• Graine d'instar

    « En plus d'annoncer de nouveaux projets, il a de nouveau apporté son soutien à son "frère" Donald Trump, qu'il considère, à son instar, comme un "dragon d'énergie" » (à propos du rappeur américain Kanye West).
    (paru sur bfmtv.com, le 2 mai 2018)

    Donald Trump (photo Wikipédia sous licence GFDL par Michael Vadon) 

      FlècheCe que j'en pense


    Une fois n'est pas coutume, les sentinelles de la langue seront unanimes pour cracher le feu de leur réprobation : « La locution à l'instar exige un complément avec de ; on ne dit pas [à son instar] » (Hanse), « Ne pas dire à mon instar, à ton instar, à son instar, etc., mais à l'instar de moi, à l'instar de toi, à l'instar de lui, etc. » (Girodet), « La locution étant à l'instar de, on ne dira pas à son instar, à leur instar » (Thomas), « À l'instar de est une locution figée qui ne peut pas être construite avec un adjectif possessif : on ne peut pas dire *à son instar, *à votre instar » (Larousse en ligne).

    Oserai-je l'avouer ? L'argument de la locution figée me fait l'effet d'un pétard mouillé. Car enfin, ne vaut-il pas aussi bien pour à l'insu de, que les mêmes experts s'accordent pourtant à employer − de leur plein gré ! − avec un possessif remplaçant le complément de personne : « On dit à mon insu, à ton insu, à son insu, à notre insu, etc. et non à l'insu de moi, de toi, de lui, de nous, etc. » (Girodet) ? Leurs aînés, au demeurant, ne trouvaient rien à redire à cette construction − attestée, soit dit en passant, depuis aussi longtemps que son pendant avec insu (1). Qu'on en juge : « [Des cours des aides] ont été démembrées de celle de Paris, ou ont été établies à son instar dans quelques-unes des provinces qui ont été réunies par la suite au royaume de France » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1754), « Puisqu'ils avouoient n'avoir été créés qu'à leur instar » (Encyclopédie méthodique, 1782), « Bescher, et à son instar Bescherelle, en font un régime direct » (Grammaire de Napoléon Landais, 1835), « Il aime les Français, s'habille à leur instar » (Cours de langue française de Pierre-Alexandre Lemare, 1835), « À son instar, de semblables établissements s'élevèrent à Palerme » (Dictionnaire national de Louis-Nicolas Bescherelle, 1845), « Les Persans, et, à leur instar, les Turcs » (Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse, 1873). Ajoutez à cela qu'aucune restriction d'usage ne figure aux articles « instar » du Littré, du Dictionnaire de l'Académie, du TLFi (mais qui ne dit mot consent-il vraiment ?), et vous ne saurez bientôt plus à quel saint dragon vous vouer.

    Sans doute les anciens, qui connaissaient leur latin sur le bout des griffes, avaient-ils encore à l'esprit que instar était dans cette langue un véritable substantif − fût-il devenu indéclinable −, lequel signifiait proprement « grandeur, valeur égale ; équivalent » (2) avant de prendre le sens étendu de « ressemblance, image » : « Haec navis urbis instar habere videbatur [ce navire semblait avoir l'apparence d'une ville] » (Cicéron). En tant que nom, instar pouvait donc se laisser qualifier par un adjectif : « Quantum instar in ipso est ! [Quelle grandeur en lui !] » (Virgile). On le trouvait surtout, régulièrement suivi d'un génitif, dans diverses constructions (en apposition, puis précédé de la préposition ad, marquant la relation) avec le sens de « à la ressemblance de, à l'exemple de, à l'imitation de, à l'image de, à la manière de, selon le modèle de, équivalent à, de même que, comme » : « Instar montis equus [un cheval pareil à une montagne] » (Virgile), « Navem, triremis instar [un navire aussi gros qu'une trirème] » (Cicéron), « Vallis ad instar castrum clauditur [la vallée est fermée comme un camp] » (Justin). C'est sur ce modèle, un peu brouillon, que le mot est passé dans la langue juridique française du XVIe siècle (3), avec (plus souvent que sans) le soutien de la préposition à : « En la forme et instar de nostre pays de Normandie » (Ordonnance de François Ier, 1520), « Comme nostre Court de parlement de Bourdeaulx ait esté creée, erigée, stablye et ordonnée a l'ymitacion et instar de nostre Court de parlement de Paris » (Ordonnance de François Ier, 1524), « Comme nostre Chambre des comptes de Dijon soit establye et ordonnée a l'instar de celle de nostre Chambre des comptes de Paris » (Ordonnance de François Ier, 1530), « Les quatre anciens tresoriers de France et generaulx des finances, instar desquels ils sont creez » (Ordonnance d'Henri II, 1552), « Tout ainsi et à l'instar et pareil pouvoir » (Déclaration de Charles IX, 1565).

    Quand il resterait anecdotique, l'emploi substantivé de instar (donné pour masculin dans l'édition de 1802 du Dictionnaire français-anglais d'Abel Boyer) n'est pas « absolument exceptionnel », comme l'affirme le Dictionnaire historique de la langue française avec une énergie qui pousse à l'imprudence ; il s'est maintenu du XVIe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle environ, au prix d'une connotation péjorative qui a fait évoluer son sens de « ressemblance, image, conformité, modèle » à celui de « copie, imitation, contrefaçon » (4) : « Que ladite Chambre fut reglée a l'instar de celle de Paris ; qu'en l'an 1575, ledit instar fut jugé parties oüyes » (Déclaration d'Henri III, 1581), « C'est à quoi aboutit tout cet instar, dont la Chambre fait éternellement parade » (Recueil d'édits, déclarations et arrêts, 1724), « Comme nous évitions tous les instars de Paris, nous allâmes dîner au Lion d'Or » (Pierre-Marie-Michel Lepeintre-Desroches, 1829), « Dans chacune des choses qui sont chez l'homme, il y a un instar de l'âme et du corps » (Jean-François-Étienne Le Boys des Gays, 1863), « Bruxelles, qui est un instar » (Auguste Poulet-Malassis, 1869), « Un instar assez réussi » (Edmond Texier, 1877), « Je t'appelle l'Instar parce que tu singes toujours quelqu'un » (Georges de Porto-Riche, 1897), « Un conte philosophique, à la façon de Voltaire, ou, comme on dirait à Marseille, à l'instar de Voltaire. Ce n'est pas Candide, c'est un instar » (Francisque Sarcey, 1899), « Chaque grand centre, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Marseille [...], vit sa vie propre et ne rêve plus d'être un instar de la capitale » (Jean Mesnil, 1900), « Vous vous imaginez sans doute [...] que nous avons feutré nos trottoirs pour en faire comme qui dirait des instars de salons » (Alphonse Allais, 1900), « Des sonnets à l'instar de Herredia, mais qui ne seront tout de même que des "instars", comme on disait jadis en Brabant » (Auguste Dorchain, 1906), « La Belgique est le pays de l'instar » (Guillaume Apollinaire, avant 1918), « Cette critique locale l'exaspérait, non seulement comme une injure, mais comme une laideur, un provincialisme, un instar misérable de Paris » (Albert Thibaudet, 1924), « On doit tenir le bol de Rhagès pour un instar, une contrefaçon, donc une pièce plus tardive » (Charles Vignier, 1925), « Là, ils trouveraient une annexe ou un instar de l'Ecole coloniale » (Albert de Pouvourville, 1927), « Les êtres les moins cultivés sont [le plus souvent] les moins capables de critique, les plus à la merci de l'instar, les mieux disposés [...] à adopter des sentiments de convention » (André Gide, 1929), « J'aime mon compartiment. Dépourvu de miroirs, de coussins, de tout cet instar qui [...] s'efforce de faire regretter une chambre d'hôtel » (François de Croisset, 1930), « Orléans, cet "instar" de Paris » (Armand Bouvier, 1932), « Cet "instar" n'ajoute rien, si ce n'est une note factice » (Henri Austruy, 1932), « Les étoiles et les stars qui sont, si souvent hélas, des instars » (Robert Trébor, 1939) (5). Aussi est-on fondé à se demander dans quelle mesure l'utilisation de instar comme substantif a pu favoriser les modifications morphologiques et syntaxiques subies de longue date par à l'instar de (à cet instar, à son instar... [6]).

    Résumons : quand bien même le nom instar ne serait plus employé de façon autonome par nos contemporains, l'usage en a conservé le souvenir dans la construction à l'instar de, dont le sens ne diffère pas (ou guère) de la combinaison du sens de chacun de ses éléments et dont la structure, de surcroît, n'a jamais cessé d'être manipulable. Difficile dans ces conditions, vous en conviendrez, de continuer à considérer ladite locution comme figée... Vous l'aurez compris : n'en déplaise aux cracheurs de feu cités en introduction, il ne faudra plus compter sur moi pour descendre à son instar... en flammes !

    (1) Comparez : « Lesdicts vendeurs et controolleurs de vins, et à leur instar y ayant pareille raison que [...] » (Lettres patentes de Louis XIII, 1625), « Tant de sa Chancelerie du Palais à Paris, que de celle de Dauphiné establie à son instar » (Règlement de Louis XIV, 1667) et « A mon insceu » (Jean Nicot, 1606, cité par le TLFi et par le Dictionnaire historique de la langue française).

    (2) Le Dictionnaire historique de la langue française suppose, à la suite du linguiste Eduard Wölfflin, que instar désignait, à l'origine, le poids que l’on place sur le plateau d’une balance pour en assurer l’équilibre.

    (3) Il est vraisemblable que la locution à l'instar de soit apparue avant le XVIe siècle. Les Archives historiques et statistiques du département du Rhône font ainsi mention d'un édit daté du 9 février 1419, où l'on peut lire ceci : « Le tout à l'instar des foires de Champagne et de Brie. » Problème : c'est « (Ils jouyssent de tels et semblables privilèges) que les foires de Champagne et de Brie » qui figure dans le recueil des Ordonnances des rois de France. Qui croire ?

    (4) « Instar s'est employé comme substantif masculin, avec le sens de "ressemblance, conformité" », confirme Frédéric Godefroy dans son Dictionnaire de l'ancienne langue française. Au XIXsiècle, prestige des expressions savantes oblige, le mot s'affiche pompeusement sur les enseignes de province, comme en témoignent ces quelques exemples : « Tailleur à l'instar de Paris [= à la manière de ce qui se fait à Paris] » (Littré), « Bazar à l'instar de Paris » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Le client achetait des chaussures toutes faites, dans des magasins à l'instar de Paris » (Anatole France, 1897). « L'instar » fait tout à coup « province », observe Abel Hermant, il est devenu « péjoratif ».

    (5) Et aussi : « Il tient depuis peu la Maison connue sous le nom d'Instar de Paris » (Journal du département du Mont-Blanc, 1809), « Un magasin de nouveautés [à Bruxelles], le Printemps (instar de Paris) a brûlé de la cave au grenier » (Le Figaro, 1883), « Allait-on servir aux hôtes nombreux venus de si loin "un instar de Marseille" ? » (Revue de l'enseignement secondaire, 1890), « [Il] dirige un important sanatorium d'enfant, un instar de notre Berck, en Belgique » (Gazette des eaux, 1894), « Comme notre ville n'est jamais en retard pour établir un "instar de Paris" » (Revue comique normande, 1897), « D'aucuns trouveront sans doute que nous faisons tout à l'instar des Parisiens ; mais cette fois l'instar a du bon » (La Lutte, 1898), « La duchesse [...] organisa dans son chalet d'Houlgate un instar des Tréteaux de Tabarin [un cabaret parisien] » (La Vie parisienne, 1901), « Dans cet "instar" du Paradis de Mahomet » (La Lanterne, 1907), « Vous vous imaginez cet instar bourgeois » (L'Intransigeant, 1925), « La maladie du samedi est soupçonnée de préparer subrepticement un instar de semaine anglaise » (Paris-municipal, 1942).

    (6) Pour preuve, ces exemples glanés sur la Toile : (À cet instar) « Entre nos Cours de Parlement et Chambre des Comptes de Paris, que Nous voulons à cet instar » (Règlement d'Henri II, 1580), « Ne pourroit-on pas échantillonner toutes autres mesures à cet instar ? » (Laurens Melliet, 1618), « C'est à cet instar que M. le Maréchal de Belle-Ille a fait voûter toutes les écuries de son château » (lettre datée de 1750), « A cet instar, on se propose à Londres de recevoir [...] » (texte daté de 1784), « Nous souhaitons que [...] la marine marchande de France soit, à cet instar, assez forte » (Nicolas Edouard Delabarre-Duparcq, 1875), « Si l'on croit bon de disposer, à cet ennuyeux instar [à l'instar des abrégés géographiques], des cadres historiques que l'enseignement devra s'efforcer de remplir, je n'y contredirai point » (Thérèse Alphonse Karr, 1876), « Tout se modèle autour d'eux à cet instar » (Alexandre Lefas, 1916), « L'abbé Eudes s'était enthousiasmé pour cette fondation [...]. C'est à cet instar qu'il voulut fonder une Maison des orphelins » (Bulletin religieux de l'archidiocèse de Rouen, 1935), « Ne pourrait-on pas "créer", à cet instar, une école du syndicalisme ? » (Le Midi syndicaliste, 1936), « On a surnommé Virgile "le cygne de Mantoue". A cet instar, comment furent appelés Bossuet et Fénelon ? » (Paris-Soir, 1941) ; (à mon, son... instar) « À leur instar [...] à nostre instar » (Jean d'Auvray, 1623), « En ce cas, mignonne, j'irai me messifier à votre instar » (Paul Lacroix, 1829), « Quelquefois les brigands eux-mêmes [...] finissaient par devenir agriculteurs à leur instar » (Charles de Montalembert, 1860), « Sa pensée est claire comme de l'eau de roche, et à son instar elle épouse la forme de toutes les carafes » (Aristide Briand, 1911), « L'imparfait, avatar aspectuel des formes en -rais, corrige à leur instar la relative brutalité du présent » (Marc Wilmet, 1996), « Et si l'on convient que, chez Voltaire, promptitude vaut profondeur, il ne semble pas interdit de supposer que, à son instar, André Frossard s'était assuré un style visant à exprimer tout ce qui, autour de lui, réclamait, d'urgence, d'être exprimé » (Hector Bianciotti, 1997), « Pourquoi, à son instar, ne m'étais-je pas accoutumé au centre de rétention ? » (Éric Emmanuel-Schmitt, 2008), « Le discours constitue, de fait, un corps analogue au corps physique et doté à son instar d'un volume » (Baldine Saint Girons, 2014) ; (À quel instar) « Chambre des Requêtes de l'Hôtel (la), à quel instar établie ? » (Description de Paris, 1742), « On sait à quel instar... » (Henri Galoy, 1906). On trouve même un ad instar suum chez Louis Ellies Dupin (De Antiqua Ecclesiae disciplina dissertationes historicae, 1686).

    Remarque 1 : Au XVIIe siècle, à l'instar était présenté comme une préposition « trop latin[e] et point en usage parmi les bons Français » par Antoine Oudin (Grammaire française, 1645), « décriée » par Laurent Chifflet (Essay d'une parfaite grammaire de la langue française, 1653). Ces condamnations, modérées deux siècles plus tard par Littré (« À l'instar n'est plus décrié ; mais il a toujours quelque chose de technique qui l'écarte du haut style »), n'ont pas empêché nos écrivains d'en faire bon usage : « L'empereur [voulut] joindre, à l'instar du culte évangélique, la morale à la religion » (Chateaubriand), « Le grand sujet de plaisanterie contre ces personnages graves, c’est qu'ils portaient de la poudre à l’instar de leurs maîtres » (Stendhal), « Port-Royal a été conçu comme une pièce en un seul acte, à l'instar des tragédies grecques » (Montherlant).

    Remarque 2 : On lit sur le site de Françoise Nore : « À l'instar de est une locution prépositionnelle, comme en face de, etc. On ne peut donc convertir instar en nom et le faire précéder d'un déterminant, tout comme on ne peut transformer en face de X en *en sa face, même si instar en latin et face en français sont des noms. » C'est oublier, me semble-t-il, que, si en sa face n'est certes pas équivalent à en face de X, l'alternance est possible entre à l'instar de X (= à l'image de X, à l'exemple de X, à la manière de X) et à son instar (= à son image, à son exemple, à sa manière).

    Remarque 3 : On ne donnera pas à à l'instar de le sens de « à l'opposé de » (par confusion avec à l'inverse de) ni de « en cachette de » (par confusion avec à l'insu de).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou Donald Trump, qu'il estime être, tout comme lui, un "dragon d'énergie".

     

    « À l'heure du désordre ?Cela ne fait pas un pli ! »

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