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Traitement de faveur
« Ce duel [entre deux équipes de football] a tourné à la faveur de Wasquehal. »
(paru sur lavoixdunord.fr, le 17 septembre 2022.)
Ce que j'en pense
Quelque chose ne tourne pas rond dans ce duel sportif... et je ne parle pas du ballon. Vous, je ne sais pas, mais moi, j'en étais resté à l'expression tourner à l'avantage de quelqu'un pour dire qu'une situation (une compétition, un conflit, une discussion...) prend une tournure qui procure un avantage, une supériorité à l'un des protagonistes sur la concurrence.« Et bientôt le combat tourne à son avantage » (Racine, cité par Littré).
« La guerre, qui sera de cent ans, n'a cessé de tourner à l'avantage des Anglais » (Jean d'Ormesson).
« La situation a tourné à son avantage » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).Tout porte à croire, vous l'aurez deviné, que c'est sous l'influence décisive de en faveur de que notre journaliste s'est emmêlé les crampons entre à la faveur de et à l'avantage de, trois tours dont le Dictionnaire de l'Académie nous rappelle utilement les définitions :
« À la faveur de, grâce à, par le moyen de ; à l'occasion de. Il s'est sauvé à la faveur de la nuit, à la faveur d'un déguisement. »
« En faveur de. À l'avantage, au profit de. Le roi abdiqua en faveur de son frère. Il a fait son testament en faveur d'un ami. Le jugement est en votre faveur. Je lui parlerai en votre faveur. Ce mécène s'est dépensé en faveur des arts. »
« À l'avantage de, de façon à donner le dessus, une supériorité à. La discussion s'est terminée à l'avantage de nos thèses. »
Puisse l'intéressé mettre à profit cette saine lecture pour regagner au plus vite la faveur des arbitres de la langue !
Mais voilà qu'un vieux réflexe masochiste (on ne se refait pas) me pousse à élargir mes recherches à d'autres ouvrages de référence. Mal m'en a pris : l'affaire, tout compte fait, se révèle moins simple que je l'avais supposé.
D'abord, parce que la langue n'a pas toujours nettement distingué les deux premières locutions. Il n'est que de consulter les textes anciens pour relever, ici, une attestation de à la faveur de au sens de « au profit de, à l'intention de » : « [Il] se voit ainsin villener et menassier a la faveur et pour l'amour de damp Abbés » (Antoine de La Sale, 1456), « Il se esmerveilloit de ce que le roy faisoit telle requeste à la faveur d'un homme qui l'a si mal traicté » (Lazare de Baïf, 1532), « Chantez, mes vers, un petit chant joyeux A la faveur de ces nouveaux espoux » (Charles Fontaine, 1555), « Le Prince doit soustenir ce qui est faux en la religion, pourveu que cela tourne à la faveur d'icelle » (Discours sur les moyens de bien gouverner, édition de 1609 ; l'édition originale de 1576 comporte « en la faveur d'icelle ») ; là, un emploi de en (la) faveur de au sens de « grâce à » (selon Huguet) : « Et pour ceste cause, en faveur d'elle il sortit du palais imperial quand il alla prendre possession de son consulat » (Jacques Amyot, 1559), « Fusmes delivrez bien tost apres de leurs mains, en la faveur d'un capitaine neapolitain » (André Thevet, 1575)... et même, pour corser le tout, au sens de « par le moyen de, en profitant de » (selon Lacurne de Sainte-Palaye) : « Et s'ils failloient ils se pouvoient sauver, en faveur de ce bois que je vous ay dit » (Robert III de La Marck, avant 1536) − à comparer avec « S'estant jetté hors du couvert d'un moulin à vent, a la faveur duquel il s'estoit approché » (Montaigne, 1580). Mais ça, c'était avant, me direz-vous avec juste raison. Depuis lors, à la faveur de a pris le sens moderne que l'on sait, et l'on fera bien de ne plus l'en détourner.
Ensuite, parce qu'une certaine confusion entoure l'analyse de l'expression tourner à l'avantage de. Tournons-nous par exemple vers ces définitions de dictionnaires usuels : « À l'avantage de quelqu'un, de nature à le servir, ou de façon à lui donner la supériorité : La situation peut tourner à notre avantage » (Larousse en ligne), « À l'avantage de quelqu'un, de manière à lui donner une supériorité. La situation a tourné à son avantage » (Robert en ligne). Elles laissent entendre que le verbe tourner (pris au sens de « évoluer, changer » ?) est ici modifié par la locution prépositive à l'avantage de, celle-là même que l'on trouve dans : « Cette guerre finit à l'avantage de Lacédémone » (Bossuet), « S'il s'y trouve quelque différence, il est aisé de voir combien elle est à l'avantage de la question présente » (Pascal), « La fortune tourne tout à l'avantage de ceux qu'elle favorise » (La Rochefoucauld ; notez la présence du complément d'objet direct tout).
Rien à voir avec l'analyse proposée par Féraud : « On dit adverbialement à l'avantage de, comme on dit, à l'honneur, à la gloire, à la satisfaction de, etc. Cette manière de négocier prospéroit au grand avantage des deux nations. Mais dans tourner à l'avantage, celui-ci n'est pas adverbe. Ces querelles littéraires [...] tournent à l'avantage des sciences » (Dictionnaire critique, 1787). Autrement dit, pour qui sait lire entre les lignes, on aurait plutôt affaire à la construction indirecte tourner à + article défini + substantif, au sens de « évoluer vers » (selon Hanse), « se transformer pour aboutir à (tel résultat) » (selon le Grand Robert), « avoir une certaine issue » (selon Littré) : tourner à l'avantage (avec avantage pris au sens de « ce qui fait qu'on l'emporte sur quelqu'un, qu'on est au-dessus de lui ») à l'instar de tourner au tragique, à la catastrophe, à l'orage, au vinaigre, etc.
L'ennui, c'est que certains équipiers se montrent incapables de choisir leur camp. Ainsi du Grand Robert qui, à l'article « avantage », range notre expression sous les couleurs de la locution : « À l'avantage de (quelqu'un, quelque chose). La contestation s'est terminée, a tourné à son avantage », mais plaide en faveur de la construction indirecte à l'article « tourner » : « Tourner à..., en... Chose qui tourne à l'avantage, au profit, au désavantage de quelqu'un. »
D'aucuns me rétorqueront que cela revient au même pour le sens. C'est sans doute le cas avec avantage... mais pas avec faveur. Qu'on en juge :Tourner à la faveur de : il ne peut s'agir ici que de la locution prépositive (que signifierait tourner à / la faveur de ?). Un moulin qui tourne / à la faveur d'une rivière.
Tourner en faveur de : là encore, il ne peut s'agir que de la locution prépositive. La chance tourne / en faveur du camp adverse. Le sort de la guerre tourne / en faveur du camp adverse (plus difficilement, me semble-t-il : La guerre tourne / en faveur du camp adverse).
Décidément, cette langue n'a pas fini de nous faire tourner en bourrique...
Ce qu'il conviendrait de dire
Ce duel a tourné à l'avantage de Wasquehal.Tags : tourner à l'avantage de, tourner en faveur de, tourner à la faveur de
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