• Des cernes et des (bé)vu(e)s

    « Chaque [élève de] CM2 s'est vu décerné un diplôme, un yearbook [!] et un recueil de fables de La Fontaine. »
    (Karim Bouakline-Venegas al Gharnati, sur info-chalon.com, le 8 juillet 2022.) 

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    À quand une distribution générale de grammaires ? Avouez que ce ne serait pas du luxe, par les temps qui courent − et de plus en plus vite, nous dit-on − à l'effondrement de la maîtrise de la langue française... Notre journaliste y découvrirait que le tour se voir + forme verbale, qui équivaut à un passif, est d'un emploi plus délicat qu'il n'y paraît : il n'y a qu'à voir les hésitations des usagers sur l'accord de vu (aux temps composés) et sur le choix de la forme verbale (notamment avec les verbes de la première conjugaison). Quand l'oreille ne permet pas de trancher entre infinitif et participe passé, le plus simple est encore de faire appel à un synonyme du troisième groupe : chaque élève s'est-il vu remis ou remettre un diplôme ? Il va de soi que l'infinitif est ici seul... recevable.

    Seulement voilà : parce que le sujet, dans notre exemple, ne fait pas l'action exprimée par le verbe qui suit se voir mais la subit (l'élève ne décerne pas le diplôme, il le reçoit), grande est la tentation de recourir au participe passé, que l'on sent plus proche du passif. Tordons donc le cou à cette fable de la pire eau (de fontaine) et retenons une fois pour toutes les deux règles suivantes concernant le passif en se voir :

    1°) L'infinitif, qui est en principe toujours possible après se voir, s'impose quand il a son propre complément d'objet direct (se est alors complément d'objet second). L'Académie ne s'y est pas trompée : « Cet élève s'est vu décerner le prix d'excellence », mais aussi « Il s'est vu infliger une amende », « Il s'est vu reprocher son moralisme », « [L']ambassadeur se voit signifier son congé par le gouvernement », « Chaque convive se voit attribuer une place déterminée », « État du sujet qui se voit interdire [...] la satisfaction d'un désir », « Se voir refuser l'accès à un lieu », « Se voir opposer un refus catégorique », « Se voir imputer une faute », etc. (neuvième édition de son Dictionnaire).

    2°) La variante avec le participe passé n'est possible que si ledit participe est attribut du pronom réfléchi se (lui-même complément d'objet direct de voirautrement dit, si se voir équivaut à être : « Ce lapin s'est terré quand il s'est vu poursuivi [= quand il a vu qu'il était poursuivi] » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie), « [Des religieux] se sont vus détenus sur une île [= étaient détenus sur une île] » (Mme de Staël). Partant, écrire Chaque élève se voit décerné un diplôme est aussi incongru qu'écrire Chaque élève est décerné un diplôme.

    Las ! rien n'y fait. La confusion, attestée de longue date, n'en finit pas de s'étendre à perte de vue : « Ce grand revers qu'il se voit imputé » (un certain Lejeune, 1765), « Comment ne serais-je pas content de me voir décerné ce qui m'est dû ? » (Henry Egmont traduisant Hoffmann, 1836), « Indigné de se voir préféré un étranger » (Charles Nisard traduisant Tite-Live, 1839), « Il se voit attribué un gain de cent vingt mille francs par le banquier » (Charles Monselet, 1857), « L'auteur s'attend à se voir infligé par les oracles de la cause catholique "la note infamante de libéralisme" » (Gustave Vaperau, 1861), « La notion de filiation [...] se voit refusée, dirait-on, toute espèce de réalité » (Claude Lévi-Strauss, 1949), « [Il] s'est déjà vu confié plusieurs ambassades » (Le Monde, 1957), « Le sujet qui se voit attribué ce rôle » (Gonia Jarema, linguiste, 1989), « [Le mythe d'Ulysse] se voit conféré le statut, même, de "mythe fondateur de la littérature" » (Renaud Camus, 1998), « L'ascenseur ne se voit attribué que deux propriétés » (Julien Gayrard traduisant Umberto Eco, 1999), « [Montesquieu] s'est trop avancé sur le terrain de la mondanité pour se voir accolé une épithète d'ailleurs suspecte » (Pierre Hartmann, 2003), « Drieu se voit proposé pour l'aider dans sa tâche un secrétaire de rédaction » (Jacques Cantier, 2011), « Maurice Leblanc se voit signifié le jugement du divorce » (Cédric Hannedouche, 2018)... jusqu'à gagner des formes verbales non homophones : « Les seconds se voyaient reconnue une authentique compétence » (Le Monde, 1994), « L'allocutaire se voit soumis un contenu propositionnel par le locuteur » (Tatiana Milliaressi, linguiste, 2011), « Un étranger [...] se voit interdit de mener sa propre activité commerciale » (Le Monde, 2013) (1), « La personne handicapée se voit offert un panel de formes de sport de glisse » (Ouest-France, 2015), « Le père s'est vu remis une obligation de quitter le territoire » (France Bleu, 2021). Dans tous ces exemples, pourtant, le verbe principal possède un complément d'objet direct (autre que se), ce qui exclut le participe passé au profit de l'infinitif.

    L'ennui, c'est que se voir + infinitif, contrairement à se voir + participe, est susceptible de deux interprétations quand le complément d'agent ou d'attribution n'est pas exprimé, comme c'est le cas dans notre affaire : Il s'est vu décerner un diplôme peut avoir le sens passif de « il a vu (quelqu'un) lui décerner un diplôme » ou le sens actif de « il a vu lui-même en train de décerner un diplôme (à quelqu'un) », ce qui, convenons-en, ne revient pas au même. Mais le contexte permet généralement de lever l'ambiguïté (il est rare, en l'espèce, de voir un élève remettre un diplôme) ; l'accord du participe vu, aussi − du moins à l'écrit et avec un sujet féminin ou pluriel : Elle s'est vu décerner un diplôme (= on lui a décerné un diplôme) ou Elle s'est vue décerner un diplôme (= elle a décerné un diplôme à quelqu'un). Vous parlez d'une prise de... vu !

    Il est heureusement des cas où la grammaire se montre bonne fille et laisse le choix au scripteur entre l'infinitif et le participe passé (2). Comparez : « Ils sont si aises de se voir admirer » (Victor Cousin) et « Elle est fière de se voir admirée » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie) ; « Il se vit dépasser par tous ceux qu'il avait longtemps aperçus derrière lui » (Félicien Champsaur) et « Comme il atteignait l'Olympia, il se vit dépassé par une dame assez épaisse » (Paul Morand) ; « Puis, amant d'une Églé, se voir trahir par elle » (Théodore de Banville) et « Ne plus être aimée, mon Dieu ! se voir trahie par ceux qu'on aime ! » (Zola) ; « Il s'est vu condamner est correct. Il s'est vu condamné l'est aussi » (André Thérive) ; « Il se voit rejoint ou rejoindre par les autres » (Michèle Lenoble-Pinson) (3). Parfois, les deux tours se trouvent coordonnés : « Que peut-il endurer d'avantage Que de se voir reduit en si honteux servage ? Que de se voir priver de son sceptre ancien ? » (Robert Garnier, 1583), « Jamais [...] vous ne me verrez retournée contre vous, ni vous faire un reproche » (Montherlant, 1936).
    Je vois d'ici les froncements de sourcils dubitatifs : le choix est-il aussi indifférent que ces exemples le laissent supposer ? Voire. À en croire plusieurs spécialistes (4), l'infinitif insisterait davantage sur l'action en train de se dérouler : Les cow-boys se voient encercler par les Indiens (« le mouvement est en cours, et le piège ne s'est pas totalement refermé »), et le participe passé, sur le résultat de ladite action : Les cow-boys se voient encerclés par les Indiens (« il ne leur reste plus qu'à se donner un coup de peigne pour soigner leur scalp, car il est déjà trop tard », pour reprendre les explications toujours savoureuses de Bruno Dewaele). On devine derrière l'opposition entre l'action et son résultat celle entre l'inaccompli et l'accompli, entre le ponctuel et le durable. D'autres soulignent encore la passivité du participe : « [Racine] écrit que Junie "s'est vue en ce palais indignement traînée" : l'infinitif traîner eût exprimé, avec une nuance moins passive, une idée analogue » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1958). La différence de sens, on le voit, est souvent des plus subtiles... (5)

    Est-ce une raison pour que l'Académie, contre toute attente, nous fasse le coup du « circulez, il n'y a (presque) rien à voir » ? Qu'on en juge :

    « Si la phrase a un sens passif et si le pronom se représente la même personne que le complément d'objet direct du verbe qui suit voir, on utilise le participe passé. Elle s'est vue confiée à une famille d'accueil (dans ce cas on pourrait ajouter l'infinitif être devant le verbe au participe passé). On dira de même, elle s'est vue perdue, morte, gagnante.
    Si le complément d'objet direct du verbe qui suit voir ne représente pas la même personne que le pronom se, on utilise l'infinitif, mais deux cas peuvent se présenter. Si le pronom se représente la même personne que le sujet du verbe qui suit voir, vu s'accorde avec celui-ci : Elle s'est vue confier cette mission (elle a confié cette mission à quelqu'un). Si le pronom se n'est pas le sujet du verbe qui suit voir, il n'y a pas d'accord : Elle s'est vu confier cette mission (quelqu'un lui a confié cette mission) » (Courrier des lecteurs du site Internet de l'Académie, 2016) (6).

    Les Immortels auraient-ils perdu de vue que la prédominance (dans l'usage courant) du participe passé quand le pronom se est COD de la forme verbale qui suit se voir ne saurait occulter l'existence (surtout dans la langue littéraire) de la construction avec l'infinitif : « Quant le seigneur de Saintré se voit ainsin villener et menassier » (Antoine de La Sale, 1456), « Ce qui desesperoit le plus de si braves hommes, c'étoit de se voir assommer [= de voir qu'on les assommait] comme des bêtes » (Vaugelas, avant 1650), « Je me vis saisir par trois hommes » (abbé Prévost, 1731), « Il fut surpris de se voir mépriser » (Voltaire, 1762), « Cette pauvre ville était lasse de se voir insulter » (Eugène Sue, 1836), « [Il] s'était vu attaquer par une bande de Touareg » (Jules Verne, 1905), « Par les soins de la femme de chambre, toutes deux s'étaient vu peigner et friser » (René Boylesve, 1920), « Rien ne l'agaçait comme de se voir traiter en marmot » (Jules Romains, 1932), « Ferdinand s'était vu rabrouer par son frère » (Marcel Aymé, 1933), « Le romancier s'est vu citer en justice » (Georges Duhamel, 1937), « Ils se sont vu jeter à la porte » (Adolphe Thomas, 1971), « Corneille s'indigne à l'idée de se voir déférer devant un tribunal » (Hélène Carrère d'Encausse, 2011), etc. ? (7) Quant au sens passif de elle s'est vue perdue, morte, gagnante, on le cherche encore...
    Une description plus conforme à la complexité de l'usage eût donc été :

    « Quand la périphrase se voir + verbe a un sens passif :

    • si le pronom se représente la même personne que le complément d'objet direct du verbe qui suit voir, on utilise le participe passé (qui désigne d'ordinaire le résultat d'une action accomplie) ou l'infinitif (qui marque une action en train de s'accomplir), selon le sens ou l'intention ; dans le cas où le verbe est au participe passé, vu s'accorde avec le sujet (il en va de même quand se voir est suivi d'un adjectif, mais alors la phrase n'a plus de sens passif : elle s'est vue perdue, morte, gagnante) ;
    • si le complément d'objet direct du verbe qui suit voir ne représente pas la même personne que le pronom se, l'infinitif s'impose, mais deux cas peuvent se présenter, etc. »


    L'Académie, à y bien regarder, n'est pas la seule à se livrer à des raccourcis hasardeux. Prenez cette affirmation de Jacques Vassevière : « Après se voir employé comme auxiliaire de passivation le verbe se met au participe passé quand il a pour complément un infinitif prépositionnel : Ils se virent obligés (ou contraints) de partir » (Bien écrire pour réussir ses études, 2013). Certes, la construction se voir + participe passé à valeur d'adjectif + de + verbe à l'infinitif est la plus courante, mais, là encore, rien n'interdit de substituer l'infinitif (construit avec à ou de) au participe passé pour souligner que l'obligation vient de l'extérieur : « Elle s'est vue contrainte d'accepter ou Elle s'est vu contraindre à accepter », confirme Hanse. De même, Sandfeld ne voit pas d'inconvénient à cette alternance dans « Elle s'était vue forcée, pour vivre, de vendre ses quatre meubles » (Zola). On peut encore citer : « Se voir ainsi contraindre à acheter si cherement ce qui luy sembloit appartenir de droit de succession » (François de Belleforest, 1575), « J'aime mieux céder de bonne grâce Que de me voir obliger à céder » (Bernard Le Bouyer de Fontenelle, 1678), « Avec tout le succès que la haine héréditaire de M. de Louvois pour M. de Turenne et pour tous les siens avoit pu se voir forcer à laisser prendre au neveu favori et à l'élève de ce grand capitaine » (Saint-Simon, avant 1755), « Je me vois forcer de l'attribuer [le retard d'une réponse] à quelque forte aggravation [de votre état de santé] » (Auguste Comte, avant 1857), « Outrée de se voir forcer de reconnaître la réserve et la convenance parfaite des réponses de la jeune fille » (Eugène Sue, 1847), « Se voir obliger à viser sa facture » (Tribunal de commerce de Nantes, 1873), « On allait se voir obliger de... » (Françoise Mallet-Joris, 1982) et aussi : « Il s'est vu accuser de conspirer avec les jésuites contre la liberté politique et religieuse » (Ernest Renan, 1859), « Se voir empêcher de compléter sa collection » (Yves Courrière, 1986).

    Devant pareille accumulation de difficultés syntaxiques et de points de vue divergents, on ne peut que s'étonner du succès grandissant de ce type de construction, notamment avec un participe passé. Car enfin, je vous le demande, qu'apporte de plus se voir détenu par rapport au simple être détenu ? Voyons voir : un renforcement de l'aspect achevé du procès (selon Jacques Cocheyras) ? un supplément d'expressivité (selon le Grand Larousse) ? de subjectivité (selon Sigbjørn Næss) ? de passivité (selon Martin Riegel), le sujet − en général humain (8) − étant relégué au rang de « spectateur » de ce qui lui arrive ? D'aucuns, observant que l'auxiliaire être n'est pas un marqueur fiable du passif canonique (que l'on songe à tous les verbes qui forment leurs temps composés avec être : il est tombé, elle s'est blessée...), vont jusqu'à voir dans le tour en se voir une solution que la langue a trouvée pour « remédier à cette faiblesse » (Brieër-Van Akerlaken, 1967). Il n'empêche : l'intérêt de se voir comme auxiliaire du passif paraît autrement considérable avec un infinitif, dans la mesure où ladite construction offre la possibilité de transformer en sujet le complément d'objet indirect d'une phrase active tout en maintenant le complément d'objet direct, ce que ne permet pas la construction passive avec être : On lui a refusé l'entrée → Il s'est vu refuser l'entrée (*Il a été refusé l'entrée est impossible).

    Vous l'aurez compris : entre se voir + infinitif et se voir + participe passé, ce n'est pas loin d'être tout vu !
     

    (1) Ainsi formulée, la phrase signifie « un étranger est déconcerté de mener sa propre activité commerciale » (être interdit = être fortement troublé, paralysé par la stupeur). Il y a là confusion entre les tours personnel (il est interdit de séjour, où le participe passé interdit est employé comme substantif) et impersonnel (il est interdit de crier = cela n'est pas autorisé). On écrira donc : Il se voit interdire de crier (= on lui interdit de crier), Il se voit interdire l'accès au casino (et non *Il se voit interdit d'accès au casino) et Il se voit interdit de séjour (ou plus simplement : Il est interdit de séjour).

    (2) « Se voir régit l'infinitif [et] aussi des participes » (Jean-François Féraud, Dictionnaire critique de la langue française, 1787), « Dans certains cas, le poète est libre de choisir entre l'infinitif et le participe passé [suivent quatre exemples, dont deux avec se voir] » (Louis Quicherat, Traité de versification française, 1838), « Il y a possibilité dans se voir, comme d'ailleurs après voir, de faire suivre vu d'un participe ou d'un infinitif » (Joseph Hanse, Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, 1983), « Se voir sert d'auxiliaire du passif, avec le participe passé ou l'infinitif » (André Goosse, Le Bon Usage, 1986).

    (3) On notera que la présence d'un complément d'agent (par tous ceux, par les autres...) n'a pas d'influence sur ce choix.

    (4) « Le verbe qui suit se voir se met à l'infinitif, s'il exprime l'action, et au participe passé, s'il exprime l'état résultant d'une action accomplie » (Cyprien Ayer, Grammaire comparée de la langue française, 1876), « À côté de l'infinitif on se sert dans certains cas d'un participe passé attribut. De par sa nature, le participe passé désigne d'ordinaire une action accomplie, tandis que l'infinitif marque une action en train de s'accomplir » (Kristian Sandfeld, Syntaxe du français contemporain, 1943), « Elle s'est vue menacée (elle s'est vue elle-même dans cet état) et Elle s'est vu menacer (on la menaçait) » (Hanse, 1983), « L'infinitif met l'accent sur la réalisation de l'action, le participe met l'accent sur un état ou sur le résultat de l'action exprimée par le verbe » (Office québécois de la langue française, 2020), « Au présent, il n'y a pas de grande différence de sens. Au passé, la forme avec infinitif indique plutôt un processus en cours, tandis que la forme avec un participe indique un processus achevé » (Guide de grammaire française pour étudiants finnophones, 2020). Sigbjørn Næss propose une analyse quelque peu différente : « [Se voir + infinitif] peut s'analyser comme un passif verbal, une construction qui focalise sur le procès ou le résultat d'une action verbale. [Se voir + participe passé] en revanche est considéré comme un passif adjectival qui ne décrit pas le procès, mais exprime un état ou une propriété du sujet ; l'état pourrait cependant être le résultat d'un procès non-exprimé, sans contextes spécifiquement verbaux » (Se voir comme auxiliaire de passif, 2020).

    (5) Elle n'est, au demeurant, pas toujours observée : « Dans J'ai vu ton père bâtonné par les laquais (Anatole France), on s'attendrait plutôt à l'infinitif », écrit Sandfeld. Il est vrai que les coups de bâton ressortissent moins au durable qu'au ponctuel. Le linguiste danois poursuit : « Dans Aricie se voyait envahie par une extraordinaire puissance d'imagination (Émile Henriot), l'infinitif conviendrait moins bien » − comparez avec [Un voleur], espérant toujours se sauver, s'est vu cerner, puis acculer peu à peu (Louis Edmond Duranty), où les infinitifs nous plongent au cœur de l'action.

    (6) Cette analyse fait écho à celle donnée en 1787 par Féraud : « Remarquez, pour le choix entre ces deux régimes, l'infinitif et le participe, que dans se voir le pronom se peut être ou au datif [= en fonction de COI introduit par la préposition à] ou à l'accusatif [= en fonction de COD]. Dans le premier cas, on doit mettre l'infinitif, ou employer voir, actif, suivi de que. Dans le second cas, il vaut mieux mettre le participe [...] quoique je ne condamne pas l'infinitif. » À ceci près que, dans le second cas, Féraud exprime une préférence, pas une obligation.

    (7) Dans tous ces cas, note Sandfeld, « on parle souvent d'un emploi passif de l'infinitif transitif [rappelons que l'infinitif peut avoir un sens actif (un homme habile à tromper : il trompe) ou un sens passif (un homme facile à tromper : il est trompé)]. Il n'en est rien. L'infinitif est bel et bien actif : [Piquart se voit accuser par M. Esterhazy (Clemenceau) est "Piquart voit que M. Esterhazy l'accuse", tout comme] entendre monter l'escalier est "entendre qu'on monte l'escalier" et nullement "entendre que l'escalier est monté ou se monte". Une preuve directe qu'il en est ainsi est fournie par un cas comme Je n'ai jamais vu faire tant de bruit dans une chambre de malade que cette Alphonsine (Tristan Bernard), où le premier terme de comparaison est le sujet non-exprimé du verbe actif faire ».

    (8) L'emploi de se voir avec un nom de chose comme sujet, quoique critiqué au nom de la logique (une chose ne pouvant pas voir), est attesté de longue date : (le plus souvent suivi d'un participe passé) « L'Océan, étonné de se voir traversé tant de fois » (Bossuet, 1669), « Ces jardins, fiers de se voir soumis À la main qui porta la sceptre de Thémis » (Jacques Delille, 1782), « Un monument éternel où la vertu désirait, où le crime redoutait de se voir inscrit » (Louis-Philippe de Ségur, 1811), « Que les arts libéraux ne craignent pas de se voir arrêtés dans leur progrès » (Hyacinthe-Louis de Quélen, 1824), « Les idées les plus accréditées [...] se sont vues attaquées, contredites » (Paul Valéry, 1931), « La sexualité se voit disloquée » (Emmanuel Mounier, 1946), « La colonne présentant la moindre chance de se voir ébranlée » (Jacques Chastenet, 1961), « Le français se voit menacé » (Julien Green, 1972), « Ce secret désir qu'a chaque époque nouvelle de se voir prophétisée » (Jean Guitton, 1975), « Son appétit de lecture et d'écriture se voit décuplé par la solitude dans ce monde immobile » (Danièle Sallenave, 2012) ; (rarement suivi d'un infinitif) « Les six premières pièces de Corneille méritent de se voir reconnaître » (René Doumic, 1937) ; (parfois suivi d'un nom attribut) « Notre petite cité d'Yonville s'est vue le théâtre d'une expérience chirurgicale » (Flaubert, 1856).


    Remarque 1 : L'infinitif voir permet souvent d'éviter des constructions trop lourdes : « J'aurais aimé vous voir assister à cette réunion (plus léger que que vous assistassiez à cette réunion et plus correct que que vous assistiez à cette réunion). Il préfère que son fils trouve un emploi provisoire plutôt que de le voir traîner (permet d'éviter la rencontre de deux que : *que qu'il traîne) » (Girodet), « L'infinitif voir s'emploie souvent comme une sorte de cheville syntaxique pour éviter une subordonnée au subjonctif » (Dupré), « Voir perd souvent sa valeur de verbe de perception, pour servir d'auxiliaire ou de "relais syntaxique" qui permet d'éviter certains tours délicats » (Jean-Paul Colin).

    Remarque 2 : Concernant les subtilités de l'accord du participe vu (cru, senti...), voir l'article Accord du participe passé des verbes pronominaux et ce billet.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Chaque élève s'est vu décerner un diplôme.

     

    « L'important, c'est de participerHistoire de couple »

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