• Mauvaise passe

    « Est-ce qu’il y avait urgence ? Et l’abolition de la prostitution le peut-on par un texte de loi ? Quel homme de gauche ou tout simplement humaniste peut-il être pour la marchandisation des corps ? [...] Quand à la volonté de tarir la demande, à défaut de pénaliser l’offre via une amende, on s’interroge » (à propos de la loi sur la pénalisation des clients).
    (Jean-Christophe Cambadélis, sur son blog, le 4 décembre 2013)
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    On s'interroge, assurément.

    Notre député serait-il fâché avec la langue française au point de souhaiter en abolir les règles de grammaire − à moins qu'il ne cherchât plutôt à « faire populaire », par les temps électoraux qui courent ? Que l'on en juge : ce le qu'il y aurait urgence à remplacer par un la, afin que le pronom se rapportât à l'abolition de la prostitution ainsi que le sens l'exige ; ce quand à trop souvent confondu avec la locution conjonctive quant à, « pour ce qui est de ».

    Le cas de l'interrogation directe est plus discutable. Quand la phrase commence par un mot interrogatif en position de sujet, il est en effet d'usage de ne pas faire d'inversion du pronom de rappel : Qui l'a dit ? (et non Qui l'a-t-il dit ?) ; Combien de personnes sont venues ? (et non Combien de personnes sont-elles venues ?). Aussi s'attendait-on à lire : Quel homme peut être pour la marchandisation des corps ? sur le modèle de Quel bon vent vous amène ? (Académie), Quel amoureux pourrait s'emparer d'elle ? (Claudel), Mais quelle joie, quelle raison de vivre, quelle vie peuvent résister à cette vision ? (Proust), Quelle station vient de passer en coup de vent ? (Gide). Dans ces emplois, l'adjectif interrogatif quel, suivi d'un substantif, marque suffisamment l'interrogation pour que le recours au pronom personnel soit superflu. Mais voilà que Hanse croit bon d'ajouter que « l'inversion du pronom de rappel est courante après combien et n'est pas rare après quel ou lequel » − sans toutefois préciser si celle-ci doit être considérée comme correcte et souhaitable : Quelle rage de vivre et de dominer l'avait-elle soutenue ? (Druon), Quelle aventure peut-elle l'attendre à l'Opéra ? (Yourcenar).

    En dépit de telles cautions, oserai-je affirmer à la suite d'Étienne Le Gal qu'il y a là contamination entre deux constructions distinctes : Quel homme peut être pour la marchandisation des corps ? et Un homme peut-il être pour la marchandisation des corps ?

    Mauvaise passe pour la langue française, vous dis-je...

    Remarque 1 : L'honnêteté m'oblige à préciser que certains grammairiens (dont Martin Riegel) considèrent qu'il est possible, quand l'interrogation partielle porte sur le sujet, d'effectuer une inversion pronominale pour renforcer l'interrogation ; d'autres (dont Bénédicte Gaillard) ne l'envisage avec quel et combien que dans un tour interro-négatif (Quel adolescent n'a-t-il jamais tenté cette expérience ?).

    Remarque 2 : Dans le cas où l'interrogatif quel détermine un groupe nominal complément d'objet direct (et non plus sujet), l'inversion du pronom de rappel peut être exigée afin d'éviter toute équivoque : Quel écrivain cite ce professeur ? (qui cite qui ?) à comparer à Quel écrivain ce professeur cite-t-il ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Peut-on abolir la prostitution par un texte de loi ?

    Quel homme de gauche peut être pour la marchandisation des corps ?

    Quant à la volonté de tarir la demande...

     

    « La ronde des heuresBruits de couloir »

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  • Commentaires

    1
    Mardi 3 Novembre 2015 à 00:59

    L'emploi de plus en plus fréquent de « via » (pénaliser l’offre via une amende) est aussi très agaçant. Le mot via (littéralement : en passant par) s'est substitué à un certain nombre de prépositions et de locutions : par, avec, par l'intermédiaire de, en utilisant, par le moyen de, avec, voire grâce à, à cause de...

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