• « Russie : Youlia Stepanova et Vitali Stepanov, "lanceurs d’alerte" contre le dopage [...] Le couple sait de quoi il en ressort. »
    (Laurent Ribadeau Dumas, sur francetvinfo.fr, le 24 juillet 2016) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Plus que de dopage, tout porte à croire, dans cette affaire, qu'il est question de... « télesc-dopage » !

    Télescopage, parce qu'il y a de toute évidence confusion entre deux expressions de sens pourtant distincts : savoir ce qu'il ressort de quelque chose et savoir de quoi il retourne. Dans la première, le verbe ressortir (qui se conjugue ici sur le modèle de sortir) est employé au sens figuré de « apparaître comme conséquence, résulter » : Il ressort de notre conversation que... De quoi il ressort que... Voici ce qu'il en ressort (on s'intéresse aux conséquences). Dans la seconde, il s'agit du verbe retourner employé à la forme impersonnelle : comprendre, savoir de quoi il retourne pour « comprendre, savoir les données d'une situation » (on s'intéresse aux faits).

    Dopage, parce que en, employé pour représenter un nom précédé de la préposition de, fait ici double emploi avec de quoi. Aussi veillera-t-on à écrire : Il ressort de cela que... ou Il en ressort que... Il sait de quoi il retourne (et non de quoi il en retourne), histoire que la barque syntaxique ne soit pas trop... chargée.

    Voir également les billets De quoi je m'en mêle et Ressortir.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le couple sait de quoi il retourne.

     


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  • « Nathael, un jeune garçon de 9 ans, [...] cheveux clairs, yeux noisettes, a été enlevé par son père ce matin. »

     

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    J'ai bien conscience que ma remarque pourra paraître déplacée au regard du drame que constitue l'enlèvement d'un enfant, mais je ne peux que m'étonner de lire dans un avis de recherche destiné à être largement diffusé que ledit garçonnet a les yeux... noisettes !

    Il s'agit là d'une faute par trop fréquente, due à la méconnaissance de la règle concernant les noms employés comme adjectifs de couleur. Rappelons donc à toutes fins utiles que, si le mot désignant la couleur est un nom commun pris adjectivement, il reste invariable (à l'exception de écarlate, mauve, pourpre, incarnat, fauve et rose, assimilés − à tort ou à raison − à de véritables adjectifs). En effet, on considère dans ce cas que l'on a affaire à un tour elliptique, où « de la couleur de » est sous-entendu : des tissus orange (= de la couleur de l'orange), des vestes crème (= de la couleur de la crème du lait), des rubans turquoise (= de la couleur de la turquoise), des cheveux paille (= de la couleur de la paille). Aussi écrira-t-on correctement : des yeux noisette, des yeux marron, mais des yeux bleus, des yeux verts.

    Le hic, c'est que la graphie yeux noisettes n'en est pas moins licite au regard de la grammaire. En effet, elle peut s'analyser − à l'instar de danseuses étoiles, dates limites, mots clés, etc. − comme un syntagme dont le second élément, mis en apposition, prend la marque du pluriel parce que l'on peut établir une « relation d'équivalence » (selon l'expression de l'Académie) entre les deux noms : les yeux ont les mêmes propriétés (de forme, et pourquoi pas de couleur) que les noisettes, les danseuses brillent comme les étoiles, etc. C'est tout du moins ce que laisse entendre Dupré, fameux lanceur d'« alerte orthographe », dans son Encyclopédie du bon français : « Des yeux noisettes, avec un s, évoquerait plutôt la forme des yeux que leur couleur. »

    Quand on vous dit que la langue française regorge de subtilités. Avouez qu'il y a de quoi s'arracher les cheveux... clairs ou foncés.


    Voir également le billet Adjectifs de couleur.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Des yeux noisette.

     


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  • « JO 2016 : Pierre-Ambroise Bosse au pied du podium du 800 m. »
    (Yann Bouchez, sur lemonde.fr, le 16 août 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Dans les amphithéâtres romains, le podium désignait le large mur, haut de plusieurs mètres, qui séparait les gradins de l'arène et formait autour de celle-ci une plate-forme sur laquelle se trouvaient les places réservées à l'empereur et aux privilégiés de l'époque. Imaginez-vous un instant la vue plongeante sur la fosse aux lions depuis les premières loges : quel pied ce devait être ! Le hic, c'est que, au regard de l'étymologie, le nom de ladite galerie − depuis tombée de son piédestal pour désigner une simple estrade de petite dimension, fût-elle foulée par des orteils médaillés − est emprunté, par l'intermédiaire du latin podium (« soubassement ; petite éminence »), du grec podion, diminutif de pous, podos (« pied »), pris dans le sens de « (qui avance comme un) petit pied », d'où « appui, saillie, tribune ». Aussi se trouvera-t-il quelques perfectionnistes au petit pied (des petits joueurs ?) pour dénoncer la maladresse de l'expression (échouer) au pied du podium, dont les journalistes ne cessent de nous rebattre les oreilles − Jeux olympiques obligent − à propos des malheureux sportifs arrivés en quatrième position d'une épreuve.

    Que l'on m'autorise ici à mettre les pieds dans le plat : irait-on sérieusement reprocher à quelqu'un de dire qu'il se trouve au pied du Puy de Dôme sous le prétexte que le nom puy dérive des mêmes antiques podium et podion ? Je n'en mettrais pas ma main ni mon pied au feu.


    Remarque : De là à prétendre que l'expression ressortit à la langue soutenue, il y a un pas que Gilles Guilleron, professeur agrégé de lettres modernes, n'a pas hésité à franchir dans son Petit Livre des gros mots (2007) : « Tocard [...] Registre courant : perdant. Registre soutenu : abonné au pied du podium. »

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose ou, plus simplement, Pierre-Ambroise Bosse, quatrième du 800 mètres.

     


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  • Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le nom masculin invariable post-scriptum est emprunté « au latin post scriptum, participe passé passif substantivé, au neutre, de postscribere "écrire après ou à la suite de", de post "après" et scribere "écrire" ». Voilà qui me laisse un brin perplexe : la forme substantivée du participe passé de postscribere n'est-elle pas censée s'orthographier... en un seul mot ? Car enfin, de deux choses l'une : ou bien on considère que l'on a affaire, en latin, à une locution et on écrit « latin post scriptum » (comme dans mon Robert illustré 2013) ou bien on considère qu'il s'agit du participe passé substantivé de postscribere et on écrit « latin postscriptum » (comme dans le Larousse en ligne).

    Toujours est-il que le mot fut introduit dans notre lexique dès le début du XVIe siècle pour désigner ce que l'on ajoute au bas d'une lettre (généralement écrite à la main ou à la machine) après la signature, d'abord sous diverses graphies francisées aujourd'hui hors d'usage (postcripte, postscripte, postscript, postcrit...), avant d'être rétabli dans sa forme latine, avec ajout d'un trait d'union : « Un post-scriptum que j'insère à ce chapitre » (Pierre Poiret, 1687), « Post-scriptum. Mot purement latin que l'on trouve quelquefois dans les Gazettes » (Henri Basnage de Beauval, 1701). Si l'Académie s'en est toujours tenue à cette dernière graphie (post-scriptum depuis 1762), la forme en un mot a la préférence de Littré : « Postscript ou, plus souvent, postscriptum », de quelques plumes célèbres :  « Je vous renvoie aussy le postscriptum approuvé pour M. de Vergennes » (Louis XV), « Je vois cependant, en reprenant votre lettre, que vous m'aviez marqué cette première nouvelle, mais dans le postscriptum » (Rousseau), « On le verra dans le postscriptum » (Mirabeau), « J'ai ajouté à ma dernière lettre un postscriptum en sa faveur » (Alfred de Vigny) − à côté de « Je demande pardon à Madame d'un post-scriptum plus long que la lettre elle même » (Talleyrand), « Il devait y avoir un post-scriptum où la pensée principale allait être dite » (Balzac), « Il y a un post-scriptum » (Alexandre Dumas père) − et, de nos jours, des réformateurs de 1990 (1).

    Pas plus que sur la graphie de la forme développée, les spécialistes ne s'accordent sur celle de la forme abrégée. Jugez-en plutôt : P.-S. pour mon Robert illustré 2013, mais « Le mot est généralement signalé par les initiales P. S. » pour le Dictionnaire historique de la langue française, qui fait pourtant partie de la même écurie ; P-S (sans points abréviatifs) pour mon Petit Larousse illustré 2005, mais P-S ou P.-S. pour le Larousse en ligne ; P. S. pour Féraud, Gattel et Littré ; PS pour Léon Karlson (au risque d'une confusion avec l'abréviation de Parti socialiste) ; P-S pour le Manuel de typographie française élémentaire d'Yves Perrousseaux, pour le Petit Guide de typographie d'Éric Martini et pour Henriette Walter ; P.-S. pour l'Académie (après plus de deux siècles de préconisation de la graphie P. S., avec ou sans espace intercalaire), Bescherelle, Girodet, Hanse, Jouette, Le Bidois et l'Office québécois de la langue française. Quant au TLFi, il laisse prudemment le choix : « Complément [...] généralement signalé par l'abréviation P.(-)S. » Avouez qu'il y a de quoi y perdre son latin !

    Tâchons d'y voir plus clair en interrogeant Le Bon Usage. Selon Grevisse, « on met les majuscules dans l'abréviation de certaines formules latines : N. B. = nota bene, notez bien ; P. S. = post scriptum, écrit après (comme nom : un P.-S.) ». Pas sûr que cette précision soit de nature à me rassurer, car enfin, ne donne-t-elle pas à penser qu'il existerait en français une locution adverbiale (abrégée en P. S. ou P.S.) et un nom masculin (abrégé en P.-S.) ? Il n'est que de consulter la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie pour constater... qu'il n'en est rien :

    « Nota ou, plus couramment, nota bene (e se prononce é) locution invariable. XVIIIe siècle. Mots latins signifiant proprement "note", "note bien". Mention dont on use en tête d'une note, d'une remarque, pour attirer l'attention du lecteur sur un point important. Nota bene s'abrège souvent en N.B. Substantivement, au masculin. Un nota, un nota bene, une précision indiquée en note, une remarque. Une lettre suivie d'un nota bene. Des nota bene. »

    « Post-scriptum (um se prononce ome) nom masculin invariable. XVIe siècle, postscripte ; XVIIIe siècle, post-scriptum. Composé du latin post, "après", et scriptum, participe passé de scribere, "écrire". Ajout au bas d'une lettre, après la signature, que l'on signale généralement par l'abréviation P.-S. »

    La différence est nette : nota bene y est présenté − à tort ou à raison − comme une locution, pouvant aussi être employée substantivement (sans ajout d'un trait d'union...), quand post-scriptum n'est envisagé que comme un nom. Même constat du côté du Dictionnaire historique de la langue française et du TLFi.

    J'ose une synthèse. En français, post-scriptum est un substantif masculin, que l'on écrit en romain et avec un trait d'union dans sa forme développée comme dans ses formes abrégées P.-S. ou P-S (lesquelles servent aussi bien à désigner l'ajout qu'à l'annoncer) : « P.-S. − Mon amie Raymonde sort d'ici. Je l'ai toujours tenue au courant − en gros − de notre liaison » (Montherlant), « P.-S. − La place me manque pour répondre aujourd'hui à [...] » (Robert Le Bidois), « Même lettre [...] avec ce P.-S. » (Henri Martineau). Mais il est également possible de recourir directement aux formes latines post scriptum ou postscriptum (selon les sources), qui s'écriront en italique et s'abrégeront en P. S. ou P.S. : « P.S. Je lirais volontiers le commentaire de l'abbé [...], si vous l'aviez » (Diderot), « P. S. Je ne sais par qui envoyer ma lettre » (Choderlos de Laclos), « J'ai reçu [...] vos deux lettres [...], avec l'extrait par duplicata d'un P. S. de M. Hume » (Rousseau). L'abréviation sans trait d'union a, du reste, longtemps eu les faveurs de l'usage (2), avant de se voir concurrencer par P.-S. ou P-S, plus conformes à la graphie post-scriptum. Il y a toutefois fort à parier qu'elle tiendra de nouveau la corde, avec le retour à la forme développée en un mot (un postscriptum, des postscriptums) préconisé par les tenants de l'orthographe « rectifiée ». À chaque époque ses conventions...

    (1) En orthographe réformée, on écrit : un postscriptum, des postscriptums.

    (2) Voir notamment les anciennes éditions du Dictionnaire de l'Académie, ainsi que Féraud, Gattel, Littré et, plus près de nous, Jean-Pierre Lacroux : « Beaucoup de post-scriptum nous viennent d’époques où l’on abrégeait P. S., sans trait d’union… »

    Séparateur

    Remarque 1Si la forme latine, quelle que soit sa graphie, n'a pas d'entrée dans le Gaffiot ni dans le Du Cange, elle apparaît dans ce dernier à l'article « Pœnitentes » : « Quamvis ipse Theodorus post scriptum Romanum libellum indulta culpa [...] » (Anastasius).

    Remarque 2 : On appelle apostille une annotation ajoutée en bas ou, plus souvent, en marge d'un écrit : Toute apostille à un acte juridique doit être paraphée par les signataires du corps de l'acte. Le mot est présenté comme « vieilli » par le Dictionnaire de l'Académie.

    Post-scriptum

     


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  • « Trente et une mille voix d'écart pour un second tour à suspense » (à propos de l'élection présidentielle en Autriche).
    (paru sur lemonde.fr, le 23 mai 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Quand bien même cela choquerait les oreilles les moins averties, la logique grammaticale veut que l'adjectif numéral un reste invariable dans les indications du type vingt et un mille, fussent-elles suivies d'un nom féminin. Pourquoi, vous demandez-vous ? Émile (Littré) vous le donne en mille : parce que, dans ces cas, un fait partie du nombre vingt et un qui se rapporte non pas audit nom, mais à mille. Jugez-en plutôt : « vingt et un mille personnes » (Bescherelle, Office québécois de la langue française), « vingt et un mille âmes » (Jean-Paul Jauneau), « trente et un mille personnes » (Joseph Hanse), « trente et un mille cartouches » (Maurice Grevisse), « quarante et un mille tonnes d'acier » (Académie), « quarante et un mille tonnes de blé » (Bénédicte Gaillard).

    Force est toutefois de constater que l'accord se trouve sous quelques plumes célèbres : « Le gouvernement d'Aigues-Mortes valait vingt et une mille livres de rente » (Mme de Sévigné), « Il l'acheta de son maître moyennant sept talents (vingt et une mille livres) » (Charles Rollin), « Il y en a cinquante et une mille charges dans la ville » (Mirabeau), « Il y avait [...] vingt et une mille bombes » (Voltaire), « Alors la lancette d'un chirurgien ou la canule d'un apothicaire auraient sauvé la vie à trente mille hommes, et l'honneur à trente et une mille pucelles » (Balzac), « [Elle] souscrivit une obligation de vingt et une mille livres » (Alexandre Dumas), « Il peut avoir deux cent cinquante et une mille fiches » (Charles Péguy). C'est que grande est la tentation d'écrire vingt et une mille nuits comme vingt et une nuits ou comme Les Mille et Une Nuits. Aussi certains dictionnaires prompts à caresser les (é)lecteurs dans le sens du poil se sont-ils empressés de trouver mille et une bonnes raisons de mettre de l'eau dans leur vingt, pardon dans leur vin : « On écrit en principe vingt et un mille tables, livres de rente, quarante et un mille tonnes, etc. Mais l'usage tend à accorder un avec le nom féminin et non avec mille, comme il se devrait », lit-on chez Robert. Littré a dû se retourner vingt et un mille fois dans sa tombe.

    Voir également le billet Mille.

    Remarque : Puisque l'on écrit correctement « vingt bonnes mille livres de revenu » (Alexandre Dumas), les spécialistes de la langue admettent toutefois, dans ces expressions, l'accord de un avec le nom féminin dès lors que l'adjectif bon précède mille : vingt et une bonnes mille livres de revenu (mais vingt et un mille grandes villes). Mais, à l'heure du franc puis de l'euro, « cela se dit-il encore ? », s'interroge un René Georgin qui met dans le mille.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Trente et un mille (ou trente-et-un-mille, en orthographe rectifiée) voix d'écart.

     


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