• Sanction, en droit constitutionnel, désigne l'acte par lequel le chef de l'État ou le souverain donne à une loi l'approbation, la confirmation qui la rend exécutoire. Par extension, le mot se dit de la peine (ou plus rarement de la récompense) prévue pour assurer l'exécution de ladite loi, ainsi que de la simple approbation que l'on donne à une chose.

    La sanction royale.

    Une sanction pénale. S'exposer à des sanctions.

    Ce mot a reçu la sanction de l'usage, ce projet attend la sanction des urnes (= l'approbation de l'usage, du peuple).

    À en croire la huitième édition (1935) du Dictionnaire de l'Académie, le verbe sanctionner ne peut donc s'employer qu'au sens strict de « confirmer par une sanction, approuver légalement ou officiellement », avec un nom de chose pour complément d'objet direct.

    Sanctionner une loi, un décret, un privilège.

    Une décision sanctionnée par les autorités (= approuvée officiellement pour en assurer l'exécution par des peines ou des récompenses).

    Un examen blanc, qui n'est pas sanctionné et constitue un simple entraînement.

    Mais parce que sanction, dans la langue courante, s'entend surtout avec la valeur négative de « peine, punition », grande est la tentation de donner à sanctionner le sens étendu (en réalité, plutôt restreint) de « punir (quelque chose ou quelqu'un) par une sanction » :

    « La partie devient dure et l'arbitre a le tort de ne pas sanctionner les coupables » (Midi olympique, 1930), « Des pénalités très graves qui sanctionnaient ce genre d'entreprises » (Albert Camus, 1947), « La nécessité de sanctionner sévèrement ses retentissantes injures » (Marcel Aymé, 1948), « Il est anormal que des délits de simple police [...] ne soient pas automatiquement sanctionnés » (Jean Giraudoux, 1950), « Les hommes et femmes de cœur [...] exigent que la justice française sanctionne les coupables » (abbé Pierre, 1952), « La Polizeihaft, ou détention de police, sanctionne les personnes considérées [comme dangereuses] » (Henri Michel, 1967).

    En dépit de l'avertissement lancé par l'Académie en 1969 (*), cet emploi a reçu la sanction de l'usage − « Comment pourrait-on empêcher [la rue] de donner à sanctionner le sens de "punir", puisque sanction est [devenu un] synonyme de châtiment ? » s'interroge André Rigaud dans Vie et langage (1970) −, et les dictionnaires courants l'admettent désormais sans réserve : « Sanctionner une faute. Sanctionner quelqu'un » (Petit Robert), « Sanctionner un élève » (Petit Larousse). Aussi les Immortels du XXIe siècle n'eurent-ils d'autre choix que d'assouplir leur position dans la dernière édition (2018) de leur propre Dictionnaire :

    « 1. Donner à une loi l'approbation qui la rend exécutoire. Par extension. Valider, entériner quelque chose. Un cycle d'études sanctionné par un diplôme. Cet usage a été sanctionné par le temps.

    2. Frapper quelque chose d'une sanction. Sanctionner un délit, un crime. Par extension. Sanctionner un en-avant au rugby. » 

    Position à demi assouplie, en vérité. Car si désormais l'Académie reconnaît (du bout des lèvres) le sens naguère condamné, elle se refuse toujours à construire le verbe sanctionner avec autre chose qu'un complément d'objet inanimé : « On évitera d'employer Sanctionner avec un complément désignant une personne : on sanctionne une faute mais on punit, on châtie un individu », s'empresse-t-elle d'ajouter en guise de marque d'usage. Las ! la construction incriminée apparaît au détour de l'article « rétrograder » : « Sanctionner un concurrent en le faisant reculer dans le classement final » et jusque sous des plumes académiciennes : « Il est nécessaire de sanctionner les spéculateurs » (Jean Dutourd, 1985), « Le médecin [...] peut être sanctionné pour une faute » (Dominique Fernandez, 2007), « [Joseph-François Michaud], lecteur du roi sanctionné par Charles X » (Hélène Carrère d'Encausse, 2011), « [Le] géographe est ainsi sanctionné pour tenue inconvenante » (Erik Orsenna, 2015), « La gauche pense surtout à la nécessité de sanctionner un président issu de la droite » (Jean-Marie Rouart, 2017). Avouez que pareille inconséquence mériterait une bonne sanction.


    (*) « Sanctionner est employé abusivement dans le sens de punir. On punit un individu, on sanctionne sa faute. » Autres exemples de condamnation : « Sanctionner n'a pas le sens de punir qu'on lui attribue parfois » (Thomas, 1956), « Sanctionner n'a pas le sens de terminer, non plus que celui de punir » (René Georgin, 1966), « Je n'emploie pas [ce verbe] dans le sens aberrant qu'on lui donne aujourd'hui : sanctionner signifie approuver, non punir » (Claude Lévi-Strauss, 1988), « Il n'est pas recommandé de faire de sanctionner un mot ambivalent en l'employant dans le sens d'infliger des sanctions, c'est-à-dire punir, pénaliser » (Jacques Capelovici, 1992).



    Remarque : Il est intéressant de noter que l'ambivalence du mot sanction, qui évoque « tour à tour la consécration, l'approbation, le blâme, le châtiment » (Albert Bayet, 1951), remonte à son origine même : déjà en latin le verbe sancire (« rendre inviolable par un acte religieux ») − dont dérivent l'adjectif sanctus et le substantif sanctio  − s'employait aussi bien, à en croire Félix Gaffiot, au sens de « consacrer, ratifier (une loi, un traité) » qu'au sens de « interdire, punir (quelque chose) », selon que l'on considérait l'opération (par laquelle on rend « sacré » ce qui ne l'est pas par nature) ou les moyens prévus pour en assurer la bonne exécution. Confirmation nous en est donnée par Joseph Ortolan : « Le verbe sancire signifie confirmer une chose, la garantir par des peines contre toute atteinte ; on nomme sanctio, sanction, cette garantie ; et sanctum, saint, sanctionné, ce qui est ainsi garanti [...]. Ainsi, par choses saintes on entend, en droit romain, celles qui ne sont ni sacrées ni profanes, mais qui sont protégées par une sanction pénale, [qui sont] entourées d'une sorte de vénération légale » (Explication historique des Institut[e]s de Justinien, 1835).

     

    Sanction, sanctionner
    Illustration de l'ambiguïté du verbe sanctionner dans l'usage actuel...
    (Éditions Chronique Sociale)

     


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  • Dérivé du latin tacere (« taire »), le nom réticence désigne proprement l'action de taire à dessein une chose qu'on pourrait ou qu'on devrait dire et, par métonymie, la chose omise. Par conséquent, est réticent celui qui se tait volontairement, qui ne veut pas dire tout ce qu'il sait, qui ne livre pas toute sa pensée en persistant dans son silence.

    Un témoin réticent (= qui reste silencieux, qui ne dit pas tout ce qu'il a vu).

    Il m'a parlé sans réticence (= sans faire d'omissions).

    Au figuré : « La robe décolletée — audacieuse et néanmoins réticente — ouvre sur une guimpe de linon » (Laurent Tailhade, 1911). 

    Dès le milieu du XVIIIe siècle, lit-on dans le Dictionnaire historique de la langue française, réticence s'est employé « par métonymie encore » (?) pour désigner « l'attitude, le comportement de la personne qui se garde d'exprimer ouvertement sa pensée mais marque par sa réserve une désapprobation » : « J'hésitais à le rencontrer, puis jugeai que ma réticence était absurde » (André Gide), « Il approuva ce réquisitoire avec beaucoup de chaleur au début, mais bientôt avec des réticences » (Jules Romains). On ne s'étonnera donc pas d'apprendre que réticent a suivi la même évolution, au siècle suivant, en recevant le sens étendu (et critiqué) de « hésitant, récalcitrant, qui marque de la réserve » − peut-être aussi sous l'attraction du français rétif (« récalcitrant, indocile ») et de l'anglais reluctant : « Le docteur les [= les malades] sentait réticents, réfugiés au fond de leur maladie avec une sorte d'étonnement méfiant » (Albert Camus), « Son autorité, sa compétence [...] m'inspiraient une réticente estime » (Hervé Bazin) et, avec un nom de chose, « Sa voix était encore plus réticente que ses paroles » (Simone de Beauvoir). N'en déplaise aux puristes, ce glissement sémantique peut sembler naturel, puisqu'il s'agit dans tous les cas de l'expression d'une marque de réserve : orale et délibérée, dans le sens classique ; générale et parfois involontaire, dans le sens actuel (*). On gagnera toutefois à réserver les mots réticence et réticent à leur acception première et à dire dans les autres emplois :

    Il est peu disposé à nous aider ou Il hésite à nous aider ou Il est réservé à l'idée de nous aider (de préférence à Il est réticent à nous aider).

    Ils ont levé les dernières hésitations (de préférence à Ils ont levé les dernières réticences).

    Exprimer des réserves (de préférence à exprimer des réticences, qui frise l'oxymore).

    (*) Selon le Robert, cette extension de sens s'explique par « le caractère psychologique de la plupart des réticences » ; selon René Georgin, « quand on garde le silence devant une proposition, une demande, c'est généralement qu'on fait des réserves, qu'on n'est pas emballé, voire qu'on désapprouve » (Jeux de mots, 1957).

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    Remarque : En 2018, l'Académie s'est résolue à enregistrer dans la neuvième édition de son Dictionnaire les sens étendus de réticence et de réticent, précédés de la mention suivante : « Cet emploi souvent critiqué s’est installé dans l’usage et se rencontre chez de nombreux auteurs. »

     

    Réticence, réticent

     


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  • Répliquer promptement, le plus souvent avec de l'esprit et de l'à-propos, c'est « avoir de la repartie ».

    Elle a la repartie facile. Elle m'a lancé une de ces reparties dont elle a le secret.

    Avoir le sens de la repartie.

    On notera que, traditionnellement, repartie ne prend pas d'accent. La confusion provient de ce que l'on pense que ce mot dérive du verbe répartir alors qu'il est formé à partir du verbe repartir.

    En effet, repartir a deux sens bien distincts, que l'on se gardera de confondre :

    • « partir de nouveau » et « recommencer » : il se conjugue comme partir avec l'auxiliaire être, au sens propre (Il est venu ce matin et est reparti en fin de journée) comme au sens figuré (On le croyait fatigué, et le voilà qui est reparti de plus belle),

    • « répondre vivement et sur-le-champ » : il se conjugue comme mentir avec l'auxiliaire avoir [dans un registre vieilli ou littéraire : Il ne lui a reparti que (par) des injures].

    On fera la distinction avec le verbe répartir, qui signifie « partager, distribuer, attribuer à chacun sa part » (Les biens ont été équitablement répartis entre nous).

    Depuis 1990, l'orthographe rectifiée répartie, homophone (même prononciation) et homographe (même graphie) du participe passé du verbe répartir, ajoute un peu plus à la confusion. Car vous conviendrez qu'il ne s'agit là pas tant de « partager » des répliques (sens de répartir) que de les « lancer » (sens de repartir).

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    Remarque
    : L'évolution, devant une consonne, du préfixe re- vers la forme ré- est fréquente, notamment en l'absence de valeur itérative propre. Ainsi de repartir (partir de nouveau) et répartir (partager). Quant à reviser (viser de nouveau), seule forme toujours attestée par l'Académie, elle est considérée de nos jours comme l'orthographe vieillie du verbe réviser.

    Repartie
    Editions Eyrolles

     


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  • Quiconque est historiquement l'agglutination de l'ancien français qui qui onques ou qui qu'onques (proprement « quel que soit jamais celui qui »), qui a été rapproché du latin quicumque (« qui que ce soit, n'importe qui ») et a perdu le -s adverbial (en même temps que le sens de onques « jamais »).

    En français moderne, il s'agit d'un pronom relatif employé dans le registre soutenu avec le sens de « celui, quel qu'il soit, qui ; toute personne qui » et qui présente la particularité de ne jamais avoir d'antécédent (1). Surtout, nous mettent en garde l'Académie, Georgin, Capelovici et Girodet, quiconque ne peut être que sujet d'une proposition relative (en l'occurrence, celle qu'il introduit et dont le verbe est à l'indicatif, voire au conditionnel).

    Quiconque rira aura affaire à moi (Molière).

    Est passible d'emprisonnement quiconque se rend coupable d'un crime.

    Je m'adresserai à quiconque voudra m'aider (mais non : Adressez-vous à quiconque vous appréciez).

    Il briserait comme une paille quiconque résisterait (Zola).

    Dans ces exemples, on le voit, quiconque appartient à deux propositions différentes : la subordonnée (en tant que sujet) et la principale (en tant qu'élément du sujet ou du complément).

    Seulement voilà : dans la dernière édition de son Dictionnaire, l'Académie se montre moins tatillonne et admet désormais l'emploi − jusque-là condamné par les puristes mais attesté par les meilleurs écrivains (2) − de quiconque comme pronom indéfini. Quiconque n'appartient plus alors qu'à une seule proposition et signifie, comme sujet (surtout dans des propositions comparatives elliptiques) ou comme complément, « n'importe qui, qui que ce soit ; personne » : « Défense absolue de parler à quiconque. Je suis aussi sensible que quiconque à ce genre d'argument. Il sait mieux que quiconque tirer son épingle du jeu » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 2011), « Pourquoi ne les invite-t-il pas à souper, comme ferait quiconque à sa place ? » (Montherlant, 1947).

    Robert Le Bidois s'étonne que « cette manière de dire sans titre valable et sans exactitude se soit [...] tant répandue ». Ceux qui souhaitent s'en tenir à l'usage classique pourront conserver à quiconque son statut de relatif en écrivant :

    Défense absolue de parler à qui que ce soit.

    Je suis aussi sensible que n'importe qui à ce genre d'argument.

    Il sait mieux que personne tirer son épingle du jeu.

     

    (1) Ce n'était pas toujours le cas dans l'ancienne langue : « Tous ceulz quiconques [= tous ceux qui, quels qu'ils soient] hors raison ont et possedent [aucune tele chose] » (Nicole Oresme, vers 1370).

    (2) Grevisse cite Gautier, Daudet, Renard, Rolland, Proust, Duhamel, Gide, Giraudoux, Mauriac, etc., tout en reconnaissant que cet emploi de quiconque est « exceptionnel à l'époque classique ». Goosse modifie la remarque d'usage en « rare avant le XIXe siècle » − à tort, me semble-t-il : « Estant impossible à quiconque de pouvoir retrouver la sortie ny l'entree de cette grande prison » (Le Pèlerin véritable, 1615), « [Il a] servy grandement à quiconque de lire ou prescher ou entendre les sainctes lettres » (Pierre d'Outreman, 1623), « [Ces termes] qu'ils ont deffendu à quiconque de censurer » (Lettre à un docteur de Douay, 1691), « Ainsi nous défendons à quiconque de rien écrire ou de rien faire au désavantage de Théodoret » (Louis Doucin, 1698), « Railler de toutes choses et de quiconque » (Louis Bourdaloue, avant 1704), « Il défie quiconque d'y trouver rien à redire » (Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts, 1702), « On peut bien en défier quiconque » (Ibid., 1724), « [Il] permettoit à quiconque de courir sus à tous les Vénitiens » (Gabriel Daniel, 1713), « Je défie quiconque de produire les originaux du mémoire [qui m'est attribué] » (René-Joseph de Tournemine, 1732), « Sous peine d'excommunication pour quiconque, de quelque état ou dignité qu'il soit » (Pierre Brumoy, avant 1742), etc.

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    Remarque 1
    : Bien que masculin singulier, quiconque peut être considéré comme féminin quand le contexte l'exige (mais pas comme pluriel).

    Mesdemoiselles, quiconque d'entre vous trichera sera punie.

    Remarque 2 : Dans une phrase négative, quiconque (dans son emploi absolu critiqué) doit être remplacé par personne.

    Je n'en parlerai à personne (et non à quiconque).

    Littré fait cependant remarquer que, dans une phrase comme Cela ne paraît guère impressionner quiconque, guère (qui a déjà une valeur négative) s'accommode mieux du sens positif de quiconque que du sens négatif de personne.

    Mais on écrira correctement : Quiconque n'observera pas cette loi sera puni.

    Remarque 3 : La confusion entre les différentes fonctions de quiconque ne peut justifier les constructions redondantes et fautives quiconque... qui (Quiconque qui rira aura affaire à moi), tout quiconque (Tout quiconque le connaît l'aime).

     

    Quiconque
    Éditions du Sonneur

     


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  • Peu de gens savent que le mot vite, apparu au XIIe siècle, fut d'abord adjectif, au sens de « qui se meut avec célérité, rapide ».

    Un chien vite et endurant. Vite comme le vent.

    Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle qu'il fut également employé comme adverbe, au sens de « rapidement ».

    Il court vite. Venez au plus vite. Aller vite en besogne.

    De nos jours, vite s'emploie presque uniquement comme adverbe (il est alors invariable). Pourtant, on le rencontre encore parfois comme adjectif chez les commentateurs sportifs (auquel cas, il s'accorde).

    Les coureurs les plus vites du monde (on dira les plus rapides, dans le langage courant).

    Il est plus vite que son adversaire.

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    Remarque
    : On se gardera de faire la confusion entre vites, pluriel de l'adjectif vite (archaïsme), et vîtes (avec accent circonflexe), deuxième personne du pluriel du passé simple du verbe voir.

     

    Vite
    Les nouvelles vont vite... mais les coureurs sont vites !
    (photo wikipedia sous licence GFDL by Rick Dikeman)

     


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