• Le(s) 1,7 million

    « Les 1,7 million de Gazaouis ne disposent plus que de 6 heures d'électricité par jour, depuis que la seule centrale électrique qui alimente l'enclave palestinienne s'est arrêtée de fonctionner, le 1er novembre. »

    (Laurent Zecchini, sur lemonde.fr, le 16 novembre 2013)

    Gaza (photo Wikipédia sous licence
    GFDL par Israel Defense Force)

     

    FlècheCe que j'en pense


    On le sait, le pluriel commence à deux en français. Notre journaliste est donc fondé à laisser ici le substantif million au singulier : 1,7 million de Gazaouis (nom des habitants de la ville de Gaza), mais 2,2 millions de Parisiens (intra-muros).

    « Quid de l'article défini ? » s'interroge avec juste raison un lecteur de ce site : doit-on écrire le 1,9 million d'euros ou les 1,9 million d'euros ?

    Force est de constater que les habituels ouvrages de référence ne s'étendent guère sur le sujet. On trouve toutefois chez Hanse cet exemple, qui commence à dater : « Quant au million huit cent mille francs dont il vous a parlé... » Un déterminant singulier pour un substantif singulier, rien que de très logique, au demeurant, comme le confirme le Cercle linguistique d'Aix-en-Provence : « Si le cardinal représente un nombre inférieur à 2, le substantif (ainsi que les épithètes et différents déterminants) se met au singulier. » L'argument plaide donc en faveur de : le 1,9 million d'euros (de même que l'on écrirait : le million neuf cent mille euros), le 1,7 million d'habitants, etc., quoi que puissent en penser les adeptes du barbarisme les un an.

    Reste à accorder le verbe comme il convient. D'ordinaire, après les noms numéraux (douzaine, centaine, millier, million...), l'accord se fait avec le complément, notamment quand il s'agit d'une évaluation approximative : « Des millions de tonnes ont été extraites », écrit ainsi Thomas. Toutefois, ajoute le Larousse en ligne, « avec le million de, le milliard de, l'accord se fait le plus souvent au singulier : le million de vacanciers attendu sur les routes subira du mauvais temps. » L'argument vaut-il encore pour le 1,7 million de vacanciers ? On est tenté de le supposer.

    Et si l'on contournait la difficulté en se passant de l'article défini ?


    Voir également les billets Pluriel des nombres fractionnaires et Les un an.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le 1,7 million de Gazaouis ne dispose(nt ?) plus que de...

    1,7 million de Gazaouis ne disposent plus que de...

     


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  • « Dix ans après le drame de Vilnius, Bertrand Cantat retrouve sa guitare, sa voix et de nouveaux horizons (...) Aucune ambiguïté, le passé proche du chanteur est là "derrière la porte close et la vitre sans teint". »

    (Éric Guillaud, sur france3.fr, le 16 novembre 2013)
     
     

    FlècheCe que j'en pense


    Voilà qu'un journaliste bon teint se pique de nous faire croire que l'ex-chanteur de Noir Désir est à ce point « rétamé » qu'il confond les homophones teint et tain dans les paroles de sa chanson. Tout bien... réfléchi, rien ne dit, il est vrai, que le livret d'accompagnement du dernier album de Bertrand Cantat ne conteint pas, pardon, ne contient pas ladite coquille, d'autant plus fréquente que le substantif masculin tain se fait rare dans la langue commune en dehors de l'expression un miroir, une glace (plus couramment que une vitre) sans tain – entendez : qui permet à quelqu’un placé derrière de voir sans être vu.

    Étant dans l'incapacité de vérifier ce point sur-le-champ, je me contenterai de rappeler ici que le tain (altération de étain, vraisemblablement sous l'influence de... teint, tiens, tiens) est un amalgame d'étain, justement, dont on se sert pour étamer les miroirs, c'est-à-dire en recouvrir la face interne pour la rendre réfléchissante. De là à en espérer autant de celle des cerveaux qui nous entourent...


    Voir également le billet Teindre / Teinter / Tinter.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Derrière la vitre sans tain.

     


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  • « Dans un communiqué, la Ligue des droits de l'Homme (LDH) a qualifié ces propos d'"haineux et ouvertement racistes" » (au sujet des déclarations de Jean-Marie Le Pen, photo ci-contre, qualifiant la ministre de la Justice Christiane Taubira d'« anti-française »).

    (paru sur lefigaro.fr, le 18 novembre 2013)
     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Manuel)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Le diable se cachant, comme chacun sait, dans les détails, des propos ne peuvent être qualifiés d'haineux, eu égard à la présence au début du verbe haïr et de ses dérivés (haine, haineux, haineusement, haïssable) d'un h dit « aspiré » interdisant la liaison et l'élision : des propos qualifiés de haineux, de honteux, de hargneux mais d'heureux, d'habiles, d'harmonieux, d'humoristiques.

    Ainsi Proust écrit-il à bon droit : « Ce qui remplissait mon cœur maintenant était, au lieu de haineux soupçons, le souvenir attendri des heures de tendresse confiante passées avec la sœur (...) » Quant à la fameuse formule de Pascal « Le moi est haïssable », on évitera pour les mêmes raisons de faire la liaison, si tentante soit-elle.

    Mais tout cela, les jeunes d'aujourd'hui le savent bien, eux qui plus souvent qu'à leur tour affirment « avoir la haine » – et non l'haine. Pour sûr, ils n'ont rien des laineux moutons de nos campagnes.


    Voir également le billet H muet ou aspiré.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Des propos qualifiés de haineux et ouvertement racistes.

     


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  • Avis de gros grain

    « Michel Urvoy, éditorialiste à Ouest-France égraine également les solutions dont dispose le président » (à propos de François Hollande, photo ci-contre).

    (paru sur atlantico.fr, le 14 novembre 2013)
     
     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Jean-Marc Ayrault)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Passons sur la ponctuation lacunaire pour nous intéresser à la graphie du verbe. Quoi de plus logique, a priori, pour un dérivé de grain (ou de graine) que de se voir écrit avec ai ? Las ! la graphie étymologique égrainer est complètement sortie de l'usage, selon Dupré, au profit de celle formée sur le radical gren- (grener, grenu, engrenage, etc.).

    Complètement ? Voire. L'Académie ne continue-t-elle pas de mentionner les deux graphies dans la dernière édition de son Dictionnaire : « Égrener. On écrit aussi Égrainer » ?

    À la vérité, il semble qu'il y ait autant d'opinions sur le sujet que de spécialistes : Girodet qualifie la forme égrainer de « rare », Larousse, de « moins fréquente » (que égrener) ; Robert la cite comme variante, sans mention d'usage ; Bescherelle, soucieux de séparer le bon grain de l'ivraie, ne l'envisage qu'au sens propre de « retirer les grains » (égrener ou égrainer du raisin) ; quant à Alain Rey, il l'ignore purement et simplement dans son Dictionnaire historique de la langue française...

    Qu'il me soit permis d'ajouter mon humble grain de sel à ce chapelet d'avis prestigieux : dans le doute, mieux vaut encore s'en tenir à la graphie égrener, notamment quand le verbe est employé comme ici  au sens figuré de « faire entendre un à un, formuler successivement » : elle a, certes, l'inconvénient de présenter une alternance vocalique e/è dans sa conjugaison (nous égrenons, ils égrènent), mais elle possède l'avantage de correspondre à la prononciation traditionnelle (é-gre-né à l'infinitif, selon Littré, et non é-grai-né).

    Remarque : La double graphie existe aussi pour les dérivés égrenage ou égrainage, égreneur ou égraineur, égrènement ou égrainement, égrenoir ou égrainoir.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Michel Urvoy, éditorialiste à Ouest-France, égrène les solutions.

     


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  • « L’élue municipale de Seine-et-Marne en voie d’être exclue de l’UMP pour avoir pastiché une publicité sur son site Facebook au dépens de la ministre de la Justice Christiane Taubira, doit être jugée, a estimé vendredi la ministre Yamina Benguigui. »

    (paru sur liberation.fr, le 15 novembre 2013)
     
    Christiane Taubira (photo Wikipédia sous licence GFDL par Guillaume Paumier)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Nous savons, depuis le mois dernier, que dépens a moins à voir avec dépendre qu'avec dépenser (lien ci-dessous). Voici que l'article de Libération, qui reprend sans plus de contrôle une dépêche de l'AFP, me fournit l'occasion de rappeler que, à l'instar de frais, ledit substantif masculin ne s'emploie qu'au pluriel, notamment dans la locution prépositive aux dépens de, qui signifie proprement « aux frais de » (Il s'est enrichi à mes dépens) et, figurément, « au détriment, au préjudice de » (Apprendre quelque chose  à ses dépens).

    Quant au (trop ?) célèbre slogan « Y'a bon.. Banania », aujourd'hui honteusement pastiché, rappelons qu'il renferme en sa tasse fumante deux perles de la plus belle eau : d'abord, cette apostrophe, marque de l'élision en français, dont la place se justifierait davantage avant le y (amuïssement du l de il dans il y a) qu'après (aucune élision entre le y et le a), mais habitude a été prise d'employer la graphie fautive y'a quand on veut rendre la prononciation familière ya (Y'a d'la joie !) et non i-a (Y a-t-il quelqu'un ici ?) ; enfin, ces deux points de suspension qui, dans notre langue, vont d'ordinaire par trois...

    Las ! il faut croire qu'il y a bon... nombre d'années que l'on ne prend plus le temps de se relire ni d'ouvrir une (y a) bonne grammaire.


    Voir également le billet Tout dépend.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une publicité aux dépens de la ministre.

     


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