• « Dans certains de ces pays, la vaccination [contre la COVID-19] est compliquée voire impossible pour les jeunes. "Le Brésil n'a pas de vaccin, donc pour l'instant seul les plus de 30 ans y ont accès", explique Eduardo, étudiant de 24 ans. »
    (Morgane Moal, sur franceinter.fr, le 22 juillet 2021.)  


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    Avez-vous remarqué comme nos contemporains rechignent à accorder l'adjectif seul quand, placé en tête de phrase ou de proposition, il prend une valeur d'exclusivité ? Témoin ces exemples dénichés sur la Toile : « Un prix que seul la tonnellerie [...] peut se permettre de débourser » (Le Point, 2015), « Seul importe la finesse de ces pièces » (Vogue, 2015), « Du grand art comme seul les grands toreros peuvent en exécuter » (La Dépêche du Midi, 2017), « Seul comptent pour lui les désirs de ceux qu'il aime » (Le Monde, 2017), « Seul importent l'audimat et la part de marché » (L'Express, 2018), « [Il] mène une vie tranquille, où seul comptent les moments en famille » (Le Parisien, 2019), « Seul une femme a répondu » (France Bleu, 2019), « Seul compte la qualité de la dramaturgie et le style » (RFI, 2021), « Seul une vraie période de calme et de repos prolongée permettra de vous remettre d'applomb [sic] » (Madame Figaro, 2021), « Un record que seul les Irlandais du Leinster ont depuis égalé » (Le Monde, 2021).

    Et pourtant, seul, en tant qu'adjectif, n'est-il pas censé s'accorder en genre et en nombre avec le nom ou le pronom auquel il se rapporte ? Nos auteurs, eux, ne s'y sont pas trompés : « Seuls les bouddhistes et les fondateurs du christianisme eurent souci de la prédication populaire » (Ernest Renan, 1877), « Seuls les hommes supérieurs devraient être appelés aux affaires » (Zola, 1882), « Elle a changé, physiquement ; seuls sont restés les mêmes ses yeux de chatte » (Romain Rolland, 1912), « Seule la table des enfants criait la joie » (Mauriac, 1922), « Seules restaient les difficultés professionnelles » (Martin du Gard, 1923), « À l'état sauvage, seuls les êtres robustes prospèrent » (Gide, 1925), « Seule l'impression [...] est un critérium de vérité » (Proust, 1927), « La France possède cette particularité d'avoir un destin si net que seuls des esprits chimériques peuvent s'imaginer la conduire » (Giraudoux, 1928), « Passer inaperçu ! [...] Seuls le pourraient espérer des fantômes entièrement transparents » (Jules Romains, 1932), « Seule a abouti à la gloire la colonne du temple » (Saint-Exupéry, 1944), « Seules les Chinoises [...] ont besoin du pédicure » (Roger Vailland, 1945), « Seuls les produits de luxe renchériront à volonté » (De Gaulle, 1959), « Seule compte l'approche du mystère de l'écriture » (Poirot-Delpech, 1973) « Mais ici, seule l’ancienneté de l'élection compte » (Jean-François Deniau, 1999), « Il y a toujours un mot, un sentiment [...], dont je me dis qu'ils sont là pour moi, que seuls lui et moi sentons ainsi » (Jacqueline de Romilly, 2012).

    Pourquoi la langue courante fait-elle cavalier... seul, dans cette affaire ? Pourquoi est-elle à ce point tentée par l'invariabilité, me demanderez-vous ? Parce que deux facteurs semblent l'y encourager, à en croire Éric Tourrette, professeur agrégé de lettres modernes : « D'une part, [seul exprimant l'exclusivité] est le plus souvent antéposé au nom auquel il est rattaché [1]. Or, il est toujours moins naturel d'accorder un terme avec ce qui suit qu'avec ce qui précède [...]. D'autre part, la position initiale incite l'usager à percevoir, même de façon floue, une inflexion adverbiale de seul [2] » (Seul en position initiale, 2016). C'est l'effet Canada Dry : on croit avoir affaire à un adverbe, mais il ne s'agit que d'« un adjectif qui occupe une position syntaxique propre aux adverbes » (Marleen Van Peteghem). La meilleure preuve en est que seul et seulement ne sont pas toujours interchangeables pour marquer l'exclusion : le premier ne peut modifier qu'un nom (ou un pronom) et non des éléments adverbiaux ou prépositionnels (3) − comparez : Ce livre est seul/seulement pour les adultes −, quand le second s'accommode mal de la position en tête de phrase pour signifier autre chose qu'une réserve, une opposition (4) − comparez : Seule ma mère ne nous a pas crus et Seulement (= toutefois, mais ?) ma mère ne nous a pas crus.

    Robert Le Bidois livre une description plus fine de la construction qui nous occupe : « L'adjectif seul, tout en se rapportant grammaticalement au sujet postposé avec lequel il s'accorde en genre et en nombre, prend en réalité la valeur d'un adverbe. Il marque que l'action verbale est faite exclusivement par le nom sujet » (L'Inversion du sujet dans la prose contemporaine, 1952). Ce qui est déclaré seul, commente Tourrette, ce n'est donc pas le sujet, mais bien l'articulation entre le sujet et le verbe. Et le professeur de conclure : « Une glose recevable du tour serait donc être seul à + infinitif. »
    Cela suffira-t-il à vacciner les récalcitrants contre l'invariabilité ? Dieu seul le sait...

    (1) D'autres positions sont possibles, mais peuvent prêter à confusion sémantique. Comparez : Seule une femme pourrait le consoler (ou, avec inversion du sujet, Seule pourrait le consoler une femme), Une femme pourrait seule le consoler et Une femme seule (non accompagnée ?) pourrait le consoler, Une seule femme (une seule parmi les femmes ?) pourrait le consoler.

    (2) D'autres spécialistes parlent d'adjectif employé avec une valeur « adverbiale » (Martin Riegel), « presque adverbiale » (Michel Glatigny), « quasi adverbiale » (Maurice Grevisse), « semi-adverbiale » (Robert Le Bidois) − qui dit moins ?

    (3) La remarque vaut pour le français moderne et non pour l'ancien français, où l'on relève des exemples où seul est séparé du nom déterminé par une préposition : « N'il n'ont que seul en Dieu fiance » (Gautier d'Arras, vers 1180), « Seul de leurs regars m'esbahissent [= leurs regards suffisent pour me troubler] » (Jean Froissart, fin du XIVe siècle). Voir également la Remarque 1 ci-dessous.

    (4) Des contre-exemples existent toutefois chez des auteurs qui n'ont pas reculé devant le risque d'ambiguïté : « Pas un être ne parla, ne remua. Seulement le feu bruissait, comme pour faire comprendre la profondeur du silence » (Balzac). Il n'empêche, Éric Tourrette observe le plus souvent une répartition des rôles entre seul et seulement placés immédiatement à gauche du nom support, selon que celui-ci est ou non sujet de la phrase. Comparez : Seule/Seulement cette mission concerne les militaires et Cette mission concerne seulement/seuls les militaires.

    Remarque 1 : Ce phénomène de « porosité » entre adjectif et adverbe n'est pas nouveau, comme le confirme le linguiste Albin de Chevallet :

    « Les Latins avaient certains adjectifs neutres dont ils se servaient comme adverbes : nimium, plurimum, multum, facile, breve, etc. Dans notre langue, vrai, faux, juste, clair, net, fort, bas, haut, court, menu, vite, fin, ferme, etc. font également fonction d'adverbes : dire vrai, chanter faux, parler fort, couper court, etc. L'ancien français avait un plus grand nombre de ces expressions que n'en possède le français moderne ; il employait sol, sul, seul, pour seulement ; petit, pour petitement, un peu ; grand, pour grandement, beaucoup, etc.

    Donez-mei sul le cors de lui. (La Résurrection du Sauveur, XIIIe siècle.)
    Sol une nuit sont en un leu [= ils ne restent qu'une seule nuit en un endroit]. (Le Roman de Tristan, vers 1170.) » (Origine et formation de la langue, 1857).

    Il est toutefois intéressant de noter : 1°) que la flexion de l'adjectif solus dans des emplois adverbiaux est attestée en latin − « Solos novem menses Asiæ præfuit [= Il gouverna l'Asie pendant neuf mois seulement] », « Sola sapientia in se tota conversa est [= Seule la sagesse est tout entière tournée vers soi] » (Cicéron) ; 2°) que la flexion de seul, dans ces mêmes emplois, avait déjà tendance, en ancien français, à dépendre de sa place par rapport au nom déterminé − comparez : « Que seul les penons et la floiche Ne donroie por Antioiche » (Chrétien de Troyes, vers 1175), « En seul cinq ans » (Floire et Blancheflor, XIIIe siècle), « Par seul beauté [= rien que par beauté] » (Jean Froissart, fin du XIVe siècle), « Et demeura seul la foy audit seneschal » (Philippe de Commynes, vers 1495) et « Je seule an doi estre blasmee » (Chrétien de Troyes, vers 1170), « Fors a cele meslee sole » (Id., avant 1190), « Dame, qui seule renlumines » (Un Miracle de Nostre-Dame de l'empereris de Romme, 1369) ; 3°) que l'emploi de seul en position initiale, qui était autrefois possible même quand celui-ci ne se rapportait pas au sujet de la phrase, reste rare avant le XIXe siècle − citons : « Seuls les Dieux reclamez ne m'ont pas abusé » (Philippe Desportes, 1585), « Seule la religion catholique les réunit » (François Para du Phanjas, 1767).

    Remarque 2 : Les grammairiens ont du mal à s'accorder sur la fonction de seul à valeur d'exclusivité : épithète détachée (Grevisse), adjectif en apposition (Damourette et Pichon), adjectif détaché (Glatigny), attribut indirect (Togeby) ? On se bornera ici à observer que la ponctuation des textes littéraires fait assez rarement apparaître la virgule de détachement après seul en tête de phrase (à cause du risque d'ambiguïté avec le sens « en l'absence de toute compagnie » ?). Signalons toutefois ces exemples : « Seuls, les génies hors de ligne de M. de Chateaubriand et de madame de Staël ne ressentirent nulle atteinte » (Sainte-Beuve), « Seuls, les fantassins grecs avaient des armures d'airain ; tous les autres, des coutelas au bout d'une perche » (Flaubert), « Seuls, les naturels du Cantal s'adonnent à la maçonnerie » (Bescherelle), « Seules, les femmes voient vraiment les choses » (Marcel Aymé).

     

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  • La majuscule, c'est tous les jours sa fête !

    « Fête du Travail : Macron espère "retrouver les 1er mai joyeux, chamailleurs". »
    (paru sur huffingtonpost.fr, le 1er mai 2020.)  

     

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    Sans doute eût-il été plus opportun d'aborder le sujet ô combien épineux de la graphie des noms de fête un 1er mai ou un 25 décembre. Mais enfin, je ne me voyais pas retarder plus longtemps ma réponse à la question de mon correspondant : « Je trouve dans un roman d'Eugène Dabit l'expression "(les) premiers mai", sans majuscules mais avec l'accord du premier mot au pluriel ! Au singulier, il faudrait assurément écrire "Premier Mai". Mais qu'en est-il au pluriel ? Merci d'avance. »

    Avant de nous chamailler à propos de la forme plurielle, commençons déjà par faire le point sur la graphie au singulier et par rappeler que les noms des jours et des mois ne prennent pas la majuscule (le joli mois de mai)... sauf quand ils désignent, sans le millésime, des évènements historiques (la monarchie de Juillet mais les évènements de mai 68) ou, précisément, des fêtes civiles ou religieuses. Et c'est là que les choses se compliquent. Selon l'Office québécois de la langue française, « lorsque le nom [de fête] ne comporte qu'un seul mot, la majuscule est de rigueur. Lorsque le nom comporte plusieurs mots, la règle générale est de mettre une majuscule au nom spécifique (celui qui vient préciser la fête dont il s'agit) et à l'adjectif qui le précède, le cas échéant, ainsi qu'une minuscule au nom générique (par ex. fête, jour) ». Autrement dit, on écrira : (la fête de) Noël, le jour de l'An, la fête du Travail... et on distinguera le Premier Mai ou 1er Mai (= la fête) de le premier mai ou 1er mai (= la date).

    Seulement voilà : ladite règle est loin de faire l'unanimité, à en juger par les divergences relevées entre les ouvrages de référence, quand ce n'est pas au sein d'un même dictionnaire ! Prenez au hasard celui de l'Académie. On lit dans la neuvième édition : « Le premier jour de mai ou, elliptiquement, le premier mai est la journée de la fête internationale du Travail » (à l'article « premier »), « Le muguet du 1er mai, jour de la fête du Travail » (à l'article « muguet »), mais « Le 1er Mai, le jour de la fête du Travail » (à l'article « mai ») − pourquoi cette majuscule à mai alors qu'il est question du jour de la fête, non de la fête elle-même ? Déjà, dans la huitième : « Le Jour de l'An, le premier jour de l'an » (à l'article « an »), mais « Le jour de l'an » (à l'article « jour ») (1). Comprenne qui pourra !

    Ces contradictions ne sont hélas ! pas propres à l'Académie. Ne lis-je pas, avec le même agacement, dans mon Robert illustré 2013 : « Muguet du premier mai » (à l'article « mai »), mais « Le muguet du 1er Mai » (à l'article « muguet ») ? Et dans le TLFi : « La fête des mères » (à l'article « mère » ; graphie adoptée par l'Académie et par Hanse), mais « La fête des Mères » (à l'article « fête » ; également chez Robert, Girodet et Nouailhac). Et que dire encore de Girodet, qui prône l'emploi de la majuscule et du trait d'union quand la date désigne une fête : « Le 14-Juillet est une fête populaire et patriotique à la fois. Le 1er-Mai, fête des travailleurs » et qui ajoute aussitôt : « On écrit d'ailleurs plutôt : le Premier Mai »... sans trait d'union ? Terminons ce défilé des spécialistes en signalant que Larousse se montre le plus exhaustif : « Le Premier-Mai, le 1er-Mai (= la fête du Travail), avec une majuscule à mai et un trait d'union ; on trouve parfois le Premier Mai, sans trait d'union : les défilés du Premier-Mai, du 1er-Mai ou du Premier Mai, du 1er Mai. Mais jamais de majuscule ni de trait d'union s'il s'agit du simple énoncé de la date : Nous nous verrons le premier mai. » Et Hanse, le plus conciliant : « On écrit : la fête du travail ou du Travail, du premier mai ou du Premier Mai. » (2)

    Mais venons-en à la question de mon interlocuteur : quid de la graphie au pluriel ? Comme on pouvait s'y attendre, la cacophonie règne là encore en maîtresse absolue. Jugez-en plutôt : « Les Premier Mai, répétés, auront raison de la société bourgeoise » (Jules Guesde, 1892), « Les Premier Mai étaient agités » (Charles Ferdinand Ramuz, 1948) ; « Et les premiers Mai ! » (Maurice Thorez, 1954) ; « [Les] défilés des premiers mai d'avant-guerre » (Frédo Krumnow, 1979) ; « [Les] sempiternels défilés des premiers mais praguois » (Ivo Fleischmann, 1982) ; « Les 1ers Mai français » (Danielle Tartakowsky, 2005), mais « Les Premiers mai se suivent sans se ressembler » (Id., 2013) ; « Défilés des 1er Mai » (Olivier Fillieule, 2018) ; « Le muguet des Premiers Mai » (Éloïse Lièvre, 2020). Vous parlez d'une fanfare ! Rares sont, au demeurant, les grammairiens qui osent s'aventurer sur ces sentes escarpées, si ce n'est pour traiter le cas particulier de la simple indication de date au pluriel : les premiers mai, sur le modèle de les premiers du mois « chaque premier jour » (Petit Robert), « le premier jour de chaque mois » (Le Bon Usage(3). André Goosse, que l'on a connu plus précis, se contente d'évoquer « une gêne devant la marque du pluriel, parce que le premier janvier, le premier mai ne désigne pas un jour comme les autres, mais très souvent une fête » (pas un mot à cette occasion sur la majuscule distinctive !) et soulève plus de questions qu'il n'en résout quand il ajoute : « Ces formules sont des locutions » − sous-entendu invariables ? À peine moins évasif, un autre spécialiste se jette à l'eau... sans davantage se mouiller :

    « Les noms propres de fêtes, tout en gardant la majuscule graphique, sont susceptibles de pluralité, avec déterminant, quand ils indiquent la répétition de la fête. La marque du pluriel est facultative lorsqu'il s'agit des noms composés.

    j'ai passé un excellent Noël à la montagne [durée de la fête, le jour de Noël], j’ai passé Noël en famille.
    vs j'ai passé plusieurs Noëls à la montagne [jours de Noël].

    le Premier-Mai
    de cette année a été unitaire [le défilé syndical du Premier Mai].
    vs les Premier(s)-Mai(s) sont l'occasion d'offrir des brins de muguet.

    Le 14(-)Juillet
    est le jour de la fête nationale en France.
    vs les 14-Juillet(s) sont l'occasion de défilés militaires » (Jean Dubois, Le Nombre en français, 2008).

    Vous l'aurez compris : l'usage, dans cette affaire, de la majuscule, du trait d'union et de la marque du pluriel se dérobe à toute tentative de synthèse. Aussi préféré-je à mon tour botter en touche, au risque de me faire sonner les clochettes, et inviter mon interlocuteur à s'en remettre à ce bon vieux dicton : en mai, fais ce qu'il te plaît !
     

    (1) Précisons que la graphie avec minuscules est seule retenue dans les deux articles de la neuvième édition.

    (2) Et aussi : « Le 1er-Mai » (Thomas), « Le 1er Mai » (Jouette, Nouailhac), « Le Premier Mai » (Colin, Bescherelle), « Le Premier Mai ou 1er Mai » (Office québécois de la langue française).  

    (3) Mais même dans ce cas, des divergences existent. Comparez : « Les premiers janvier de Paris ne bénéficient pas souvent d'un climat indulgent » (Colette) et « La même chose se renouvela tous les 1er mai » (Alexandre Dumas).
    « Pour les quantièmes autres que premier, on emploie le numéral cardinal et on le laisse invariable, précise Goosse : Tous les onze novembre. »
    On écrira par ailleurs : des mais ensoleillés, des septembres pluvieux, les noms des mois (comme ceux des jours) étant des noms communs qui, en tant que tels, sont susceptibles de prendre la marque du pluriel.

    Remarque : Il semble qu'Eugène Dabit, cité par mon correspondant, était lui-même en proie aux hésitations − à moins que ce ne fussent ses éditeurs. Comparez : « Les copains l'avaient entraîné dans la politique ; on faisait de "vrais" premiers mai » (L'Hôtel du Nord, chez Robert Denoël, 1929) et « On faisait de "vrais" premier mai » (Ibid., chez Fayard, 1934, et chez Denoël, 1977) ; « Des premiers Mai, il en avait connus de plus mouvementés à Paris » (La Zone verte, chez Gallimard, 1935).

     

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  • Pluriels classés X

    « Le commissaire Laurence sous les verroux. »
    (vu sur France 2, dans un épisode de la série Les Petits Meurtres d'Agatha Christie, rediffusé le 16 juillet 2021.)  

     

     

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    Plus d'un téléspectateur a dû s'étrangler devant son petit écran, ce vendredi soir, tant est restée gravée dans la mémoire de l'écolier qui sommeille en chacun de nous la liste des sept exceptions qui font leur pluriel en -oux : bijou, caillou, chou, genou, hibou, joujou et pou. Point de verrou né sous X, donc.

    Et pourtant... Force est de constater qu'il n'en fut pas toujours ainsi : « Verroux, vertevelles pour les clourres » (Compte de l'hôtel de la reine Isabeau de Bavière, 1401), « Les gons, les verroux et serrures de toutes portes » (Olivier de La Marche, vers 1470), « Mercure [...] ouvrit la porte à gros verroux fermée » (Clément Marot, 1543), « Et les soins deffians, les verroux et les grilles / Ne font pas la vertu des femmes ny des filles » (Molière, 1661). L'Académie écrivait encore en 1740, dans la troisième édition de son fameux Dictionnaire : « Verrouil, substantif masculin. On prononce verrou et il fait au pluriel verroux. Fermer une porte à deux verroux. » Mais dès l'édition suivante, l'intéressé prenait la porte de ce club très fermé pour aller rejoindre le bataillon des pluriels réguliers : « Verrou. On écrivoit autrefois verrouil. Fermer une porte à deux verrous » (Dictionnaire de l'Académie, 1762) (1).

    Ne me demandez pas de vous donner la clef de ce subit revirement, je serais bien en pêne, pardon en peine d'avancer ne serait-ce qu'un début d'explication. « La répartition entre s et x est souvent arbitraire, concède André Goosse. Ainsi, parmi les noms en -ou, il n'y a pas de raison de traiter chou (ancien français chol, chous) autrement que fou (ancien français fol, fous) » − ni verrou autrement que genou (ancien français genouil) et pou (ancien français pouil(2). Même constat désabusé de la part de la linguiste Nina Catach : « L'x des sept pluriels en -oux [...] n'est qu'un grigri ridicule, fantaisie abréviative pour -us au Moyen Âge [3], dont la conservation depuis dix siècles tient du miracle de Lourdes. » Pas sûr, cela dit, que les gourous réformateurs aient un jour la peau de notre clan des sept, tant « le Français tient à ses anomalies comme à ses droits acquis » (Claude Weill).

    En attendant, prions Marlène à genoux de ne pas céder au plus violent courroux quand elle apprendra que son chouchou de patron a été mis au clou comme le dernier des voyous.
     

    (1) À y bien regarder (fût-ce par le trou de la serrure), la réalité est autrement contrastée. En effet, notre substantif (issu du latin veruculum « petite broche, petite pique ») a connu en ancien français d'innombrables variantes graphiques − avec un seul r (veroul, veroil, vereil, verel, vesreil, veriel, vierel, verail, veriail, veral, verial, verill, varail...) ou deux, sous l'attraction probable du latin ferrum −, qui ont engendré autant de pluriels différents : ver(r)aulx, vieraulx, veroulx, ver(r)oux... et quantité de formes analogiques en -s : « Nes pot tenir verels ne serre » (Le Roman de Thèbes, milieu du XIIe siècle), « Et ont les bares et les verrois coulé » (La Prise d'Orange, fin du XIIIe siècle, cité par Tobler), « Gons et verrous » (Travaux aux châteaux des comtes d'Artois, 1325, cité par Godefroy), « Obeissance [...] tient ses portes fermees par les serrures et verrous de divers pechiez » (Jean de Gerson, vers 1389), « Ceste main qui vous escrit en a deffaict les verrouils (Aubigné, 1577). Au XVIIe siècle coexistaient encore les trois pluriels verrouils, verrous et verroux.
    Quant à la finale en -l du singulier, sa réfection sur le pluriel que l'on sait est attestée dès la fin du XIVe siècle : « Ung gros verrou » (Inventaires mobiliers des ducs de Bourgogne, 1387). Partant, les confusions étaient inévitables : « Un verroux » (Dictionnaire de Richelet, 1694 et 1709), « Le verroux des targettes » (Encyclopédie de Diderot, 1754).

    (2) « Autrefois verrou, genou, pou prenaient tous trois une s au pluriel : verrouils, genouils, pouils ; nous avons encore verrouiller, s'agenouiller, épouiller. Il est à désirer que tous les trois se terminent par une s, comme précédemment, en supprimant il » (Benjamin Pautex, Errata du Dictionnaire de l'Académie, 1862).

    (3) On lit à ce sujet dans Le Bon Usage : « Au Moyen Âge, le groupe final -us se notait souvent par un signe abréviatif qui ressemblait à la lettre x et qui finit par se confondre avec celle-ci. Un mot comme faus (nom ou adjectif) s'écrivait donc fax. Lorsqu'on eut oublié la fonction du signe x, on rétablit l'u exigé par la prononciation, tout en maintenant l'x : faux. Cela explique des mots comme deux, roux, doux, heureux, etc., des formes verbales comme veux, peux..., des pluriels comme manteaux, choux, chevaux... » On trouve ainsi sous la plume de Robert de Clari : « Il rompirent les verax de fer [...] et ouvrirent le porte » (avant 1216).


    Remarque 1 : L'ancienne forme verrouil survit dans la locution épée en verrouil (ou en verrou), c'est-à-dire « portée horizontalement » : « Un large baudrier supportant une épée en verrouil » (Théophile Gautier), « Le beau Léandre en habit Watteau, l'épée en verrouil comme un gentilhomme de cour » (Alphonse Daudet), « Huit vieux courtisans râpés, portant la culotte courte, l'habit à la française, les bas farcis et l'épée en verrou » (Edmond About).

    Remarque 2 : Dans la sixième édition (1835) de son Dictionnaire, l'Académie distingue les locutions tenir quelqu'un sous le verrou (« le tenir enfermé ») et être sous les verrous (« être en prison »). Là encore, la réalité n'a pas toujours été aussi tranchée. Comparez : « Cette Dame fut allarmée de se voir sous le verrou avec un homme si entreprenant » (Furetière, 1696) et « Elle est sous les verroux d'un vieux tuteur » (Mercure de France, 1733).

     

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    Le commissaire Laurence sous les verrous.

     


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  • Encore et encore...

    « Meghan Markle et le prince Harry seraient invités à célébrer les 70 ans de règne de la reine [...]. La reine a hâte de les y voir, d'après une source proche de la royauté. Mais faudrait-il encore qu'ils acceptent l'invitation... »
    (Elisa Gerlinger, sur voici.fr, le 27 juin 2021.)  

    FlècheCe que j'en pense


    Pas sûr que le sujet de la chronique du jour passionne nos amis d'outre-Manche, autrement préoccupés par leur défaite contre l'Italie en finale de l'Euro de football. Toujours est-il que s'offre à moi l'occasion de vous parler de ce qu'il est convenu d'appeler l'inversion du sujet (rien à voir avec ceux de sa Gracieuse Majesté, cela va sans dire). En 1926, Lucien Foulet écrivait à ce... propos dans la revue Romania : « On sait qu'en ancien français tout déterminatif placé en tête de la phrase, que ce soit un substantif, un adjectif ou un adverbe, qu'il joue le rôle de régime direct, indirect ou circonstanciel, entraîne le rejet du sujet après le verbe. Il y a des exceptions, mais elles n'entament pas la règle. Ce qui rend cet ordre possible, c'est l'existence de la déclinaison qui permet de distinguer le sujet du régime. Une fois la déclinaison disparue, cet ordre [...] ne s'est pas maintenu. Pour être clair il a fallu désormais mettre le sujet avant le verbe et le régime après. Pourtant l'ordre ancien s'est conservé dans quelques cas, [notamment pour exprimer l'interrogation]. On le rencontre aussi après certains adverbes ou locutions adverbiales, aussi, peut-être, à plus forte raison. Et ici aucun motif d'utilité pratique n'en explique le maintien. C'est simplement un reste de l'emploi d'autrefois, un archaïsme [...] encore très solide dans la langue littéraire. »

    Tellement solide que le linguiste Robert Le Bidois avouait, dans une de ses chroniques du Monde en date du 27 mars 1957, « [être] frappé de voir à quel point les écrivains d'aujourd'hui abusent du tour inverti [sans toujours se soucier] d'observer la règle du "jeu" ». C'est que si l'inversion du sujet (1) (ou la reprise du nom sujet par un pronom personnel postposé) est habituelle, et parfois même obligatoire, après ainsi, aussi, à peine, à plus forte raison, au moins, du moins, tout au plus, en vain, peut-être, sans doute, probablement, etc. − comparez : Il sera sans doute en retard → Sans doute sera-t-il en retard −, elle ne saurait être justifiée quand ledit adverbe est placé après le verbe ni être étendue artificiellement à toute espèce de mots invariables ou de locutions (2). Force est pourtant de constater que ces conditions sont loin d'être toujours remplies : « Mais l'abbé Lebel eut-il à peine la lettre dans ses mains, qu'il la rendit comme si elle le brûlait » (Alexandre Dumas), « Elle fit semblant de croire, ou crut-elle peut-être, au prétexte de leur rupture » (Flaubert), « Si tous ces parlers sont partie intégrante de la langue française, néanmoins se laissent-ils ranger en groupes » (Damourette et Pichon), « Davantage doit-il présenter à qui veut le transporter dans une langue étrangère des difficultés presque insurmontables » (Paul Valéry).

    L'adverbe encore n'échappe pas à la confusion. Certes, la langue moderne a conservé l'inversion du sujet quand l'intéressé, placé en tête de la proposition, prend une valeur restrictive : « Encore y aurait-il lieu de fixer l'attention critique sur ces objets eux-mêmes » (André Breton), « On parle beaucoup du merveilleux. Encore faudrait-il s'entendre et savoir ce qu'il est » (Jean Cocteau), « Encore le don subit de la mémoire n'est-il pas toujours aussi simple » (Marcel Proust). Mais, observe à bon droit Étienne Le Gal, « on ne voit pas pourquoi cette inversion se ferait [quand encore est] rejeté d'office après elle. Il n'y a plus alors de raison pour qu'on place le pronom après le verbe. Pourtant, on entend souvent : faut-il encore, pour encore faut-il » (3). Il est vrai que les exemples irréguliers ne manquent pas : « Mais faut-il encore que votre grandeur ait la bonté d'en armer mes mains » (Mathieu-François Pidansat de Mairobert, 1771), « Mais avant de donner un laissez-passer au génie, faut-il encore qu'il ait fait ses preuves » (Balzac, 1839), « Je dormirai, je vous le promets ; mais pour cela faut-il encore que Votre Majesté me laisse dormir » (Alexandre Dumas, 1846), « Mais avant de s'exposer à faire un essai, faut-il encore qu'on voie à cet essai des chances de réussite ! » (Tocqueville, 1847), « Pour admirer quelqu'un, faut-il encore le connaître un peu mieux que vous me connaissez » (Ernest Daudet, avant 1921), « — Me jurez-vous, ce soir, qu'il sera votre amant ? — Faut-il encor que je lui plaise... » (Sacha Guitry, 1923), « L'auteur est un donneur de sang, oui, mais faut-il encore que le roman trouve l'artère par où s'infiltrer » (Elsa Triolet, 1964), « Si je veux avoir un descendant [...], faudra-t-il encore que je trouve à épouser quelqu'un » (Michel Foucault, 1979) (4). Pis ! ils fleurissent jusque sous la plume des académiciens : « Cette page est admirable, mais, pour être admirée d'un consentement unanime, faut-il encore qu'elle soit signée » (Anatole France, 1892), « − Veux-tu que je m'en charge ? − Faudrait-il encore que ce fût fait convenablement » (Henri Lavedan, 1898), « Faut-il encore que l'individu, pour tirer de l'illumination tout le bénéfice souhaitable, ait des vues sur plusieurs domaines » (Georges Duhamel, 1947), « Mais faut-il encore vouloir ! » (Léopold Sédar Senghor, 1973), « Pour piller faut-il encore trouver un peu de butin » (Jean Dutourd, 1977), « Pour démontrer aux collègues qu'on est un scientifique respectable, faut-il encore respecter les règles du genre » (Jean-François Deniau, 1992). Les grammairiens sont pourtant unanimes : pour que ces exemples expriment, comme le sens l'impose, une restriction, une réserve qui corrige ce que l'on vient de dire, c'est encore faut-il qui est requis ; faut-il encore ne peut introduire qu'une interrogation. Comparez : Il est prêt à vous aider, encore faut-il que vous le lui demandiez ! et Faut-il encore que vous lui demandiez de vous aider ?

    Et c'est là que les choses se compliquent. D'abord, l'argument implicite selon lequel l'inversion du sujet devant l'adverbe déclencheur aurait « l'inconvénient de donner un tour interrogatif qui met le lecteur sur une fausse piste » (Robert Le Bidois) (5) me laisse pour le moins perplexe. Condamne-t-on l'exclamation Est-il bête ! au seul motif qu'elle prête à confusion avec l'interrogation Est-il bête ? ? Pour autant que je sache, la ponctuation (ou, à l'oral, l'intonation) et le contexte suffisent d'ordinaire à lever l'ambiguïté. Ensuite, il me semble que tous les faut-il encore ne se valent pas. Je n'en veux pour preuve que les deux exemples suivants : « En amour, il ne suffit pas d'avoir les mêmes désirs ; faut-il encore les exprimer au même moment ! » (Maurice Druon, 1959), « Ce n'est pas tout que d'être un bienfaiteur, faut-il encore se le faire pardonner » (Paul Morand, 1971). Encore y indique, non pas une restriction (« du moins, cependant »), mais une addition, un supplément (« en outre, aussi, de plus »). Aussi en vient-on à douter de l'opportunité de rétablir dans ce cas l'adverbe en tête de la proposition. Larousse s'en tient prudemment au modèle canonique : « Il ne suffit pas d'avoir de bonnes idées, il faut encore savoir les exposer », « Ce n'est pas tout d'être intelligent ; il faut encore apprendre le métier ». Mais l'Académie sème le trouble en remplaçant, à l'article « pratiquer » de la neuvième édition de son Dictionnaire, l'ancien exemple « Il ne suffit pas de savoir les règles de cet art, il faut aussi les pratiquer » par « Il ne suffit pas de connaître les règles de cet art, encore faut-il les pratiquer ». Allez vous étonner, après cela, que le quidam ne sache plus à quelle syntaxe se vouer !

    Vous l'aurez compris : entre il faut encore, encore faut-il et faut-il encore, l'usage n'en a pas fini d'hésiter... et les observateurs de la langue, de se perdre en conjectures. Tout ce que l'on peut dire sans trop se tromper, c'est que la « tendance à l'inversion » observée par Le Bidois ne se dément pas. Devant l'adverbe déclencheur, elle résulterait, selon Claude Hagège, d'un phénomène d'hypercorrection : « Un domaine foisonnant de tournures caractéristiques du français parlé est celui des hypercorrectismes, c'est-à-dire des expressions employées parce qu'elles paraissent élégantes et qui sont ou bien archaïques ou bien sans attestation en langue écrite. On rencontre ainsi faut-il encore (en emploi non interrogatif) là où la norme écrite utilise encore faut-il » (Combat pour le français, 2006). Dupré y voit « une pseudo-élégance de style », Foulet « une élégance nouvelle greffée sur une élégance ancienne ». Croit-on renouveler l'expression en changeant l'ordre de ses éléments ? s'interroge encore ce dernier, un rien pince-sans-rire. Anatole France et consorts apprécieront...
     

    (1) « [Expression] historiquement fau[sse, donc], mais néanmoins juste si l'on considère la langue moderne et son modèle canonique Sujet + Verbe + Complément », précise Bernard Cerquiglini.

    (2) Pour ne rien simplifier, la liste des adverbes déclencheurs d'inversion a fluctué au cours des siècles. Ainsi Jean-Charles Laveaux signalait-il encore, en 1818, que l'adverbe difficilement, placé au début de la phrase, entraînait l'inversion du sujet : « Difficilement trouvera-t-on des gens qui veuillent... »

    (3) Vous pouvez dire... mais dites mieux (1935).
    Même constat chez Foulet : « En faisant passer encore après faut-il, [on] supprime la raison même de cette inversion. » Et encore chez Jean-Paul Colin : « Cette inversion est injustifiée si encore ne figure pas en tête de la proposition. On dira correctement : Encore faut-il que l'émotion amoureuse soit entretenue (Suzanne Allen), mais non pas Faut-il encore que l'émotion..., construction souvent usitée dans les médias − à moins évidemment qu'on ne soit plus dans la concession, mais dans l'interrogation : Faut-il encore le redire ? » (Dictionnaire des difficultés du français).

    (4) Citons encore ces exemples où faut-il encore est précédé d'un adverbe non déclencheur d'inversion : « Néanmoins faut-il encore que l'inculpé se trouve dans des conditions normales d'imputabilité » (Grand Larousse, 1869), « Seulement faut-il encore que les faits soient nettement établis » (Zola, 1880).

    (5) Même son de cloche chez Bruno Dewaele : « L'inversion du sujet n'est ici recevable que dans la mesure où elle suit l'adverbe encore. Si elle doit le précéder, au contraire, le risque est grand que l'on croie avoir affaire à une construction interrogative. »

    Remarque 1 : L'ancien tour si faut-il que, de même sens (« il est nécessaire, malgré tout, que », selon l'Académie et Littré), a-t-il joué un rôle dans notre affaire ? On peut le supposer dans la mesure où il n'était pas rare de le faire suivre de l'adverbe encore : « Si fault il encor qu'il confesse que [...] » (Pontus de Tyard, 1551), « Si faut-il encores prier quoy qu'il en soit » (Calvin, avant 1558), « Si faut-il encore que je vous die [que...] » (Guez de Balzac, 1645). De quoi favoriser l'installation du syntagme faut-il encore dans des contextes non interrogatifs.

    Remarque 2 : Les mêmes observations valent pour il faut au moins : « Mais pour que je vous serve, dit-il, faut-il au moins que je connaisse vos projets » (Alexandre Dumas, 1847), « Si, par une raison d'économie, on ne peut faire un canal de drainage, faut-il au moins descendre les fondations du mur d'amont plus bas que celles du mur d'aval » (Viollet-Le-Duc, 1872), « Mais, enfin, pour divorcer faut-il au moins articuler un motif » (Paul Hervieu, 1895).

    Remarque 3 : Voir également le billet Inversion du pronom je.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Mais encore faut-il qu'ils acceptent l'invitation...

     


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  • « L'arc de triomphe sera bien empaqueté [...] du 18 septembre au 3 octobre 2021. Emballé, c'est pesé ! »
    (Pauline Chevallereau, sur arts-in-the-city.com, le 15 juin 2021.)  


    FlècheCe que j'en pense


    Emballé ? Il me faut bien avouer que je ne le suis pas vraiment. Ce n'est pas tant le projet artistique posthume de Christo qui me chagrine, vous l'aurez deviné, que la façon dont notre journaliste orthographie le premier membre de l'expression qui nous occupe aujourd'hui : emballé en lieu et place de l'impératif emballez. Car enfin, ne s'agissait-il pas à l'origine de l'injonction adressée par un commerçant (boucher ? épicier ?) à son commis de préparer la marchandise tout juste pesée et sur le point d'être emportée ?

    Renseignements pris, ladite expression (attestée dans les années 1960) n'est que le énième avatar d'une formule probablement née dans les faubourgs du XIXe siècle pour conclure une transaction commerciale et que la langue familière décline depuis à l'envi pour signifier qu'une affaire est entendue, qu'il n'y a plus rien à ajouter et que l'on peut passer à autre chose : enlevez, c'est pesé ! (Émile Debraux, 1830), enlevez, c'est payé ! (Théodore Cogniard, 1838), enlevez le bœuf ! (Courteline, 1886), enlevez ! c'est vendu ! (E. Huet, 1895), envoyez, c'est pesé ! (Lucien Sampaix, 1933), enveloppez, c'est pesé ! (Gilbert Le Poubau, 1938)... Et hop ! affaire suivante !

    Force est, hélas ! de constater que la logique ne pesait pas plus lourd hier qu'aujourd'hui dans la balance orthographique. Jugez-en plutôt : « Enlevé, c'est pesé » (Charles-Désiré Dupeuty, 1827), « Enlevé, c'est payé » (J. Hilpert, 1841), « Enlevé !... c'est servi ! » (Charles Lafont, 1859), « Emballé, c'est pesé ! » (Alain Badiou, 1967), « Enveloppé c'est pesé ! » (Jules Ravelin, 1967), « Envoyé c'est pesé » (Auguste Le Breton, 1995), etc. Aussi en vient-on à s'interroger sur ce qui peut bien motiver le choix du participe passé dans cette affaire : influence du second membre de la parataxe sur le premier ? souci de symétrie ? ou, comme le croit Philippe Gaillard, « référence à la rapidité avec laquelle très souvent un boucher-charcutier pèse puis emballe un morceau de viande qu'un client vient d'acheter » (sur le mode « aussitôt pesé, aussitôt emballé ») ? Des esprits étonnamment conciliants vont même jusqu'à affirmer que « les deux [graphies] sont possibles, avec en principe une nuance de sens : l'un[e] est un ordre, l'autre une constatation » (fil de discussion du Wiktionnaire). Il n'est pourtant que de consulter les ouvrages de référence pour s'aviser que la seconde analyse − si tant est qu'elle soit recevable (dirait-on : mis dans un emballage, c'est pesé ?) − ne fait pas le poids face à la première :

    « Enlevez, c'est pesé ! (familier). C'est une affaire conclue » (TLFi, article « peser »).
    « Enlevez le bœuf (populaire). C'est prêt, vous pouvez emporter » (TLFi, article « enlever »).

    « Locution familière. Vieilli. Enlevez le bœuf ; (moderne) Enlevez, c'est pesé : la chose est prête, vous pouvez l'emporter » (Petit Robert, article « enlever »).
    « Locution. Emballez, c'est pesé ! : l'affaire est faite, c'est d'accord » (Petit Robert, article « emballer »).

    « Familier. Enlevez, c'est pesé, c'est une affaire conclue » (Grand Larousse, article « peser »).

    « Locution familière enlevez le bœuf ! "la chose est prête, vous pouvez l'emporter" » (Dictionnaire historique de la langue française, article « enlever »).

    « Enlevez, c'est pesé ! phrase des commerçants devant leur balance. L'idée étant : c'est terminé ! » (Le Bouquet des expressions imagées, Claude Duneton).

    Mais rien n'y fait, et il ne se passe pas une journée sans que le camp du participe passé n'attire de nouveaux chalands (Henri Duvernois, Claude Farrère, Roland Dorgelès, Françoise Xenakis, Pierre Merle, Bernard-Henri Lévy, pour ne citer que les plus en vue).
    Cela dit, ne nous plaignons pas trop : il semblerait que nous ayons échappé jusque-là à la graphie emballer. Tout bien pesé, ce n'est déjà pas si mal...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Emballez, c'est pesé !

     


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