• « "Je suis impressionné qu'elle garde ainsi le silence. Mais je suis sûr que je ne paie rien pour attendre, et qu'elle est seulement trop polie pour déclencher une dispute devant un étranger. »
    (Laurence Richard, traduisant Les Derniers Battements du cœur de Kelley York et Rowan Altwood, paru aux éditions Pocket Jeunesse)  

     

    FlècheCe que j'en pense

    La traductrice de ce livre pour adolescents aurait-elle perdu la tête ? Tout porte à croire qu'elle s'est bien plutôt laissé abuser par son oreille : paie rien ne se prononce-t-il pas quasiment comme perd rien ? La confusion, au demeurant, est d'autant plus attendue que le sens plaide également, dans plus d'un esprit, en faveur du verbe payer : n'entend-on pas par là, d'ordinaire, menacer quelqu'un de payer tôt ou tard pour ce qu'il a fait ? Il n'empêche, l'expression consacrée n'en demeure pas moins ne rien perdre pour attendre (*).

    Ledit tour s'est d'abord pris en bonne part, dès le XVIIe siècle, pour annoncer la promesse d'un avantage, d'une satisfaction : « Une fille ne perd rien pour attendre [sous-entendu un bon parti], vivant avec un chaste honneur [et une] attrempée modestie » (Étienne Pasquier, avant 1615), « Mais il ne perd rien pour attendre, et ne sera pas moins avantagé pour avoir esté différé » (François Chevillard, 1664), « Patience, vous ne perdrez rien pour attendre, et vous allez tout à l'heure avoir contentement » (Anne-Marguerite Petit Dunoyer, 1707). Employé par antiphrase ou par ironie, il en est venu à servir de formule de mauvais augure, voire de menace (à l'instar de Vous aurez de mes nouvelles !) : « Je promets à mon ennemi qu'il ne perdra rien pour attendre » (Beaumarchais, vers 1778), « S'il [un poison] ne tue pas immédiatement, vous ne perdez rien pour attendre ; son effet est aussi sûr qu'il est caché » (Barbey d'Aurevilly, 1874), « Je ne sais pas où il s'est sauvé le bougre, mais il ne perd rien pour attendre, ce voyou-là ! » (Jean Anouilh, 1953). Et voilà comment on est passé du sens premier de « ne pas être désavantagé par la remise d'une décision ; tirer finalement profit du retard apporté dans l'exécution d'une action » à celui, opposé et désormais courant, de « ne pas échapper à une punition, à un châtiment, à une vengeance ; recevoir ce que l'on mérite, récolter ce que l'on a semé, quelque délai que cela exige ».

    Las ! l'ironie qui sous-tend l'acception moderne n'est plus perçue par nos contemporains, ce qui favorise la réinterprétation en ne rien payer pour attendre. C'est là le prix à payer, feront observer les mauvais esprits, pour que la langue ne perde pas la faculté de dire une chose... et son contraire.

    (*) On trouve aussi les variantes (non reconnues par l'Académie) ne rien perdre à attendre et ne pas perdre pour (ou à) attendre, parfois accompagnées du pronom y : « Madame de Polignac n'a rien perdu à attendre ! » (Alexandre Dumas, 1854), « Vous n'avez pas perdu pour attendre » (Eugène Scribe, avant 1861), « Mais soyez tranquille, vous n'y perdrez pas pour attendre » (Joris-Karl Huysmans, 1879).

     
    Remarque 1 : Fred Vargas s'amuse de cette confusion phonétique dans son roman Sans feu ni lieu (1997) : « − Il criait : "Tu paies rien pour attendre ! Tu paies rien pour attendre !" Je n'ai pas compris. − "Tu ne perds rien pour attendre", proposa Louis. − Je vois pas la différence. − Ça veut dire qu'il t'en voulait. »

    Remarque 2 : Les spécialistes ne s'accordent pas sur la valeur de l'infinitif introduit par pour : expression de la cause (« Il ne perd rien pour attendre (parce qu'il attend) », selon Hanse) ou de l'hypothèse (selon Knud Togeby) ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Je ne perds rien pour attendre
    .

     


    votre commentaire
  • Qui se joue de la syntaxe ?

    « Vous préféreriez jouer les Croates ou les Anglais ? »
    (Harold Marchetti, sur leparisien.fr, le 10 juillet 2018)  

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    J'en étais resté, pour ma part, à jouer contre quelqu'un quand il est question d'affronter un adversaire lors d'une rencontre sportive. Car enfin, jouer suivi d'un complément direct de personne n'a jamais signifié, en bon français, autre chose que « interpréter (un rôle, un personnage) » ou encore « railler ; tromper, abuser (quelqu'un) » : Cet acteur a joué Hamlet. Ne jouez pas les Cassandre (ou mieux : les cassandres! Cet escroc vous a joué (= s'est joué de vous).

    Mais voilà que, sous l'influence de l'anglais (1), la construction transitive directe se répand dans le jargon sportif depuis le début du XXe siècle (2) : jouer un adversaire, jouer une équipe, d'où une équipe jouée... Et tant pis pour les risques d'équivoque : dire que « des footballeurs parisiens vont en province pour jouer les locaux » signifie-t-il, je vous le demande, qu'ils s'apprêtent à affronter l'équipe locale... ou qu'ils entendent passer pour des gens du cru, faire couleur locale ? Allons droit au but : mieux vaut se garder de jouer Andy Murray ou de jouer l'équipe d'Angleterre de football, leur langue se jouant déjà suffisamment de la nôtre. En ce qui concerne les Croates, l'affaire, depuis un certain 15 juillet 2018, paraît entendue... avec ou sans la préposition contre.

    (1) « Par influence très probable de la syntaxe du verbe anglais playjouer a reçu plusieurs usages transitifs en sport » (Dictionnaire historique de la langue française), « Jouer qqn, tour employé dans le monde du tennis pour jouer contre qqn, est un anglicisme » (Irène-Marie Kalinowska, La Préposition, 2018).

    (2) « La Suisse, la Belgique, la Bohème et l'Angleterre doivent également jouer l'équipe de France [de football] » (L'Aéro, 1911), « [Telle équipe de rugby] ira jouer les locaux au Havre » (Le Populaire, 1928) ; « Jouer est en train de devenir un verbe actif », se désolait Abel Hermant à la même époque.

    Remarque 1 : L'Académie jouerait-elle contre son camp ? Sur son site Internet, elle recommande de réserver l'expression jouer le rôle de à des emplois figurés : jouer le rôle de conseiller, de confident ; au sens propre, « un acteur tient le rôle de tel ou tel personnage, il joue tel ou tel personnage ». Pourquoi diable donne-t-elle alors, à l'article « jouer » de la neuvième édition de son Dictionnaire, le contre-exemple suivant : « Cet acteur a joué le rôle d'Oreste, a joué Oreste » ?

    Remarque 2 : Voir également le billet Jouer (du piano).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Vous préféreriez jouer contre les Croates ou contre les Anglais ?

     


    1 commentaire
  • Un homme en colère

    « Jean-Pierre Pernaut traité de colérique et violent. »
    (paru sur voici.fr, le 9 juillet 2018)  

     


    (photo twitter.com/pernautjp)

     

    FlècheCe que j'en pense

    Il est des occasions, heureusement rares, où les colonnes du Dictionnaire de l'Académie, autant que celles du magazine Voici, auraient de quoi provoquer l'ire de l'ami Pernaut. Prenez les définitions des adjectifs colérique et coléreux. Dans la huitième édition, on lit respectivement : « Qui est enclin à la colère. C'est un homme très colérique. Être d'une humeur colérique » et « Qui est prompt à se mettre en colère. Il est familier ». Et dans la neuvième édition : « Enclin à la colère. Un tempérament colérique » et « 1. Prompt à se mettre en colère, très irritable. Un homme coléreux. Une fillette coléreuse. Par métonymie. Un caractère coléreux. Il était, comme à l'accoutumée, d'humeur coléreuse. 2. Qui traduit la colère. Des paroles coléreuses. Un ton coléreux ». Que doit-on comprendre ? Que colérique, hier employé à propos des personnes comme de leurs traits de comportement, serait désormais réservé aux seuls seconds, sans toutefois pouvoir exprimer le sens de « qui dénote, qui traduit la colère » ? Que coléreux, naguère considéré comme familier, serait devenu tout à fait fréquentable ? Quant à la différence entre « enclin à » (= que sa nature porte à) et « prompt à » (= qui se laisse aller rapidement à) − laquelle, convenons-en, n'est pas à la portée du premier journaliste venu −, elle donne à croire que colérique correspond à une disposition naturelle, à un état durable, et coléreux, à une réaction brusque et passagère (un accès de colère) ... ce que semble pourtant contredire l'expression « comme à l'accoutumée ». Au petit jeu des devinettes, l'Académie risque de nous mettre les nerfs en pelote.

    Un rappel historique s'impose. À l'origine (XIIIe siècle) étaient le nom colère et l'adjectif colérique, de formation savante : empruntés respectivement des latins cholera (proprement « choléra », puis, sous l'influence du grec kholê, « maladie bilieuse », « bile ») et cholericus (« bilieux, soumis à l'influence de la bile »), le premier désignait l'une des quatre humeurs fondamentales de l'organisme (sens propre qui perdura jusqu'au XVIe siècle) et le second se disait pour « qui a rapport à la bile, qui produit de la bile » (1). De l'emploi figuré de ces acceptions humorales est issu, à partir de la fin du XIVe siècle, le sens moderne de « émotion violente accompagnée d'agressivité » (2) − « la colère étant tenue pour un échauffement de la bile et couramment appelée chaude chole ("bile chaude") et cholère », précise le Dictionnaire historique de la langue française. C'est à cette époque qu'apparaît l'adjectif coléreux (3) (directement dérivé de colère), que Godefroy présente dans son Dictionnaire de l'ancienne langue française comme un synonyme régional de colérique (4). Le Sarthois Robert Garnier en fit grand usage à la fin du XVIe siècle : les colereux flots, les armes colereuses, la colereuse main, une ardeur colereuse, etc. Mais voilà que colère, avec son sens moderne, a le vent en poupe : non seulement il réussit à supplanter, comme substantif, les vieux mots ire et courroux dans l'usage courant, mais il en vient aussi à concurrencer colérique et coléreux... comme adjectif ! Qu'on en juge : « Leur cerveau fier, colère et trop chault » (Pierre Gringore, 1505) ; « déjà tout colère », « ses mains colères de rage » (Ronsard, entre 1550 et 1555) ; « Ce n'est pas ma faute, disons-nous, si je suis cholere » (Montaigne, 1588). Trois adjectifs pour exprimer une même émotion : belle pagaille en perspective...

    Les spécialistes des XVIIIe et XIXe siècles, quand ils n'ignoraient pas carrément le doublet coléreux, alors jugé vulgaire ou barbare, ont tenté, plus ou moins artificiellement, de répartir les emplois entre les membres de la famille. Selon l'Académie (1694-1798), « colérique n'est guère d'usage que dans le style dogmatique », puis « dans le style didactique ». Selon l'abbé Roubaud (1786), « colère, adjectif, désigne proprement l'habitude, la fréquence des accès ; colérique, la disposition, la propension, la pente naturelle à cette passion. [...] Un homme peut être colérique sans être colère, s'il parvient à se vaincre [lui-même] ». « Colère, adjectif, se dit plus proprement des personnes, et colérique de ce qui a rapport aux choses », écrit de son côté Napoléon Landais en 1834, tout en observant avec quelque apparence de raison que « le substantif colère ne devrait peut-être pas être employé adjectivement, puisque l'on dit colérique » ; il ajoute : « Coléreux a le même sens que colérique, et paraît moins usité. »

    De nos jours, c'est l'emploi adjectival de colère qui est tenu pour archaïque, populaire ou régional. Quant à colérique et coléreux, si la plupart des experts actuels (à l'exception notable de l'Académie) tendent à reconnaître qu'ils diffèrent non par le sens (5), mais par le niveau de langue, des désaccords subsistent : pour Girodet, « coléreux, longtemps condamné par les grammairiens, est accepté de nos jours dans le registre courant. Dans le style surveillé, on préférera colérique » ; pour le Larousse en ligne (et le Bescherelle pratique), « de ces synonymes, coléreux est le plus moderne et le plus employé » ; pour Dupré, enfin, « coléreux est maintenant usuel, [alors que] colérique est désuet et presque comique [!] ». Il n'est pourtant que de consulter la Toile pour constater que l'usage est loin d'être aussi tranché : « grossier et colérique » (Nice-Matin), « son caractère colérique » (Le Figaro), « des vents colériques » (Libération), « un homme colérique » (TF1), « ce nouveau tweet colérique » (L'Express), à côté de « coléreux et joyeux » (L'Humanité), « son comportement coléreux » (Télé Star), « vents coléreux » (Le Figaro), « une femme coléreuse » (Le Monde), « un tweet coléreux » (Ouest-France). Coléreux, attesté chez les frères Goncourt, Gide, Morand, Genevoix, etc., doit-il son surprenant retour en grâce à l'homonymie entre colérique et cholérique (adjectif de même étymologie, attesté au sens de « atteint par le choléra » depuis le début du XIXe siècle) ? C'est possible. Il n'empêche, colérique n'a pas dit son dernier mot. Ne vous faites pas de bile pour ça.
     

    (1) « Colere est chaude et seche, et a son siege au fiel » (Brunetto Latini, vers 1265) ; « Qui les orroit de colerique / Pledoier, ou de fleumatique, / Li uns a le foie eschaufé, / Et li autres ventouseté » (Guiot de Provins, vers 1204).

    (2) « De grant colère le nez leur fronce » (Chronique messine rimée), « Laysse espasser la collere paisiblement » (Le Livre Caumont, 1416), « Quand je suis en cholere » (Olivier Basselin, avant 1418 ?) ; « Un homme trop colerique est enclin a yre » (Nicole Oresme, vers 1370).

    (3) « J'estoie plus dolereus / Que ne soit un cops collereus » (Jean Froissart, 1354). Le passage est obscur : y est-il question d'un accès de bile ? d'un corps bilieux ? d'un coup porté avec colère ? Chaque éditeur y est allé de son interprétation.

    (4) « Dans la Haute-Normandie, vallée d'Yères », précise Godefroy. Le mot se trouve également dans le Dictionnaire du patois du pays de Bray (Jean-Eugène Decorde, 1852).

    (5) « Colérique adj. Coléreux » (Robert illustré), « Coléreux ou, vieilli, Colérique » (Petit Larousse illustré), « Colère, coléreux, colérique : pratiquement ces trois adjectifs ont aujourd'hui le même sens : "qui est sujet ou prompt à se mettre en colère" » (Hanse).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il est traité de colérique (ou de coléreux).

     


    votre commentaire
  • « France - Belgique : La fan zone de Paris déchaînée au coup de sifflet final. »
    (paru sur rmcsport.bfmtv.com, le 10 juillet 2018)  

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Loin de moi l'intention de casser l'ambiance, mais enfin, avouez que le composé fan zone, quand il associerait deux termes déjà lexicalisés en français, sent l'anglicisme à plein nez (1). Le bougre, peut-être apparu dans le milieu de la formule 1, désigne un espace de rassemblement où les supporteurs (2) ne disposant pas de billets peuvent assister à la diffusion en direct d'une manifestation sportive dans les meilleures conditions de convivialité (écran géant, animations gratuites proposées par les sponsors, pardon par les parraineurs, buvettes, etc.) et de sécurité possibles.

    L'Académie, dans un article paru en 2016, écrit tout le mal qu'elle pense de cet emprunt : « On peut regretter que l’abréviation anglaise fan ait éliminé l’abréviation familière française fana, deux formes remontant, par l’intermédiaire de fanatic et de fanatique [3], au latin fanaticus, lui-même dérivé de fanum, qui désignait un temple et, plus précisément, un espace consacré » − gageons, dans ces conditions, que l'équivalent zone de(s) fans ne la satisferait pas davantage ; et seul un fada pourrait miser sur le succès de zone de fanas... Surtout, les académiciens insistent sur le fait que « ce système d’apposition [propre à l'anglais] est tout à fait éloigné du génie de la langue française, qui préfère recourir à des tours prépositionnels, et que, s’il est regrettable d’altérer notre vocabulaire, altérer les structures de notre langue l’est plus encore. Il est tout à fait possible de trouver sans mal des équivalents français comme zone, espace réservés aux supporteurs pour désigner cette réalité ». Las ! ce louable effort de traduction semble d'entrée de jeu voué à l'échec quand on sait le tribut que nos sociétés pressées sont prêtes à payer à la brièveté : allez persuader un supporteur hystérique de dire en huit syllabes ce qu'il peut formuler en deux !

    Pour autant, la concision de l'anglais fan zone ne doit pas occulter les hésitations graphiques qui accompagnent sa naturalisation : trait d'union (comme dans fan-club), soudure, majuscules, guillemets, genre, pluriel, il n'est probablement pas de rédaction où l'on ne se soit posé ces questions. Jugez-en plutôt : « La fan-zone de l'Hôtel de Ville » (France Soir), « Créer une fanzone » (France Info), « Une FanZone » (Télé Loisirs), « Aux abords de la Fan Zone » (Ouest-France), « La décision de ne pas accueillir de Fan zone » (20 minutes), « La "fan zone" sera reconduite » (France Bleu), « Au cœur d’un fan-zone » (Le Monde), « Les fan-zones en Russie » (L'Équipe), « Quelle(s) fan(s) zone(s) pour la finale ? » (La Nouvelle République), etc. La palme de l'indécision revient au site Internet du ministère de l'Intérieur, où se succèdent, parfois dans un même document, les graphies une fan-zone, une fans-zone, la fan zone, la fans zone, les Fan zones, les Fans-zones, les fans zones, les fan zones. Il y a des cartons rouges qui se perdent...

    Alors quoi ? Point de solution idéale en vue ? Les formations plaisantes fanagora et fanarena, bien que préservant artificiellement l'abréviation fana, présentent l'inconvénient, pour la première, d'associer une racine latine (fanum) à une racine grecque (agora, « lieu où l'on se réunit »), pour la seconde, d'introduire une idée (latin arena, « sable ») étrangère à notre affaire. Qui dit mieux ?
    En attendant, fan zone vient de faire son entrée dans le Dictionnaire Hachette 2018 (sous la direction de Bénédicte Gaillard). Je crains fort que le match ne soit déjà plié...

    (1) « Fan zone : an area outside or away from a sports stadium for people to watch the game on a large screen » (Cambridge Dictionary).

    (2) La graphie supporteur est attestée dès le XVIe siècle au sens de « celui qui apporte son appui, son soutien » (chez Guillaume Postel, en 1553), de « partisan, complice » (chez James Howell, en 1660) et aussi de « celui qui supporte, qui endure avec courage » (1573).

    (3) Rappelons ici que fanatique, adjectif et nom, s'est d'abord dit d'une personne qui se croit inspirée de l'esprit divin, puis de quelqu'un qui est animé d'un zèle aveugle envers une religion, une doctrine, et, par affaiblissement, d'un amateur passionné.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La zone des supporteurs (?) de Paris.

     


    votre commentaire
  • « Il se plaignait de sa condition et, sans cesse, parlait de droits, de consommation, de fabrication, de rentabilité et autres mots qui ne me semblaient guère appartenir au registre, dussais-je passer pour un idéaliste ou un naïf, de l'écriture. »
    (René Pons, dans son livre Le Bruissement des mots, paru chez Cadex Éditions )  

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    En voilà une jolie coquille ! Car enfin, de quel verbe parle-t-on ? D'un hypothétique dusser, conjugué à l'indicatif imparfait sur le modèle de ceux du premier groupe : je dussais ? Que nenni ! Nous avons bien plutôt affaire ici à la première personne du singulier de l'imparfait du subjonctif du verbe devoir : (que) je dusse, laquelle se transforme, pour des raisons d'euphonie, en dussé-je lorsque le pronom sujet est postposé (1) : « Dussé-je être blâmé, je vous soutiendrai » (Littré).

    Cet emploi du subjonctif imparfait sans que et avec inversion du sujet ressortit au registre littéraire : il exprime, avec la valeur à la fois conditionnelle et concessive de « même si (+ indicatif imparfait), quand bien même (+ conditionnel présent) », « une hypothèse envisagée comme irréelle ou peu probable et qui n'a aucune influence sur l'autre partie de la phrase, en opposition avec elle » (selon Hanse), une « éventualité pure, équivalant au conditionnel en registre courant » (selon Sandrine Blondet, Grammaire complète, 2004). On le rencontre à toutes les personnes (surtout avec les verbes devoir, pouvoir, être et avoir) : « Dussiez-vous ne me point répondre, dussiez-vous me trouver ridicule, je ne cesserai de parler de vous à Dieu avec amertume » (Fénelon), « Dussent tous les Thébains / Porter jusque sur moi leurs parricides mains, / Sous ces murs tout fumants dussé-je être écrasée, / Je ne trahirai point l’innocence accusée » (Voltaire), « Dusses-tu me haïr, dusses-tu m'oublier, ce qui serait pis encore, je te sauverai » (Alexandre Dumas), « Oh ! dussé-je, coupable aussi moi d'innocence, / Reprendre l'habitude austère de l'absence, / Dût se refermer l'âpre et morne isolement, / Dussent les cieux, que l'aube a blanchis un moment, / Redevenir sur moi dans l'ombre inexorables, / Que du moins un ami vous reste, ô misérables ! » (Victor Hugo).

    Seulement voilà, les spécialistes de la langue ont eu bien du mal à s'accorder sur la prononciation du é euphonique de dussé-je (et autres formes similaires) : Vaugelas le tenait pour « fermé » (Remarques sur la langue française, 1647) ; César Chesneau Du Marsais, pour « ouvert commun » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1755) (2). Pourquoi pareille hésitation, me demanderez-vous ? Parce qu'à cette époque l'accent aigu placé sur un e final servait aussi bien à représenter le son é (fermé) que le son è (ouvert) − je n'en veux pour preuve que les graphies retenues dans les deux premières éditions (1694 et 1718) du Dictionnaire de l'Académie : aprés, severité, etc. « C'est Pierre Corneille, nous apprend Grevisse, qui, le premier, eut l'idée de distinguer par les accents [le son é du son è] : vérité, après, etc. » ; l'Académie ne l'imitera qu'à partir de 1740... Au XIXe siècle, Louis-Nicolas Bescherelle n'eut pas de mots assez durs pour dénoncer la position de Du Marsais : « Les grammairiens, qui semblent avoir pris à tâche de vouloir tout dénaturer, prétendent que dans aimé-je, demandé-je, [dussé-je, etc.,] l'e est ouvert commun ; ils ont tort, selon nous, car l'é étant fermé, comment pourrait-on le prononcer ouvert ? Nous, nous le prononçons fermé comme dans café ; la prononciation et le signe doivent donc être en harmonie ; un é aigu ne se prononce point comme un è ouvert » (Grammaire nationale, 1834). Dix ans plus tard, coup de théâtre : « Est-il permis de prononcer autrement qu'avec le son de l'è ouvert les mots suivants : collège, manège, siège, piège, [...] aimè-je, puissè-je, dussè-je, etc. [...] ? lit-on dans son Dictionnaire national (1845). Toute autre prononciation est ridicule, affectée, inélégante et contraire à ce principe qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que toute syllabe finale sourde rend l'e qui précède toujours ouvert. » Là est précisément le nœud de l'affaire : d'ordinaire, quand deux syllabes muettes viennent à se suivre à la fin d'un mot, il est d'usage que la pénultième se prononce avec le son ouvert et prenne un accent grave (père, sincère, fièvre, fidèle, etc.) (3) ; mais il y eut, comme souvent dans notre langue, quelques exceptions, à commencer par les mots en -ège − un temps affublés d'un accent aigu prononcé « comme un é fermé long, parce que cette prononciation s'accorde assez naturellement avec le son du g » (Pierre Restaut, 1740) −, auxquels furent assimilés nos fameux verbes « qui semblent ne former avec le pronom je, du moins pour l'oreille, qu'un seul et même mot » (Charles-Pierre Girault-Duvivier, 1822). Il fallut attendre 1878 pour que l'Académie se décidât à écrire collège, piège... (avec un accent grave prononcé è) et 1990 pour que le Conseil supérieur de la langue française recommandât les graphies dussè-je, aimè-je..., plus « conformes aux règles générales de l'écriture du français » (4).

    Las ! le son ouvert a favorisé l'apparition (le retour ?) de formes parasites en -ai ou -ais, par confusion phonétique (par archaïsme ?) : « Dussai-je être traité de "catholicisant" » (Émile-Guillaume Léonard, cité par Bruno Durand, 1919), « Dussais-je porter ma tête sur un échafaud » (Marcel Fabre, 1933), « Dussais-je mourir de faim » (René Berthelot, 1938), « Dussai-je être suspecté d'idéalisme » (Georges Burdeau, 1981). Allez vous étonner, après cela, de voir fleurir des dussait-il, dussaient-ils sur la Toile...

    (1) Rappelons ici la règle qui veut qu'en cas d'inversion du sujet, dans les phrases interrogatives et exclamatives, le e muet qui termine certains verbes à la première personne du singulier de l'indicatif présent et des temps simples du subjonctif se change en é devant le pronom je, afin d'éviter le « hiatus qui résulterait de la rencontre de deux syllabes sourdes » (Louis-Nicolas Bescherelle) : aimé-je, demandé-je, etc., comme dussé-je, eussé-je, fussé-je, puissé-je. La langue ordinaire préfère recourir, dans les tours interrogatifs, à l'introducteur est-ce que...

    (2) Autres avis contradictoires émis par les spécialistes de la langue : « Le e féminin requiert une [prononciation] plus expresse et comme masculine [...]. De là vient qu'aucuns y apposent un accent aigu, cherché-je, puissé-je, parlé-je » (Charles Maupas, 1625), « Lorsque les premières personnes sont terminées par un e muet, il faut changer cet e muet en é fermé avec l'accent aigu » (Pierre Restaut, 1740), « M. Restaut se trompe, en disant que l'e muet se change en e fermé dans cette occasion ; et M. Du Marsais n'a pas été conséquent, quand il a dit qu'il étoit ouvert, et qu'il a continué de le marquer de l'accent aigu [...]. Il seroit donc plus convenable [...] d'écrire aimè-je ? dansè-je ? » (Jacques-Philippe-Augustin Douchet, 1762), « Pour la première personne, si le verbe finit par un e muet, cet e se change en é fermé » (Jean-François Féraud, 1788), « L'e est aigu long [...] partout où l'é aigu ou ai, ei sont suivis du son je » (Urbain Domergue, 1805), « Aimé-je ? [avec é fermé] ou aimai-je ? se prononcent tous les deux absolument de même » (Noël et Chapsal, 1823), « [La graphie vicieuse] dussai-je doit s'écrire dussé-je [...] et se prononcer du-sséj' » (Joseph Benoît, 1857), « Bien qu'on écrive é, on prononce [è] dans ces formules, l'é fermé ne s'employant guère dans les syllabes fermées » (Kristoffer Nyrop, 1903), « Cette prononciation [en è, qui fait exception à la règle] est artificielle, enseignée et imposée par le maître d'école. [...] Et la force invincible de la loi naturelle n'a pas rétabli la prononciation régulière, car cette forme d'interrogation [avec inversion du sujet] a cessé bientôt d'être usitée [au profit de la périphrase est-ce que] » (Théodore Rosset, avant 1905 ?), « La prononciation la plus ordinaire, celle qui résulte du simple jeu des lois phonétiques est [è : j]. La prononciation [é : j] est plus rare » (Damourette et Pichon, 1934), « On remplace cet e muet par un é fermé (qui toutefois se prononce comme un è ouvert) » (Adolphe V. Thomas, 1971), « De là le changement de l'e muet en e ouvert (noté abusivement é) » (Maurice Grevisse, 1975), « La prononciation rigoureuse est donc : [du]ssé » (Jean-Pierre Colignon, 2017).

    (3) De là la règle générale rappelée par la Conseil supérieur de la langue française : « La lettre e ne prend l'accent grave que si elle est précédée d'une autre lettre et suivie d'une syllabe qui comporte un e muet. »

    (4) Il est à noter que certains auteurs avaient anticipé la régularisation de cette anomalie : « Dussè-je avoir plus de chances d'être atteint moi-même » (Marcel Proust), « Dussè-je y passer une seconde nuit » (Henry Bordeaux).

    Remarque 1 : On a d'abord dit, en ancien français, deusse jou (aim[e] jou, etc.) : « La deusse jou bien trover » (Jean Renart, début du XIIIe siècle). Après l'affaiblissement de jou en je, la rencontre des deux syllabes avec e muet (dit aussi instable, féminin ou caduc) constitua une difficulté de prononciation réelle. D'aucuns s'en accommodèrent tant bien que mal, notamment dans « les provinces de delà Loire » (selon Vaugelas) et « dans toute la Lorraine, [où] on prononce aime-je, chante-je, mange-je, avec les deux e féminins desuite » (selon Ménage, 1672) : « Je ne men fuyrait point, et deusse je mouryr en ceste place » (John Palsgrave, 1530), « Car y deusse-je perdre la vie, il faut que me repariez ce tort » (Étienne Pasquier, avant 1615). Ailleurs, on contourna la difficulté en plaçant l'accent tonique sur la finale de la forme verbale ; se développèrent ainsi − « non seulement au XVe siècle, où l'absence des accents graphiques ne laissait pas d'autres moyens, mais aussi après leur invention, jusqu'au XVIIIe siècle », précise Grevisse − des graphies en -ai, -ay, parfois -ei (par fausse analogie avec le passé simple ?) à côté de celles en -é, exigées par Vaugelas : « Y deussay-je employer mon bien, / Je ne veux point d'autre alchymie » (Olivier Basselin, avant 1450), « Je ne m'y sçauroye consentir, / En deusai-ge perdre la vie » (Le Mystère de saint Laurent, 1499), « Et dussei-ge, par Dieu, acquerre [...] » (Trestout le trésor de Venise, XVe siècle), « Ne dusseige manger à mon ordinaire que des carottes » (texte anonyme daté de 1626), « Deussais-je aller pieds nuds » (Adam Billaut, avant 1662), « Düssay-je estre roüé tout vif » (Molière, 1671), « Deussay-je après dix ans voir mon palais en cendre » (Racine, 1679), « Mais dussai-je en périr » (Crébillon père, 1707), « Dussai-je en mourir cent fois, il faut être estimé de Julie » (Rousseau, 1761). N'allez pas croire pour autant que lesdites finales (ai, ay, ei) se prononçaient forcément avec un son ouvert : « Plusieurs ignorent [la] règle et conservent l'e muet dans l'orthographe et la prononciation. D'autres, prononçant l'é fermé, changent, en écrivant, cet e muet en ai », nous renseigne Jean-François Féraud dans son Dictionnaire critique (1788). Rappelons encore à toutes fins utiles que, selon Littré, l'e aigu se divise en deux : « é fermé comme dans bonté ; il est souvent figuré par ai comme dans je trompai, par ez, comme dans vous voyez ; l'autre moins fermé, comme le premier e dans été, sévère, etc. ; ce second e moins fermé est figuré de façons très diverses : par é comme dans les exemples précédents, par ai comme dans le premier ai de j'aimai, par e comme dans Noël, secte, par ait comme dans trait, par et comme dans sujet, par ect comme dans respect, par aid comme dans laid, par egs comme dans legs, par ef comme dans chef-d'oeuvre. »

    Remarque 2 : Voir également le billet Inversion du pronom je.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Dussé- je (graphie traditionnelle) ou Dussè-je (graphie rectifiée) passer pour un idéaliste.

     


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique