• « Le leader de Core in Fronte n'est pas tendre quand il évoque le bilan de la mandature finissante. »
    (Patrick Vinciguerra, sur francebleu.fr, le 2 juin 2021.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Échéances électorales obligent, le mot mandature fait un retour remarqué sur la Toile, où il rallie tous les suffrages... à l'exception notable de celui de l'Académie : « Mandature est un néologisme incorrect et totalement inutile, né de l'intime conviction de certains que plus un mot est long, plus il confère d'importance à la chose qu'il désigne », lit-on sur son site Internet. C'est oublier un peu vite que le bougre est attesté − fût-ce maigrement − dans la langue administrative depuis... le milieu du XIXe siècle, tout de même, comme doublet de mandatement (« action de délivrer un mandat » et, spécialement, « acte administratif donnant ordre de payer la dette d'un organisme public, lorsqu'il se réalise par l'émission d'un mandat »). Comparez : « Mandature des traitements du personnel » (Auguste Stourm, directeur général des Postes, 1856), « Mandature des dépenses publiques » (Adolphe Cochery, ministre des Postes et des Télégraphes, 1882) et « La liquidation des dépenses, leur ordonnancement, mandatement et paiement » (Administration générale des Ponts et Chaussées et des Mines, 1823), « Mandatement des traitements du clergé » (Recueil des actes administratifs, 1837).

    D'abord interchangeables (à l'instar de déchirure et déchirement [musculaire]), les deux dérivés de mandater tendent à se distinguer à mesure que ledit verbe voit son sens s'étendre, au tournant du XXe siècle, de « délivrer un mandat pour le paiement d'une somme » à « investir (quelqu'un) d'un mandat (= fonction, charge donnée par une personne à une autre pour qu'elle la remplisse en son nom) » : à mandatement l'action correspondant à la première acception et à mandature celle correspondant à la seconde (1). Surtout, le suffixé en -ure se spécialise dans le domaine politique pour désigner le temps d'exercice d'un mandat électif : « Au cours de ses vingt-six années de mandature municipale » (L'Indépendant rémois, 1892), « Les résultats des dernières élections [...] imposent une entente qui se manifesterait d'abord pour l'élection du bureau puis pendant toute la mandature » (Félix Roussel, 1908), « Au début de chaque mandature » (Louis Mocquant, Le Conseil municipal de Paris, 1908), « Durant les quatre années de mandature » (Journal des débats politiques et littéraires, 1912), à côté de « Avant que les cinq années de son mandat fussent expirées » (Alphonse Rabbe, avant 1829), « Cet homme public serait irresponsable, durant son mandat » (Les Deux Bourgognes, 1838), « Ce n'est pas pendant son mandat » (Assemblée nationale législative, 1849). Autrement dit, et n'en déplaise à tous ceux qui se réclament aveuglément de l'Académie pour affirmer qu'« on a toujours dit mandat pour nommer non seulement la fonction, la charge publique conférée par élection, mais aussi [par métonymie] la durée d'exercice de cette charge », cela fait au moins cent trente ans que mandature concurrence mandat dans son acception durative. Vous parlez d'un néologisme !

    Quant à la critique d'enflure verbale, est-elle davantage justifiée ? Rien n'est moins sûr. D'abord, force est de constater que les ouvrages de référence eux-mêmes ont attendu les années 1970 (!) pour commencer à consigner ladite métonymie dans leurs colonnes (cf. Larousse, TLFi) − preuve que le tour durant son mandat n'allait peut-être pas autant de soi. Ensuite, et surtout, il ne faudrait pas ignorer le poids, dans cette affaire, de l'analogie avec le couple magistrat/magistrature (2). Ne lit-on pas dans les éditions successives du Dictionnaire de l'Académie que magistrature, « dignité, charge de magistrat », se dit aussi, à la faveur de la même métonymie, du « temps pendant lequel un magistrat exerce ses fonctions. Le fait a eu lieu durant sa magistrature » ? Convenons que la tentation était grande de plébisciter la graphie mandature pour désigner le temps pendant lequel un élu exerce son mandat ! Le parallèle est d'autant plus pertinent que magistrat, conformément au latin magistratus, a longtemps cumulé les sens de « charge publique » et de « titulaire de ladite charge », avant d'abandonner le premier à magistrature, apparu (inutilement ?) un siècle après lui. Aussi ne s'étonnera-t-on pas d'apprendre que l'on a dit durant son magistrat avant de dire durant sa magistrature : « Nous avons eu ung consul tant severe et tant rigoureux que durant son magistrat, personne na disné avecques luy » (Antoine Macault, 1539) (3). Et voilà poindre ce paradoxe tout académicien qui veut que l'on entérine d'une main ce que l'on refuse de l'autre : durant sa magistrature (pourtant plus long que durant son magistrat), mais « durant son mandat, et non durant sa mandature ». Deux poids, deux mesures... et un parti pris !

    Vous l'aurez compris : rien ne justifie la campagne de dénigrement menée sans plus d'arguments contre mandature... mais rien n'interdit non plus de lui préférer le sobre mandat. D'autant que, si celui-ci peut toujours se substituer à celui-là dans un contexte politique (4), l'inverse n'est pas vrai : « Donner mandature au maire » (L'Est républicain), « [Suarez] exerça une mandature houleuse » (Bolivie, publié aux éditions Lonely Planet) sont autant d'invitations... à l'abstention !
      

    (1) « Deux ministres déclarent avoir été invités à juger la question de mandature dans [tel différend]. Nous ne pouvons [...] accepter le mandat qui nous a été offert » (Gazette de Biarritz, 1926).

    (2) D'aucuns évoquent plutôt l'influence de législature « période pendant laquelle une assemblée législative exerce son mandat ».

    (3) Autres exemples : « Tous les arrentemens qu'il avoit faits durant son magistrat » (Jacques Amyot, 1565), « Il ne la [= la vengeance] devoit exercer durant son magistrat » (Blaise de Vigenère, 1582), « Il ne luy estoit loisible, pendant son magistrat, vuider les fins du pays » (Étienne Pasquier, 1596), « Ceux-cy peuvent estre faicts recteurs durant leur magistrat » (Pierre Davity, 1613), « C'est pourquoy ils furent en continuelles contentions durant leur magistrat » (Scipion Dupleix, 1638) ; « Il pouvoit protester avoir faict pendant sa magistrature tout ce que l'honneur de Dieu [lui pouvoit] commander » (Lancelot Voisin de La Popelinière, 1581), « Ceux-cy peuvent entrer au rectorat ou gouvernement durant leur magistrature » (traduction d'un texte de Francesco Sansovino, 1611), « Magistrature, charge de magistrat ; durée de magistrat, tams durant lequel on est magistrat » (Philibert Monet, 1636).

    (4) Irène Nouailhac plaide toutefois en faveur d'une stricte répartition d'emploi entre les deux termes : « Ne pas utiliser mandat dans le sens de mandature = durée du mandat. Une mandature de trois ans » (Le Pluriel de bric-à-brac, 2006).


    Remarque : Signalons enfin que le prétendu néologisme se trouve jusque sous des plumes averties : « La linguistique achevait sa mandature de discipline pilote » (Bernard Cerquiglini, 2018), voire − horresco referens ! − académiciennes : « La troisième Douma a duré le temps complet d'une mandature » (Hélène Carrère d'Encausse, 2014).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, selon l'Académie, le bilan du mandat.

     


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  • Syntaxe à poil

    « L'épilateur Braun retire les poils 3 fois plus courts que la cire. » (1)
    (publicité diffusée en mai 2021.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Est-il besoin de confesser que j'ai senti mes poils se hérisser en découvrant, à la télévision, cette (rase) campagne publicitaire vantant les performances d'un épilateur ressorti pile-poil pour la fête des mères (2) ? Dieu, quel charabia ! Car enfin, je vous le demande, comment le système pileux peut-il être comparé à... la cire ? C'est mélanger les torchons et les serviettes dans un raccourci syntaxique qui prend le bon sens à rebrousse-poil.

    « Attention aux ellipses contraires à la logique, nous met utilement en garde Bénédicte Gaillard : Ma voiture roule plus vite que sa sœur (au lieu de Ma voiture roule plus vite que celle de sa sœur). »

    Mais il est à craindre que ces considérations bassement grammaticales ne fassent une belle jambe aux annonceurs de tout poil. De là à gager qu'ils vont finir par me trouver rasoir...


    (1) Variante diffusée en juin 2021 : « L'épilateur Braun vous débarrasse des poils jusqu'à 3 fois plus courts que la cire. »

    (2) Ou fête des Mères, les spécialistes ayant du mal à accorder leurs pincettes orthographiques.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    L'épilateur retire les poils trois fois plus courts que ceux attrapés avec la cire.

     


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  • « McFly & Carlito avec Emmanuel Macron : les moments les plus improbables de la vidéo. »
    (paru sur nrj.fr, le 24 mai 2021.)  
     (photo Wikipédia sous licence GFDL par Arno Mikkor)

    FlècheCe que j'en pense


    S'il est un mot qui a été mis à toutes les sauces, ces dernières années, c'est bien l'adjectif improbable : « On ne compte plus, pour peu que l'on y prête attention, les "banlieues improbables" (glauques ?), les paniers de basket au "filet improbable" (virtuel ?) ou même, au football, les "tirs improbables" (sans conviction, voire mal ajustés ?) [...]. L'ennui, c'est qu'en proliférant l'effet de style est devenu cliché, pour ne pas dire tic, et qu'il commence à faire furieusement toc... » (Bruno Dewaele, 2005), « Tout [est] devenu "improbable" : les lieux, les couples, les circonstances, les œuvres, jusqu'aux couleurs des vêtements » (Philippe Labro, 2009), « L'adjectif improbable est ces temps-ci employé, suremployé, hyper employé, tout au moins dans le cercle restreint des journalistes et surtout des critiques [...]. Quand on voit qu'ils accolent improbable à des substantifs qui ne vont pas très bien avec, et même pas du tout : des livres, des films, des robes de soirée, des chaussettes, des paires de skis, on comprend qu'il y a un glissement de sens » (Bernard Leconte, Défense de la langue française, 2012), « Ne faisons pas de ce mot un adjectif passe-partout, un tic de langage, qui serait utilisé systématiquement en lieu et place d'autres adjectifs comme étonnant, surprenant, imprévu » (rubrique Dire, ne pas dire de l'Académie française, 2013).
    Ce n'est pas une raison pour s'acharner gratuitement sur la bête...

    Prenez cette remarque trouvée sur le site des correcteurs du monde.fr : « La vogue médiatique est d'en faire grand usage et à tort et à travers. Comme dans [cet] exemple que nous avons trouvé dans un récent Figaro littéraire : "Mais il finit par lasser avec ses romans aux intrigues improbables." L'intrigue n'est-elle pas plutôt ou au moins autant invraisemblable ? » Les bras m'en tombent ! Car enfin, s'il est vrai que notre adjectif a d'abord hésité entre les sens du latin improbabilis (« réprouvable, indigne d'approbation », en latin classique, puis « dont on ne peut apporter la preuve » en latin chrétien [1]), lui-même dérivé de probare (« trouver bon, approuver ; rendre croyable, faire accepter, prouver ») (2), cela fait belle lurette que les lexicographes lui ont également reconnu celui de « invraisemblable » : « Qui ne peut estre prouvé, qui n'est pas vrai semblable. Il y a bien des veritez qui sont improbables, qui sont au dessus de la raison » (Antoine Furetière, 1690), « Improbable (qui n'est pas vraisemblable) improbable, unlikely » (Abel Boyer, The royal dictionary, 1702), « Qui n'a point de probabilité [au sens de "vraisemblance, apparence de vérité"] » (quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1762), « Qui n'a point de probabilité ; invraisemblable » (Claude-Marie Gattel, 1803 ; Louis-Nicolas Bescherelle, 1847), « Vieux. Qui est en désaccord avec ce que le sens commun admet comme probable, vraisemblable » (Grand Larousse, 1973), « 1. Qui manque de vraisemblance. Cette version des faits me paraît improbable » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 2005). D'où : « A chaque scène une nouvelle intrigue, et toujours absurde et improbable » (André-Samuel-Michel Cantwell, 1798), « Une intrigue assez improbable » (Revue de Paris, 1832), « [Nouer] des intrigues improbables » (Jacques-Germain Chaudes-Aigues, 1841 ; Benoît Jouvin, 1871) (3).

    Tout aussi impr...udent me paraît cet avis de Jacques Pépin, exprimé en 2012 sur le forum de l'association Défense de la langue française : « Improbable [...] s'applique à des faits ou à des évènements, non à des êtres ou à des choses. » C'est oublier que ce principe, qui vaut pour l'acception moderne usuelle de « qui a peu de chances de se produire » (attestée depuis au moins le XVIIIe siècle), souffre de nombreuses exceptions. Jugez-en plutôt : « De plusieurs choses probables [= recommandables, de bonne qualité] et bonnes sen fait une male composte [= mélange de mets] et improbable » (Desdier Christol, 1505) et, plus près de nous, « Une robe de soie bleu de ciel improbable » (Théophile Gautier, 1837), « La ville improbable, absurde » (Michelet, 1843), « Un directeur de spectacle, porteur du nom improbable de Blanc-partout » (Charles Monselet, 1863), « Des chênes d'une grosseur et d'une hauteur improbables » (Maupassant, 1875), « Lieu improbable de sa naissance » (Félicien Champsaur, 1884), « L'art Kmer invente également d'improbables bêtes » (Huysmans, 1889), « Le jardin [où] les plus improbables papillons avaient pu élire domicile » (Pierre Loti, 1890), « Une végétation compliquée, où voltigent d'improbables oiseaux vert-courge » (Colette, 1902), « Ce personnage, improbable d'ailleurs, et [que nous appelons] un critique d'art » (Octave Mirbeau, 1904), « [Une lettre] cherchée dans les coins les plus improbables » (Proust, avant 1922), « Chercheurs sans entrain d'improbables Cythères » (Céline, 1932), « Une créature improbable du songe » (Henri Bosco, 1947), « Son illustre confrère se mit à courir d'improbables adresses » (Simenon, 1948), « Les survenants improbables de ce bout du monde » (Julien Gracq, 1958), « Des bords de Loire [...] jusqu'aux improbables Sargasses » (Poirot-Delpech, 1999), « Voter pour un candidat absolument improbable [...] est inutile » (Alain Rey, 2006), « Cinq romans aux titres si bellement improbables » (Pierre-Jean Remy, 2008), « Lamartine, candidat improbable puisque diplomate » (Hélène Carrère d'Encausse, 2010), « Animaux très improbables » (Dictionnaire historique de la langue française, 2010), « Raymond composait avec son maître le duo le plus improbable qu'on s'attende à trouver » (Pascal Bruckner, 2014) (4). Autrement dit, l'adjectif improbable s'est étendu, au tournant du XIXe siècle (5), des opinions (qui ont peu de chances d'être vraies) et des évènements, des phénomènes (qui ont peu de chances de se produire) aux choses et aux êtres (qui ont peu de chances d'exister) ; de là l'emploi comme synonyme littéraire (ou plaisant) de « inattendu, incroyable » (selon le TLFi), « très surprenant ; inattendu, invraisemblable » (selon le Nouveau Larousse encyclopédique), « qui étonne par son caractère peu ordinaire, insolite » (selon le Robert en ligne), en parlant de quelque chose (ou de quelqu'un) qui existe déjà.

    Est-il besoin de préciser que d'aucuns n'ont pas manqué de soupçonner l'influence de la perfide Albion derrière cette extension de sens ? « Improbable s'entend çà et là comme synonyme de surprenant, il s'agit en fait d'un anglicisme, l'adjectif français ne désignant que ce qui n'est pas sûr, qui reste à prouver » (Jean Pruvost, 2020), « L'emploi de l'adjectif improbable peut, comme pour la plupart des anglicismes rampants, introduire une ambiguïté : Une improbable erreur de GPS (titre Yahoo). [Faut-il] comprendre une erreur "peu probable" ou une erreur "invraisemblable, inimaginable" ? » (Richard Rongier, 2016). C'est aller, me semble-t-il, un peu vite en besogne. Car l'influence anglaise, quand elle serait... probable dans cette affaire (6), a-t-elle été aussi décisive qu'on voudrait nous le faire croire ? Le doute est permis, dans la mesure où improbable, à y bien regarder, n'a fait que suivre l'évolution de l'adjectif invraisemblable, passé par exagération de « qui ne semble pas vrai, qu'on ne peut croire conforme à la vérité » à « qui surprend par sa bizarrerie, son caractère exceptionnel ». Et quand bien même la responsabilité des sujets de Sa Gracieuse Majesté serait avérée, il y aurait prescription depuis plus de deux siècles ! Quant à l'argument de l'ambiguïté, indéniablement pertinent − comparez l'exemple qui nous occupe avec cette citation d'Albert de La Salle : « Nous attendrons leurs objections jusqu'au moment improbable où ils auront la bouche vide » (Le Monde illustré, 1877) −, force est de convenir qu'il valait déjà en latin et en moyen français : des raisons improbables étaient-elles « condamnables, indignes d'approbation » ou « difficiles à prouver, peu conformes à la vérité » ? Voilà pourquoi accabler l'adjectif improbable de tous les défauts me paraît aussi excessif que de l'employer à tout bout de phrase. Mais ça, il est probable que vous le saviez déjà...

    (1) « Improbabilis. Qui n'est pas digne d'approbation, réprouvable. Cet adjectif peut parfois être rendu par Qui n'est pas probable, qu'on ne saurait prouver. Rationes sequi non improbabiles (Celse). Affectus sunt motus animi improbabiles (Sénèque). Haud improbabili argumento (Pline l'Ancien). Non improbabilis mos (Ulpien) » (traduction de A new and copious lexicon of the latin language, 1836).

    (2) « On doit eschiever faulses et improbables assumptions ou propositions, car comme dist Quintilien : "Il est de necessité de parler plus contentieusement en che que tu ne pues prouver » (Jean Daudin, avant 1382), « Non james reprochable ne improbable » (Georges Chastellain, avant 1475), « Raisons improbables, qu'on n'approuve point, contre l'opinion commune » (Guillaume Morel, 1558).

    (3) Citons également : « Denouëment de l'intrigue fort improbable de la part du Pape et des Jesuites de France » (Traité dogmatique et historique des édits, 1703), « L'impossibilité de croire que quelqu'un ait imaginé un roman [= une histoire, un récit] aussi improbable » (Beaumarchais, 1792), « La conduite de la pièce manque de vraisemblance. La fille de Brutus est amenée dans le camp [...] par des moyens forcés et improbables » (Jean-François de La Harpe, 1798).

    (4) Et aussi : « Quelque religion même absurde et improbable » (Guillaume François Berthier, avant 1782), « Ces fêtes improbables » (Goncourt, 1852), « Notre héros songeait à l'amour improbable de cette jeune fille » (Jules Lecomte, 1856), « C'était un voyage improbable » (Michelet, 1856), « Attendant la venue de quelque mouche improbable » (Théophile Gautier, 1863), « Une carpe à moustache, créature hybride et improbable » (Richard Lesclide, 1869), « Une charmante tasse en porcelaine du Japon avec des fleurs et des dessins improbables » (Philibert Audebrand, 1876), « Qu'on accuse donc encore [...] le roman d'aventures d'être romanesque, impossible, improbable ! » (Jules Claretie, 1885), « La forme improbable de sa malheureuse tête » (Pierre Louÿs, 1888).

    (5) Si l'on excepte l'exemple ancien de Christol.

    (6) Nombreuses sont, au XVIIIe et au XIXe siècle, les occurrences de l'adjectif improbable dans des traductions de textes anglais.

    Remarque : Selon Bernard Leconte, « on ne peut plus dire d'une œuvre qu'elle est superbe, magnifique, exceptionnelle [...] : ces compliments-là sont trop faibles [...]. Improbable fait donc l'affaire [...] et fait gargariser de bonheur l'heureux congratulé » (Défense de la langue française n° 245, 2012). D'autres, au contraire, prennent ledit adjectif plutôt en mauvaise part, par exemple pour dénoncer le côté ridiculement décalé d'une tenue : « Ainsi, de quelqu'un d'habillé n'importe comment, on dira qu'il a une tenue improbable » (Alfred Gilder, 2018). « Improbable permet de rester très évasif, observe de son côté Frédéric Pommier. On ne sait jamais s'il s'agit d'une critique acerbe ou d'un compliment amusé. » Là réside peut-être le secret de son (improbable) succès...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, plus précisément, les moments les plus insolites.

     


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  • Parfum d'un mauvais genre ?

    « Lenor [...] transforme mon lit en un oasis de fraîcheur. »
    (publicité "Un conte de Lenor" diffusée en avril 2021.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    J'en étais resté, pour ma part, à une oasis, conformément aux recommandations des spécialistes : « Oasis est du genre féminin » (Prosper Poitevin, 1856), « Aujourd'hui, [oasis] est uniquement féminin » (Littré, 1863), « Oasis est du féminin » (Thomas), « Toujours féminin : Une oasis saharienne » (Girodet), « Ce nom est du genre féminin » (Capelovici). Mais voilà que l'Académie vient semer le trouble dans la dernière édition de son Dictionnaire, en signalant que « oasis, nom féminin, se rencontre aussi au masculin ». Pour preuve, ces exemples empruntés à de bonnes plumes : « C'était une espèce d'oasis civilisé » (Chateaubriand, 1811), « La haute société forme comme un oasis moral au milieu de Naples » (Stendhal, 1829), « J'aurai atteint cet oasis à travers bien des peines et des privations » (Balzac, 1834), « Cet oasis frais et parfumé » (Eugène Sue, 1838), « La création d'un oasis au milieu du désert » (Henri-Frédéric Amiel, 1866), « Un oasis flottant » (Paul Bourget, 1882), « Tous les oasis » (Maupassant, 1884), « Cet oasis » (Édouard Estaunié, 1908), « Ce grand oasis » (Aragon, 1926), « Comme un oasis » (Martin du Gard, 1936), « C'était un dernier oasis d'été » (Michel Butor, 1957), « Un oasis de silence » (Pierre Gaxotte, 1972) (1).

    Que l'on ait affaire à du beau linge littéraire ne semble guère impressionner Hatzfeld et Hanse : c'est « abusivement », « à tort », nous mettent-ils en garde, que des auteurs considèrent oasis comme masculin. Vraiment ? L'historien Eugène Pellissier n'est pas de cet avis : « Le mot oasis venant originairement de l'arabe ouah, substantif masculin [2], les dictionnaires et les écrivains qui le font féminin ont tort [...]. Néanmoins, comme cette erreur a prévalu et qu'elle a pour elle l'autorité des Latins, je m'y soumets pour ne pas paraître vouloir me singulariser sur un point de si peu d'importance » (Exploration scientifique de l'Algérie, 1853). L'autorité des Latins... et aussi celle des Grecs ! C'est qu'il n'aura pas échappé aux férus d'étymologie que ledit nom est apparu dans notre lexique, au milieu du XVIe siècle, par l'intermédiaire de traductions de textes latins et surtout grecs, où oasis, ο α σ ι ς − probablement issu de l'égyptien − était employé comme nom propre (de divers lieux du désert d'Égypte) puis comme nom commun féminin. De là lui vient sans doute le genre que l'usage français a d'abord retenu (3), tant pour l'ancienne acception toponymique : « Ils envoyerent [les Vierges] en exil à la grande Oasis » (Dom Martin Mathée traduisant un texte grec, 1544), « Une ville nommée Oasis » (Pierre Saliat traduisant Hérodote, 1551), « Le miserable fut envoyé en Oasis, region d'Arabie sterile et agitée de vents pestiferes » (Jean Millet traduisant Jean Zonaras, 1560) que pour l'acception commune attestée au tournant du XVIIIe siècle : « On écrit que les Egyptiens donnoient le nom d'Oasis ou Auasis à tous les lieux habitez qui estoient environnez de deserts, et que c'est ce que ce mot marque dans leur langue » (Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, avant 1698), « Oasis signifie en général un amas de maisons ou de tentes dans un désert, ou dans un lieu sec » (ajout à l'édition de 1702 du Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri), « On appeloit Oases, en général, quelques cantons de terre végétale enveloppés des sables de la Libye comme des îles au milieu de la mer, [qui ont] des eaux et des plants de palmiers ou dattiers [et] ne sont point sans habitations » (Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, 1768).

    Vous voilà donc au parfum : oasis était féminin en grec et en latin, mais reproduisait un mot arabe que d'aucuns tenaient pour masculin. De là à considérer, avec Gabriel-Henry Aubertin, que le mot est « des deux genres » en français (Grammaire moderne des écrivains français, 1861), il y a un désert dans lequel il vous est loisible de prêcher aux côtés des académiciens...

    (1) Signalons également les hésitations relevées dans divers ouvrages anciens : substantif masculin dans le Supplément (1752) et l'Abrégé (1762) du Dictionnaire de Trévoux, dans l'édition de 1782 de l'Encyclopédie méthodique, dans l'édition de 1803 du Dictionnaire de Boiste et dans l'édition de 1839 du Dictionnaire de Noël et Chapsal, oasis est traité comme féminin dans le Journal de Trévoux (« Ces Oasis [...] étoient très peuplées », 1762), dans l'édition de 1787 de l'Encyclopédie méthodique, dans l'édition de 1823 du Dictionnaire de Boiste et dans l'édition de 1832 du Dictionnaire de Noël et Chapsal.

    (2) Las ! le genre avancé par Pellissier pour l'arabe ouaha est lui-même sujet à discussion (cf. les commentaires ci-dessous).

    (3) « Pourquoi le féminin ? Le mot oasis est féminin en grec, en latin et donc en français » (Isabelle Lasfargue-Galvez, 2013).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une oasis (plus couramment que un oasis) de fraîcheur.

     


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  • Le sexe des (or)anges

    « L'île italienne a plus d'une agrume dans son sac [...]. Rien qu'à l'odeur, je sais que ce sont des agrumes siciliennes. »
    (Nastasia Haftman, sur TF1, le 9 mars 2021.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Entendu au journal de vingt heures de TF1 : agrume au féminin. Voilà qui ne manque pas de piquant quand on sait que les dictionnaires usuels modernes font de ce nom un masculin pur jus : « L'orange est un agrume » (Robert en ligne), « La mandarine est un agrume » (Larousse en ligne), « Ces agrumes sont délicieux » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove), « Le cédratier semble être le premier agrume introduit en Europe » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Un agrume » (Bescherelle pratique(1).

    Force est toutefois de constater, à la décharge de notre journaliste, qu'il n'en fut pas toujours ainsi : « Le genre de agrume ne s'est fixé qu'au cours du XXe siècle, lit-on sur le site de la Semeuse. Les premiers dictionnaires Larousse en faisaient un nom féminin. » Il n'est que de consulter le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1866) pour en avoir confirmation : « Agrume, substantif féminin. Horticulture. Espèce de prune employée pour faire les pruneaux d'Agen. » Seulement voilà : il ne vous aura pas échappé que cette définition, que Pierre Larousse a directement empruntée à Maurice Lachâtre (2), n'a pas grand-chose à voir, a priori, avec le nom générique par lequel on désigne les espèces du genre citrus et leurs fruits. Surtout, écrit en 1939 un Albert Dauzat très remonté contre des académiciens qui venaient de se prononcer à leur tour pour le féminin, « le Larousse a reproduit le genre usité par les paysans de l'Agenais, qui ont compris l'agrume = la grume [3] (comme les illettrés de Paris et d'ailleurs disent la cétylène) − ce que les linguistes appellent une déglutination. Ce n'est pas à l'Académie − soucieuse de maintenir les bonnes traditions − à entériner des bévues et des vulgarismes de cette sorte ». Goosse se montre à peine moins acide : « Agrume, pour désigner une prune, a pu aussi favoriser le féminin, sans pour cela le rendre légitime : c'est somme toute un autre mot, de même formation, mais venu par les dialectes du Midi » (Façons de parler, 1971), « Divers Larousse signalent aussi une agrume, mot régional pour un pruneau d'Agen, ce qu'une enquête que nous avons faite sur place n'a pas confirmé » (Le Bon Usage, 2011).

    Revenons donc à nos citrons. À l'origine, nous dit-on, est le latin médiéval acrumen (« substance de saveur aigre ») − lui-même dérivé de acer, acris (« aigu, pointu » et, au figuré, « piquant au goût, aigre ») −, qui a donné l'italien agrume, l'ancien provençal agrum et l'ancien français aigrum (aigrun, egrun), tous masculins. Rien que de très logique pour Dauzat : « Le suffixe latin -umen étant neutre, il doit être et est toujours rendu par le masculin en français : bitume, légume, volume. » Ledit masculin aigrum, donc, désigne depuis le XIIIe siècle toute espèce d'herbe, de légume ou de fruit à saveur aigre : « Aus, oingnons et toute autre maniere d'aigrun » (Étienne Boileau, 1268), « Tout fruit et tout egrun » (Coutumier de la vicomté de l'eau de Rouen, fin du XIIIsiècle), « Esgrun est appelé pommes, poires, noix, pronnes [tiens, revoilà nos prunes !], serises, sesses [merises], aulx, ongnons, porioux, choux et toutes manières de fruiz » (Mémoire de Compiègne, 1448). Et c'est tout naturellement qu'il en vient à servir d'équivalent à l'italien agrume (pluriel agrumi) : « Acrume, agrume, aigrum : toutes sortes d'oignons, etc. », « Agrumi, aigrums » (Antoine Oudin, Recherches italiennes et françoises, 1640). Et les agrumes niçois, dans tout ça ? me demanderez-vous avec un zeste d'impatience. J'y viens : « Agrumi, aigrums, toutes sortes de sausses aigres, comme aussi les citrons, melons et oranges aigres avec tous autres semblables fruits aigres, et puis aussi les oignons, porreaux, ciboulles, aulx et autres herbes fortes de goust », selon le détail donné par Nathanäel Düez dans l'édition de 1660 de son Dictionnaire italien et françois. De là la remarque de Paul Lacroix : « Au XIIIe siècle on désignait sous le nom générique d'aigrun les plantes potagères, parmi lesquelles on comprit plus tard les oranges, citrons et autres fruits acides. Saint Louis ajouta même à cette catégorie les fruits à écorce dure, comme les noix, les noisettes et les châtaignes. Quand la communauté des fruitiers de Paris reçut des statuts, en 1608, ils étaient encore désignés sous le nom de marchands de fruits et d'aigrun » (Mœurs, usages et costumes au Moyen Âge et à l’époque de la Renaissance, 1878).

    Les choses auraient pu en rester là si agrumes, graphie francisée du pluriel italien agrumi, n'avait fait entre-temps son apparition sous la plume du lexicographe Gabriel Meurier : « Les agrumes ou choses aspres et acres » (La Perle de similitudes, 1583) (4). On en relève quelques occurrences aux siècles suivants, d'abord au compte-gouttes − si j'ose dire −, chez des auteurs ayant séjourné en Italie ou chez des botanistes peu satisfaits des appellations citrus et hespéridées (5) : « Le plus beau jardin d'Europe en agrumes » (Louis Fouquet, frère de Nicolas, 1656) ; « Toutes sortes d'agrumes », « Le jardin est rempli d'orangers, citroniers, grenadiers et autres agrumes plantés ou dans des vases » (François-Jacques Deseine, 1699) ; « Un vaste jardin, rempli des plus beaux agrumes » (Jean-Baptiste Labat, 1730) ; « Agrume anguleux » (Giorgio Gallesio, 1811) ; « L'oranger, le citronnier et tous les arbres de cette nature, connus dans ce pays [niçois] sous le titre général d'agrumes » (François-Emmanuel Fodéré, 1821) ; « C'est donc un traité des hespérides ou des agrumes, suivant l'expression italienne » (Louis-Gabriel Michaud, à propos d'un ouvrage de Sterbeeck sur la culture des citronniers, 1845) − notez les accords au masculin. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour qu'elle devienne usuelle et qu'apparaissent les premières hésitations sur son genre : « Des agrumes italiennes » (Charles Lutaud, 1912), « L'exportation en grand de cette agrume [la mandarine] nécessite des soins particuliers » (journal Paris-municipal, 1925), « La culture intensive de certaines agrumes » (Bulletin de la Société nationale d'acclimatation de France, 1930), « Les diverses agrumes » (Comptes rendus des séances de l'Académie d'agriculture de France, 1933), « Agrumes fraîches ou sèches » (Journal officiel, 1947), « Le soleil, impersonnelle agrume » (Hervé Bazin, 1947), « Toutes les agrumes » (Henri Troyat, 1958).

    Toujours est-il que, dans sa séance du 14 septembre 1939, l'Académie, toute amertume bue, se rangea à l'avis de Dauzat : c'est bien le genre masculin qui s'impose pour le mot agrume, sans l'ombre d'un pépin. Ouf ! On n'allait quand même pas déclencher une guerre des sexes pour des prunes...
     

    (1) Si les spécialistes consultés s'accordent à dire que le mot est « le plus souvent employé au pluriel » (Larousse, Girodet), le singulier est aujourd'hui admis pour désigner une espèce du genre citrus.

    (2) « Agrume, s. f. Prune employée pour faire les pruneaux d'Agen » (Dictionnaire universel, 1853).

    (3) L'existence du substantif féminin grume (du bas latin gruma, « écorce d'un fruit »), qui désigne la peau du grain de raisin ou l'écorce laissée sur le bois coupé, a-t-elle pu favoriser cette confusion ?

    (4) Le terme est donc beaucoup plus ancien dans notre lexique que ne le disent les ouvrages de référence.

    (5) « Le nom [citrus] reçu par les botanistes pour exprimer ce genre [...] portoit souvent de la confusion dans les idées, parcequ'il est en même temps le nom du genre et le nom d'une espece. Ainsi j'ai cru devoir adopter dans la diction le mot italien d'agrumi, dont je me suis servi concurremment avec celui de citrus. Ce nom, qui exprime collectivement toutes les especes réunies, est certainement le plus propre à donner l'idée exacte du genre. La langue française n'offrant point d'équivalent pour le rendre avec précision, j'ai cru pouvoir l'adopter sans crainte de blesser par un néologisme qui devient nécessaire, et qu'il nous seroit impossible de remplacer par aucun des mots reçus » (Giorgio Gallesio, Traité du citrus, 1811). Un « néologisme » déjà attesté depuis plus de deux siècles...
    « Les hespéridées, famille de plantes dite aussi aurantiacées, à laquelle l'oranger appartient » (Littré).

    Remarque : Selon Pierre Guiraud, les paroxytons (mots qui portent un accent d'intensité sur l'avant-dernière syllabe) masculins tendent à prendre le genre féminin en français populaire : abîme, adage, aéroplane, agrume, etc.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un agrume, des agrumes siciliens.

     


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