• En quête de s'en

    « J'ai eu tard dans la nuit des nouvelles d'amis qui se trouvaient au Bataclan. Et du coup, je me dis que peut-être aussi des collaborateurs de l'enseigne ont pu être victimes de ces abominables attaques. J'ai demandé qu'on s'en inquiète et qu'on s'enquière auprès de leurs compagnons de travail. »
    (Michel-Édouard Leclerc, sur son blog, le 14 novembre 2015) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Commençons par saluer, une fois n'est pas coutume, le choix de la forme conjuguée. C'est qu'il en va de s'enquérir comme d'acquérir, de conquérir et de requérir : mieux vaut ne pas se tromper entre l'indicatif présent (il s'enquiert) et le subjonctif présent (qu'il s'enquière). La vigilance sera également de mise au futur (il s'enquerra, avec deux r) et au participe passé (enquis, enquise).

    Las ! la conjugaison n'est pas le seul écueil que nous réserve ledit verbe : sa construction se révèle tout aussi délicate. Enquérir − réfection, d'après quérir, de l'ancien français enquerre (« demander »), lui-même emprunté du latin inquirere (« rechercher, chercher à découvrir, interroger ») − s'est longtemps employé transitivement au sens d'« interroger », en parlant d'une personne ou d'une chose : « Pourtant la [= la douleur] fault-il estudier et enquerir » (Montaigne), « Et voulant enquérir l'oracle d'Appolon » (traduction de Plutarque par Jacques Amyot). Cet usage, aujourd'hui considéré comme vieilli, ne perdure guère que dans la langue juridique : « Enquérir un témoin. Enquis sur son acte, l'accusé se tut » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). De nos jours, le verbe s'utilise surtout à la forme pronominale, au sens de « chercher à savoir quelque chose (en examinant, en interrogeant), à obtenir un renseignement (spécialement, des nouvelles ou le concours de quelqu'un) ».

    Si l'on en croit Girodet et Hanse, s'enquérir ne se construirait qu'avec de (suivi d'un nom) ou avec si (suivi de l'indicatif ou du conditionnel) : « Ils s'enquirent de l'offre et de la demande », « Nous nous enquîmes d'un guide » (Flaubert) ; « La célèbre actrice dont il s'enquit à ses voisins » (Balzac) ; « Il s'enquit, par la science qu'il avait dans les augures, si elles [= des statues d'autres divinités] voudraient céder leur place à Jupiter » (Montesquieu) ; « Dominique s'enquit minutieusement si des instruments de labour d'un emploi nouveau avaient produit les résultats qu'il en attendait » (Fromentin) ; « Commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses » (Chateaubriand) ; « Ah ! pourquoi Julius ne s'est-il pas enquis plutôt de ses recherches scientifiques » (Gide). Force est de constater que certains (bons) auteurs ne se limitent pas à ces seules options pour introduire le sujet sur lequel on se renseigne : « Il s'enquérait si les planètes étaient habitées, quand elles seraient détruites par l'eau ou par le feu » (Chateaubriand), « [Cécile] s'enquit auprès de la sainte pour savoir combien de jours cette maladie durerait » (Huysmans), « Les invités s'empressaient autour de moi pour s'enquérir j'avais pu trouver ces merveilles » (Proust).

    Il n'est que de consulter les différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie pour constater, à l'entrée « enquérir », que le choix de la préposition introduisant cette fois la personne auprès de qui on se renseigne est tout aussi hésitant : « Je me suis enquis d'un tel, ou à un tel, si le bruit qui court est vrai » (septième édition), « Je me suis enquis d'un tel, ou à un tel ou auprès d'un tel si le bruit qui court est vrai » (huitième édition), « Il s'enquit auprès du sacristain de la date de construction de l'église » (neuvième édition, où les compléments avec de et à ne sont plus prévus). Voilà qui mériterait sans doute de mener une... enquête plus approfondie.

    Venons-en enfin à l'exemple qui nous occupe, où le verbe est inhabituellement construit sans complément précisant les renseignements à obtenir. Selon Jean-Paul Jauneau, l'« emploi absolu [de s'enquérir] est peu fréquent : Nous sommes venus nous enquérir (= nous renseigner) ». Renseignements pris, il paraît d'autant plus rare que le TLFi ne l'envisage que pour... enquérir, comme dans le proverbe Trop enquérir n'est pas bon ! Peu importe, à dire vrai, car j'ai la faiblesse de croire que Michel-Édouard Leclerc n'avait pas ces subtilités syntaxiques à l'esprit quand il entreprit la rédaction de son article. N'est-ce pas plutôt la perspective de deux en successifs qui a décidé l'homme d'affaires à en supprimer un dans J’ai demandé qu’on s’en enquière (alors qu'il écrit sans rechigner J’ai demandé qu’on s’en inquiète) ? Qu'il soit ici rassuré ! Tous les auteurs ne s'embarrassent pas d'autant de scrupules euphoniques : « Vienne qui voudra s'en enquerre » (Louis Richer), « Ce qui fait qu'on ne daigne pas [...] s'en enquérir » (Bossuet), « en prenant la peine de s'en enquérir à ceux qui leur avaient donné mon livre » (Descartes), « Les juges [...] s'en enquéroient ordinairement par témoins » (Montesquieu) et, plus près de nous, « Mariguitte alla s'en enquérir » (Jean-Paul Malaval), « Vivienne allait sans doute s'en enquérir » (Éric Reinhardt), « Il faut qu'il s'en enquière » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove).

    Moralité : rien ne sert de quérir, il faut conjuguer et pronominaliser à point !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    J’ai demandé qu’on s’en inquiète et qu’on s’en enquière (ou qu'on se renseigne) auprès de leurs compagnons de travail.

     

    « Affaire conclu(t)eC'est prodig(u)ieux ! »

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