• Le nouveau quiz de Jacques Drillon

    « Parviendrez-vous à déjouer tous les pièges de la langue française ? »

    (Jacques Drillon, sur nouvelobs.com, juillet 2013) 

     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Rien n'est moins sûr...

    Journaliste et spécialiste de linguistique, Jacques Drillon propose chaque été aux lecteurs du Nouvel Observateur un « quiz de la langue française ». On aurait toute raison de se réjouir de cette rafraîchissante initiative si celle-ci – dans sa dernière mouture en ligne, du moins – ne suscitait finalement plus d'interrogations que de certitudes. Jugez-en plutôt...

    À la question no 4 est évoqué le tour il n'y a pas de péril en demeure, alors que l'expression consacrée pour signifier qu'il n'est pas dangereux d'attendre, que rien ne presse est il n'y a pas péril en la demeure, si l'on en croit Littré, Thomas, Hanse, l'Académie et les dictionnaires usuels.

    La question no 6 laisse entendre que le verbe dauber exige la préposition sur au sens familier de « railler, dénigrer », alors que Girodet, Thomas et l'Académie autorisent deux constructions : dauber quelqu'un (quoique vieillie) et dauber sur quelqu'un (plus fréquente).

    Nettement plus cocasse : la question no 8 nous apprend qu'une construction susceptible de double sens est une amphibiologie (au lieu de amphibologie, du grec amphibolos, « équivoque, incertain »). Il faut croire que les amphis de biologie n'ont pas le monopole de l'ambiguïté...

    On rappellera, à l'occasion de la question no 10, qu'un adjectif numéral ordinal sera d'autant mieux abrégé que l'on placera après le nombre correspondant un e plutôt qu'un ème : au XVIIe siècle (et non au XVIIème siècle).

    Particulièrement vicieuse, enfin, est la question no 11 : « Sachant que saillir a donné saillant, comment conjugue-t-on ce verbe ? Le taureau saille/saillait/saillit une vache  ? » Il se trouve que le verbe saillir change de conjugaison selon le sens : il suit celle d'ouvrir (sauf au futur et au conditionnel) au sens courant de « former une saillie, être en relief » ; celle de finir au sens de « jaillir » (réservé aux liquides, dans un emploi vieilli) ou de « s'accoupler avec une femelle » (en termes d'élevage) : Des muscles saillant sous une chemise mais Le taureau saillit une vache. Convenons que l'allusion à saillant, participe présent de saillir pris dans la première acception, était on ne peut plus... vache, dès lors qu'il s'agissait de conjuguer notre verbe dans un emploi relevant cette fois de la seconde.

    « Jacques Drillon donne aux lecteurs du Nouvel Observateur de sérieux doutes sur leur maîtrise de la langue française » écrivait l'éditeur du Quiz de l'Obs, recueil des séries précédentes. Il ne croyait pas si bien dire...


    Remarque : L'amphibiologie désignait autrefois la partie de l'histoire naturelle qui traite des animaux amphibies (crapauds, otaries, castors et autres animaux vivant sur la terre et dans l'eau).


    Voir également les billets Péril en la demeure et Saillir.

     


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  • Accords "désaffectés"« Au moins une vingtaine de millions devaient être affectée à la restauration d’une maison qui n’était pas en bon état » (à propos de l'hôtel Lambert, dont une partie a été récemment ravagée par un incendie).

    (Vincent Noce, sur liberation.fr, le 10 juillet 2013) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Tangopaso)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Ce n'est pas parce que la grammaire nous laisse pour une fois le choix de l'accord que celui-ci doit se faire au détriment du bon sens. En présence d'un sujet collectif numéral, il est en effet d'usage d'accorder verbe et attribut avec le complément quand ledit collectif désigne une quantité approximative. Comparez : Une douzaine d'œufs devraient suffire mais La douzaine d'œufs coûte deux euros. Las ! Dans le feu de l'action, notre journaliste s'emmêle les intentions, accordant le verbe au pluriel (avec le complément millions) et l'attribut au féminin singulier (avec le collectif numéral une vingtaine), au mépris de toute cohérence grammaticale.

    Si chacun y va de son accord d'intention au sujet de la restauration de ce prestigieux hôtel particulier, on n'est pas sorti de l'auberge.


    Voir également le billet Accord avec un collectif.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une vingtaine de millions devaient être affectés à la restauration.

     


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  • Huis clos

    « Le journaliste de France 2 Guillaume Daret a pu obtenir cette vidéo amateur de cette réunion à huis-clos » (du bureau politique de l'UMP après l'invalidation de son compte de campagne).

    (paru sur nouvelobs.com, le 8 juillet 2013) 

     

     
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    N'en déplaise à notre journaliste, le trait d'union n'a pas voix au chapitre dans une réunion tenue à huis clos (cf. Académie, Girodet, Thomas, Hanse). Force est de constater que la faute n'est pas récente, à l'instar de cette affiche du film de Jacqueline Audry, tiré du livre éponyme de Jean-Paul Sartre.

    Issu (selon le Dictionnaire historique) du latin ustium, altération de ostium, « ouverture, porte », huis (avec h et s muets) est un vieux mot masculin qui désigne la porte extérieure d'une maison. Il ne se rencontre plus guère que dans la locution à huis clos – entendez, au Palais, « les portes étant fermées au public » et, au figuré, « en petit comité ».

    Selon Robert, on a écrit huis avec un h pour éviter la lecture vis, à l'époque où le u se confondait avec le v. De fait, ledit h, faute d'être justifié par l'étymologie, est logiquement muet dans huis et ses dérivés : l'huis, l'huisserie, l'huissier... mais devient curieusement aspiré dans huis clos : Frapper l'huis ou à l'huis mais Demander, requérir le huis clos (forme substantivée). Par exception, selon l'avis de Littré ? Par analogie avec le hiatus contenu dans à huis clos ? Il faut croire que le débat, lui, n'est pas encore clos.

    Remarque : On se gardera également de toute confusion avec le chiffre huit (du latin octo) : « réunion à huit clos » (Les Échos).


    Voir également le billet Clore / Clôturer.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une réunion à huis clos.

     


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  • Blanchi(e)ment

    « [Sergueï Magnitski] avait dénoncé en 2007 une affaire de corruption, de détournement de fonds et de blanchiement par des fonctionnaires et des membres des forces de police » (à propos du juriste russe, photo ci-contre, reconnu coupable d'évasion fiscale quatre ans après son décès en prison).

    (paru sur lexpress.fr, le 11 juillet 2013) 

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par VOA)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Grande est la tentation d'ajouter un e (voire un accent circonflexe, comme le fit un temps l'Académie) au i de blanchiment par analogie avec les verbes en -ier : renier → reniement, rapatrier → rapatriement, etc. Après tout, le Dictionnaire historique n'évoque-t-il pas contre toute attente l'existence d'un ancien verbe blanchier, depuis longtemps tombé en désuétude ? Il n'empêche : l'origine de notre substantif se situe plus vraisemblablement du côté de blanchir, à la sonorité moins ingrate. Il est en effet couramment admis que ledit verbe possède deux dérivés en -ment : blanchissement (formé sur le modèle avertir → avertissement) et blanchiment (formé sur le modèle assortir → assortiment), qui ne saurait s'accommoder du e caractéristique des substantifs issus des verbes du premier groupe.

    À la décharge de notre journaliste, reconnaissons que la dérivation n'est pas un procédé cousu de fil blanc, comme en témoigne cette mise en garde de Vaugelas : « Remerciment se doit aussi écrire et prononcer remerciment, et non pas remerciement avec un e après l'i. Agrément, de même, et non pas agréement. » Quand les choses auraient été depuis régularisées (remerciement l'a finalement emporté sur remerciment), force est de constater que l'on continue d'écrire agrément (pourtant dérivé de agréer) et châtiment (pourtant dérivé de châtier) au mépris de toute logique.

    Pour en revenir à nos blancs moutons, précisons encore que le blanchiment – sans e intercalaire, donc – est l'action de blanchir ce qui n'est pas naturellement blanc (un plafond, un tissu, un légume, voire des dents) ou, au sens figuré, ce qui est d'origine douteuse (l'argent de la drogue), quand le blanchissement est le fait de devenir blanc de façon naturelle (le blanchissement des cheveux, du ciel). Est-il utile de préciser que cette distinction n'a pas toujours prévalu ? Pour Littré, blanchissement et blanchiment, c'était bonnet blanc et blanc bonnet, depuis qu'il considérait – sans doute à tort – celui-ci comme la syncope de celui-là. Quant à l'Académie, elle ignora le premier jusqu'en 1992, attribuant au seul second l'action de blanchir et son résultat. Même flou observé au sens figuré, où l'on a parlé indifféremment de blanchissement ou de blanchiment à propos d'argent frauduleusement acquis, mais uniquement de blanchissement dès lors qu'il était question d'innocenter une personne.

    De là à donner un chèque en blanc à notre journaliste pour décider de la graphie de notre substantif verbal...


    Remarque
    : Blanchissage se dit surtout du lavage du linge (en plus du raffinage du sucre).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une affaire de corruption, de détournement de fonds et de blanchiment (d'argent).

     


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  • « Car si la décision des magistrats s’imposera d’abord à l’ancien secrétaire général de l’Elysée, elle vaudra également pour son ex-patron » (à propos de Claude Guéant, photo ci-contre, et de son implication supposée dans l'affaire Tapie).
    (Éric Decouty, sur liberation.fr, le 10 juillet 2013) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Loin de moi l'intention de juger du fond d'une affaire explosive qui déborde, à tout le moins, le cadre feutré de ce blog. Dans cette phrase relevée ce matin sur le site du journal Libération, seule m'intéresse la forme qui, gageons-le, ne manquera pas de choquer des oreilles rebattues de la fameuse règle selon laquelle « les si n'aiment pas les -rai  » (et de sa variante « les si n'aiment pas les -ra »).

    Et pour cause : il n'est pas ici question du si introduisant une proposition subordonnée de condition – qui, de fait, ne saurait s'accommoder d'un verbe au conditionnel ou au futur –, mais du si exprimant une concession, au sens de « s'il est vrai que ». Dans cet emploi, au risque de me répéter, l'usage du futur ou du conditionnel n'a rien que de très correct, contrairement à ce que ladite règle, par trop imprécise, pourrait laisser croire. Comparez : Si Claude Guéant avait su, il ne serait pas venu (et non Si Claude Guéant aurait su) et S'il aurait été souhaitable d'éviter cette polémique, on ne pouvait empêcher la justice de faire son travail (= S'il est vrai qu'il aurait été souhaitable...). On dira tout aussi correctement, dans une interrogation indirecte : La justice s'est demandé si Nicolas Sarkozy n'aurait pas été à l'initiative de la procédure d'arbitrage.

    Saluons ici l'audace d'un journaliste qui n'a pas cédé à la facilité là où d'autres auraient renoncé au futur de peur de se le voir reprocher au nom d'un raccourci mnémotechnique contestable.


    Voir également le billet Si.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose !

     


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