• Suffoquant

    « Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. »
    (vu sur le site albin-michel.fr, juin 2018)

     


    FlècheCe que j'en pense


    Voilà une quatrième de couverture... à couper le souffle ! Car enfin, il n'est que trop clair que l'on a ici confondu le participe présent suffoquant (invariable), formé sur le radical du verbe suffoquer, et l'adjectif verbal suffocant (variable), qui s'écrit avec un c. Comparez : Il est sorti en suffoquant et Des fumées suffocantes. Le cas n'est pas isolé : que l'on songe aux formes graphiquement distinctes communicant et communiquant, convaincant et convainquant, provocant et provoquant, etc. ; il n'en réserve pas moins quelques surprises.

    Force est, tout d'abord, de constater que l'adjectif s'est longtemps présenté sous les deux graphies : « Air gros, chaut et suffoquant », « Les nuys en esté sont a la fois plus chaudes et plus suffocans que li jours » (Évrart de Conti, XIVe siècle) ; « Au prilx d'yceulx, blafards, aguiséz, suffoquants » (Clotilde de Surville, XVe siècle). La forme avec qu est même la seule mentionnée dans le Dictionnaire de Furetière (1690) : « Les plus dangereuses maladies sont les suffoquantes », alors que le Dictionnaire de Trévoux (1771) laisse le choix : « Suffocant ou Suffoquant, ante. adjectif verbal » ; on la trouve encore dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1765) : « Une odeur de soufre suffoquante », chez Rousseau (1762) : « La réverbération suffoquante des rochers frappés du soleil », chez Zola (1873) : « Il y eut une reprise suffoquante du livarot », chez Hector Malot (1875) : « Une odeur suffoquante de fleurs fanées » et chez Roland Dorgelès (1971) : « Ces pavés empestaient le goudron et dégageaient une fumée suffoquante ».

    Ensuite, Hanse fait observer à bon droit que les dictionnaires n'ont longtemps reconnu à l'adjectif suffocant que le sens actif de « qui cause une suffocation (et, figurément, une stupéfaction capable de couper la respiration) » − le sens correspondant à l'emploi intransitif de suffoquer, « qui respire difficilement (notamment sous l'effet de l'émotion) », étant traditionnellement réservé au participe présent. De là les contradictions parfois observées : « Elle était toute rouge, suffoquant de colère » (Larousse en ligne), « Il était là, suffoquant d'indignation » (Thomas), « Il s'appuyait aux murs, suffoquant de chagrin » (Zola), « − Ah ! ah ! que j'ai du goût (suffoquant de rire) » (Colette), « Jean-Paul, suffoquant de honte, est forcé de tout avouer » (Dominique Fernandez), mais « Jusqu'à ce [qu'il] restât suffocant de rage couché sur le plancher » (Raoul de Navery), « Rouge de colère, suffocante d'indignation, [elle] vient prendre sa place à table » (Séverine), « Le hideux Shylock, suffocant d'amour et de haine » (Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz), « – Ô mon roi bien-aimé, ô ma seule vie ! cria Elpénor suffocant de reconnaissance » (Jean Giraudoux), « Le jour où je me suis enfui, suffocant d'indignation et de douleur » (Henri Thomas), « Suffocante de colère, elle jeta le livre loin d'elle » (Henri Lopes), « Il est ailleurs, au-delà de la rage, envahi par une ivresse qui le laisse suffocant de plaisir » (Patrick Varetz) (*). Verlaine se vit ainsi reprocher, à tort, d'avoir écrit dans sa Chanson d'automne : « Tout suffocant / Et blême. » Quant à Régine Deforges, qui se fendit dans Noir Tango d'un « Sarah tremblait, incapable de parler, suffoquante, livide », Hanse lui objecterait sans doute que faire varier la forme du participe présent en lui donnant le sens étendu de l'adjectif ne saurait constituer une solution... convaincante.

    Reste à connaître la position qu'adoptera l'Académie dans l'édition en cours de rédaction de son Dictionnaire. Mon petit doigt me souffle qu'elle risque de n'être guère accommodante...


    (*) Aucune hésitation toutefois, mais cela va sans dire, dans : en suffoquant (de rage, de honte...).

    Remarque : Voir également le billet Adjectif ou Participe présent ?.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un premier roman suffocant.

     


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  • Allons enfants !

    « Il y a de l'argent [en France], mais il est mal utilisé, parce qu'il n'est pas utilisé avec une vision patriote. »
    (Marine Le Pen, sur BFMTV, le 13 juin 2018)

     

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    Entendu ce matin chez Jean-Jacques Bourdin, de la bouche de la présidente du parti fraîchement baptisé Rassemblement national : « une vision patriote. » J'en étais resté, pour ma part, à patriotique. C'est que, nous explique Benjamin Legoarant dans sa Nouvelle Orthologie française (1832), patriote (nom et adjectif) se dit des personnes, et patriotique (adjectif), des choses : un patriote, un ministre patriote, mais un chant patriotique, des sentiments patriotiques, faire vibrer la corde patriotique. Même son de cloche du côté de Littré : « Cet adjectif [patriotique] ne se dit correctement que des choses. On ne dit pas un homme patriotique, mais un homme patriote. »

    Mais voilà que Louis-Nicolas Bescherelle vient semer le trouble en écrivant dans son Dictionnaire national (1840) que, si « patriote ne se dit généralement que des personnes, on l'applique cependant quelquefois aux choses : ainsi l'on dit cœur patriote, esprit patriote. Patriotique ne qualifie ordinairement que les choses : des dons patriotiques, des desseins patriotiques, des intentions patriotiques ; mais, par une extension qui n'est peut-être pas fort logique, on le joint aussi à des collectifs de personnes ; ainsi on dit : des sociétés patriotiques, des clubs patriotiques, etc. » On croirait lire du Grevisse... Il n'empêche, les contre-exemples restent assez rares : « Tâchez donc d'écrire des dépêches qui soient très patriotes [= qui témoignent d'un vif attachement à la patrie] » (Mme de Staël), « L'acheteur ne va qu'aux écrits patriotes » (Julien Travers), « Ils ont en commun un esprit patriote » (Michel Pinault) ; « Se grouper en silence autour du patriotique professeur » (Charles Dupin), « "C'est une indignité !" s'écria le patriotique géographe » (Jules Verne).

    Dans le doute, mieux vaut ici s'en tenir prudemment à l'adjectif patriotique, en attendant que les ouvrages de référence actuels, peu diserts sur le sujet, se décident à s'y intéresser de plus près. Aux spécialistes de la langue, la patrie (n'en sera que plus) reconnaissante...


    Remarque : Patriote, emprunté du latin patriota (lui-même dérivé de patrius, « du père »), s'est d'abord employé au sens étymologique de « compatriote », avant de prendre le sens moderne de « (personne) qui aime son pays et s'attache sans réserve à le servir et à le défendre ». De même, patriotique s'est d'abord dit pour « paternel », puis pour « qui exprime l'amour de la patrie ou est inspiré par lui ; qui est propre aux patriotes, digne d'un patriote ».

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une vision patriotique.

     


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  • « "Je laisse les commentateurs commentés, les diviseurs divisés. Nous, on avance", recadre le patron du parti [Les Républicains]. »
    (paru sur lejdd.fr, le 11 juin 2018)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Un sérieux recadrage s'impose, en effet. Car enfin, confondre ainsi participe passé et infinitif, voilà qui ne va pas aider Laurent Wauquiez à nous faire croire qu'avec lui « le français reste le français »...

    Il suffisait pourtant à notre journaliste, l'astuce est bien connue, de recourir à un verbe du troisième groupe pour déjouer le piège de l'homophonie. Jugez-en plutôt : Je laisse les vendeurs vendre, les bâtisseurs bâtir et donc les commentateurs commenter, les diviseurs diviser.

    On plaidera bien sûr la distraction et surtout la précipitation, histoire de rassurer les correcteurs du bac à une semaine des épreuves anticipées de français. Il n'empêche, tout cela sent le recul à plein nez !

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Je laisse les commentateurs commenter, les diviseurs diviser.

     


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  • « Cristiano Ronaldo ne cache pas ses envies d’ailleurs et serait cette fois bien décidé à plier bagages. »
    (Thomas Pisselet, sur sports.fr, le 7 juin 2018)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Vous fallait-il une illustration des incohérences de nos ouvrages de référence ? En voici une nouvelle, qui porte sur le nombre de bagage dans l'expression plier bagage(s) : ne lit-on pas « plier bagages », puis « plier bagage » respectivement aux articles « bagage » et « plier » d'un Dictionnaire historique de la langue française prompt à retourner sa veste d'une page à l'autre ou, à tout le moins, à changer d'avis comme de chemise ? L'Académie elle-même se prend les pieds dans la valise orthographique, en laissant échapper un « Vous n'avez plus qu'à plier bagages » à l'article « avoir » de la neuvième édition de son Dictionnaire, alors qu'elle n'a jamais opté que pour la forme sans s depuis 1694 !

    La plupart des spécialistes, pourtant, s'en tiennent au seul singulier, comme c'est généralement le cas dans les locutions formées d'un verbe et d'un nom sans déterminant (1) : « Plier bagage » (Littré, Godefroy, Huguet, Georgin, Hanse, Dupré, Rey-Debove, Duneton, Colignon), « Plier bagage (sans s) » (Thomas), « Avec bagage au singulier : plier bagage » (Girodet), « Bagage est au singulier dans plier bagage » (Bescherelle) − seul Larousse laisse le choix du nombre, histoire de ne pas être pris à son tour la main dans le sac de l'inconséquence : « Plier bagage(s) ». Même unanimité chez leurs aînés : « Plier bagage » (Antoine Oudin, 1640 ; César-Pierre Richelet, 1680 ; Thomas Corneille, 1687), « Chacun plie bagage » (Claude Favre de Vaugelas, avant 1650), « Il faut plier bagage » (Antoine Furetière, 1690). C'est que, d'après ce dernier, « bagage se dit en nom collectif de tout l'équipage d'une armée [et, plus généralement, de tout équipage de voyage] », lequel est porté « sur des chariots, sur des charettes et sur des chevaux », selon Richelet ; l'Académie, dès la première édition (1694) de son Dictionnaire, confirme ce sens collectif : « Bagage, Se prend quelquefois absolument pour l'Amas de tous les bagages d'une armée. » (2) Vous l'aurez compris : c'est sur les champs de bataille (où bagage désigne le contenu) que notre expression puise son origine, et non pas dans les halls d'aéroport encombrés de valises de voyageurs (où bagage, le plus souvent au pluriel, désigne désormais le contenant).

    Mais au fait, pourquoi « plier » bagage, me demanderez-vous, s'il ne s'agit précisément de rabattre, de (re)plier l'une sur l'autre les deux parties de sa valise avant de partir en voyage ? La réponse est à chercher du côté des soldats romains qui, dans la perspective de lever le camp, recevaient, nous dit-on, l'ordre de vasa colligere, à savoir rassembler et préparer tout leur barda : « Pour se mettre en marche, la légion attendait trois signaux donnés au son de la trompette ; au premier les soldats pliaient les tentes et préparaient le bagage, vasa colligere, au second ils les plaçaient sur les bêtes de somme et les chariots de transport, au troisième ils se mettaient en rangs pour commencer la marche » (Manuel d'antiquités romaines, Auguste-Amédée-Guillaume Arendt, 1837). À l'instar du latin colligere, plier s'entend donc, dans notre expression, au double sens de « rassembler » : « Plier bagage, rassembler ses bagages, ses affaires ; décamper, en parlant de troupes » (Grand Larousse encyclopédique, 1960) et de « resserrer » : « Plier bagage, serrer les tentes, les bagages, et, par suite, décamper, se retirer, en parlant d'un corps de troupes » (Littré). On a d'abord dit, du reste, trousser bagage, avec trousser mis pour « ramasser [et] faire occuper un plus petit espace » (Furetière), « assembler en tas maintenus par des liens, empaqueter, charger (en vue d'un déplacement) » (3). Toujours est-il que notre expression, associée au signal du départ, en est venue par métonymie à signifier « s'apprêter à partir, s'en aller ». C'est du moins ce qu'indique le Grand Larousse encyclopédique, car des nuances se sont fait jour d'un lexicographe à l'autre (quand ce n'est pas, une fois encore, chez un même lexicographe !), certains introduisant dans leurs définitions une idée de hâte, de fuite même, qui semble pourtant absente de la locution originale. Comparez : « Trousser ou plier bagage, s'enfuir, s'en aller » (Oudin, 1640) ; « Plier bagage, c'est s'en aler d'un lieu pour n'y pas revenir » (Richelet, 1680) ; « On dit figurément et adverbialement qu'il faut plier, trousser bagage pour dire qu'il faut s'enfuir, qu'il faut déménager » (Furetière, 1690) ; « Plier bagage. S'en aller sans dire mot, s'enfuir, déloger, quitter, abandonner un lieu en hâte et sans bruit, s'échapper, dénicher, se retirer » (Philibert-Joseph Le Roux, 1718) ; « On dit figurément, dans le style familier, plier bagage, trousser bagage (le premier est le meilleur), s'enfuir, décamper, déménager » (Féraud, 1788) ; « On dit plier bagage comme plier son paquet, pour s'en aller furtivement » (Pierre-Benjamin Lafaye, 1858) ; « Plier bagage, se dit d'une armée qui décampe, qui se retire devant une autre. Fam., S'en aller furtivement » (Charles Nodier, 1865) ; « Familièrement. Plier, trousser bagage, décamper, s'en aller » (Littré, à l'article « bagage » de son Dictionnaire, 1877), mais « Fig. Plier bagage, s'en aller, fuir à la hâte, furtivement » (à l'article « plier ») ; « On dit figurément et familièrement, Plier bagage, trousser bagage, pour dire, Déloger furtivement, s'enfuir » (Dictionnaire de l'Académie, 1694-1935), mais « Plier bagage, se préparer à décamper et, par affaiblissement, partir » (neuvième édition, 1992) ; « Trousser bagage (vieux), plier bagage. Décamper, s'enfuir hâtivement » (TLFi) (4). D'aucuns verront peut-être dans ces différences l'influence du verbe décamper, dont le sens a évolué de « lever le camp » à « s'en aller au plus vite, s'enfuir précipitamment ». Précisons enfin que notre expression s'est aussi employée, « par extension de métaphore » (Féraud) et « populairement » (Académie), comme euphémisme de « mourir » : « On dit d'un homme mort qu'il a plié bagage » (Furetière), « Mais en cette occasion de trousser mes bribes et de plier bagage, je prens plus particulierement plaisir a ne faire guiere ny de plaisir ny de deplaisir a personne en mourant » (Montaigne), « Je ne vais pas tarder à plier bagage. Faites-moi donc la grâce de me laisser mourir ici en paix » (Paul Morand) (5).

    Mais revenons à notre substantif. Grande est assurément la tentation, dans cette affaire, d'écrire bagages au pluriel, hier en souvenir du latin vasa (qui n'est autre que l'accusatif pluriel de vas, vasis, « vase, meuble, vaisselle ») et de nos jours sous l'influence de faire, préparer ses bagages (notez la présence du déterminant). Aussi ne s'étonnera-t-on pas d'y voir succomber quelques plumes, fussent-elles dotées d'un bagage respectable : « Il y a aussi peu de jugement à dire à une personne qui se meurt "il faut plier bagages" qu'à dire "adieu paniers, vendanges sont faites" à un amant dont on se sépare » (Roger de Bussy-Rabutin, 1678), « On détend les tentes et on plie bagages » (Vincent Thuillier, 1730), « Turenne se décida à plier bagages » (Pierre Larousse, 1870), « Je prierai notre hôte de plier bagages et de déguerpir ! » (Henri Bernstein, 1913), « On plia bagages et l'on attendit les avant-trains » (Guillaume Apollinaire, 1917), « On va plier bagages et filer » (Jean Giono, 1929), « Les forains plient bagages » (Raymond Queneau, 1968), « Albert plia bagages et disparut sans laisser d'adresse » (Edmonde Charles-Roux, 1977), « Puisque apparemment je ne suis pas le bienvenu, je préfère plier bagages et m'en aller » (Philippe Gaillard, 2014). Il n'empêche, c'est bien le sens collectif singulier qui s'est imposé dans l'usage. Pas de quoi se lamenter pour autant de voir notre langue ainsi mise à... mal(le) !
      

    (1) Que l'on songe à avoir affaire, faire effet, prendre note, rendre service, souffler mot, tenir parole, tirer profit...

    (2) De même lit-on dans le Dictionnaire de l'armée de terre (1841) d'Étienne Alexandre Bardin : « L'expression Bagage [désigne] l'ensemble des effets que les armées et les troupes doivent emporter avec elles ; c'est leur matériel légal, c'est l'ensemble des ballots et caisses d'emballage qu'elles sont autorisées à avoir à leur suite. »

    (3) Exemples avec trousser : « Le roy Edouart [...] fist trousser et baguer tout son bagaige » (Jean de Roye, vers 1460), « [Ils] firent trousser tout le bagage du roy et chariot et charrettes et malles » (Charles de Hongrie, vers 1495-1498), « [Ils] trousserent leur bagaige » (Jean Marot, vers 1523) et, sans déterminant, « L'empereur Charles V ayant commandé de trousser bagage » (Henri Estienne, 1566), « Car il feit trousser bagage et marcher son armée » (Jacques Amyot, 1567), « Les plus sages [...] troussèrent de bonne heure bagage » (Étienne Pasquier, 1581) ; exemples avec plier : « Il pouvoit bien plier bagage » (Jean Crespin, vers 1560), « Ces petites gens [...] commencèrent plier bagaige » (Claude de Rubys, 1577), « Plions bagage » (Montaigne, 1580), « Mon bagage est plié, tout est demesnagé » (Philippe Desportes, 1603), « Par la raison, Monsieur, qu'il faut plier bagage » (Molière, 1666) ; exemples avec ployer (doublet de plier) : « Aiant ploié bagage » (Agrippa d'Aubigné, 1616), « Allez ployer bagage » (Corneille, 1639).

    (4) Est également attestée au XVIIe siècle l'expression à trousse-bagage, « en toute hâte ».

    (5) Varron écrivait déjà au Ier siècle avant Jésus-Christ : « Ut sarcinas colligat, antequam proficiscatur e vita. »


    Remarque 1 : Le substantif masculin bagage est le dérivé collectif de l'ancien français bagues, « objets, effets, paquets que l'on emporte avec soi », probablement issu de baga ou bage, formes dialectales d'Italie du Nord, ou de l'ancien provençal baga, « sac ». On se gardera de toute confusion graphique avec l'homophone baguage (« action de baguer un oiseau ») et avec l'anglais baggage.

    Remarque 2 : Le même flottement est observé avec l'expressions avec armes et bagage(s), qui signifie « avec tout son matériel, avec tout son équipement » : « Sortir avec armes et bagages » (à l'article « honneur » du Dictionnaire de Littré), mais « La garnison capitula et obtint de sortir avec armes et bagage » (à l'article « bagage »).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il serait bien décidé à plier bagage.

     


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  • « En plus d'annoncer de nouveaux projets, il a de nouveau apporté son soutien à son "frère" Donald Trump, qu'il considère, à son instar, comme un "dragon d'énergie" » (à propos du rappeur américain Kanye West).
    (paru sur bfmtv.com, le 2 mai 2018)

    Donald Trump (photo Wikipédia sous licence GFDL par Michael Vadon) 

      FlècheCe que j'en pense


    Une fois n'est pas coutume, les sentinelles de la langue seront unanimes pour cracher le feu de leur réprobation : « La locution à l'instar exige un complément avec de ; on ne dit pas [à son instar] » (Hanse), « Ne pas dire à mon instar, à ton instar, à son instar, etc., mais à l'instar de moi, à l'instar de toi, à l'instar de lui, etc. » (Girodet), « La locution étant à l'instar de, on ne dira pas à son instar, à leur instar » (Thomas), « À l'instar de est une locution figée qui ne peut pas être construite avec un adjectif possessif : on ne peut pas dire *à son instar, *à votre instar » (Larousse en ligne).

    Oserai-je l'avouer ? L'argument de la locution figée me fait l'effet d'un pétard mouillé. Car enfin, ne vaut-il pas aussi bien pour à l'insu de, que les mêmes experts s'accordent pourtant à employer − de leur plein gré ! − avec un possessif remplaçant le complément de personne : « On dit à mon insu, à ton insu, à son insu, à notre insu, etc. et non à l'insu de moi, de toi, de lui, de nous, etc. » (Girodet) ? Leurs aînés, au demeurant, ne trouvaient rien à redire à cette construction − attestée, soit dit en passant, depuis aussi longtemps que son pendant avec insu (1). Qu'on en juge : « [Des cours des aides] ont été démembrées de celle de Paris, ou ont été établies à son instar dans quelques-unes des provinces qui ont été réunies par la suite au royaume de France » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1754), « Puisqu'ils avouoient n'avoir été créés qu'à leur instar » (Encyclopédie méthodique, 1782), « Bescher, et à son instar Bescherelle, en font un régime direct » (Grammaire de Napoléon Landais, 1835), « Il aime les Français, s'habille à leur instar » (Cours de langue française de Pierre-Alexandre Lemare, 1835), « À son instar, de semblables établissements s'élevèrent à Palerme » (Dictionnaire national de Louis-Nicolas Bescherelle, 1845), « Les Persans, et, à leur instar, les Turcs » (Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse, 1873). Ajoutez à cela qu'aucune restriction d'usage ne figure aux articles « instar » du Littré, du Dictionnaire de l'Académie, du TLFi (mais qui ne dit mot consent-il vraiment ?), et vous ne saurez bientôt plus à quel saint dragon vous vouer.

    Sans doute les anciens, qui connaissaient leur latin sur le bout des griffes, avaient-ils encore à l'esprit que instar était dans cette langue un véritable substantif − fût-il devenu indéclinable −, lequel signifiait proprement « grandeur, valeur égale ; équivalent » (2) avant de prendre le sens étendu de « ressemblance, image » : « Haec navis urbis instar habere videbatur [ce navire semblait avoir l'apparence d'une ville] » (Cicéron). En tant que nom, instar pouvait donc se laisser qualifier par un adjectif : « Quantum instar in ipso est ! [Quelle grandeur en lui !] » (Virgile). On le trouvait surtout, régulièrement suivi d'un génitif, dans diverses constructions (en apposition, puis précédé de la préposition ad, marquant la relation) avec le sens de « à la ressemblance de, à l'exemple de, à l'imitation de, à l'image de, à la manière de, selon le modèle de, équivalent à, de même que, comme » : « Instar montis equus [un cheval pareil à une montagne] » (Virgile), « Navem, triremis instar [un navire aussi gros qu'une trirème] » (Cicéron), « Vallis ad instar castrum clauditur [la vallée est fermée comme un camp] » (Justin). C'est sur ce modèle, un peu brouillon, que le mot est passé dans la langue juridique française du XVIe siècle (3), avec (plus souvent que sans) le soutien de la préposition à : « En la forme et instar de nostre pays de Normandie » (Ordonnance de François Ier, 1520), « Comme nostre Court de parlement de Bourdeaulx ait esté creée, erigée, stablye et ordonnée a l'ymitacion et instar de nostre Court de parlement de Paris » (Ordonnance de François Ier, 1524), « Comme nostre Chambre des comptes de Dijon soit establye et ordonnée a l'instar de celle de nostre Chambre des comptes de Paris » (Ordonnance de François Ier, 1530), « Les quatre anciens tresoriers de France et generaulx des finances, instar desquels ils sont creez » (Ordonnance d'Henri II, 1552), « Tout ainsi et à l'instar et pareil pouvoir » (Déclaration de Charles IX, 1565).

    Quand il resterait anecdotique, l'emploi substantivé de instar (donné pour masculin dans l'édition de 1802 du Dictionnaire français-anglais d'Abel Boyer) n'est pas « absolument exceptionnel », comme l'affirme le Dictionnaire historique de la langue française avec une énergie qui pousse à l'imprudence ; il s'est maintenu du XVIe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle environ, au prix d'une connotation péjorative qui a fait évoluer son sens de « ressemblance, image, conformité, modèle » à celui de « copie, imitation, contrefaçon » (4) : « Que ladite Chambre fut reglée a l'instar de celle de Paris ; qu'en l'an 1575, ledit instar fut jugé parties oüyes » (Déclaration d'Henri III, 1581), « C'est à quoi aboutit tout cet instar, dont la Chambre fait éternellement parade » (Recueil d'édits, déclarations et arrêts, 1724), « Comme nous évitions tous les instars de Paris, nous allâmes dîner au Lion d'Or » (Pierre-Marie-Michel Lepeintre-Desroches, 1829), « Dans chacune des choses qui sont chez l'homme, il y a un instar de l'âme et du corps » (Jean-François-Étienne Le Boys des Gays, 1863), « Bruxelles, qui est un instar » (Auguste Poulet-Malassis, 1869), « Un instar assez réussi » (Edmond Texier, 1877), « Je t'appelle l'Instar parce que tu singes toujours quelqu'un » (Georges de Porto-Riche, 1897), « Un conte philosophique, à la façon de Voltaire, ou, comme on dirait à Marseille, à l'instar de Voltaire. Ce n'est pas Candide, c'est un instar » (Francisque Sarcey, 1899), « Chaque grand centre, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Marseille [...], vit sa vie propre et ne rêve plus d'être un instar de la capitale » (Jean Mesnil, 1900), « Vous vous imaginez sans doute [...] que nous avons feutré nos trottoirs pour en faire comme qui dirait des instars de salons » (Alphonse Allais, 1900), « Des sonnets à l'instar de Herredia, mais qui ne seront tout de même que des "instars", comme on disait jadis en Brabant » (Auguste Dorchain, 1906), « La Belgique est le pays de l'instar » (Guillaume Apollinaire, avant 1918), « Cette critique locale l'exaspérait, non seulement comme une injure, mais comme une laideur, un provincialisme, un instar misérable de Paris » (Albert Thibaudet, 1924), « On doit tenir le bol de Rhagès pour un instar, une contrefaçon, donc une pièce plus tardive » (Charles Vignier, 1925), « Là, ils trouveraient une annexe ou un instar de l'Ecole coloniale » (Albert de Pouvourville, 1927), « Les êtres les moins cultivés sont [le plus souvent] les moins capables de critique, les plus à la merci de l'instar, les mieux disposés [...] à adopter des sentiments de convention » (André Gide, 1929), « J'aime mon compartiment. Dépourvu de miroirs, de coussins, de tout cet instar qui [...] s'efforce de faire regretter une chambre d'hôtel » (François de Croisset, 1930), « Orléans, cet "instar" de Paris » (Armand Bouvier, 1932), « Cet "instar" n'ajoute rien, si ce n'est une note factice » (Henri Austruy, 1932), « Les étoiles et les stars qui sont, si souvent hélas, des instars » (Robert Trébor, 1939) (5). Aussi est-on fondé à se demander dans quelle mesure l'utilisation de instar comme substantif a pu favoriser les modifications morphologiques et syntaxiques subies de longue date par à l'instar de (à cet instar, à son instar... [6]).

    Résumons : quand bien même le nom instar ne serait plus employé de façon autonome par nos contemporains, l'usage en a conservé le souvenir dans la construction à l'instar de, dont le sens ne diffère pas (ou guère) de la combinaison du sens de chacun de ses éléments et dont la structure, de surcroît, n'a jamais cessé d'être manipulable. Difficile dans ces conditions, vous en conviendrez, de continuer à considérer ladite locution comme figée... Vous l'aurez compris : n'en déplaise aux cracheurs de feu cités en introduction, il ne faudra plus compter sur moi pour descendre à son instar... en flammes !

    (1) Comparez : « Lesdicts vendeurs et controolleurs de vins, et à leur instar y ayant pareille raison que [...] » (Lettres patentes de Louis XIII, 1625), « Tant de sa Chancelerie du Palais à Paris, que de celle de Dauphiné establie à son instar » (Règlement de Louis XIV, 1667) et « A mon insceu » (Jean Nicot, 1606, cité par le TLFi et par le Dictionnaire historique de la langue française).

    (2) Le Dictionnaire historique de la langue française suppose, à la suite du linguiste Eduard Wölfflin, que instar désignait, à l'origine, le poids que l’on place sur le plateau d’une balance pour en assurer l’équilibre.

    (3) Il est vraisemblable que la locution à l'instar de soit apparue avant le XVIe siècle. Les Archives historiques et statistiques du département du Rhône font ainsi mention d'un édit daté du 9 février 1419, où l'on peut lire ceci : « Le tout à l'instar des foires de Champagne et de Brie. » Problème : c'est « (Ils jouyssent de tels et semblables privilèges) que les foires de Champagne et de Brie » qui figure dans le recueil des Ordonnances des rois de France. Qui croire ?

    (4) « Instar s'est employé comme substantif masculin, avec le sens de "ressemblance, conformité" », confirme Frédéric Godefroy dans son Dictionnaire de l'ancienne langue française. Au XIXsiècle, prestige des expressions savantes oblige, le mot s'affiche pompeusement sur les enseignes de province, comme en témoignent ces quelques exemples : « Tailleur à l'instar de Paris [= à la manière de ce qui se fait à Paris] » (Littré), « Bazar à l'instar de Paris » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Le client achetait des chaussures toutes faites, dans des magasins à l'instar de Paris » (Anatole France, 1897). « L'instar » fait tout à coup « province », observe Abel Hermant, il est devenu « péjoratif ».

    (5) Et aussi : « Il tient depuis peu la Maison connue sous le nom d'Instar de Paris » (Journal du département du Mont-Blanc, 1809), « Un magasin de nouveautés [à Bruxelles], le Printemps (instar de Paris) a brûlé de la cave au grenier » (Le Figaro, 1883), « Allait-on servir aux hôtes nombreux venus de si loin "un instar de Marseille" ? » (Revue de l'enseignement secondaire, 1890), « [Il] dirige un important sanatorium d'enfant, un instar de notre Berck, en Belgique » (Gazette des eaux, 1894), « Comme notre ville n'est jamais en retard pour établir un "instar de Paris" » (Revue comique normande, 1897), « D'aucuns trouveront sans doute que nous faisons tout à l'instar des Parisiens ; mais cette fois l'instar a du bon » (La Lutte, 1898), « La duchesse [...] organisa dans son chalet d'Houlgate un instar des Tréteaux de Tabarin [un cabaret parisien] » (La Vie parisienne, 1901), « Dans cet "instar" du Paradis de Mahomet » (La Lanterne, 1907), « Vous vous imaginez cet instar bourgeois » (L'Intransigeant, 1925), « La maladie du samedi est soupçonnée de préparer subrepticement un instar de semaine anglaise » (Paris-municipal, 1942).

    (6) Pour preuve, ces exemples glanés sur la Toile : (À cet instar) « Entre nos Cours de Parlement et Chambre des Comptes de Paris, que Nous voulons à cet instar » (Règlement d'Henri II, 1580), « Ne pourroit-on pas échantillonner toutes autres mesures à cet instar ? » (Laurens Melliet, 1618), « C'est à cet instar que M. le Maréchal de Belle-Ille a fait voûter toutes les écuries de son château » (lettre datée de 1750), « A cet instar, on se propose à Londres de recevoir [...] » (texte daté de 1784), « Nous souhaitons que [...] la marine marchande de France soit, à cet instar, assez forte » (Nicolas Edouard Delabarre-Duparcq, 1875), « Si l'on croit bon de disposer, à cet ennuyeux instar [à l'instar des abrégés géographiques], des cadres historiques que l'enseignement devra s'efforcer de remplir, je n'y contredirai point » (Thérèse Alphonse Karr, 1876), « Tout se modèle autour d'eux à cet instar » (Alexandre Lefas, 1916), « L'abbé Eudes s'était enthousiasmé pour cette fondation [...]. C'est à cet instar qu'il voulut fonder une Maison des orphelins » (Bulletin religieux de l'archidiocèse de Rouen, 1935), « Ne pourrait-on pas "créer", à cet instar, une école du syndicalisme ? » (Le Midi syndicaliste, 1936), « On a surnommé Virgile "le cygne de Mantoue". A cet instar, comment furent appelés Bossuet et Fénelon ? » (Paris-Soir, 1941) ; (à mon, son... instar) « À leur instar [...] à nostre instar » (Jean d'Auvray, 1623), « En ce cas, mignonne, j'irai me messifier à votre instar » (Paul Lacroix, 1829), « Quelquefois les brigands eux-mêmes [...] finissaient par devenir agriculteurs à leur instar » (Charles de Montalembert, 1860), « Sa pensée est claire comme de l'eau de roche, et à son instar elle épouse la forme de toutes les carafes » (Aristide Briand, 1911), « L'imparfait, avatar aspectuel des formes en -rais, corrige à leur instar la relative brutalité du présent » (Marc Wilmet, 1996), « Et si l'on convient que, chez Voltaire, promptitude vaut profondeur, il ne semble pas interdit de supposer que, à son instar, André Frossard s'était assuré un style visant à exprimer tout ce qui, autour de lui, réclamait, d'urgence, d'être exprimé » (Hector Bianciotti, 1997), « Pourquoi, à son instar, ne m'étais-je pas accoutumé au centre de rétention ? » (Éric Emmanuel-Schmitt, 2008), « Le discours constitue, de fait, un corps analogue au corps physique et doté à son instar d'un volume » (Baldine Saint Girons, 2014) ; (À quel instar) « Chambre des Requêtes de l'Hôtel (la), à quel instar établie ? » (Description de Paris, 1742), « On sait à quel instar... » (Henri Galoy, 1906). On trouve même un ad instar suum chez Louis Ellies Dupin (De Antiqua Ecclesiae disciplina dissertationes historicae, 1686).

    Remarque 1 : Au XVIIe siècle, à l'instar était présenté comme une préposition « trop latin[e] et point en usage parmi les bons Français » par Antoine Oudin (Grammaire française, 1645), « décriée » par Laurent Chifflet (Essay d'une parfaite grammaire de la langue française, 1653). Ces condamnations, modérées deux siècles plus tard par Littré (« À l'instar n'est plus décrié ; mais il a toujours quelque chose de technique qui l'écarte du haut style »), n'ont pas empêché nos écrivains d'en faire bon usage : « L'empereur [voulut] joindre, à l'instar du culte évangélique, la morale à la religion » (Chateaubriand), « Le grand sujet de plaisanterie contre ces personnages graves, c’est qu'ils portaient de la poudre à l’instar de leurs maîtres » (Stendhal), « Port-Royal a été conçu comme une pièce en un seul acte, à l'instar des tragédies grecques » (Montherlant).

    Remarque 2 : On lit sur le site de Françoise Nore : « À l'instar de est une locution prépositionnelle, comme en face de, etc. On ne peut donc convertir instar en nom et le faire précéder d'un déterminant, tout comme on ne peut transformer en face de X en *en sa face, même si instar en latin et face en français sont des noms. » C'est oublier, me semble-t-il, que, si en sa face n'est certes pas équivalent à en face de X, l'alternance est possible entre à l'instar de X (= à l'image de X, à l'exemple de X, à la manière de X) et à son instar (= à son image, à son exemple, à sa manière).

    Remarque 3 : On ne donnera pas à à l'instar de le sens de « à l'opposé de » (par confusion avec à l'inverse de) ni de « en cachette de » (par confusion avec à l'insu de).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou Donald Trump, qu'il estime être, tout comme lui, un "dragon d'énergie".

     


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