• Liaisons insoumises

    « Nouveau Front populaire, négociations tout azimut. »
    (vu sur la chaîne Franceinfo, le 8 juillet 2024.)

     

     

    (capture d'écran)

      

    FlècheCe que j'en pense


    On le sait, certaines expressions formées avec tout peuvent s'écrire au singulier ou au pluriel, selon que l'on donne à tout le sens distributif de « n'importe quel » ou le sens collectif de « l'ensemble des » : de tout côté ou de tous côtés, à tout moment ou à tous moments, en tout point ou en tous points, etc. Il est pourtant des cas, à l'instar de celui qui nous occupe aujourd'hui, où le sens ne nous laisse guère de latitude dans le choix du nombre.

    Emprunté de l'espagnol acimut, d'origine arabe, le substantif masculin azimut (encore parfois orthographié azimuth [1]) est un terme d'astronomie qui désigne le « cercle vertical passant par le point que l'on considère » (Littré) et, par extension, l'« angle formé par le plan vertical d'un astre et le plan méridien du point d'observation » (Petit Robert) :

    « Azimus sont 360 cercles qui issent hors dou pol de l'orizont cercle par mi orizont » (Li Compilacions de la science des estoilles, avant 1324), « Cercles imperfaictz, appellez azimuthz par les Arabes, qui passent tous per nostre zenith » (Dominique Jacquinot, L'Usaige de l'astrolabe, 1545), « L'azimut du soleil se peut aisément connoître par l'ombre d'un style élevé à plomb sur la ligne meridienne marquée sur un plan horizontal » (Jacques Ozanam, 1693).

    De là le syntagme prépositionnel pluriel dans tous les azimuts qui, en débordant son domaine technique d'origine, est venu concurrencer − bien inutilement, siffleront les mauvaises langues (2) − les traditionnels « dans toutes les directions, dans tous les sens » (selon le Robert en ligne), « de tous les côtés » (selon Claude Duneton et Jean Pruvost) :

    « Faire mouvoir [tel instrument astronomique] successivement dans tous les azimuths, sans que son axe ou sa lunette souffre aucune inclinaison » (Pierre-Charles Le Monnier, Histoire céleste, 1741), « Imprimer au trépan un mouvement de rotation qui lui permette de battre successivement dans tous les azimuths » (Édouard Grateau, ingénieur, 1858), « L'aspiration de l'air se produit dans tous les azimuts, et le vent éprouvé par un observateur dépend de sa position à la surface du globe par rapport au point vers lequel l'air afflue de tous côtés » (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1867), « Tir [d'artillerie] également précis dans tous les azimuts » (Hervé Faye, Sur l'affût de l'amiral Labrousse, 1870), « Les vents [...] ont viré dans tous les azimuts » (journal Le Temps, 1875), « Et il orientait le bouquin dans tous les azimuts pour arriver enfin au succès de son expérience » (Armand Silvestre, journal Gil Blas, 1888), « Un ventilateur [...] ayant la propriété de propulser l'air dans tous les azimuts » (journal Le Progrès moderne, 1903), « [Des] mitrailleuses pouvant "cracher le feu dans tous les azimuts" » (journal L'Époque, 1938), « Bordels [...] dans tous les sens, tous les azimuts, sous toutes les longitudes » (Maurice Raphaël, 1948), « Tout avait foutu le camp dans tous les azimuts » (Jean Ferniot, 1973).

    Mais c'est sous la forme raccourcie tous azimuts, d'abord attestée dans le vocabulaire militaire avec le sens propre de « (qui peut viser) dans toutes les directions [en parlant d'une pièce d'artillerie] », que le tour a fait florès à la toute fin des années 1960, à la faveur de ses sonorités expressives et, plus encore, des polémiques autour de la politique militaire du général de Gaulle :

    (emplois adjectivaux) « Les canons tous azimuts ont le champ de tir total de 360° » (Frédéric-Georges Herr, L'Artillerie, 1923), « Du téléférique forestier à la tronçonneuse tous azimuths » (journal La Victoire, 1946), « Une brigade d'artillerie, pourvue de pièces tous-azimuts » (De Gaulle, 1954), « L'œil vif et tous azimuts » (Pierre Nord, 1965), « Le faux technicien à l'incompétence tous azimuts » (colonel Roger Niel, 1967), « Défense dirigée ou défense tous azimuts » (général Charles Ailleret [3], 1967), « Notre stratégie [de défense] doit être tous azimuts » (De Gaulle, 1968), « Des pistes pour skieurs tous azimuts » (Monique Gilbert, 1969), « Cette technique de régression tous azimuts » (Félix Guattari, 1973), « On ne peut négliger l'importance d'une action "tous azimuts" » (Jacques Delors, 1975), « Le droit à la critique tous azimuts » (Luc Ferry, 2014), « Cet ensemble imposant d'interventions tous azimuts » (Pierre Nora, 2016), « La répressions tous azimuts prend un caractère impitoyable » (Xavier Darcos, 2017), « Une intelligence tous azimuts » (Jean-Marie Rouart, 2019) ;

    (emplois adverbiaux [4]) « [Des pièces d'artillerie] sur voie ferrée, tirant tous azimuts » (La Batterie de Côte, 1932), « D'habitude, les truands [...] ne mitraillent pas tous azimuts » (Michèle Manceaux, 1969), « Les coups de griffe lancés tous azimuts » (Jean Collet, 1973), « [Le bandit] a cru que la vie c'était du cinéma et qu'on pouvait s'emplir les poches en deux minutes, s'en sortir en tirant tous azimuts » (René Barjavel, 1976), « Le nouveau bureau d'études de l'usine attaque tous azimuts » (Jean Rambaud, 1981), « L'enquête officielle se poursuit tous azimuts » (Laurence Lacour, 1993), « Procréer tous azimuts » (Alphonse Boudard, 1995), « Le véhicule lançait des appels de phares tous azimuts » (Marc Lambron, 2006), « Des capitaux lâchés tous azimuts » (Patrick Grainville, 2013), « [Mauriac] lance des flèches tous azimuts » (Jean-Marie Rouart, 2019).

    On le voit, la formule, en passant dans le langage courant, a été accommodée à toutes les sauces (5), au point de développer des acceptions figurées aussi diverses que : « par tous les moyens et avec les objectifs les plus variés » (Grand Robert), « pouvant convenir à tous les cas, s'appliquer dans toutes les éventualités » (Grevisse), « dans des domaines très divers ; de toute sorte, en tous genres ; de toutes catégories, de tous niveaux (en parlant de personnes) » (TLFi, à l'article « tout »), « dans tous les domaines, dans toutes les catégories ; de toutes espèces, de toute sorte ; en tous genres, en tous sens ; sur tous les plans ; dont les activités, les capacités, les compétences, ou encore les origines, etc., sont extrêmement variées (à propos de personnes ou de groupes) » (Dictionnaire des mots contemporains), « satisfaisant à tous les besoins, à tous les goûts » (Pierre Pamart, Vie et langage), « à usage multiple » (Dictionnaire du français argotique et populaire), « contre tout, sans exception » (Dictionnaire d'apprentissage du français langue étrangère, Université de Louvain), « qui se développe de façon désordonnée, rapide, incohérente » (forum de langue), etc.
    Surtout, on observera que le pluriel est encore de rigueur, comme le confirme plus d'un spécialiste de la langue :

    « L'expression tous azimuts est, bien naturellement, au pluriel, puisqu'elle signifie "dans toutes les directions" » (Jean-Pierre Colignon, Plus une faute, 2023), « Locution figée au pluriel » (Id., 30 dictées et jeux, 2018).

    « La locution tous azimuts prend la marque du pluriel » (Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias, 1997).

    « Tous azimuts. Toujours au pluriel : une défense tous azimuts » (Larousse en ligne).

    « Tous azimuts est toujours au pluriel. On ne doit donc pas faire entendre de [t] en liaison. Une campagne électorale tous azimuts » (Le Bescherelle pratique).

    « Dans tous azimuts, le mot azimut est toujours au pluriel et, par conséquent, le déterminant tous qui précède, également. On prononce donc en faisant la liaison en [z] entre tous et azimuts » (Office québécois de la langue française).

    « On se gardera d'écrire, et aussi de dire − or on l'entend −, "tout azimut" à la place de la bonne forme tous azimuts » (Bernard Laygues, 500 fautes d'orthographe à ne plus commettre, 2004).

    « La forme de masculin pluriel tous correspond à [tuz] dans tous azimuts » (Michel Arrivé et alii, La Grammaire d'aujourd'hui, 1986).

    « Tous azimuts tu-za-zi-myt » (André Rigault, La Grammaire du français parlé, 1971 ; Alain Frontier, La Grammaire du français, 1997 ; Léon Warnant, Orthographe et prononciation en français, 2006).

    Seulement voilà, le linguiste québécois Philippe Barbaud vient rompre cette belle unanimité, en se demandant, sans rire, s'il convient d'écrire une réforme tous azimuts ou... tout azimuts :

    « L'usage orthographique − de tradition récente − [préconise tous azimuts, mais] contredit l'usage oral puisque personne ne dit "tou-z-azimuts". On dit immanquablement "tou-t-azimuts". C'est pourquoi j'incline à croire que "tout" a un sens adverbial qui le rend invariable, ce qui l'assimile au "tout" qu'on retrouve dans des expressions adjectivales du genre : "Elles sont tout sourires", "Ils sont tout miel", "C'était un petit être tout nerfs" (Courteline) » (Le Français sans façon, 1987).

    Cette position a de quoi surprendre. D'abord, parce qu'elle contrevient à la thèse communément admise selon laquelle tous azimuts compte parmi les « syntagmes figés dont la préposition s'est effacée » (dixit Goosse dans Le Bon Usage(6) : (dans) tous (les) azimuts → tous azimuts (après ellipse de la préposition et de l'article). Ensuite, parce que le parallèle établi entre tous azimuts et les autres expressions citées peine à convaincre : si l'on conçoit aisément que être sourire(s) est mis pour « être souriant », être miel pour « être mielleux », être nerfs pour « être nerveux » (7), on se demande quel pourrait bien être l'équivalent de être azimuts ! Même le Belge Marc Wilmet, pourtant enclin à partager l'analyse adverbiale de son collègue québécois, ne remet pas en cause la graphie avec tous : « Les pluriels nus [comprenez sans l'article les] tous et toutes dans en toutes positions, à toutes jambes, tous azimuts, tous feux éteints, tous frais payés... [peuvent être vus comme] des expansions adverbiales de l'article zéro » (Grammaire critique du français, 1997). Enfin, parce que les quelque vingt-sept mille occurrences (recensées par Google) de la graphie tous azimut, injustifiable au point de vue de la grammaire mais pas à celui de l'oreille, viennent relativiser l'affirmation d'une liaison « immanquablement » faite en [t]. Je ne sache pas, au demeurant, que l'usage oral ait davantage scrupule à faire celle en [z] dans à tous égards ou de tous horizons (8).

    Quant à la forme singulière tout azimut (popularisée par les romans en tous genres de Frédéric Dard dans les années 1970 ?), force est de constater, à la décharge des contrevenants, qu'elle est attestée jusque sous de bonnes plumes : « L'Inachevé, c'est Puig tout azimut, Puig dé-multiplié » (Jean-Paul Sartre, préface du roman L'Inachevé d'André Puig, 1970), « César ordonne une défense tout azimuth » (Michel Rambaud, L'Espace dans le récit césarien, 1974), « D'énormes beuveries suivies de coucheries tout azimut » (Michel Tournier, Les Météores, 1975), « Une stratégie tout azimut de "refus du mensonge" » (André Glucksmann, Les Maîtres penseurs, 1977), « Des traîtres à la folie tout azimuth » (Jacques Renaud, Clandestine(s), 1980), « Tamagnot photographiait tout azimuth » (Françoise d'Eaubonne, Une Femme nommée Castor, 1986), « La caméra pointée tout azimut » (Charles Le Quintrec, Bretagne est univers, 1988).

    Dans le doute, vous l'aurez compris, mieux vaut s'en tenir prudemment à la graphie plurielle tous azimuts et à sa prononciation zézayante... histoire d'éviter de passer pour un doux azimuté.
     

    (1) Les spécialistes de tout poil répètent à l'envi que azimut s'écrit sans h après le t final sonore, contrairement à bismuth, luth, zénith... La graphie azimuth, qui a eu cours en moyen français (chez Pèlerin de Prusse, Jean Fusoris, etc.) et qui s'est maintenue en anglais, n'a pourtant jamais disparu des radars : attestée dans le Dictionnaire de Furetière (à l'article « vertical », 1690), dans le Dictionnaire des arts et des sciences (1694), dans l'Encyclopédie de Diderot (1751), dans le Dictionnaire de physique de Monge et Cassini (1793), dans le Nouveau Vocabulaire françois de François De Wailly (1813), dans le Supplément au Dictionnaire de l'Académie (à l'article « angle », 1836), dans le Dictionnaire national de Bescherelle (à l'article « cadran », 1845), dans le Dictionnaire étymologique des mots français d'origine orientale de Marcel Devic (1876), dans le Deuxième Supplément au Grand Larousse du XIXe siècle (à l'article « dévioscope », 1890) et dans le Dictionnaire encyclopédique universel de Camille Flammarion (1894), elle est encore signalée comme variante dans l'édition de 1965 du Dictionnaire encyclopédique Quillet, dans le Grand Robert (avec une citation d'Alain), dans Le Livre des métaphores de Marc Fumaroli (2012) et dans La Langue française pour les nuls d'Alain Bentolila (2012). Voilà qui devrait en inciter plus d'un à arrondir les angles orthographiques...

    (2) « Dans tous les azimuts, tous azimuts sont des locutions familières qui ne disent rien de plus que "dans tous les sens, de tous les côtés" » (Jean-Paul Colin, 1994).

    (3) L'homme est présenté par Goosse comme le vulgarisateur de notre locution.

    (4) Contre toute attente, un certain nombre de spécialistes rechignent à mentionner les deux types d'emplois. Comparez :

    « L'expression tous azimuts [...] s'emploie avec une valeur d'adjectif » (Hanse), « Dans l'usage général, tous azimuts s'emploie familièrement comme épithète » (Grevisse, Le Français correct), « Le tour adjectival tous azimuts » (Robert Le Bidois, Le Monde ; Pierre Gilbert, Remarques sur la diffusion des mots scientifiques et techniques dans le lexique commun), « L'expression [dans tous les azimuts] s'est lexicalisée sous la forme tous azimuts, qui joue une fonction d'adjectif » (Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire d'expressions et locutions), « Tous azimuts, expression qui tient lieu d'adjectif » (Philippe Barbaud) ;

    « Les locutions adverbiales : à toutes jambes, tous azimuts, tous feux éteints » (Marc Wilmet, La Détermination nominale), « Les adverbes figés [avec déterminant au pluriel] dans les airs, tous azimuts, sous toutes les coutures... » (Maurice Gross, Sur les déterminants dans les expressions figées) ;

    « Tous azimuts. Dans des tournures à fonction adjectivale. Dans toutes les directions. Emploi adverbial. De tous côtés » (TLFi), « Répression tous azimuts. Vendre tous azimuts » (Grand Robert), « Locution adjectivale et adverbiale » (Pierre Gilbert, Dictionnaire des mots contemporains), « L'expression dans tous les azimuts [a été] resserr[ée] jusqu'au mode télégraphique [et] lexicalis[ée] en tous azimuts pour en faire aussi bien un adjectif qu'un adverbe » (Pierre Germa, Dictionnaire des expressions toutes faites).

    (5) Cette diffusion... tous azimuts n'est décidément pas du goût de tout le monde : « Ces emplois métaphoriques enrichissent sans doute la langue, mais il ne faut pas en abuser. Il y a quelque ridicule, par exemple, à parler de mode tous azimuts comme l'a fait un chroniqueur mondain [...]. En cette matière comme en beaucoup d'autres, la fantaisie et l'invention ont des limites qu'on ne doit pas franchir » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1970), « Ce succès est d'autant plus surprenant qu'azimut est un substantif dont personne, en fait, ne connaît la signification exacte » (Pierre Germa, Dictionnaire des expressions toutes faites, 1986).

    (6) Et aussi : « Tous azimuts, ellipse du tour dans tous les azimuts » (Pierre Gilbert, Dictionnaire des mots contemporains, 1980), « La défense tous azimuts pour "la défense vers / pour tous les azimuts" » (Bernard Pottier, Le Langage, 1973).

    (7) Selon le modèle rappelé par Noël et Chapsal : « Dans le chien est tout ardeur (Buffon), le substantif, équivalant alors à un adjectif, est modifié par l'adverbe tout. C'est comme s'il y avait : le chien est tout ardent » (Nouvelle Grammaire française, édition de 1830).

    (8) Rappelons à toutes fins utiles que tous, adjectif pluriel, « se prononce [tu] (comme dans mou) devant une consonne, [tuz] (comme dans douze) devant une voyelle ou un h muet : tous les matins [tulɛmatɛ̃] ; à tous égards [atuzegaʀ] ; des hommes venus de tous horizons [dətuzɔʀizɔ̃] » (Larousse en ligne).

    Remarque 1 : Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le verbe dérivé azimuter « vient de l'argot des artilleurs (1892) "regarder, observer", d'où être azimuté "être repéré [défavorablement, le plus souvent]" et par métonymie "être bombardé", puis par une autre métaphore (1937) "avoir perdu la bonne direction, “le Nord”, être fou" ».

    Remarque 2 : Voir également le billet Expressions avec tout.

     

    « Le système de coordonnées horizontales est un système de coordonnées célestes qui utilise l'horizon local de l'observateur comme plan fondamental pour définir deux angles : l'altitude et l'azimut » (source : site jeretiens.net).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Négociations tous azimuts.

     

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