• « L'année 2013 se terminait donc en beauté pour Shy'm, mais le mois de décembre a été entâché d'un événement choquant [...]. Deux hommes ont en effet percuté le véhicule dans lequel elle se trouvait, et dont elle est sortie pour procéder à un constat à l'amiable. »

    (Charles Decant, sur purecharts.fr, le 9 décembre 2013) 
    Shy'm (photo Wikipédia sous licence GFDL par Georges Biard)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Pour sûr, un accent circonflexe sur le a du verbe entacher, ça choque !

    Le cas de dont est plus discutable. Longtemps, le relatif fut employé comme adverbe de lieu avec le sens de d'où, en raison d'une origine latine commune (de unde) : « Rentre dans le néant dont je t'ai fait sortir » (Racine, cité par Littré). Avec des verbes comme venir, sortir, partir, descendre, etc., la plupart des grammairiens (dont Girodet, Thomas, Hanse) préconisent toutefois de faire la distinction entre d'où et dont, selon qu'il s'agit de marquer le lieu (éloignement, point de départ) ou l'origine (descendance, extraction). Comparez : La ville d'où il vient et L'illustre famille dont il descend.

    Si l'emploi de dont pour d'où dans les cas où l'idée de lieu matériel domine (Le pays dont il sort pour Le pays d'où il sort) ne saurait constituer une faute − quoi qu'ait pu en penser Vaugelas (*) −, l'Académie le considère désormais comme « vieilli » (pour ne pas dire archaïque) ou « littéraire ». Deux adjectifs qui, convenons-en, font... tache dans notre décor.


    (*) « Quelques-uns disent encore dont, pour d'où, comme le lieu dont je viens, mais c'est très mal parler ; il faut dire d'où je viens, quoique ce fût sa vraie et sa première signification » (Remarques sur la langue française, 1647).


    Remarque
    : On notera avec Dupré que l'emploi de d'où s'étend aux verbes qui, par figuré, ont « une valeur spatiale de point de départ » : conclure, il suit que, il résulte que. Un fait d'où je conclus que...


    Voir également les billets Tache / Tâche et Dont.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le mois de décembre a été entaché d'un évènement choquant.

    Le véhicule d'où elle est sortie (de préférence à dont elle est sortie).

     


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  • « Qu’a fait le ministère de l’Outre-mer, sans le clamer sous les toits ? »

    (Jean-Michel Aphatie, photo ci-contre, sur son blog, le 26 novembre 2013) 
     
    (photo rtl.fr )
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Crier sous les toits ou le comble de la discrétion !

    Emprunt au langage biblique (sous la forme prêcher quelque chose sur les toits), la locution figurée crier, clamer quelque chose sur les toits s'entend au sens de « divulguer, répandre une information » : N'allez pas crier cette histoire sur les toits !

    Le Dictionnaire historique de la langue française croit y voir une allusion à l'usage des Orientaux qui conversent d'une maison à l'autre sur les toits-terrasses (ou toitures-terrasses). De fait, on conçoit sans peine que la voix porte davantage à l'extérieur des habitations que sous les combles...

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Sans le clamer sur les toits.

     


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  • « Est-ce qu’il y avait urgence ? Et l’abolition de la prostitution le peut-on par un texte de loi ? Quel homme de gauche ou tout simplement humaniste peut-il être pour la marchandisation des corps ? [...] Quand à la volonté de tarir la demande, à défaut de pénaliser l’offre via une amende, on s’interroge » (à propos de la loi sur la pénalisation des clients).
    (Jean-Christophe Cambadélis, sur son blog, le 4 décembre 2013)
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    On s'interroge, assurément.

    Notre député serait-il fâché avec la langue française au point de souhaiter en abolir les règles de grammaire − à moins qu'il ne cherchât plutôt à « faire populaire », par les temps électoraux qui courent ? Que l'on en juge : ce le qu'il y aurait urgence à remplacer par un la, afin que le pronom se rapportât à l'abolition de la prostitution ainsi que le sens l'exige ; ce quand à trop souvent confondu avec la locution conjonctive quant à, « pour ce qui est de ».

    Le cas de l'interrogation directe est plus discutable. Quand la phrase commence par un mot interrogatif en position de sujet, il est en effet d'usage de ne pas faire d'inversion du pronom de rappel : Qui l'a dit ? (et non Qui l'a-t-il dit ?) ; Combien de personnes sont venues ? (et non Combien de personnes sont-elles venues ?). Aussi s'attendait-on à lire : Quel homme peut être pour la marchandisation des corps ? sur le modèle de Quel bon vent vous amène ? (Académie), Quel amoureux pourrait s'emparer d'elle ? (Claudel), Mais quelle joie, quelle raison de vivre, quelle vie peuvent résister à cette vision ? (Proust), Quelle station vient de passer en coup de vent ? (Gide). Dans ces emplois, l'adjectif interrogatif quel, suivi d'un substantif, marque suffisamment l'interrogation pour que le recours au pronom personnel soit superflu. Mais voilà que Hanse croit bon d'ajouter que « l'inversion du pronom de rappel est courante après combien et n'est pas rare après quel ou lequel » − sans toutefois préciser si celle-ci doit être considérée comme correcte et souhaitable : Quelle rage de vivre et de dominer l'avait-elle soutenue ? (Druon), Quelle aventure peut-elle l'attendre à l'Opéra ? (Yourcenar).

    En dépit de telles cautions, oserai-je affirmer à la suite d'Étienne Le Gal qu'il y a là contamination entre deux constructions distinctes : Quel homme peut être pour la marchandisation des corps ? et Un homme peut-il être pour la marchandisation des corps ?

    Mauvaise passe pour la langue française, vous dis-je...

    Remarque 1 : L'honnêteté m'oblige à préciser que certains grammairiens (dont Martin Riegel) considèrent qu'il est possible, quand l'interrogation partielle porte sur le sujet, d'effectuer une inversion pronominale pour renforcer l'interrogation ; d'autres (dont Bénédicte Gaillard) ne l'envisage avec quel et combien que dans un tour interro-négatif (Quel adolescent n'a-t-il jamais tenté cette expérience ?).

    Remarque 2 : Dans le cas où l'interrogatif quel détermine un groupe nominal complément d'objet direct (et non plus sujet), l'inversion du pronom de rappel peut être exigée afin d'éviter toute équivoque : Quel écrivain cite ce professeur ? (qui cite qui ?) à comparer à Quel écrivain ce professeur cite-t-il ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Peut-on abolir la prostitution par un texte de loi ?

    Quel homme de gauche peut être pour la marchandisation des corps ?

    Quant à la volonté de tarir la demande...

     


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  • « Il vous reste une heure de cuisine, une heure tout rond. »

    (Sébastien Demorand, dans l'émission Masterchef diffusée sur TF1, le 6 décembre 2013) 
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Est-il besoin de préciser que j'ai ouvert des yeux ronds en entendant le critique culinaire Sébastien Demorand annoncer aux candidats de Masterchef qu'il ne leur restait plus qu'une heure tout rond pour mettre la dernière main à leurs plats ?

    C'est que, sur ce point, le chef Girodet est catégorique : quand l'expression tout rond est mitonnée au sens de « exactement », l'adjectif rond reste variable : cent euros tout ronds (mais, allez savoir pourquoi, Il est cinq heures juste, pourtant de même sens). Hanse acquiesce dans une version qui, je vous l'accorde, n'est pas de la dernière fraîcheur : Ça m'a coûté mille francs tout ronds. On dira de même d'un nombre composé de dizaines, de centaines ou de milliers sans fraction que c'est un compte rond : Dix, vingt, trente, cent, deux cents, mille sont des comptes ronds. Reste à savoir si ladite recette vaut pour l'énoncé des heures. On est fondé à le croire depuis que François de Sales (cité par Littré) a mis un point d'honneur à servir une heure bien ronde, entendez « une heure au moins, une bonne heure ». Des heures aux années, il n'y avait qu'un fil que Léobon Larombière s'empressa de (r)accommoder à la même sauce (« Ceci ne veut pas dire qu'on ne doive compter que les intérêts d'années toutes rondes, et distraire tout ce qui pourrait être dû pour une fraction d'année »), quelque cent ans avant Hervé Bazin (« quatorze ans tout ronds », dans son roman Vipère au poing).

    Partant, pourquoi diable Robert s'entête-t-il à tourner le dos (rond) à ce consensus ? Cent euros tout rond lit-on dans le Robert illustré 2013 − menu fretin sorti du même moule que Cent euros net ou Il est midi juste ? La chose est d'autant plus incompréhensible que, trente ans plus tôt, le Grand Robert ne rechignait pas à affirmer, sous la toque, pardon, sous la plume d'Alain Rey : « Tout rond, qualifie une somme qui ne nécessite aucun appoint en monnaie. Trois cents (francs) tout ronds. » Lequel Alain Rey, dans la dernière édition de son Dictionnaire historique (2012), limite l'emploi adverbial de rond à la seule locution tourner rond (oubliant au passage le cas de avaler, dévorer tout rond) ! Vrai, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au sein de la brigade Robert...

    Je vous le dis tout net, sans ambages ni ronds de jambes : face à un tel salmigondis de contradictions et d'incohérences, on évitera tout risque de boulettes en recourant avantageusement à précisément, exactement.

    Remarque : Il va de soi que l'hésitation n'est pas permise quand l'expression tout rond s'entend au sens de « complètement rond » et non plus de « exactement » : Elle a des yeux tout ronds. Une orange toute ronde.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il vous reste une heure toute ronde (tout rond, selon Robert) ou, plus sûrement, Il vous reste précisément une heure.

     


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  • « Les autorités régionales lui ont déroulé le tapis rouge : terrains quasi offerts, exemptions fiscales, taxe sur le jeu réduite à peau de chagrin... » (à propos de l'Américain Sheldon Adelson et de son projet d'implantation d'une cité du jeu dans la banlieue de Madrid).

    (François Musseau, dans Le Point no 2148, novembre 2013)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Naïf comme je suis, j'ai d'abord cru qu'il s'agissait là d'un cas isolé. Il m'a suffi de parcourir la Toile pour constater qu'il n'en est rien : « Des moyens réduits à peau de chagrin » (Le Parisien) ; « Quant à l'alliance avec GM, elle s'est réduite à peau de chagrin » (Les Échos) ; « La production s'est réduite à peau de chagrin » (La Voix du Nord) ; « Un budget réduit à peau de chagrin » (Le Point) ; etc.

    Aurai-je le cuir assez épais pour affirmer que rien à mes yeux ne justifie cette construction ?

    Peau de chagrin, on le sait, se dit − par allusion au roman de Balzac paru en 1831 − d'un bien matériel ou moral qui s'amenuise, se réduit progressivement jusqu'à complète disparition. Si l'on conçoit que ledit phénomène puisse avoir de quoi mettre tout propriétaire d'humeur chagrine, rien à voir ici avec ce chagrin-là (1), mais bien plutôt avec celui, emprunté du turc sagri (« croupe d'un animal », puis par métonymie « peau qu'on en prépare »), qui désigne le cuir grenu d'une peau de bête (chèvre, mouton, âne ou mule, selon les sources), utilisé en reliure ou en maroquinerie. Dans La Peau de chagrin de Balzac, la présente pièce de cuir a le pouvoir magique d'exaucer les vœux de son possesseur, mais voit sa taille diminuer à chaque désir satisfait. D'où l'expression passée dans le langage commun se rétrécir, s'amenuiser, diminuer comme (une) peau de chagrin : Nos espoirs s'amenuisaient comme une peau de chagrin (Dictionnaire de l'Académie).

    Si le TLFi cite deux autres constructions (C'est une peau de chagrin, cela fait peau de chagrin), le tour réduit à peau de chagrin − si répandu soit-il − ne figure, à ma connaissance, dans aucun ouvrage spécialisé ni aucun dictionnaire usuel. Quel en serait le sens, au demeurant ? On est fondé à se demander si ce n'est pas plutôt réduit à l'état de peau de chagrin qui eût, bien plus sûrement, convenu à l'emploi de la préposition à. Dans le doute, mieux vaut comme toujours s'en tenir à l'expression consacrée si l'on veut éviter de se faire tanner le cuir par une peau de vache à l'air chafouin.

    (1) Un petit peu, tout de même, si l'on en croit le Dictionnaire historique de la langue française, selon lequel chagrin (de peau de chagrin) est l'altération de sagrin (du turc sagri) sous l'influence de chagrin (de chagriner).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Taxe sur le jeu réduite comme peau de chagrin (ou, plus simplement, réduite au minimum).

     


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