifierait tourner à / la faveur de ?). Un moulin qui tourne / à la faveur d'une rivière.

    Tourner en faveur de : là encore, il ne peut s'agir que de la locution prépositive. La chance tourne / en faveur du camp adverse. Le sort de la guerre tourne / en faveur du camp adverse (plus difficilement, me semble-t-il : La guerre tourne / en faveur du camp adverse).

    Décidément, cette langue n'a pas fini de nous faire tourner en bourrique... 

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ce duel a tourné à l'avantage de Wasquehal.

     


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  • « La dépouille de la reine Elizabeth II est arrivée mardi soir au palais de Buckingham. »
    (paru sur lepoint.fr, le 13 septembre 2022.) 

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Actualité oblige, un mot est sur toutes les lèvres et sous toutes les plumes pour parler du corps de feu la reine d'Angleterre : dépouille. Et force est de constater que l'emploi absolu dudit terme dans ces royales circonstances n'est pas du goût de plus d'un spécialiste de la langue. Jugez-en plutôt :

    « Au journal le Monde, il était formellement interdit d'employer ce mot seul au sujet d'une personne : on devait toujours dire "la dépouille mortelle", alors que dépouille tout court s'appliquait aux animaux. L'usage actuel me choque donc » (Jean-Pierre Colignon, 2022).

    « L'adjectif [mortelle] précise l'emploi spécial de dépouille au sens de "cadavre [humain]" » (Dictionnaire d'expressions et locutions, 2012).

    « Pour un humain : la dépouille mortelle. Pour un animal : la dépouille » (Pascal-Raphaël Ambrogi, Particularités et finesses de la langue française, 2005).

    « La langue française semble avoir souhaité distinguer le cadavre de l'animal de celui de l'humain. Dans le premier cas, on parle de "dépouille" tout court ; dans le second, de "dépouille mortelle" » (blog des correcteurs du Monde.fr, 2004).

    Je devine à votre tête d'enterrement que vous vous fichez royalement de ces subtilités. Et pourtant... Que l'expression dépouille mortelle ne s'emploie qu'à propos d'un corps humain, tout le monde en conviendra. Mais que, dépouillé de son épithète, notre substantif doive être réservé aux seuls animaux, voilà qui mérite que l'on y regarde de plus près.

    Dépouille, vieux déverbal de dépouiller (« ôter, enlever ce qui couvre ou ce qui est possédé par autrui »), s'emploie de longue date à propos de la gent animale, pour désigner la peau abandonnée (par un animal vivant, au moment de la mue) ou arrachée (à une bête mise à mort) : « La langue de serpent vault contre le venin, et la despoille aussi revault a moult de choses » (Évrart de Conty, vers 1400), « La despouille d'un lyon ou d'un tygre » (Jean Lemaire de Belges, 1509), « La hure et hideuse despouille [d'un sanglier] » (Hugues Salel, 1539), « A deux testes de cerf [pendoient] leurs despouilles, c'est à dire les testes avec toute la peau et piedz encor entiers » (Jean du Peyrat, 1549), « [Hercules] mit à mort le Lion de la forest de Nemee [...] et de sa despouille s'en fit une mantelline » (Blaise de Vigenère, 1578), « Nous avons esté excusables d'emprunter [aux animaux] leur despouille, de laine, plume, poil, soye » (Montaigne, 1595). C'est vraisemblablement (selon le TLFi) « par métonymie [peau → corps] et/ou par extension [animal → être humain] » de cette acception animalière − elle-même en rapport étroit avec le sens étymologique de « vêtement (retiré à quelqu'un) », hérité du latin despoliare (« déshabiller, dénuder ; piller, déposséder ») − que se sont développés, dans la langue poétique, les premiers emplois pour désigner « le corps considéré comme l'enveloppe dont l'âme est dépouillée par la mort » (selon Hatzfeld, 1890), autrement dit un cadavre humain. En voici quelques exemples exhumés du XVIe siècle : « Quand mon corps verras n'avoir plus d'ame, Et qu'à tes yeux [...] On monstrera toute sanguinolente De ton amy la despoille piteuse » (Jean Lemaire de Belges, 1510), « Le bon seigneur Francoys de la Tremoille Nous a laissé son humaine despoille » (Jean Bouchet, 1543), « Et sa despueille humaine laissa là » (Vasquin Philieul, 1555), « Avant que l'ame vienne à delaisser cette mortelle depoüille » (Hubert Philippe de Villiers, 1556), « Le beau chef qui n'est plus que la froide despouille de ses affections » (Jacques Yver, 1572), « Icy gist d'un enfant la despouille mortelle » (Jean-Antoine de Baïf, 1573), « Ma despouille flestrie » (Christofle Du Pré, 1577), « Ma triste despouille en cendre » (Philippe Desportes, 1585), « Et d'un estoc percer ta blanche peau Digne despouille à un triste tombeau » (Nicolas de Montreux, 1588), « Il embrassoit ceste froide despoüille » (Antoine de Nervèze, 1599), « Puis apres la mort enduree De ta despouille demeuree » (Pierre Motin, 1600).

    D'aucuns s'étonneront de trouver notre dépouille en si bonne compagnie : demeuree, digneflestrie, froide, humaine, mortelle, piteuse, triste... Et encore, je n'ai pas cité Ronsard, qui n'avait pas son pareil pour l'accommoder à toutes les sauces adjectives : sous sa plume, l'intéressée pouvait aussi être derniere, enclose, esteinte, vuide... selon les besoins de la rime. Selon les besoins du sens, surtout. L'adjonction d'un adjectif approprié permet, en effet, de préciser l'acception dans laquelle le substantif doit être pris et, partant, de lever l'ambiguïté qui subsiste par exemple dans : « Fabius envoya querre le corps de son compaignon et si feist mettre en ung moncel toutes les despouilles des ennemys [il s'agit en l'espèce de leurs vêtements, cuirasses, armes... et non de leurs corps (1)] » (traduction des Décades de Tite-Live, 1530). Toujours est-il que mortelle a peu à peu éclipsé la concurrence, jusqu'à s'imposer au côté de dépouille dans les dictionnaires du XVIIIe siècle (2). Comparez : « Despouille esteinte, id est, le corps ja [= déjà] mort. Ronsard » (Pierre Marquis, Grand Dictionnaire françois-latin, 1609) et « Il a quitté sa dépouille mortelle. Phrase poëtique pour dire il est mort » (Dictionnaire de Richelet, 1680), « On dit que l'homme a laissé sa despouille mortelle, pour dire, son corps, ce qu'il avoit de matériel » (Dictionnaire de Furetière, 1690), « On appelle figurément le corps de l'homme aprés la mort, La depoüille mortelle de l'homme » (Dictionnaire de l'Académie, 1694-1798).

    Est-ce à dire que dépouille ne s'employait jamais sans son épithète, à l'époque, pour désigner le corps (voire la seule enveloppe de peau) d'une personne morte ? Les exemples qui suivent prouvent assez le contraire : « [Les Haitiens] laissent brusler ce feu jusqu'à tant que la chair [de leur roy mort] en sue et se desseiche [...] ; ce que fait ils prennent ceste despouille » (François de Belleforest, 1572), « Laisse le corps funeste, Laisse moy sa despouille [celle de Patrocle] » (Amadis Jamyn, 1580), « Ce Coche leur fai[t] laisser seulement leur despouille en terre » (Théodore de Bèze, 1586), « Désireux de l'honneur d'une si belle tombe, Afin qu'en autre part ma dépouille ne tombe » (Malherbe, 1587), « [Cambyses] lui commanda de juger droitement en regardant la despouille de son père [qu'il venoit de faire escorcher] » (Simon Goulart, 1595), « Quitte ta despouille, ô mon ame » (Claude Expilly, 1596), « Quand donc mon ame, ô Dieu, s'envolera dehors Delaissant au tombeau la despouille du corps » (Antoine de Montchrestien, 1601), « Nostre despoüille se resoult en cendre » (Gabriel Chappuys, 1610), « On croit de longue main que les esprits des morts [...], Apres avoir quitté la despoüille du corps [...], Reviennent dans des corps humains » (Théophile de Viau, 1622), « L'ame sortant de ce corps, comme d'une prison obscure, en quittant ceste despoüille entre en la lumière de Dieu » (Pierre Du Moulin, 1632), « Celuy dont la despoüille est icy renfermée » (Régnier-Desmarais, 1707), « Achille [fait mettre] La dépouille d'Hector sur le char de son pere » (Antoine Houdar de La Motte, 1714), « Un moment nous a donc enlevé tant d'intrépides héros et de fidèles amis ! Un coin ignoré de la terre possède leurs dépouilles ! » (Charles-François Lebrun, 1774), « Que cent fois mon tombeau vomisse ma dépouille ! » (Pierre-Ulric Dubuisson, 1780), « J'ai dénoué ses bras du corps froid de son père Et j'ai rendu ce soir la dépouille à la terre » (Lamartine, 1793), « J'accompagnai mon père à son dernier asile ; la terre se referma sur sa dépouille » (Chateaubriand, 1802) (3). Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir, à partir de la fin du XVIIIe siècle, les lexicographes laisser désormais le choix au commun des mortels :

    « Le corps d'un homme après sa mort s'apèle, figurément et par extension, sa dépouille mortelle, ou simplement sa dépouille » (Jean-François Féraud, Dictionnaire critique, 1787).

    « La dépouille mortelle. La dépouille ou les dépouilles d'une personne » (Louis-Nicolas Bescherelle, Dictionnaire national, 1845).

    « La dépouille mortelle d'une personne, ou simplement, La dépouille, les dépouilles d'une personne, Le corps d'une personne, quand elle est morte » (Dictionnaire de l'Académie, 1835-1878). (4)

    L'adjectif mortelle n'en reste pas moins au chevet du substantif dépouille, ce qui vaut à leur macabre association de figurer en bonne place dans le Dictionnaire des lieux communs (1881) de Lucien Rigaud.
    Mais voilà que le vent commence à tourner :

    « "Comment un mort peut-il être une dépouille mortelle ? [me demande une lectrice.] On n'est mortel que tant qu'on est vivant." Certes, l'assemblage de ces deux mots peut surprendre. Mais dépouille a conservé ici son sens propre de "peau qu'on retire à un animal". Le corps mortel représente le "vêtement" de l'âme immortelle. Et quand Malherbe dit : "Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle...", il entend que l'âme de son fils, qui continue de vivre dans l'au-delà, a été privée de son enveloppe de chair périssable. La formule ne manquait pas d'une certaine vigueur poétique que l'usage a peu à peu émoussée » (André Rigaud, 1965).

    Il faut croire que notre époque ne sait décidément plus analyser les termes qui composent ladite formule : « Une amie m'a demandé si le terme littéraire et juridique de dépouille mortelle n'était pas un pléonasme », lit-on, la mort dans l'âme, sur une page Facebook consacrée à la langue française.
    Ronsard doit se retourner dans sa (froide) tombe...
     

    (1) Rappelons ici, avec le TLFi et le Dictionnaire historique, que dépouille a d'abord été employé (dès le XIIe siècle et surtout au pluriel) au sens de « butin, ce que l'on prend à un ennemi vaincu » et, par extension, « tout ce dont on s'empare au détriment d'autrui » : « Timoleon envoya a Corinthe [...] les plus belles et plus riches despouilles des ennemys » (Georges de Selve, avant 1541), « Paul Emile la victoire obtenue [...] donna aux legions la despouille des corps morts » (Institution de la discipline militaire au royaume de France, 1558), « Des brigands, qui ja avoient faict le partage de sa despouille » (Jean Choisnin, 1574). Le mot désignait aussi les vêtements et biens de toute nature laissés en héritage par une personne défunte : « Estre heritier de la despouille du mort » (Pierre Danes, 1552). De là la liste des principales épithètes alors employées pour qualifier notre substantif, que Maurice de La Porte dressa en 1571 : « Despouille. Riche, pillee, magnifique, serve, destroussee, ravie, prise, captive, acquise ou conquise, desrobee, appendue, servile, belle, emportee, larronne ou larronnesse, ennemie, butinee ou butineuse, amassee, chargeante, nouvelle, fortuite, malheureuse, avare, rapineuse » (Les Épithètes) − mortelle brille par son absence, l'acception nouvelle de « cadavre humain » n'ayant pas été retenue.

    (2) Peut-être en souvenir du latin exuta mortalitate (Pline), littéralement « débarrassé, dépouillé de sa nature mortelle ».

    (3) Et aussi : « Si l'homme célèbre dont nous venons rendre les dépouilles à l'éternel repos » (Pierre-François Tissot, 1838), « Cette pelletée de terre que la main du prêtre jettera demain sur sa dépouille [celle du poète François Ponsard] » (Alfred Auguste Cuvillier-Fleury, 1867), « Toute la poésie dont les anciens voilaient et purifiaient la fin humaine [...], changeant la dépouille en une cendre » (Jules de Goncourt, 1869), « Le regretté confrère dont la dépouille gît à nos pieds » (Joseph d'Haussonville, 1884), « Il avait cru jeter la dépouille de Larsan à l'abîme » (Gaston Leroux, 1908), « L'âme immortelle qui se délivre de la dépouille du corps » (Romain Rolland, 1910), « J'éprouvais devant ce qui restait de Marie tout ce que signifie le mot "dépouille" » (Mauriac, 1932), « La dépouille de la petite morte » (Joseph Peyré, 1939), « Réunis ici, devant la dépouille de celui qui fut, pour nous tous, un [ami] » (Georges Duhamel, 1945), « L'interminable cortège qui, de l'Arc de Triomphe, conduisait au Panthéon la dépouille de Victor Hugo » (Claudel, 1950), « Après l'assassinat de Jaurès, Barrès vint s'incliner sur sa dépouille » (Jean Dutourd, 1977), « La nuit où la dépouille de Staline est retirée de son mausolée » (Hélène Carrère d'Encausse, 1984), « Tout le peuple de Paris accompagnait jusqu'au Panthéon la dépouille du poète » (Jean d'Ormesson, 1985).

    (4) Et encore de nos jours, n'en déplaise à Colignon et consorts : « La dépouille de Napoléon », « La dépouille d'un mort, d'un défunt » à côté de « La dépouille mortelle d'une personne » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) ; « Dépouille (mortelle), corps d'une personne morte [Larousse en ligne], le corps humain après la mort [Robert en ligne] » ; « Style recherché. Dépouille mortelle : corps d'une personne qui vient de mourir. Ils se sont recueillis devant la dépouille de leur ami. Le Président a fait son discours devant les dépouilles des victimes de l'accident » (Dictionnaire du français de Josette Rey-Debove).

    Remarque 1 : Dépouille (mortelle) passe pour un euphémisme soutenu et solennel de cadavre : « Le substantif dépouille emporte l'idée de quelque chose de grand » (Adolphe Mazure, Dictionnaire étymologique, 1863), « Les gens de peu laissent un cadavre, le commun un corps et les éminences une dépouille » (Bernard Cerquiglini, 2018), « La "dépouille mortelle" se substitue au cadavre » (Jean Pruvost, 2022). Il y aurait presque de quoi... mourir de rire, quand on songe, avec Martine Courtois (Les Mots de la mort, 1983), à la violence de la métaphore originelle, à ce déshabillage du corps conçu comme une peau animale, arrachée à l'âme et abandonnée à terre tel un rebut.

    Remarque 2 : Selon les éditions du Dictionnaire de l'Académie, le mot cadavre se dit uniquement en parlant du corps humain (1694-1798), « surtout en parlant du corps humain » (1835-1878), « surtout en parlant de l'homme et des gros animaux » (1935).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose ou La dépouille mortelle de la reine.

     


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  • Certaines expressions bien connues de tous cachent, derrière leur apparente simplicité, des difficultés que les spécialistes eux-mêmes peinent à résoudre (quand ils ne feignent pas de les ignorer). Que l'on songe, par exemple, à mine de rien : doit-on dire faire mine de rien ou ne faire mine de rien ?

    Renseignements pris, l'Académie ne nous est d'aucune aide sur ce coup-là. Allez savoir pourquoi, elle fait mine de ne connaître que la variante sans faire mine de rien, qu'elle range contre toute attente avec l'expression jumelle faire semblant de rien parmi les emplois où le pronom indéfini rien conserve la valeur négative de « nulle chose » sans l'aide de la négation ne :

    « Sans l'adverbe ne. Faire semblant de rien, feindre l'indifférence, l'ignorance, etc. Sans faire mine de rien, sans dévoiler ses intentions, ses sentiments. Elliptiquement et familièrement. Mine de rien » (article « rien » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Que doit-on comprendre ? Que l'adverbe ne ne saurait s'inviter dans sans faire mine de rien ? Cela va sans dire. Notre expression n'en demeure pas moins présentée dans un contexte explicitement négatif, en l'occurrence sous la dépendance de sans : « Il me semble que, s'il était légitime de se passer de la négation, c'est En faisant mine de rien qui nous serait proposé », fait observer Bruno Dewaele avec quelque semblant de raison. Partant, on peine à saisir la pertinence du parallèle suggéré entre faire semblant de rien (sans ne) et sans faire mine de rien (avec sans). Le malaise est d'autant plus grand que l'on a tôt fait de prendre les Immortels en flagrant délit d'inconséquence :

    « Familier. Ne faire semblant de rien ou, abusivement, Faire semblant de rien, simuler l'indifférence ou l'ignorance, feindre l'inattention. Observez ce qui se passe sans faire semblant de rien » (article « semblant » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Fasse semblant de comprendre qui voudra !

    Le TLFi, de son côté, adopte une position qui, pour être plus claire, n'en est pas moins discutable :

    « Vieilli. Ne faire semblant de rien. Feindre d'être indifférent, de ne pas savoir ou de ne pas entendre quelque chose » (article « semblant »).

    « Familier. Faire mine de rien. Ne manifester aucun sentiment, aucune réaction » (article « mine »).

    Pourquoi serait-il légitime de se passer de la négation ici et pas là ? Rien ne devrait-il pas se construire avec faire mine comme avec faire semblant ? Un retour aux sources s'impose.

    À l'origine est la construction faire semblant de quelque chose (et aussi faire semblant de + infinitif, faire semblant que...), où semblant, participe présent substantivé du verbe sembler, s'entend au sens de « apparence, aspect ; signe, indice ». Le tour a d'abord signifié « donner tous les signes (d'un sentiment réellement éprouvé, d'une pensée, d'une intention, d'un état...), manifester, montrer, laisser paraître », avant de se spécialiser dans son acception péjorative de « donner des signes pour tromper », d'où « feindre, faire comme si » : « Semblant feseit de doel mener ["elle montrait qu'elle menait deuil"] » (Marie de France, vers 1170), « Li enfans fait semblant de joye ["l'enfant donne des signes de joie"] » (Galeran de Bretagne, vers 1210), « Mais ma bouche fait semblant qu'elle rie, Quant maintefoiz je sens mon cueur plourer » (Charles d'Orléans, milieu du XVe siècle). C'est sur ce modèle qu'a été construit (au XVIe siècle, semble-t-il) faire mine de quelque chose (faire mine de + infinitif, faire mine que...), avec mine (d'étymologie incertaine) pris au sens de « contenance que l'on a, air que l'on se donne par la physionomie ou l'attitude, et qui exprime un sentiment, une émotion » : « Faisant myne quil vouloit agrandir la berche [= berge], mais avoit autre chose en pensée » (Jacques de Mailles, 1527), « [Ilz] sen allerent lung d'un costé lautre de lautre, sans en faire mine ne semblant » (La Motte Roullant, 1549), « Ils ont esté contraincts faire mine de devotion » (Charles Du Moulin, 1564), « Apres avoir fait mine de quelque resistence » (Théodore de Bèze, 1580), « Ils ressemblent au scorpion, qui fait mine de caresse et frappe de la queuë sans qu'on s'en aperçoive » (Pierre Crespet, 1587) (1). Dès la première édition de son Dictionnaire, l'Académie donne les deux expressions comme synonymes : « On dit aussi, Faire mine de quelque chose, pour dire, En faire semblant » (à l'article « mine », 1694-1935), « On dit, Faire semblant de... faire mine de... pour dire, Feindre de... » (à l'article « faire », 1762-1798).

    Mais voilà que les choses se compliquent avec l'entrée en scène de rien. Comparez : (avec semblant) « De rien ne vostrent [= voulurent] sanblant feire » (Guillaume d'Angleterre, vers 1165), « Mais ne l'en fait samblant de rien » (Li Chevaliers as deus espees, XIIIe siècle), « La damoyselle s'en alla seoir avecques les autres sans faire samblant de riens » (Perceforest, manuscrit de 1450), « En luy baillant sa lettre, dist qu'il ne feist semblant de rien, mais qu'il accomplist le contenu » (Les Cent Nouvelles nouvelles, avant 1467), « [Je] n'an ferè samblant de rien » (Jacques Peletier du Mans, 1555) et « Philippus aiant ouy ces paroles, pour la premiere fois ne feit pas semblant de rien » (Jacques Amyot, 1559), « Et ne dy mot et les regarde Faire leur faict, et fay le mien, Ne faisant pas semblant de rien » (Jean-Antoine de Baïf, 1573), « Ne faites pas semblant de rien, et me laissez faire tous deux » (Molière, 1668), « Je ne fis aucun semblant de rien » (Mme de Sévigné, 1689) ; (avec mine) « Se moquer en derriere, sans faire mine de rien » (Charles Pajot, 1658), « [Il] ne fait mine de rien, les laisse crier et remuer » (René Pageau, 1677) et « [Il] ne fit point mine de rien » (Pierre Crespet, 1604), « Il ne fait pas mine de rien, il ne fait point de responce » (Jean Boucher, 1631), « Il ne fit aucune mine de rien » (Le facetieux Resveilmatin, 1643). Ces exemples anciens prouvent assez à qui en doutait que la négation était de règle avec rien ; on découvre, un rien éberlué, que la double négation l'était tout autant, non pour affirmer, mais pour nier avec plus de force toute idée d'émotion extérieure (2). Grevisse ne voit là rien que de très courant : « Autrefois, et jusque dans le siècle classique, on mettait souvent la négation complète [ne... pas, ne... point] dans des cas où la langue moderne se sert du simple ne : On ne veut pas rien faire ici qui vous déplaise (Racine). » L'ennui, c'est que les spécialistes ne s'accordent pas toujours sur la valeur de rien combiné avec pas. Prenez la citation de Molière. Rien y est donné tantôt avec le sens étymologique de « quelque chose », hérité du latin rem, tantôt avec la valeur négative de « nulle chose », acquise au voisinage ordinaire de ne :

    « Dans [Ne faites point semblant de rien], rien est visiblement un substantif au génitif, gouverné par un substantif qui le précède, semblant. Ne faites pas semblant de quelque chose, ou qu'il y ait quelque chose » (François Génin, Lexique comparé de la langue de Molière, 1846).

    « "Je n'ai pas voulu faire semblant de rien" (Les Précieuses ridicules). Selon notre grammaire, la négation pas serait ici de trop. Molière n'avait pas rompu avec l'usage ancien, qui permettait de prendre rien au sens de "quelque chose" et de le construire, dans certaines phrases, avec la double négation ne, pas : "Ne faites pas semblant de rien, et me laissez faire tous les deux" (George Dandin) » (Paul Jacquinet et Émile Boully, Les Précieuses ridicules, note grammaticale, 1893).

    « Au XVIIe siècle, on n'était pas bien sûr que rien renfermât en soi une idée négative. [Molière écrit en effet :] Ne faites pas semblant de rien » (M. Andréoli, Recherches sur l'étymologie et le sens du mot rien, 1861).

    « La valeur négative de rien apparaît bien aussi dans les phrases où il est accompagné de la négation complète ne... pas : Ne faites pas semblant de rien (Molière) » (Grevisse, Le Bon Usage, 1964).

    Cette ambiguïté sémantique du mot rien, que Goosse fait remonter au XIVe siècle, explique sans doute la tentation de s'affranchir de la négation, surtout observée dans la langue populaire (du moins à partir du XVIIe siècle) : (avec semblant) « [Il] alloit oïr messe, faisant samblant de riens » (Georges Chastellain, vers 1470, qui écrit par ailleurs avec l'adverbe ne : « Sy ne firent lesdits Anglois semblant de rien »), « Eux non seulement se taisans et faisans semblant de rien » (Jean Calvin, 1560, qui écrit par ailleurs : Nous laisserons-nous là tuer, ne faisans semblant de rien ?), « Le Roy faisant semblant de rien » (Claude Gousté, 1561), « Vous ferez samblant de rien » (Marguerite de Parme, 1564), « [Il] fit semblant de rien et avalla ceste honte » (Simon Goulart, 1578), « Faisant semblant de rien, pour sçavoir davantage » (Simon Bélyard, 1592), « Je vais faire semblant de rien » (fait dire Molière au paysan Lubin dans George Dandin, 1668), « Faites semblant de rien » (fait dire Jean-François Regnard au valet Pasquin dans Attendez-moi sous l'orme, 1694), « Faisons semblant de rien » (Louis Anseaume, dialogue de théâtre, 1761), « Mais il fallut bien faire semblant de rien » (Journal inédit du Duc de Croÿ, 1762), « [Ne dites pas :] Faisant semblant de rien... Dites : Ne faisant semblant de rien, ou mieux Sans faire semblant de rien [...]. Faire semblant de rien, sans la négation, signifierait mot à mot "faire semblant de quelque chose" » (Jean-Baptiste Reynier, Les Provençalismes corrigés, 1878) ; (plus tardivement avec mine) « Je fis mine de rien » (La Fée Badinette, 1733), « Mais faisons mine de rien » (Jocrisse au bal de l'Opéra, 1808), « Je baisse les yeux et je fais mine de rien, disait-il encore » (Notice sur la vie de M. l'abbé Imbert, 1841).

    C'est au prix d'une nouvelle ellipse qu'apparaissent, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les locutions adverbiales semblant de rien et, surtout, mine de rien avec le sens de « sans en avoir l'air » : « Et puis, semblant de rien, J'loie Etienn' l'Ecorché » (Alexandre Desrousseaux, Chansons et pasquilles lilloises, 1851), « Ce soir je mettrai la conversation sur les chiens, et, semblant de rien, je dirai que [...] » (Julie Gouraud, 1866), « Et, semblant de rien, il envoyot s' servante querre deux agents » (Catherine Lonbiec, 1909), « Et voilà comment, semblant de rien, Thérèse réagit » (Jean-François Six, 1973), « Elles allèrent s'asseoir sur le banc du fond et, semblant de rien, se mirent à jacasser » (Colette Mordaque, 2011), « Son concurrent à roulettes électriques qui, semblant de rien, zigzague et lui fait des queues de poisson » (Grégoire Polet, 2012) ; « [Il] s'était empressé, mine de rien, de prévenir les gendarmes » (Léon Séché, Contes et figures de mon pays, 1881), « Nous nous rapprochons de la porte, mine de rien » (Georges Price, 1898), « Alors, mine de rien, a m'fait signe d'veunir cheux elle » (Hugues Rebell, 1898), « Je suis allé causer − mine de rien − avec un de mes amis » (Clemenceau, 1901), « Si on rencontrait quelqu'un faudrait avoir l'air de se promener, mine de rien » (Céline, 1932), « Je ne t'ai pas expliqué comment, mine de rien, il vous envoie proprement un tabouret à la tête de son homme » (Pierre Benoit, 1933), « Mine de rien, je sors, je rentre » (Hervé Bazin, 1956), « Le mot, mine de rien, montre l'efficacité de la langue latine » (Alain Rey, 2006), « Mine de rien, chemin faisant » (Erik Orsenna, 2011), « Il essayait de les [= les pieds d'une femme] caresser, en passant, mine de rien » (Bernard-Henri Lévy, 2014).

    Passées mine de rien dans la langue courante (3), ces locutions elliptiques, où rien a nettement un sens négatif par lui-même, ont pu renforcer le sentiment que leurs formes développées s'écrivaient sans ne. Que le commun des minois contemporains se soit laissé abuser, passe encore. Mais que plus d'un auteur de renom lui ait emboîté le pas sans barguigner surprend davantage : « Mais tu as pu noter que j'ai toujours fait mine de rien » (Jean Dutourd, 1950), « Faisons mine de rien » (Eugène Ionesco, 1972), « Comme si de rien n'était. Avec un air de complète indifférence, en faisant semblant de rien » (Grand Larousse de la langue française, 1973), « Elles faisaient mine de rien » (Erik Orsenna, 1988), « Mais on fera mine de rien » (Régis Debray, 1992), « Je faisais semblant de rien » (Philippe Besson, 2007), « Untel qui m'a regardée en faisant semblant de rien » (Lydie Salvayre, 2014), « Dans le studio, on fit mine de rien » (Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini, 2022) (4). Coquille ? Étourderie ? L'explication serait trop facile ! Imitation de la langue parlée ? On peine tout de même à imaginer nos contrevenants se laisser aller à écrire Parlez de rien à côté de Faites mine de rien...

    La clef de ce mystère pourrait bien nous être donnée par Jean-François Féraud :

    « Boileau dit, dans sa 2e Satire : "Passer tranquillement, sans souci, sans affaire, La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire."
    La Fontaine met la négative dans son Épitaphe : "L'une à dormir, et l'autre à ne rien faire."
    Boileau demanda à l'Académie laquelle de ces deux manières valait mieux. Il passa tout d'une voix que la siène était la meilleure ; parce qu'en ôtant la négative, rien faire était une espèce d'ocupation. Tout le monde ne trouvera pas peut-être cette raison trop bone, et plusieurs préfèreront la manière de La Fontaine » (Dictionnaire critique, 1787).

    Faire semblant de rien, faire mine de rien tendent à devenir à leur tour une espèce d'occupation, consistant à feindre l'indifférence ou à ne rien laisser paraître de ses émotions : « Tout milite donc pour faire "mine de rien" » (Annie François, 2012 ; notez les guillemets). Pour Robert Martin, cette interprétation est facilitée par le choix même du verbe faire : « Quoi que l'on fasse, on fait toujours semblant de quelque chose, c'est-à-dire qu'on extériorise toujours un sentiment même s'il est d'indifférence » (Le mot rien et ses concurrents en français, 1966). Et le linguiste de conclure : « Naturellement, l'usage régulier de rien [...] rend quasi obligatoire l'alliance avec le discordantiel [dans ces expressions]. Mais l'emploi exceptionnel sans ne, loin d'être absurde, se rattache à une logique tout à fait cohérente. » Dans le doute, mieux vaut encore s'en tenir à la position du Larousse en ligne, qui, à l'article « semblant », précise que la négation ne est de rigueur dans l'expression soignée (ne faire semblant de rien), tout en reconnaissant que son omission est habituelle dans la langue parlée (5).

    Je devine à votre mine satisfaite que c'est la règle que vous appliquiez déjà par défaut à la locution jumelle avec mine.

    (1) On a aussi dit, autrefois, avec l'article : « Faisans la mine de vouloir combattre » (Claude de Seyssel, 1527), « [Ils] ont fait le semblant de vouloir vivre en la reformation de l'Evangile » (Pierre Viret, 1564).

    (2) Selon Robert Martin, « la locution ne pas faire semblant de rien se justifie [...] si l'on tient fortement à marquer l'impassibilité du sujet » (Le mot rien et ses concurrents en français, 1966).

    (3) Cela est surtout vrai pour mine de rien, la locution adverbiale semblant de rien étant ignorée des dictionnaires usuels.

    (4) Et aussi : « D'abord il a fait semblant de rien » (Maurice Bessy, 1938), « Mon père [...] fit mine de rien » (Raymond Queneau, 1944), « La petite grosse faisait, comme toujours, semblant de rien » (Henri Calet, 1947), « Elle a fait mine de rien, et quelle mine, souveraine ! » (Daniel Gillès, 1977), « Je faisais toujours semblant de rien » (Paul Emond, 1981), « Faisons semblant de rien » (Gabrielle Roy, 1984), « Ma mère faisait toujours semblant de rien » (Nicole Brossard, 1987), « Elle a fait semblant de rien » (Robert Deleuse, 1992), « Nous faisons mine de rien » (Colette Seghers, 1999), « Seulement, pour bien faire semblant de rien, il ne faut pas ralentir » (Henri-Frédéric Blanc, 2002), « Elle faisait semblant de rien » (Philippe Claudel, 2003), « Faire mine de rien, surtout faire mine de rien » (Marie Causse, 2014), « Max fait semblant de rien » (Vocalire, 2016).

    (5) Même son de cloche chez Hanse : « Dans la conversation, on omet souvent ne : Il fait semblant de rien. Mieux vaut employer ne. »

    Séparateur de texte


    Remarque
     : Signalons à titre de curiosité la variante elliptique sans mine de rien : « Faire couvertement, sans mine de rien » (Charles Pajot, 1658), « Alors, en m'habillant, sans mine de rien, je tourne l'aiguille sur 5 heures » (Roger Martin du Gard, avant 1958).

     

    Champ de mines

     


    1 commentaire
  • Le premier qui rit comme une baleine...

    « Le mystère reste entier sur comment un béluga a pu descendre sous nos latitudes alors que c'est un animal qui vit dans les régions subarctiques. »
    (Propos de Lamya Essemlali, présidente de l'association Sea Shepherd France, rapportés sur francetvinfo.fr, le 10 août 2022.) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Après les effets insoupçonnés du dérèglement climatique − pauvre béluga (1) égaré dans les eaux chaudes et polluées de la Seine −, voici ceux, plus attendus quoique tout aussi détestables, du dérèglement syntaxique : je veux parler de ce « mystère sur comment » pêché sur les ondes de France Info... Gageons que cette perle de la plus belle eau ne suscitera pas la même émotion dans des chaumières abreuvées jusqu'à plus soif de mauvaises traductions de livres et de films étrangers. Chacun aura en effet décelé dans ce charabia l'influence − pas si mystérieuse que cela quand il est question de la présidente de l'antenne française d'une organisation internationale − de la syntaxe anglaise : « À comment, de comment et sur comment sont des calques de l'anglais about how, of how et on how qui doivent être évités en français » (Tristan Grellet, Dictionnaire des difficultés de la langue française), « [D'aucuns] n'hésitent pas à dire : Je m'interroge sur comment faire pour... (I ask myself on how to...) » (La Grammaire de Forator), « Des calques bizarres finissent par s'imposer : on dit sur comment » (Antoine Robitaille, Résister au franglais(2). Las ! le solécisme se répand à la vitesse d'une lame de fond, jusque dans des ouvrages qui se veulent didactiques : « Grâce à l'adverbe, on en sait un peu plus sur comment il [= le chevreuil] court » (Gilles Gilbert, La Grammaire comme vous aimeriez qu'on vous l'explique, 2008), « [Les compléments circonstanciels] donnent des précisions sur comment, où, quand se passe l'action » (Évelyne Barge, Français CM2, 2022). Allez vous étonner après cela des lacunes abyssales de nos chères têtes blondes...

    À y bien regarder, sous l'anglicisme de surface se cache un mal plus profond : « Comment, se désole Renaud Camus, est un des points centraux de ce qu'on pourrait appeler, hélas, l'effondrement syntaxique » − en l'occurrence, le défaut de maîtrise des mécanismes de transformation de l'interrogation directe (Comment va-t-il ?) en interrogation indirecte (Je me demande comment il va). L'Académie ne s'y est pas trompée :

    « On ne dit pas : Ils ont réfléchi sur comment faire mais Ils ont réfléchi à la manière de faire ; Avez-vous une idée de pourquoi ils ont agi ainsi ? mais Avez-vous une idée pour expliquer leur geste ?
    En dehors des cas où la préposition se trouve déjà dans l'interrogative directe [De quand date ce tableau ? → Je me demande de quand date ce tableau], faire suivre une préposition d'une interrogative indirecte est une incorrection grave » (rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet, 2017).

    Il existerait donc en français une règle (dont les motifs restent obscurs, selon la linguiste Takuya Nakamura) visant à proscrire l'emploi d'une interrogative indirecte comme régime d'une préposition. Là n'est d'ailleurs pas la seule contrainte syntaxique qui pèse sur ce type de proposition : « La subordonnée [de l'interrogation indirecte] doit être le COD du verbe principal », précise Bénédicte Gaillard dans sa Pratique du français de A à Z (1995), ce qui exclut tout emploi comme complément d'un nom (ou d'un adjectif), avec ou sans préposition :

    « Alors qu'en finnois [et en anglais], il est possible de développer l'idée interrogative contenue dans un nom en le faisant suivre d'une interrogative indirecte [...], cette construction est impossible en français. [On ne dit pas :] la question si c'est utile, des règles sur comment faire, une idée comment savoir… » (Jean-Michel Kalmbach, Guide de grammaire française pour étudiants finnophones).

    Plusieurs solutions s'offrent toutefois à l'usager pour contourner la difficulté :

    • intercaler l'expression de savoir, pour savoir : Le mystère (ou, mieux, la question) de savoir comment un béluga... reste entier (entière), « J'étais assez incertain de savoir si j'irais aussi [à un bal] » (Eugène Sue, 1845), « Une grande discussion s'éleva, l'éternelle discussion, pour savoir si on pouvait aimer vraiment une fois ou plusieurs fois » (Maupassant, 1883), « C'est une grande question de savoir si la civilisation n'affaiblit pas chez les hommes le courage » (Anatole France, 1899) ;
    • substituer au mot interrogatif (pronom, adjectif, adverbe) un nom développé par une proposition relative : « [Il] composa un livre sur la manière dont on doit vénérer les images de notre Sauveur [et non : un livre sur comment...] » (François Guizot, 1824), « Vous n'avez aucune idée de l'endroit où il a pu aller [et non : aucune idée d'où...] » (Simenon, 1962) ;
    • modifier la détermination du nom support et la ponctuation de la phrase : « Plus d'un parmi vous s'est certainement posé cette question, si des legs spéciaux étaient indispensables pour récompenser les vertus de famille [et non : la question si...] » (Édouard Hervé, 1895), « L'unique souci de Celestino portait sur ce point : si ses cornes étaient limées ou non [et non : sur le point si...] » (Montherlant, 1963) ;
    • opter pour un verbe transitif direct pouvant régir une interrogative indirecte : J'ignore (je ne sais pas, je me demande...) comment un béluga...


    Voilà pour ce qui est de la théorie grammaticale la plus rigoureuse. Est-il besoin de préciser que ce discours est loin de faire l'unanimité parmi des spécialistes qui n'aiment rien tant que se contredire... parfois eux-mêmes ? Plongeon dans les eaux troubles de l'interrogation indirecte...

    « Faire suivre une préposition d'une interrogative indirecte est une incorrection grave. »
    L'auteur de l'article de l'Académie oublie (volontairement ? [3]) de préciser qu'à la règle qu'il cite − et qui vaut assurément pour l'interrogation indirecte totale (introduite par si(4) − il y a des exceptions. Celles-ci n'ont pas échappé à Kristian Sandfeld : « Les propositions interrogatives indirectes ne sont, généralement, pas susceptibles d'être régies par des prépositions, excepté si elles sont introduites par ce qui (ce que) » (Syntaxe du français contemporain, 1965). Lesdits introducteurs (remplaçant que, qu'est-ce que, qu'est-ce qui de l'interrogation directe) permettent en effet de conserver sans difficulté la préposition issue du verbe, du nom ou de l'adjectif − du moins quand l'interrogation porte sur un inanimé : « On m'interrogea [...] sur ce qu'on pensait dans le public des affaires du Tonkin » (Maupassant, 1886), « Fouan avait regardé ses enfants [...] avec le sourd malaise de ce qu'ils feraient de son bien » (Zola, 1887), « Indécis de ce que je ferais, je pris un livre » (Gide, 1902), « Elle n'a pas le temps de réfléchir à ce qu'ils lui rappellent ou lui promettent » (Jules Romains, 1932), « Si l'on s'inquiète [...] de ce que j'ai "voulu dire" dans tel poème, je réponds que je n'ai pas voulu dire, mais voulu faire » (Paul Valéry, 1936), « Je ne me souviens pas de ce qu'il a répondu » (Mauriac, 1954), « Tout dépend de ce que vous entendez par là » (Michel del Castillo, 1981).
    De même, la préposition à se maintient régulièrement (fût-ce par ellipse du verbe savoir) dans le tour à qui + futur ou conditionnel, qui sert à marquer l'émulation ou la rivalité : « Les filles [...] se penserent battre à qui l'auroit pour son serviteur » (La Fontaine, 1668), « C'était à qui précipiterait l'exécution de ce dessein » (Voltaire, 1731), « Tous les deux [...] venaient de parier dix litres, à qui éteindrait le plus de chandelles » (Zola, 1887), « Tirons au sort à qui défera le pays de cette peste publique » (Stendhal, 1894), « C'est à qui sera le plus pauvre » (Duhamel, 1920), « Ne jouons pas à qui aura raison » (Malraux, 1937). 

    « L'interrogative indirecte doit être le COD du verbe principal. »
    C'est peu dire que ce point n'en finit pas de diviser les spécialistes. Les interrogatives indirectes figurent-elles toujours en position d'objet direct ou bien d'autres fonctions sont-elles possibles, comme l'affirme Goosse : sujet (Peu importe qui l'a dit), régime de voici ou voilà (Voici quel est mon plan), etc. ? La confusion est telle qu'il n'est pas rare de prendre des observateurs en flagrant délit de contradiction. Ainsi de Jean-Paul Jauneau dans son ouvrage N'écris pas comme tu chattes (2011) : « Quel que soit [l'introducteur] de la proposition interrogative indirecte, comme il s'agit d'une proposition complétive, sa fonction est toujours la même : COD du verbe de la principale (ou d'un verbe qui précède) » (Tome 1) mais « Après des verbes comme s'enquérir, s'informer, s'interroger, se renseigner, le COI peut être une proposition interrogative indirecte » (Tome 2). Comprenne qui pourra !

    René Georgin, de son côté, entre dans le débat avec la détermination de celui qui se jette à l'eau sans craindre de faire des vagues :

    « [Un lecteur] me demande si le tour interrogatif dans la subordonnée, correct après des verbes transitifs comme savoir, ignorer, se demander..., ne peut pas s'étendre à d'autres verbes ou locutions verbales dont le complément est indirect. En d'autres termes, peut-on dire : Je m'aperçois quel misérable tu es. Vous n'avez pas idée comme c'est difficile d'écrire.
    Ces constructions sont critiquées par des puristes intempérants, sous prétexte que s'apercevoir, se souvenir, avoir idée, se rendre compte se construisent normalement avec la préposition de. C'est pousser trop loin l'amour de l'analogie et de la symétrie syntaxiques. Le fait qu'un nom ou pronom compléments soient obligatoirement amenés par de n'entraîne pas automatiquement l'emploi de la même préposition devant une subordonnée qui a sa syntaxe propre » (Jeux de mots, 1957).

    Bénédicte Gaillard elle-même est bien obligée de reconnaître que « la subordonnée de l'interrogation indirecte est également possible [...] après se souvenir, qui se construit en principe avec un COI : Je ne me souviens plus s'il rentre aujourd'hui ou demain ». Après se souvenir, seulement ? Il n'est que de consulter Le Bon Usage pour s'aviser que notre grammairienne est loin du compte : l'emploi de l'interrogative indirecte en fonction de COI est attesté − de longue date et sous les meilleures plumes − derrière plus d'un verbe comportant l'idée de demande (ou d'ignorance, de doute, d'incertitude, d'indifférence...), mais l'effacement de la préposition semble alors être de règle devant les introducteurs autres que ce que, ce qui (5). Revue de détail :
    (derrière disputer) « Nous ne sommes pas assemblé ici Pour desputer S'il doit amer sa dame ou non amer » (Guillaume de Machaut, vers 1340), « On a disputé chez les anciens si la fortune n'avait point eu plus de part que la vertu dans les conquêtes d'Alexandre » (Racine, 1665), « Il n'est plus personne sur la terre avec qui je puisse [...] disputer quelle maîtresse était la plus belle » (André Chénier, 1794), « On disputait s'il fallait être barrésiste ou barrésien » (Maurice Barrès, 1904), « Nous disputâmes premièrement qui téléphonerait à mon mécanicien » (Abel Hermant, 1923), « Ses fidèles [...] disputent si Guénon était panthéiste ou théiste » (André Thérive, 1966), « [L'attitude] du Concile de Trente disputant si les femmes avaient une âme » (Michel Schneider, 2007) ;
    (derrière douter [6]) « Aucun pourroit doubter comment en un homme peuent estre choses contraires » (Nicole Oresme, vers 1370), « Je doute si je veille ou si je dors » (Paul Pellisson, 1652), « Aussi les parents de la belle douterent longtemps s'ils obéiroient » (La Fontaine, 1669), « Vous faites des heureux et vous doutez encor si vous-mêmes l'êtes ! » (Collin d'Harleville, 1788), « Longtemps j'ai pu douter si Proust ne jouait pas un peu de sa maladie pour protéger son travail » (Gide, 1921), « Doudou se gratta furieusement la poitrine [...], doutant s'il n'avait pas reçu la visite d'un fantôme » (Yann Queffélec, 1985), « Avec une interrogation indirecte. Se demander si. Je doute si je pourrai tenir mes engagements » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) ;
    (derrière hésiter [7]) « J'hésitais si je quitterais ou me plaindrais » (Benjamin Constant, 1793), « Il hésitait donc s'il lirait [...] la lettre » (Alphonse de Chateaubriant, 1911), « La tradition précise qui garde sur notre sol la place où reposa le corps de la sainte ne vaut-elle pas les traditions contradictoires qui hésitent si elles reconnaissent à Éphèse ou à Béthanie son tombeau ? » (Étienne Lamy, 1911), « Il hésita s'il n'allait pas le lui dire » (Gide, 1925), « Il hésita s'il rentrerait dîner » (Marcel Aymé, 1939), « La Noire ouvrit les yeux quand ils entrèrent. La Grise hésita si elle en ferait autant » (Montherlant, 1940), « J'hésitais si j'accepterais l'invitation » (André Billy, 1949), « Le matin, tandis que j'hésitais si je me réveillerais, Concha entrait dans ma chambre » (Philippe Sollers, 1958) ;
    (derrière insister) « Comme j'insistais si tout allait bien, elle répondait que oui » (Michel del Castillo, 1981) ;
    (derrière réfléchir) « Elle ne peut refléchir, pour quoy ny comment, ny si jamais elle aura le bonheur de revoir celuy qu'elle aime tant » (Maur de l'Enfant-Jésus, 1661), « Voulez-vous que je me borne à réfléchir comment il est possible [que...] ? » (Pierre-François Lafitau, 1734), « À force de réfléchir comment il pourrait faire pour se tirer de là » (Joseph Willm, Premières lectures françaises pour les écoles primaires, 1852), « [Il] réfléchit si toutes les précautions étaient prises » (Joséphin Peladan, 1884), « Je réfléchissais si je serais alors encore de ce monde pour la lire » (Paul Léautaud, 1956) ;
    (derrière s'agir [8]) « Il ne s'agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles » (La Bruyère, 1687), « Il ne s'agit point s'il viendra ou ne viendra pas » (Littré, 1863) ;
    (derrière se ficher) « La plupart des hommes politiques français sont des polichinelles. Je me fiche si je les approche ou non » (Jules Romains, 1935) ;
    (derrière s'enquérir) « Il commença à s'enquerir qui estoient ceulx qui l'avoyent tenu à force » (Philippe de Commynes, vers 1490), « [Il] s'enquerra s'il y a eu aucunes desobeïssances faictes à l'encontre de nous » (Jean Le Clerc, vers 1502), « Il falloit s'enquerir qui est mieux sçauant, non qui est plus sçauant » (Montaigne, 1580), « Il s'enquit comment s'appelloit celuy qui regnoit pour lors et combien de temps il avoit regné » (Pierre du Jarric, 1608), « Il s'enquit [...] si elles [= des statues d'autres divinités] voudraient céder leur place à Jupiter » (Montesquieu, 1734), « [Bonaparte] s'enquérait si les planètes étaient habitées, quand elles seraient détruites par l'eau ou par le feu » (Chateaubriand, 1848), « Les invités s'empressaient autour de moi pour s'enquérir où j'avais pu trouver ces merveilles » (Proust, 1921), « Une ménagère s'enquit s'il n'était pas commotionné » (Montherlant, 1963), « [Je] me suis enquis pourquoi elle avait choisi d'obtenir un diplôme de français dans une université américaine » (Serge Doubrovsky, 2011) ;
    (derrière s'étonner) « Si l'on s'étonnait comment il s'en tirait toujours sans une égratignure, "Dieu m'a protégé", répondait-il tranquillement » (Montherlant, 1963) ;
    (derrière s'inquiéter) « Si quelqu'un par hasard s'inquiétait comment ce cheval s'était retrouvé, qu'il sache que [...] » (Jacques Cazotte, 1741), « Sans s'inquiéter si personne voudrait avoir fait ce qu'ils font » (Antoine-Vincent Arnault, 1830), « S'inquiéter si Dieu existe ou non » (Romain Rolland, 1905), « Sans s'inquiéter si une telle vie laisse vivante la société » (Étienne Lamy, 1906), « Cet homme de tant d'esprit ne pouvait ni ne voulait s'inquiéter comment et pourquoi un assez grand nombre de jeunes gens comprenaient et aimaient ce qu'il ne concevait pas » (Paul Valéry, 1927), « Feignant de s'inquiéter à sa droite si des autos arrivent » (Montherlant, 1963) ;
    (derrière se prononcer) « Quant à se prononcer si un homme [...] avait pu se jeter dans le coupé » (Zola, 1890) ;
    (derrière se rendre compte) « Seule l'expérience me permettrait de me rendre compte si je parviendrais à y éviter le factice » (Charles Du Bos, 1928), « Je me rendis compte combien je marquais mal » (Blaise Cendrars, 1948) ;
    (derrière se soucier) « Sa grande force est de se soucier fort peu s'il [lasse] celui qui l'écoute » (Gide, 1936), « Il me fait appeler [...] sans se soucier si une telle heure coupe et désordonne tout mon après-midi de travail » (Montherlant, 1946) ;
    (derrière se souvenir) « Sans plus se souvenir quel il était jadis » (Théophile de Viau, 1621), « Je me souviens combien me frappait naguère [tel] mot » (Charles Du Bos, 1924), « Il chercha plus tard à se souvenir si l'ange l'avait pris par la main » (Gide, 1925), « Il ne se souvenait plus très bien comment ils avaient fait connaissance » (Eugène Dabit, 1929), « Berg ne se souvenait plus où ils déjeunèrent » (Jules Roy, 1982) ; etc. (9)

    Il est toutefois des limites syntaxiques que même les spécialistes les plus conciliants ne sauraient franchir :

    « Des verbes comme questionner ou interroger ne peuvent en aucun cas se construire avec une interrogative indirecte » (Martin Riegel, Grammaire méthodique du français, 1994).

    « S'interroger n'admet pas d'interrogative indirecte » (Jacques Vassevière, Bien écrire pour réussir ses études, 2013).

    La restriction sur le pronominal s'interroger (un comble, quand on y pense) coule de source, selon Bruno Dewaele : « Dans se demander, le pronom se est complément d'objet indirect (on pourrait même avancer second), ce qui permet la présence d'un COD sous la forme d'une interrogative indirecte. En revanche, le se de s'interroger est COD (on n'interroge pas à soi-même), ce qui exclut toute interrogative indirecte dans la foulée. » Grevisse ne trouve pourtant rien à redire aux exemples suivants : « Je m'interroge qui vous êtes, quel est votre nom, où vous allez, d'où vous venez, quand vous partez, de quoi vous parlez » (Le Bon Usage, 1975). De même, plus d'un spécialiste admet sans sourciller la construction s'informer si, où le pronom personnel est également objet direct : « S'informer de l'exactitude d'un fait, ou si un fait est exact » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « S'informer si une chose est faite » (Hanse), « Elle s'informa s'il était possible de visiter le château et combien de temps prendrait la visite » (Jauneau), « Je me suis informé s'il habitait toujours à la même adresse » (Girodet) (10). Pourquoi refuser à s'interroger ce que l'on accepte pour s'informer ? Les faits, au demeurant, sont têtus :
    (derrière informer, s'informer) « Ja ot esté informé [Romulus] Comment son oncle avoit chacié Son ayol » (Christine de Pizan, vers 1403), « [Une commission] pour soy informer se messire Lourdin de Salligny avoit espousé la contesse » (Jean Le Clerc, vers 1502), « Il s'informa où demeuroit le Capitaine » (abbé Prévost, 1747), « Irla s'informa quelle était cette jeune demoiselle » (Voltaire, 1768), « On s'informa pourquoi cet ordre avait été donné » (Alexandre Dumas, 1852), « Elle s'informa comment elle pourrait obtenir de parler au roi » (Alfred Delvau, 1860), « S'informant si l'un des vingt-huit lits de la salle des fiévreux était vacant » (Hugo, 1862), « Raoul s'informa quand et comment je partais » (Marie Alexandre Dumas, 1867), « Tous s'empressèrent autour d'eux, [...] s'informant s'ils étaient fatigués, s'ils étaient contents de leurs chambres » (Romain Rolland, 1905), « Si tu vas à Naples, tu devrais t'informer comment ils font le trou dans le macaroni » (Gide, 1914), « J'envoyai [...] notre jeune valet de pied s'informer si cette dame emmènerait à Balbec sa camériste » (Proust, 1922), « Raymond s'informa si rien ne manquait au voyageur » (Mauriac, 1925), « Il demanda une cigarette à Étienne et s'informa si ce dernier n'avait point l'habitude de prendre quelque liqueur digestive » (Raymond Queneau, 1933) ;
    (derrière interroger, s'interroger [11]) « Le procureur de Savoisy, interrogué s'il advouoit son advocat, a dit que oy » (Nicolas de Baye, avant 1410), « Il m'interroge si j'avois fait remettre le coffre » (Jean de la Taille, 1572), « En quoy la justice l'ayant interrogé pourquoy il avoit fait cette vilainie à sa femme » (Brantôme, avant 1614), « Quand je m'interroge pourquoi, je rougis » (Mme du Deffand, 1773), « Mourons sous la Main suprême, sans interroger pourquoi elle nous frappe » (François-Thomas-Marie de Baculard d'Arnaud, 1783), « L'ami de Talleyrand, que son curé, à son lit de mort, interroge s'il a blasphémé, attaqué l'Église » (les Goncourt, 1858), « Le poète s'interroge si la mort est la fin » (Georges Docquois, 1894), « J'en vins à m'interroger comment il se faisait que cet art se fût prononcé [...] en France » (Paul Valéry, 1927), « Je m'interrogeai si ce n'était pas du côté des vieux Escholiers ou du Théâtre d'Art que je devais chercher ma chance » (Lugné-Poe, 1930), « Je m'interrogeais si nous étions vraiment devenus pires, ou seulement plus véridiques » (Paul Valéry, 1938), « Je m'interrogeais si je n'avais pas péché par dogmatisme » (Gilles Lapouge, 1996), « Je m'interrogeai si un mariage prononcé par un évêque athée avait quelque valeur » (Serge Filippini, 1998) ;
    (derrière questionner) « Or de questionner si Jesus Christ a rien merité pour soy [...] c'est une folle curiosité » (Jean Calvin, 1560), « Au dessert on questionna, Si le nom Boursautiana [...] Jamais des auteurs émana » (Bernard de La Monnoye, 1716), « Je ne pus m'empêcher de le questionner s'il ne lui avoit pas parlé de moi » (Anne-Marie-Louise d'Orléans, 1728), « Un homme me questionna s'il y avait quelque chose de nouveau à Rome » (Émile Lefranc, 1846), « [Il] le questionna s'il pouvait siffler » (les Goncourt, 1892), « Hésitant le plus souvent si nous sommes bons ou meilleurs, il nous arrive de questionner si nous ne serions pas beaucoup pires que jusqu'alors nous n'avions cru » (Francis Walder, 1955), « Elle se questionnait si elle lui céderait » (Jeanne Cordelier, 1982), « [Elle] s'autorise finalement à questionner si c'est un mari qu'elle va retrouver ou un contrôleur de la Sécurité sociale » (Yves Simon, 2001) ;
    (derrière se renseigner) « Votre future belle qui se renseigne si vous avez des maîtresses » (Charles Virmaître, 1886), « Il serait utile que vous fissiez une nouvelle démarche pour vous renseigner si [...] vous pouvez compter sur la discrétion de ce monsieur » (Alexis Bouvier, 1887), « Qu'elle se renseigne si c'est possible » (Brigitte Kernel, 2008).

    « Ces cas d'effacement [de la préposition] sont néanmoins strictement limités aux compléments de verbe, car on ne trouve pas d'interrogative indirecte après un nom ou un adjectif » (Hélène Huot, Constructions infinitives du français, 1981).
    Pas d'interrogative indirecte après un nom ou un adjectif ? Voire. Car s'il est en effet d'usage d'introduire le syntagme de savoir entre le nom (ou l'adjectif) et ladite proposition interrogative (« La question de savoir si l'histoire se fait par saccades ou continûment », Jacques Rivière, 1908), les contre-exemples ne sont pas si rares et ne ressortissent pas à la seule langue « très littéraire » :
    (derrière doute) « D'un ton qui laissait ses trois compagnons dans le doute s'il plaisantait ou s'il parlait sérieusement » (Balzac, 1842), « Quant au doute si un tel sujet [...] est utile au progrès » (Abel François Villemain, 1851), « Un doute s'était glissé en Exupère si Saint-Justin ne portait pas vraiment un râtelier » (Montherlant, 1971), « Ce doute si Pierre aime ou non Marie est insupportable » (Marc Wilmet, 2010) ;
    (derrière idée) « On n'a pas idée où la vanité d'une maîtresse de maison peut se nicher » (Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre, 1900), « Les sentiers de la vertu, on n'a pas idée où ça peut mener une femme » (Robert de Flers, dialogue de théâtre, 1903), « On y trouve [des personnes] dont on n'a pas idée qui c'est » (Proust, 1920), « Et moi je cherchais une idée comment porter tout ça » (Catherine Guérard, 1967) ;
    (derrière incertain, incertitude) « Le premier maitre est [...] incertain comment se comportera l'autre » (Pierre Bellier, 1575), « Je suis dans l'incertitude si [...] je dois me battre avec mon homme, ou le faire assassiner » (Molière, 1667), « Incertain où je vais » (Lamartine, 1820), « Incertain si bien réellement je les [= des impressions] éprouvais moi-même » (Pierre Loti, 1890), « À cette première incertitude si je les verrais ou non le jour même, venait s'en ajouter une plus grave, si je les reverrais jamais » (Proust, 1913), « Maurice, incertain si on le rappellerait » (Id., 1927), « Suivi d'une proposition interrogative indirecte. Il était incertain s'il devait rester ou partir » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) ;
    (derrière indécis) « Car souvent il a été indécis si la nuit du samedi au dimanche appartenait à l'ancienne loi ou à la nouvelle » (Voltaire, 1759), « Elle l'embrassa, indécise si elle devait se réjouir ou s'attrister » (Henri Rivière, 1877) ;
    (derrière question) « [Ils] font entre eulx esmerveillance et question comment Caton porte et endure si legierement son eage de vieillesse » (Laurent de Premierfait, 1405), « C'est une grande question s'il s'en trouve de tels [esprits] » (La Bruyère, 1687), « Sans entrer dans la question si Dieu a résolu de les [= des dons] accorder ou non » (Bossuet, 1697), « Il posait même la question si la réalité absolue pour l'homme est dans la théorie de la matière [...] ou dans la théorie de l'idéalisme » (Henry Houssaye, 1909), « Il était naturel de se poser la question si d'autres suites de nombres avaient ou n'avaient pas ce même caractère » (Émile Borel, 1946), « Exupère se souvint que, dans le square, à la question s'il partirait bientôt pour le Sahara, Colle avait répondu [...] » (Montherlant, 1971) ;
    (derrière sûr) « Il n'est pas sûr si nous ne mourrons pas aujourd'hui » (Massillon, avant 1742), « Un peu comme un homme ivre qui n'est pas sûr où il met le pied » (Louis-Xavier de Ricard, 1902), « Cette histoire était tellement fantastique que je n'étais pas sûre si je devais la croire » (Elsa Triolet, 1946), « Je ne suis pas sûr si elle reviendra ou non » (Georges Belmont traduisant Henry Miller, 1972), « Je n'étais pas sûr si c'était une bête ou des gens » (Paul Savatier, 1978) ; etc.

    « Le non-effacement de la préposition est attesté dans la langue considérée comme "populaire" » (Hélène Huot).
    Goosse dresse le même constat : le maintien de la préposition devant l'interrogation indirecte (partielle et non introduite par ce que, ce qui) est, à ses yeux, la marque d'« une langue moins soignée, reflet de l'oral familier ». Mais voilà que les continuateurs de Knud Togeby jettent un pavé dans la mare grammaticale :

    « [Pour éviter la rencontre d'une préposition et d'une interrogative indirecte, on peut recourir au verbe de savoir ou pour savoir.] Dans le langage familier, on supprime tout simplement la préposition après beaucoup de verbes de perception et d'opinion transitifs indirects, comme par exemple, s'apercevoir de, se rendre compte de, se souvenir de, penser à quelque chose [12] : "Ils ne s'occupent pas si vous dormez ou non" (Michel del Castillo, 1984). Mais on peut aussi, assez souvent, utiliser une préposition devant une interrogative introduite par qui ou quel : "Ce sont les Français qui décident de qui est capable de représenter le pays" (Max Gallo, 1984) » (Grammaire française, 1985).

    Cet avis à contre-courant prouve assez que l'usage, en la matière, est plus complexe qu'il n'y paraît. Certes, tout porte à croire que le maintien de la préposition, à l'écrit, a d'abord été le fait d'auteurs imitant le style parlé (plus ou moins) familier ou dont le français n'était pas la langue maternelle : « Il naquit une dispute sur qui des deux champions seroit le premier à tenter l'épreuve » (Antonio Landi, d'origine italienne, 1784), « Est-ce que ces vertueuses femmes m'ont jamais donné l'idée de ce qui est convenable ou inconvenant dans le monde et de comment doit se tenir une jeune fille ? » (Marie Bashkirtseff, d'origine russe, 1879), « Et tu n'as pas idée de qui ce peut être ? » (Jules Adenis, dialogue de théâtre, 1889), « Dans cet hôtel-là, on ne regardait pas trop à qui rentrait le soir » (Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre, 1900), « Le jeu sert à trancher la question de qui payera la consommation » (Gustave-Armand Rossignol, Dictionnaire d'argot, 1901), « C'est selon de quelle manière vous l'entendez » (Edmond Fleg, dialogue de théâtre, 1913), « C'est comme si vous me demandiez si je me souviens de comment je m'appelle » (fait dire Gide à une vieille bonne, 1925), « Je ne suis pas sûr de comment cela se passait là-bas » (Elsa Triolet, dialogue de roman, 1965), « L'autre l'interroge sur comment ça se passe "au front" » (Aragon, 1967), « Je me fiche de qui cela peut être » (Simenon, dialogue de roman, 1968) et, plus récemment, « Elle te donnerait p'têt un coup de main, ou au moins un conseil, sur comment gérer le stress à ton gamin... » (Renaud Camus, dialogue de théâtre, 2008), « N'empêche qu'ils ont tout de même emmené une équipe téloche, pour monter un film sur comment la bibliothèque était installée en milieu naturel » (Nicolas Marchal, 2008). Mais les exemples qui suivent ne sont pas de la même eau : « [Elle] leur présenta Louis, sans se douter de comment il était arrivé là » (Albert Savine traduisant Narcis Oller, 1882), « As-tu l'explication des photographies mystérieuses ? et de pourquoi La Revue blanche ne paraît plus ? » (Gide, Correspondance, 1893), « Il s'enquérait [...] de quelle personne avait sonné » (Henri de Régnier, 1909), « Un silence mélancolique, si l'on se souvient de qui l'on aime » (Saint-Exupéry, 1943), « Vous souvenez-vous de qui nous sommes ? » (Albert Camus, 1949), « Chaque matin, le comte reçoit ses fermiers, s'enquiert de qui va bien, de qui meurt, où en sont les naissances attendues » (Maurice Toesca, 1962 ; notez le maintien de la préposition devant qui, mais pas devant ), « Il n'y a pas à discuter sur qui possède un vasier » (Jean Quéval, 1963), « Sans s'inquiéter de qui pouvait l'entendre » (Simenon, 1969), « Lui n'avait aucune idée de qui serait son successeur » (Louise Weiss, 1971), « On ne peut pas, à moins de tomber dans les apories, se poser la question de comment penser la pensée » (Jean-Paul Dollé, 1976), « [Ils] se moquent bien de qui sortira vainqueur de ce combat inutile » (Pierre-Jean Remy, 1977), « Savoir comment on vit sans s'inquiéter de pourquoi on vit » (Maurice Martin du Gard, 1978), « Elle, ne parlait que des gens [...], de ceux aperçus dans la rue ou de ceux qu'elle connaissait, de comment ils allaient » (Marguerite Duras, 1984), « La métaphore revient à demander quel est le sens et la métonymie équivaut à s'interroger sur comment continuer » (Jean Bessière, 1988), « Personne ne s'enquiert de qui il était enfant » (Éric Vuillard, 2005), « Je m'interroge sur comment il se fait qu'il n'y a pas que les mathématiques » (Alain Badiou, à l'oral, 2006), « Ça dépend de comment vous vous y prenez » (Philippe Sollers, à l'oral, 2012), « Je m'interroge sur qui [...] guide notre conscience » (Patrick Varetz, 2012), « Proust est bien loin de se douter de comment cette phrase pourrait s'appliquer aux bouleversements de l'Internet et du livre » (François Bon, 2013), « Il a besoin [...] d'aller de l'avant. Pas de se souvenir de comment ont été les choses, avant » (Virginie Despentes, 2017), « Ça doit dépendre de comment on meurt » (Patrice Pluyette, 2018), « On discutait de comment on ferait » (Laurent Mauvignier, 2020), « Je ne suis pas sûr de qui j'étais, ni si j'étais le même » (Charles Dantzig, 2021), etc. Il n'est plus ici question d'imitation du français populaire, mais de contagion...

    On le voit : il ne coulera pas beaucoup d'eau sous les ponts ni dans les écluses avant que les monstres syntaxiques d'hier ne deviennent la norme. Déjà, le maintien de la préposition devant l'introducteur qui tend à passer pour régulier (par analogie avec ce qui ?) : « Après des verbes comme s'enquérir, s'informer, s'interroger, se renseigner, le COI peut être une proposition interrogative indirecte, introduite par de qui, de ce qui, de ce que, sur ce qui, etc. : Nous nous enquîmes de qui avait bien pu faire une chose pareille » (Jauneau, 2011), « Lorsque l'interrogation indirecte est introduite par qui, la préposition est maintenue dans la plupart des cas à l'écrit » (Mireille Bilger, Corpus. Méthodologie et applications linguistiques, 2020), « Ça dépend de qui il aura contre lui, ça dépend de qui l'écoute, ça dépend de qui vous voulez voir, tout dépend de ce que vous entendez par là » (Gabriel Wyler, Manuel de la grammaire française). On pourrait encore évoquer, à la décharge des actuels contrevenants, la longueur et la lourdeur des constructions exigées par la grammaire normative : s'interroger sur les raisons pour lesquelles..., hésiter sur la question de savoir comment... ont de quoi décourager plus d'un usager soucieux de la langue, par comparaison avec les raccourcis s'interroger (sur) pourquoi, hésiter (sur) comment... (13) Après tout, l'Académie admet bien, dans la huitième édition de son Dictionnaire, que disputer si... se dit par ellipse pour « disputer sur la question de savoir si... ».

    Mais brisons là : cétacé pour aujourd'hui !
     

    (1) Emprunté du russe beluga, lui-même dérivé de bielyi (« blanc »), le nom est enregistré dans la plupart des dictionnaires sous les deux graphies bélouga et béluga.

    (2) Témoin ces exemples puisés aux pires sources du Net : « Transurfing vous donne la réponse sur comment faire ce choix » (traduction de l'anglais par Olivier Masselot, 2010), « J'eus aussi ma réponse sur comment il avait réussi à se glisser sous le mobil-home [sic] » (par Lorène Lenoir, 2010), « Un film sur comment soigner la toxicomanie » (par Isabelle Chapman, 2012), « Il ne méritait pas la vérité sur comment j'étais morte » (par Santiago Artozqui, 2017), « J'accueille toutes les suggestions sur comment améliorer ce livre » (par Éric Bouchet, 2018), « Il engagea un débat sur comment c'était bon pour les abeilles » (par Nolwenn Potin, 2020), « Basez vos réponses sur comment vous vous êtes senti ces dernières semaines » (par Laurence Le Charpentier, 2021), « Gros mystère sur comment il s'y est pris pour y entrer sans invitation » (traduction de Daily Gossips, 2022).

    (3) Parce que la structure interrogative en ce que (ce qui) est analogue à celle d'une relative en que (qui), avec le pronom démonstratif ce pour antécédent ?

    (4) Rappelons ici que l'interrogation totale porte sur l'ensemble de la phrase (et appelle une réponse par oui, non ou si), par opposition à l'interrogation partielle qui ne porte que sur un élément que le locuteur ignore.

    (5) Ce phénomène n'est pas nouveau : « L'ancien français, comme le français moderne, efface la préposition qui serait de mise après le verbe intransitif : "Se il te souvient que tu feis de ton frere charnel" (Le Roman de Tristan en prose, fin du XIIIe siècle) » (Pierre Kunstmann, Le relatif-interrogatif en ancien français, 1990). On notera, au passage, que les pronoms que, qui furent d'abord employés sans ce dans l'interrogative indirecte.

    (6) Le TLFi et le Dictionnaire de l'Académie présentent cet emploi de douter comme transitif direct, contrairement au Bon Usage, qui adopte le point de vue selon lequel la notion de transitivité directe se fonde sur la construction du syntagme nominal (or on dit douter de quelque chose). Par ailleurs, douter si est qualifié de « très littéraire et classicisant » (Jean-Paul Colin), « vieilli et littéraire » (TLFi).

    (7) Hésiter si est considéré comme « [peu répandu] mais nullement choquant » (Georgin), « littéraire et archaïsant » (Jean-Paul Colin), « vieilli et peu conseillé » (Girodet).

    (8) « Il s'agit si se dit par ellipse pour il s'agit de savoir si » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1845). Le tour est qualifié de « vieux » dans le TLFi.

    (9) Il est à noter que la préposition imposée par le verbe introducteur de l'interrogation indirecte s'efface au contact de celle qui se trouve déjà dans l'interrogation directe : « [Il] poussa enfin la curiosité jusqu'à s'informer de quelle religion était M. le Huron » (Voltaire, 1767), « On écrivit à l'intendant de s'informer par quelles mains ils avaient passé » (Sainte-Beuve, 1859), « [Il] ne se souvint pas à qui pouvait correspondre le signalement du visiteur » (Maurice Level, 1908), « Sans même s'inquiéter d'où venait la réponse » (Claude Farrère, 1933).

    (10) Pourquoi les mêmes font-ils subitement la fine bouche devant (se) renseigner si : « Renseigner si n'est pas à conseiller » (Hanse), « Renseignez-vous donc s'il viendra. Tour peu élégant et discuté » (Girodet) ? Jean-Paul Colin ne s'explique pas ce mystère : « On ne voit pas ce qui pourrait empêcher de dire se renseigner si par analogie avec s'informer, s'enquérir. »

    (11) Hanse admet l'ellipse de pour savoir après hésiter mais pas après s'interroger : « J'hésite si je le ferai (je m'interroge pour savoir si). »

    (12) Et surtout dépendre : « Ça dépend comme » (Henri Lavedan, 1895), « Ça dépend où vous allez » (Pierre Hamp, 1908), « Ça dépend comment tu l'entends » (Henry Bataille, 1911), « Les modes sont affreuses cette année ! − Ça dépend comment elles sont portées ! » (Gyp, 1914), « Je sais pas ça dépend pourquoi tu dis ça » (Philippe Djian, 1982), « Langue orale (sans de). Ça dépend qui, quoi, comment, où » (Grand Robert).

    (13) Mais même sur ce point, les avis divergent : « La construction parfois recommandée se renseigner pour savoir si est lourde et peu élégante » (Jean-Paul Colin), « La tournure se renseigner si suivie d'une proposition, sans être fautive, est lourde et on pourra lui intercaler "pour savoir" (il se renseigne pour savoir s'il peut venir plutôt que il se renseigne s'il peut venir) » (Dictionnaire Cordial).

    Remarque : Voir également les billets Dépendre, S'enquérir et Se souvenir.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On ignore comment un béluga a pu descendre sous nos latitudes.

     


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