• Quiconque est historiquement l'agglutination de l'ancien français qui qui onques ou qui qu'onques (proprement « quel que soit jamais celui qui »), qui a été rapproché du latin quicumque (« qui que ce soit, n'importe qui ») et a perdu le -s adverbial (en même temps que le sens de onques « jamais »).

    En français moderne, il s'agit d'un pronom relatif employé dans le registre soutenu avec le sens de « celui, quel qu'il soit, qui ; toute personne qui » et qui présente la particularité de ne jamais avoir d'antécédent (1). Surtout, nous mettent en garde l'Académie, Georgin, Capelovici et Girodet, quiconque ne peut être que sujet d'une proposition relative (en l'occurrence, celle qu'il introduit et dont le verbe est à l'indicatif, voire au conditionnel).

    Quiconque rira aura affaire à moi (Molière).

    Est passible d'emprisonnement quiconque se rend coupable d'un crime.

    Je m'adresserai à quiconque voudra m'aider (mais non : Adressez-vous à quiconque vous appréciez).

    Il briserait comme une paille quiconque résisterait (Zola).

    Dans ces exemples, on le voit, quiconque appartient à deux propositions différentes : la subordonnée (en tant que sujet) et la principale (en tant qu'élément du sujet ou du complément).

    Seulement voilà : dans la dernière édition de son Dictionnaire, l'Académie se montre moins tatillonne et admet désormais l'emploi − jusque-là condamné par les puristes mais attesté par les meilleurs écrivains (2) − de quiconque comme pronom indéfini. Quiconque n'appartient plus alors qu'à une seule proposition et signifie, comme sujet (surtout dans des propositions comparatives elliptiques) ou comme complément, « n'importe qui, qui que ce soit ; personne » : « Défense absolue de parler à quiconque. Je suis aussi sensible que quiconque à ce genre d'argument. Il sait mieux que quiconque tirer son épingle du jeu » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 2011), « Pourquoi ne les invite-t-il pas à souper, comme ferait quiconque à sa place ? » (Montherlant, 1947).

    Robert Le Bidois s'étonne que « cette manière de dire sans titre valable et sans exactitude se soit [...] tant répandue ». Ceux qui souhaitent s'en tenir à l'usage classique pourront conserver à quiconque son statut de relatif en écrivant :

    Défense absolue de parler à qui que ce soit.

    Je suis aussi sensible que n'importe qui à ce genre d'argument.

    Il sait mieux que personne tirer son épingle du jeu.

     

    (1) Ce n'était pas toujours le cas dans l'ancienne langue : « Tous ceulz quiconques [= tous ceux qui, quels qu'ils soient] hors raison ont et possedent [aucune tele chose] » (Nicole Oresme, vers 1370).

    (2) Grevisse cite Gautier, Daudet, Renard, Rolland, Proust, Duhamel, Gide, Giraudoux, Mauriac, etc., tout en reconnaissant que cet emploi de quiconque est « exceptionnel à l'époque classique ». Goosse modifie la remarque d'usage en « rare avant le XIXe siècle » − à tort, me semble-t-il : « Estant impossible à quiconque de pouvoir retrouver la sortie ny l'entree de cette grande prison » (Le Pèlerin véritable, 1615), « [Il a] servy grandement à quiconque de lire ou prescher ou entendre les sainctes lettres » (Pierre d'Outreman, 1623), « [Ces termes] qu'ils ont deffendu à quiconque de censurer » (Lettre à un docteur de Douay, 1691), « Ainsi nous défendons à quiconque de rien écrire ou de rien faire au désavantage de Théodoret » (Louis Doucin, 1698), « Railler de toutes choses et de quiconque » (Louis Bourdaloue, avant 1704), « Il défie quiconque d'y trouver rien à redire » (Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts, 1702), « On peut bien en défier quiconque » (Ibid., 1724), « [Il] permettoit à quiconque de courir sus à tous les Vénitiens » (Gabriel Daniel, 1713), « Je défie quiconque de produire les originaux du mémoire [qui m'est attribué] » (René-Joseph de Tournemine, 1732), « Sous peine d'excommunication pour quiconque, de quelque état ou dignité qu'il soit » (Pierre Brumoy, avant 1742), etc.

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    Remarque 1
    : Bien que masculin singulier, quiconque peut être considéré comme féminin quand le contexte l'exige (mais pas comme pluriel).

    Mesdemoiselles, quiconque d'entre vous trichera sera punie.

    Remarque 2 : Dans une phrase négative, quiconque (dans son emploi absolu critiqué) doit être remplacé par personne.

    Je n'en parlerai à personne (et non à quiconque).

    Littré fait cependant remarquer que, dans une phrase comme Cela ne paraît guère impressionner quiconque, guère (qui a déjà une valeur négative) s'accommode mieux du sens positif de quiconque que du sens négatif de personne.

    Mais on écrira correctement : Quiconque n'observera pas cette loi sera puni.

    Remarque 3 : La confusion entre les différentes fonctions de quiconque ne peut justifier les constructions redondantes et fautives quiconque... qui (Quiconque qui rira aura affaire à moi), tout quiconque (Tout quiconque le connaît l'aime).

     

    Quiconque
    Éditions du Sonneur

     


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  • Peu de gens savent que le mot vite, apparu au XIIe siècle, fut d'abord adjectif, au sens de « qui se meut avec célérité, rapide ».

    Un chien vite et endurant. Vite comme le vent.

    Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle qu'il fut également employé comme adverbe, au sens de « rapidement ».

    Il court vite. Venez au plus vite. Aller vite en besogne.

    De nos jours, vite s'emploie presque uniquement comme adverbe (il est alors invariable). Pourtant, on le rencontre encore parfois comme adjectif chez les commentateurs sportifs (auquel cas, il s'accorde).

    Les coureurs les plus vites du monde (on dira les plus rapides, dans le langage courant).

    Il est plus vite que son adversaire.

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    Remarque
    : On se gardera de faire la confusion entre vites, pluriel de l'adjectif vite (archaïsme), et vîtes (avec accent circonflexe), deuxième personne du pluriel du passé simple du verbe voir.

     

    Vite
    Les nouvelles vont vite... mais les coureurs sont vites !
    (photo wikipedia sous licence GFDL by Rick Dikeman)

     


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  • Le verbe intransitif demeurer se conjugue selon le sens avec l'auxiliaire avoir ou avec l'auxiliaire être (c'est également le cas de convenir et passer).

    FlècheConjugué avec avoir


    Demeurer se conjugue avec l'auxiliaire avoir au sens de « habiter » (ainsi que « tarder »).

    J'ai demeuré quelques années à Paris.

    Il a demeuré longtemps en chemin.

    FlècheConjugué avec être


    Demeurer se conjugue avec l'auxiliaire être au sens de « rester ».

    Elle est demeurée mon amie.

    Il est demeuré fidèle à ses convictions.

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    Remarque
    : Pour les expressions construites avec le nom féminin associé demeure, voir (il y a) péril en la demeure.

     

    Demeurer



     


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  • En termes d'économie et de statistique, il est fréquent de rencontrer l'expression fourchette basse (ou haute). On entend par là préciser si l'on se situe dans la partie basse (ou haute) d'une estimation.

    Le loyer demandé se situe dans la fourchette haute du marché.

    Le groupe vise la fouchette basse de son objectif annuel de chiffre d'affaires.

    Problème : fourchette, dans cette acception néologique, désigne l'écart entre deux valeurs extrêmes. Or, un écart ne saurait être qualifié de bas ou de haut !

    On emploiera donc avantageusement estimation ou partie dans ce sens, en suivant par exemple la formulation impeccable de l'ex-ministre de l'Economie Christine Lagarde :

    « Compte tenu de la situation internationale, je crois qu'il est plus raisonnable de se situer dans la partie basse de la fourchette. »

     

    Fourchette (basse, haute)

    La formulation Estimation basse et Estimation haute conviendrait mieux !
    (Source : Panel APEC 2007)

     


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  • La confusion entre pire et pis est fréquente et se fait – souvent à tort – à l'avantage du premier mot.

    L'article consacré à ce sujet par Jacques Pépin, de l'association Défense de la langue française (DLF), me paraissant une bonne introduction, je me permets de le citer quasiment in extenso.

    « Il faut d’abord savoir que pire est un adjectif comparatif, et pis un adverbe superlatif. C’est la base du raisonnement.

    Cela étant donc posé, l’expression figée de mal en pis est une locution adverbiale qui exprime une progression, une gradation. La situation allait mal, elle va encore plus mal ! Et ce plus mal s’exprime par le superlatif pis. C’est pourquoi on ne peut pas dire "de mal en pire" : il ne s’agit pas d’une comparaison mais de l’expression d’un degré plus fort, d’où ce superlatif. Remarquons que mal est un adverbe, et qu’on ne peut pas utiliser un adjectif pour surenchérir sur un adverbe.

    Examinons quelques expressions : le remède est pire que le mal (on compare les effets de l’un avec ceux de l’autre), pour le meilleur et pour le pire (addition de deux substantifs), il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre (l’adjectif qualifie le substantif sourd : un adverbe ne peut pas modifier le sens d’un nom). On peut toutefois employer indifféremment l’un ou l’autre s’il se rapporte à un pronom indéfini ou neutre : ce serait pire ou pisque pourrait-il nous arriver de pire ou de pis ?

    En ce qui concerne « moins pire », c’est une faute parce que pire signifie "plus mauvais" et que la logique nous appelle à constater que "moins plus mauvais" n’a pas de sens : il associe un comparatif d’infériorité (moins) et un comparatif de supériorité (plus) ! [On dira] logiquement "c’est moins mauvais" ou "c’est moins grave". »

     

    En résumé

    On retiendra que :

    Pire (du latin pejor) est le comparatif de supériorité de l'adjectif mauvais. C'est donc un adjectif (accompagnant un nom ou un pronom) qui signifie « plus mauvais » et dont le contraire est meilleur. On notera que pire est employé au sens abstrait ou moral ; au sens concret, on conserve le comparatif plus mauvais.

    La situation est pire que je ne l'imaginais (sens abstrait).

    Sa vue est plus mauvaise que la mienne (sens concret).

    Ses pires craintes sont maintenant confirmées.

    Pis (du latin pejus, neutre de pejor) est le comparatif de supériorité de l'adverbe mal. C'est donc un adverbe qui signifie « plus mal » et dont le contraire est mieux. On notera que pis est employé au sens abstrait ou moral ; au sens concret, on conserve le comparatif plus mal.
    Pis peut s'employer comme adjectif, uniquement quand il se rapporte à un pronom indéfini ou neutre (voir point suivant), jamais avec un substantif.

    Tant pis (et non Tant pire). S'attendre à pis (et non à pire). Il a fait bien pis.

    Aller de mal en pis, de pis en pis (et non de mal en pire, de pire en pire).

    Il va beaucoup plus mal que moi (sens concret).

    Dire pis que pendre de quelqu'un (= en dire beaucoup de mal).

    Dans une construction impersonnelle, pire, se rapportant à un pronom neutre, un pronom indéfini ou une proposition, est admis dans l'usage courant à la place de pis, d'un usage plus ancien, encore bien établi dans la langue soutenue.

    C'est pire, rien de pire, quelque chose de pire, il y a pire (registre courant) ou C'est pis, rien de pis, quelque chose de pis, il y a pis (registre soutenu) [pis est ici employé comme adjectif neutre].

    • Substantivement, le pire doit avoir le sens de « le plus mauvais » et le pis celui de « le plus mal ». Mais force est de constater que, dans cet emploi notamment, pis est supplanté dans l'usage par pire, malgré les recommandations de certains grammairiens.

    Le pis qui puisse arriver (= la pire chose qui puisse arriver).

    Le pis est à venir. Le pis de tout.

    Cet individu est le pire qui soit. Se marier pour le meilleur et pour le pire.

    Au pire ou au pis (= dans l'hypothèse la plus défavorable), ellipse de « en mettant les choses au pire ou au pis ».

    S'attendre au pire. S'attendre à pis.

     

    AstuceEn cas d'hésitation, il convient de remplacer pire/pis par leur synonyme plus mauvais/plus mal ou par leur opposé meilleur/mieux et de voir ce qui a du sens (à l'exception des locutions figées).


    Reprenons quelques-uns des exemples précédents :

    La situation est meilleure que je ne l'imaginais.

    C'est meilleur ou C'est mieux.

    Tant mieux.

    Aller de mieux en mieux.

    Il a fait mieux que ça !

    S'attendre à mieux.

    Cet individu est le meilleur qui soit.

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    Subtilités

    Leurs enfants sont cent fois pires que les nôtres (adjectif) mais Leurs enfants font cent fois pis que les nôtres (adverbe).


    Remarque 1
    : Pire ne devrait jamais s'employer comme adverbe. Mais, dans le langage courant, il est souvent mis elliptiquement pour « quelque chose de pire ».

    Son état devrait se stabiliser ou, pire, dégénérer (pis serait ici préférable).

    De même, par confusion avec pis, on rencontre fréquemment la locution adverbiale de pire en pire (au lieu de de pis en pis), même chez de bons auteurs (Nerval). L'Académie constate ainsi, sans plus de trouble apparemment, que « dans la plupart des emplois, pis (...) est supplanté dans l’usage par pire ». En raison de son risible homonyme, le pis de la vache ?

    Remarque 2 : Pire et pis étant déjà des comparatifs, il va de soi que les formes plus pire/plus pis et moins pire/moins pis sont aussi incorrectes que plus meilleur/plus mieux et moins meilleur/moins mieux. Cependant, pis et pire peuvent être renforcés par des adverbes (bien, encore, peut-être mais jamais beaucoup ni aussi) ou par des locutions adverbiales (cent fois, mille fois...).

    C'est bien pis. C'est cent fois pire (et non pas C'est très pire).

    Remarque 3 : On se gardera de toute confusion entre et pis (encore, que ça...) et et pis (quoi encore...), forme altérée et affreusement populaire de et puis.

    Remarque 4 : Pour désigner une « solution de dernier recours, adoptée faute de mieux », on parlera d'un pis-aller, nom masculin invariable composé de l'adverbe pis et du verbe aller (pour : « en mettant les choses au pis »).

    Remarque 5 : Voir également les articles Qui pis est et Empirer.

    Pire / PisPire / Pis

     


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