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Parfum d'un mauvais genre ?
« Lenor [...] transforme mon lit en un oasis de fraîcheur. »
(publicité "Un conte de Lenor" diffusée en avril 2021.)
Ce que j'en pense
J'en étais resté, pour ma part, à une oasis, conformément aux recommandations des spécialistes : « Oasis est du genre féminin » (Prosper Poitevin, 1856), « Aujourd'hui, [oasis] est uniquement féminin » (Littré, 1863), « Oasis est du féminin » (Thomas), « Toujours féminin : Une oasis saharienne » (Girodet), « Ce nom est du genre féminin » (Capelovici). Mais voilà que l'Académie vient semer le trouble dans la dernière édition de son Dictionnaire, en signalant que « oasis, nom féminin, se rencontre aussi au masculin ». Pour preuve, ces exemples empruntés à de bonnes plumes : « C'était une espèce d'oasis civilisé » (Chateaubriand, 1811), « La haute société forme comme un oasis moral au milieu de Naples » (Stendhal, 1829), « J'aurai atteint cet oasis à travers bien des peines et des privations » (Balzac, 1834), « Cet oasis frais et parfumé » (Eugène Sue, 1838), « La création d'un oasis au milieu du désert » (Henri-Frédéric Amiel, 1866), « Un oasis flottant » (Paul Bourget, 1882), « Tous les oasis » (Maupassant, 1884), « Cet oasis » (Édouard Estaunié, 1908), « Ce grand oasis » (Aragon, 1926), « Comme un oasis » (Martin du Gard, 1936), « C'était un dernier oasis d'été » (Michel Butor, 1957), « Un oasis de silence » (Pierre Gaxotte, 1972) (1).Que l'on ait affaire à du beau linge littéraire ne semble guère impressionner Hatzfeld et Hanse : c'est « abusivement », « à tort », nous mettent-ils en garde, que des auteurs considèrent oasis comme masculin. Vraiment ? L'historien Eugène Pellissier n'est pas de cet avis : « Le mot oasis venant originairement de l'arabe ouah, substantif masculin [2], les dictionnaires et les écrivains qui le font féminin ont tort [...]. Néanmoins, comme cette erreur a prévalu et qu'elle a pour elle l'autorité des Latins, je m'y soumets pour ne pas paraître vouloir me singulariser sur un point de si peu d'importance » (Exploration scientifique de l'Algérie, 1853). L'autorité des Latins... et aussi celle des Grecs ! C'est qu'il n'aura pas échappé aux férus d'étymologie que ledit nom est apparu dans notre lexique, au milieu du XVIe siècle, par l'intermédiaire de traductions de textes latins et surtout grecs, où oasis, ο α σ ι ς − probablement issu de l'égyptien − était employé comme nom propre (de divers lieux du désert d'Égypte) puis comme nom commun féminin. De là lui vient sans doute le genre que l'usage français a d'abord retenu (3), tant pour l'ancienne acception toponymique : « Ils envoyerent [les Vierges] en exil à la grande Oasis » (Dom Martin Mathée traduisant un texte grec, 1544), « Une ville nommée Oasis » (Pierre Saliat traduisant Hérodote, 1551), « Le miserable fut envoyé en Oasis, region d'Arabie sterile et agitée de vents pestiferes » (Jean Millet traduisant Jean Zonaras, 1560) que pour l'acception commune attestée au tournant du XVIIIe siècle : « On écrit que les Egyptiens donnoient le nom d'Oasis ou Auasis à tous les lieux habitez qui estoient environnez de deserts, et que c'est ce que ce mot marque dans leur langue » (Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, avant 1698), « Oasis signifie en général un amas de maisons ou de tentes dans un désert, ou dans un lieu sec » (ajout à l'édition de 1702 du Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri), « On appeloit Oases, en général, quelques cantons de terre végétale enveloppés des sables de la Libye comme des îles au milieu de la mer, [qui ont] des eaux et des plants de palmiers ou dattiers [et] ne sont point sans habitations » (Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, 1768).
Vous voilà donc au parfum : oasis était féminin en grec et en latin, mais reproduisait un mot arabe que d'aucuns tenaient pour masculin. De là à considérer, avec Gabriel-Henry Aubertin, que le mot est « des deux genres » en français (Grammaire moderne des écrivains français, 1861), il y a un désert dans lequel il vous est loisible de prêcher aux côtés des académiciens...
(1) Signalons également les hésitations relevées dans divers ouvrages anciens : substantif masculin dans le Supplément (1752) et l'Abrégé (1762) du Dictionnaire de Trévoux, dans l'édition de 1782 de l'Encyclopédie méthodique, dans l'édition de 1803 du Dictionnaire de Boiste et dans l'édition de 1839 du Dictionnaire de Noël et Chapsal, oasis est traité comme féminin dans le Journal de Trévoux (« Ces Oasis [...] étoient très peuplées », 1762), dans l'édition de 1787 de l'Encyclopédie méthodique, dans l'édition de 1823 du Dictionnaire de Boiste et dans l'édition de 1832 du Dictionnaire de Noël et Chapsal.
(2) Las ! le genre avancé par Pellissier pour l'arabe ouaha est lui-même sujet à discussion (cf. les commentaires ci-dessous).
(3) « Pourquoi le féminin ? Le mot oasis est féminin en grec, en latin et donc en français » (Isabelle Lasfargue-Galvez, 2013).
Ce qu'il conviendrait de dire
Une oasis (plus couramment que un oasis) de fraîcheur.
Tags : oasis, masculin, féminin, genre
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Commentaires
Bonjour Marc,
Si je peux mettre mon grain, non pas de sel mais de sable dans le désert entourant l’oasis… que dis-je l’oasis ?... non, la fraîche oasis perdue entre les dunes, eh bien je dirai (*) à propos du genre de ce mot dans sa langue d’origine que monsieur l’historien Eugène Pellissier s’était mal informé… ou bien ce sont mes sources, non pas d’un éventuel « oued » qui aurait permis la naissance de l’oasis mes mais sources arabophones qui ignorent leur langue, à moins qu’entre 1853, date de publication de l’ouvrage du susnommé historien, et aujourd’hui ledit vocable ait ‘’viré sa cuti’’ ?
Bref, à la lecture de votre article ce ‘’petit’’ détail du genre masculin pour le mot oasis en arabe —qui soit dit au passage ne se translittère pas comme énoncé mais « oua-Ha », le ‘H’ majuscule étant fortement aspiré provoque un léger son /a/— m’avait interpellé. J’habite au Maroc mais ne parle pas l’arabe dit classique, j’ai donc rapidement soumis à la question quelques amis, gentiment et sans violence—ou au choix « j’ai soumis la question à quelques amis »— et tous sont unanimes : « ouaHa » الواحة (ici écrit avec son article ‘‘al’‘ qui, malheureusement, ne nous renseigne pas sur ‘’le sexe’’ de ladite oasis puisque en langue arabe ce déterminant est unique aux 2 genres) est féminin, et la preuve en est que —les éventuels lecteur arabisants ou arabophones pourront confirmer— lorsqu’on prononce ce mot en arabe on entend un ‘t’ final, non écrit dans la graphie mais qui est le signe oral de la forme féminine du vocable !
Voilà : bien sûr cette information ne changera pas la face du monde au contraire de ce qu'aurait pu faire le nez de Cléopâtre s’il eût été autre, mais puisque la justification de la forme féminine actuelle était le continuum du genre en latin et en grec on peut supposer que les locuteurs de l’époque n’avaient fait que reprendre eux-mêmes ce genre féminin à la langue arabe.
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(*) Il y aurait peut-être un article à faire sur cette forme conjuguée je dirai qui, dans la très grande majorité des cas, est au conditionnel. Pour ma part je fais le distinguo entre conditionnel et futur, ce dernier étant employé pour une action envisagée comme certaine bien que censée s’accomplir dans l’avenir, qui comme chacun sait, est le summum de l’incertitude !
Cordiales salutations.
Je vous remercie de ces utiles précisions.
Je lis de mon côté :
"Le mot oasis dérive de l'égyptien ancien ousioi, se retrouve dans le copte ouah, dans le libyco-berbère ouaha (singulier), ouhat (pluriel)" (Techniques agricoles et productions tropicales, 1963).
"Oasis vient du mot égyptien ouhat. Ce mot est devenu en copte Ouahé, en grec Oasis et en arabe Ouaha" (La Revue du Caïre, 1947).
"Oasis est un mot d'origine égyptienne, représenté en copte dans ouahe, mot emprunté par l'arabe wāha" (Dictionnaire historique de la langue française, 2012).
Difficile de s'y retrouver...-
Mardi 22 Juin 2021 à 19:42
… non Marc, non pas si difficile que cela et au contraire vos 3 sources concordent si on ne s’arrête pas sur ce qui est écrit stricto sensu car les différences orthographiques apparentes ne sont que des variantes. En effet, il s’agit de translittérations c’est-à-dire la tentative de rendre par le biais d’un système d’écriture, ici l’alphabet latin, des mots issus d’une langue au système d’écriture différent et très souvent au système phonétique différent également et dans lequel des phonèmes sont inconnus de la langue cible, de ce fait le rendu de la prononciation est plus ou moins exact, ou approximatif au choix.
Par exemple, on voit bien avec la translittération du mot copte selon les 3 sources testimoniales que le vocable en lui-même reste identique mais seule diffère la terminaison avec ouahé dans l’explication de ‘’La Revue du Caïre’’, ouah pour Techniques agricoles et productions tropicales de 1963 et ouahe pour le Dictionnaire historique de la langue française, édition 2012. Mais de fait aucune de ces translittérations n’est juste et correcte si l’on considère à juste titre que la réelle et exacte prononciation doit se rapprocher de ma translittération que j’ai donnée du mot arabe ; je dis qu’aucune n’est correcte car 1) pour les 1er et 3e cas les phonèmes / é / et / e / n’existent pas naturellement dans les langues chamito-sémitiques que sont l’égyptien ancien et son dérivé le copte, tout comme le sont l'arabe et le berbère ; et 2) la translittération donnée par Techniques agricoles et productions tropicales de 1963, en omettant un phonème terminal (ouah) laisse supposer que le mot est monosyllabe alors qu’il en compte bien 2 !... on voit donc bien que oui ce sont des tentatives de rendre par l’écrit des vocables qui présentent une ou des difficultés de prononciation par rapport à notre système articulatoire français.
Et c’est la même chose avec la translittération de ouaha (mentionné 2 fois) face au wāha du Dictionnaire historique de la langue française. Pour transcrire le / oua / (de ouate) équivalant à la lettre ‘waw’ de l’alphabet arabe les 2 premières sources ont choisi l’ensemble vocalique oua alors qu’en phonétique internationale c’est la lettre ‘w’ qui est la règle. Par contre, Le Dictionnaire historique de la langue française s’est approché un peu plus de la vérité avec l’emploi du macron —pas notre président mais le petit tiret suscrit sur le ‘a’—qui indique une voyelle longue, ce qui correspond tout à fait à la prononciation en arabe actuel, dit arabe classique ou standard.
Et enfin, on retrouve dans les 3 explications sensiblement les mêmes langues source ou emprunteuses : l'égyptien ancien, le copte né en grande partie du précédent, et l'arabe ainsi que le libyco-berbère. Pour ces 2 derniers il faut bien considérer que pour certains auteurs, historiens ou sociolinguistes, jusqu'au milieu du siècle dernier le qualificatif désignait sans distinction ethnoculturelle tout ce qui avait trait au monde arabo-musulman, et bien sûr y était englobée la spécificité linguistique du berbère (libyco-berbère).
Pour résumer, ouahé, ouahe, ouah, ouaha et wāha (lire ouaaha) sont 5 translittérations relativement similaires du même mot.
Par contre, une certaine ‘’bizarrerie’’ phonétique m’interpelle que je vais exposer mais d’abord je me permets un petit récapitulatif : si l’on s’en tient à la même étymologie lisible partout du mot oasis en français et que vous avez citée — soit le latin qui emprunta le vocable au grec ancien ὄασις — et la collection Techniques agricoles et productions tropicales complète l’historique en précisant que le mot grec est lui-même emprunté à l’ancien égyptien ousioi, on remarque 2 fois le phonème / s / (rendu en français par le ‘s’ initial ou doublé si intervocalique => s’assoir) et représenté en grec par la lettre sigma sous ses 2 graphies : ‘σ’ en position initiale ou centrale et ‘ς’ en position finale. Même si j’ignore comment pouvait se prononcer le mot égyptien, entre lui et son continuum grec au vu de la translittération pour le 1er et de sa transcription pour l’autre on retrouve quand même une certaine cohérence phonétique apparente avec le groupe vocalique ‘ou’ initial ayant pu donner le ‘oa’’ grec ainsi que le phonème / s / ou / z / ( ?) rendu par la lettre ‘s’ centrale. Bien ; cela dit voici ce qui travaille mon esprit de linguiste passionné de phonétique : je trouve ‘’bizarre’’, étonnant même que la langue copte directement dérivée de l’égyptien ancien n’ait pas gardé ce phonème dit « fricatif », tout comme il est absent du mot en arabe et (libyco) berbère, langues de la même famille chamito-sémitique que la langue des Pharaons, et qu’il ait été rendu par le / H / (‘h’ aspiré) alors que le grec ancien, d’une classe linguistique totalement différente (langue indo-européenne) a su adapter le vocable égyptien à son système articulatoire par des modifications mineures mais en conservant sensiblement les phonèmes caractéristiques de la langue source comme je viens de l’évoquer supra. C’est certainement un ‘’détail’’ mais…
Et pour en revenir au thème initial (et terminer ce long ‘’pavé’’ qu’on voudra à nouveau me pardonner), à savoir ‘’le sexe’’ d’oasis dans sa langue d’origine dont certains prétendent qu’il était masculin, l’article de Techniques agricoles et productions tropicales nous donne une information, enfin, me donne à moi une information qui pourrait étayer le féminin. Il est dit « Le mot oasis dérive de l'égyptien ancien ousioi, se retrouve dans le copte ouah, dans le libyco-berbère ouaha (singulier), ouhat (pluriel)" ». Je ne parle pas le berbère mais je connais assez bien la structure grammaticale du dialecte arabe marocain appelé le (ou la) darija, sensiblement très imprégné(e) par la langue berbère au niveau de la syntaxe et par l'arabe pour le vocabulaire qui a toutefois laissé quelques rares spécificités grammaticales ; ainsi, en darija d’une manière générale les mots du féminin terminés par 'a' (cas général) font leur pluriel par l’ajout d’un ‘at’ final (réduit à 't'), reliquat de la marque du féminin singulier en langue arabe. Autrement dit, le dialecte arabe marocain a adopté en partie la catégorisation du genre féminin arabe, en conservant le ‘t’ final mais en l’appliquant au pluriel, et sur la base de cela on peut en conclure, sous réserves de vérifications, que si ouhat est le pluriel de ouaha ce dernier mot est donc féminin en berbère, et si cette langue n’est pas celle d’origine du vocable il y a donc de grandes chances que l’emprunt soit resté fidèle au genre dans la langue initiale, l’égyptien ancien !
Salutations.
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Merci beaucoup