• Retour de l'inflation ?

    « Le leader de Core in Fronte n'est pas tendre quand il évoque le bilan de la mandature finissante. »
    (Patrick Vinciguerra, sur francebleu.fr, le 2 juin 2021.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Échéances électorales obligent, le mot mandature fait un retour remarqué sur la Toile, où il rallie tous les suffrages... à l'exception notable de celui de l'Académie : « Mandature est un néologisme incorrect et totalement inutile, né de l'intime conviction de certains que plus un mot est long, plus il confère d'importance à la chose qu'il désigne », lit-on sur son site Internet. C'est oublier un peu vite que le bougre est attesté − fût-ce maigrement − dans la langue administrative depuis... le milieu du XIXe siècle, tout de même, comme doublet de mandatement (« action de délivrer un mandat » et, spécialement, « acte administratif donnant ordre de payer la dette d'un organisme public, lorsqu'il se réalise par l'émission d'un mandat »). Comparez : « Mandature des traitements du personnel » (Auguste Stourm, directeur général des Postes, 1856), « Mandature des dépenses publiques » (Adolphe Cochery, ministre des Postes et des Télégraphes, 1882) et « La liquidation des dépenses, leur ordonnancement, mandatement et paiement » (Administration générale des Ponts et Chaussées et des Mines, 1823), « Mandatement des traitements du clergé » (Recueil des actes administratifs, 1837).

    D'abord interchangeables (à l'instar de déchirure et déchirement [musculaire]), les deux dérivés de mandater tendent à se distinguer à mesure que ledit verbe voit son sens s'étendre, au tournant du XXe siècle, de « délivrer un mandat pour le paiement d'une somme » à « investir (quelqu'un) d'un mandat (= fonction, charge donnée par une personne à une autre pour qu'elle la remplisse en son nom) » : à mandatement l'action correspondant à la première acception et à mandature celle correspondant à la seconde (1). Surtout, le suffixé en -ure se spécialise dans le domaine politique pour désigner le temps d'exercice d'un mandat électif : « Au cours de ses vingt-six années de mandature municipale » (L'Indépendant rémois, 1892), « Les résultats des dernières élections [...] imposent une entente qui se manifesterait d'abord pour l'élection du bureau puis pendant toute la mandature » (Félix Roussel, 1908), « Au début de chaque mandature » (Louis Mocquant, Le Conseil municipal de Paris, 1908), « Durant les quatre années de mandature » (Journal des débats politiques et littéraires, 1912), à côté de « Avant que les cinq années de son mandat fussent expirées » (Alphonse Rabbe, avant 1829), « Cet homme public serait irresponsable, durant son mandat » (Les Deux Bourgognes, 1838), « Ce n'est pas pendant son mandat » (Assemblée nationale législative, 1849). Autrement dit, et n'en déplaise à tous ceux qui se réclament aveuglément de l'Académie pour affirmer qu'« on a toujours dit mandat pour nommer non seulement la fonction, la charge publique conférée par élection, mais aussi [par métonymie] la durée d'exercice de cette charge », cela fait au moins cent trente ans que mandature concurrence mandat dans son acception durative. Vous parlez d'un néologisme !

    Quant à la critique d'enflure verbale, est-elle davantage justifiée ? Rien n'est moins sûr. D'abord, force est de constater que les ouvrages de référence eux-mêmes ont attendu les années 1970 (!) pour commencer à consigner ladite métonymie dans leurs colonnes (cf. Larousse, TLFi) − preuve que le tour durant son mandat n'allait peut-être pas autant de soi. Ensuite, et surtout, il ne faudrait pas ignorer le poids, dans cette affaire, de l'analogie avec le couple magistrat/magistrature (2). Ne lit-on pas dans les éditions successives du Dictionnaire de l'Académie que magistrature, « dignité, charge de magistrat », se dit aussi, à la faveur de la même métonymie, du « temps pendant lequel un magistrat exerce ses fonctions. Le fait a eu lieu durant sa magistrature » ? Convenons que la tentation était grande de plébisciter la graphie mandature pour désigner le temps pendant lequel un élu exerce son mandat ! Le parallèle est d'autant plus pertinent que magistrat, conformément au latin magistratus, a longtemps cumulé les sens de « charge publique » et de « titulaire de ladite charge », avant d'abandonner le premier à magistrature, apparu (inutilement ?) un siècle après lui. Aussi ne s'étonnera-t-on pas d'apprendre que l'on a dit durant son magistrat avant de dire durant sa magistrature : « Nous avons eu ung consul tant severe et tant rigoureux que durant son magistrat, personne na disné avecques luy » (Antoine Macault, 1539) (3). Et voilà poindre ce paradoxe tout académicien qui veut que l'on entérine d'une main ce que l'on refuse de l'autre : durant sa magistrature (pourtant plus long que durant son magistrat), mais « durant son mandat, et non durant sa mandature ». Deux poids deux mesures... et un parti pris !

    Vous l'aurez compris : rien ne justifie la campagne de dénigrement menée sans plus d'arguments contre mandature... mais rien n'interdit non plus de lui préférer le sobre mandat. D'autant que, si celui-ci peut toujours se substituer à celui-là dans un contexte politique (4), l'inverse n'est pas vrai : « Donner mandature au maire » (L'Est républicain), « [Suarez] exerça une mandature houleuse » (Bolivie, publié aux éditions Lonely Planet) sont autant d'invitations... à l'abstention !
      

    (1) « Deux ministres déclarent avoir été invités à juger la question de mandature dans [tel différend]. Nous ne pouvons [...] accepter le mandat qui nous a été offert » (Gazette de Biarritz, 1926).

    (2) D'aucuns évoquent plutôt l'influence de législature « période pendant laquelle une assemblée législative exerce son mandat ».

    (3) Autres exemples : « Tous les arrentemens qu'il avoit faits durant son magistrat » (Jacques Amyot, 1565), « Il ne la [= la vengeance] devoit exercer durant son magistrat » (Blaise de Vigenère, 1582), « Il ne luy estoit loisible, pendant son magistrat, vuider les fins du pays » (Étienne Pasquier, 1596), « Ceux-cy peuvent estre faicts recteurs durant leur magistrat » (Pierre Davity, 1613), « C'est pourquoy ils furent en continuelles contentions durant leur magistrat » (Scipion Dupleix, 1638) ; « Il pouvoit protester avoir faict pendant sa magistrature tout ce que l'honneur de Dieu [lui pouvoit] commander » (Lancelot Voisin de La Popelinière, 1581), « Ceux-cy peuvent entrer au rectorat ou gouvernement durant leur magistrature » (traduction d'un texte de Francesco Sansovino, 1611), « Magistrature, charge de magistrat ; durée de magistrat, tams durant lequel on est magistrat » (Philibert Monet, 1636).

    (4) Irène Nouailhac plaide toutefois en faveur d'une stricte répartition d'emploi entre les deux termes : « Ne pas utiliser mandat dans le sens de mandature = durée du mandat. Une mandature de trois ans » (Le Pluriel de bric-à-brac, 2006).


    Remarque : Signalons enfin que le prétendu néologisme se trouve jusque sous des plumes averties : « La linguistique achevait sa mandature de discipline pilote » (Bernard Cerquiglini, 2018), voire − horresco referens ! − académiciennes : « La troisième Douma a duré le temps complet d'une mandature » (Hélène Carrère d'Encausse, 2014).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, selon l'Académie, le bilan du mandat.

     

    « Syntaxe un poil bancaleNe nous emballons pas ! »

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