• « En deux heures de temps, l'enseigne américaine [Five Guys] a débité plus de 500 burgers, lundi 1er août, dans son premier restaurant français. »
    (Juliette Garnier, sur lemonde.fr, le 1er août 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    « Je rencontre de plus en plus souvent cette tournure sur le net, m'écrit un correspondant. Je ne pense pas qu'elle soit correcte mais qu'en pensez-vous ? »

    « Les heures ne mesurent pas autre chose que le temps », assure Bescherelle dans son Dictionnaire national (1846) ; aussi est-on fondé à se demander si l'expression heure de temps ne relève pas du pléonasme. Et tel est, en effet, l'avis de nombreux spécialistes depuis belle lurette :

    « Ce génitif [est] inutile » (Claude Favre de Vaugelas, 1647), « Le mot temps, n'ajoutant absolument rien à l'idée, fait avec les mots heure, mois, un pléonasme vicieux » (Félix Biscarrat, 1835), « Heure de temps est un pléonasme du style familier » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1846), « Tautologie détestable et très fréquente chez nous [en Suisse] » (Jean Humbert, 1947), « Une heure de temps est un pléonasme vicieux, archicondamnable et fort répandu » (Jacques Adout, 1971), « L'enchaînement heure de temps [...] est considéré comme pléonastique » (Office québécois de la langue française, 2002).

    Bigre ! Voilà une tournure qui a dû passer quelques mauvais quarts d'heure au cours de son existence... Le cas est-il à ce point pendable ? Sans doute est-il temps de remettre les pendules à l'heure.

    Tout d'abord, il semble que nous ayons affaire à un latinisme, dans la mesure où les anciens disaient déjà de bonne heure : hora, momentum ou annus temporis (1). Ensuite, force est de constater que le tour, attesté depuis au moins la fin du XVe siècle (2), n'a pas eu que des détracteurs parmi les fins connaisseurs de la langue. On le trouve ainsi sous la plume de plus d'un grammairien et d'un lexicographe : « Des six heures de temps qu'ils y donnent la semaine, ils en perdent les trois quarts en délibérations, digressions et vaines contestations » (Antoine Furetière, 1686), « Je le ferai, si je le veux, en deux heures de temps » (Jean-François Féraud, 1787), « La vitesse d'un cheval qui fait dix lieues en cinq heures de temps » (Jean-Charles Laveaux, 1820), « Les deux mois de temps que nous avons si bien employés » (René-François Bescher, 1821). Surtout, il est mentionné sans réserves dans le Littré : « Une heure d'horloge, une heure que l'attente ou une raison quelconque fait paraître longue [...]. On dit dans le même sens : une heure de temps » ; dans toutes les éditions du Dictionnaire de l'Académie (à l'exception notable de la dernière...) : « Passer une heure de temps. Voulez-vous perdre une heure de temps ? » (à l'entrée « heure ») et « Donner un an de temps » (à l'entrée « temps ») ; ainsi que dans le TLFi : « Substantif (donnant une quantité horaire) + de temps ». Beaucoup s'étonneront sans doute de la bienveillance avec laquelle ledit attelage est accueilli par ces autorités ; c'est que, admet Bescherelle, « il est fort usité, et plusieurs écrivains n'ont pas craint de s'en servir ». La liste des contrevenants a, en effet, de quoi laisser songeur :

    « Et ce n'est pas grande merveille qu'il ait trouvé en six mois de temps un nouveau biais pour se servir de sa règle » (Descartes), « Vous avez fait en quatre mois de temps, / Ce qu'autre eût fait à grand'peine en cent ans ! » (Scarron), « On disait de lui qu'en huit jours de temps il épuisait un docteur » (Gilles Ménage), « Et les chiens et les gens / Firent plus de dégât en une heure de temps » (La Fontaine), « En deux heures de temps je lui fais obtenir... » (Molière), « Après un mois de temps qu'il avait passé à ne faire qu'observer l'ennemi » (Bossuet), « Il n'avait plus qu'une demie heure de temps » (Racine), « Ceux qui [...] amusent une conversation pendant deux heures de temps sans qu'il soit possible de retenir un mot de ce qu'ils ont dit » (Montesquieu), « En trois mois de temps il n'a pas écrit trois vérités » (Voltaire), « Supposons des écoliers [...] qui veuillent bien se contenter de savoir en sept ou huit mois de temps chanter à livre ouvert sur ma note » (Rousseau), « En quatre heures de temps bien employées on peut faire la remise de bien des caisses » (Stendhal), « J'ai, dans trois jours de temps, choisi un petit appartement » (Balzac), « Bref, une heure de temps, ce fut un brouhaha » (Frédéric Mistral), « Deux petits garçons [...] expirèrent en quatre jours de temps » (Maupassant), « Combien je vous sais gré [...] de ce don d'un lieu de la nature, d'une heure de temps » (Proust), « Il fait assez beau pour qu'en une heure de temps on ait chaud jusqu'à suer, froid jusqu'à mourir » (Colette), « Il n'a, en deux heures de temps, pas cessé de parler de toi » (Céline), « J'ai tout acheté d'un coup, en une heure de temps » (Elsa Triolet). (3)

    Gageons que, face à d'aussi prestigieux répondants, il faudra se lever de bonne heure pour soutenir qu'« une heure d'horloge comme une heure de temps [sont des expressions] si ridicules, qu'on ne les trouvera jamais employées par les gens [...] pourvus de quelque justesse d'esprit » (Dictionnaire critique du langage vicieux, 1835) ! D'aucuns y voient, au contraire, un louable effort de précision − le complément exprimant non plus une nuance d'exagération (comme chez Littré), mais l'exactitude du décompte du temps écoulé (4) ; d'autres, une « distinction populaire de l'heure-durée (60 minutes) et de l'heure-moment de la journée » (Henri Bauche, Le Langage populaire, 1928).

    Résumons : de temps joint à un nom exprimant la durée (heure, jour, semaine, mois, an...) constitue un pléonasme − qualifié de « naïf » par René Georgin − que l'on gagnera à éviter, la chose est entendue ; une forme intensive qui n'a certes pas aussi bien réussi que aujourd'hui, mais que l'usage a conservé par analogie avec les tours une heure d'attente, de sommeil, de transport, de travail, etc. (5) Cerise sur le (ham)burger, les esprits scientifiques ne manqueront pas de faire observer que minute et heure, n'en déplaise à Bescherelle, ne sont pas uniquement des unités de temps, mais aussi des unités d'angle : l'heure d'angle, utilisée en astronomie et en navigation, correspond à l'angle parcouru par le soleil en une heure.

    Dans ces conditions, vous en conviendrez, mieux vaut y regarder à deux fois avant de crier à la faute. Histoire de ne pas perdre une heure de son temps.

    (1) « Ea autem rogo, ut de his rebus, de quibus tecum colloqui volo, annum mihi temporis des » (Cornélius Népos, Thémistocle).

    (2) « Regardez doncques comme en une heure de temps se mua » (Philippe de Commynes, vers 1490).

    (3) Et aussi : « Toutes les fois qu'il se présente des députations, il faut perdre douze heures de temps, pour savoir si on les entendra » (Jacques-René Hébert), « Cela prit bien deux heures de temps » (Émile Erckmann), « En huit jours de temps [...] le godelureau fut retourné comme une peau de lapin ! » (Léon Cladel), « Le corps à l'eau glacée, à tous les vents, depuis huit heures de temps » (Germaine Guèvremont), « Aujourd'hui, en deux heures de temps, nous n'avons pas même réussi à nous mettre d'accord sur la définition d'un seul mot » (Jérôme Duhamel), « Ils loueraient un van, débarqueraient à San Antonio et remonteraient jusqu'aux Grands Lacs, en deux semaines de temps » (Dominique Fabre), « Il chantait, un doigt dans l'oreille, une heure, deux heures de temps, sans s'interrompre » (Jean Peyrard), « Elle avait réussi [...] à écrire sur le tard trois livres en trois ans de temps » (Anne Pons).

    (4) « Le mot heures n'est pas pris ici dans un sens excessif, comme quand on dit : Il m'a ennuyé pendant une heure, quoique peut-être celui dont on se plaint ne soit resté qu'une demi-heure ou vingt minutes » (Bernard Jullien à propos de l'expression heures d'horloge, dans Le Langage vicieux, 1853).
    « Comme on dit : une heure de chemin, une heure de travail, une heure de repos pour indiquer le temps employé à faire le chemin, etc., c'est sans doute le désir de s'exprimer d'une façon plus claire, plus complète qui a fait dire une heure de temps » (Pierre-Auguste Lemaire, dans Grammaire des grammaires, 1853).

    (5) « C'est donc un pléonasme de dire : une heure de temps. Cependant l'usage a consacré cette locution, et l'Académie en autorise l'emploi » (Grammaire des grammaires, 1853).

    Remarque : Selon Pierre Rézeau, « ce tour est particulièrement en usage aujourd'hui dans deux aires, l'ouest et la région lyonnaise ; il est aussi attesté au Québec [...] et "usuel (familier)" en Wallonie » (Dictionnaire des régionalismes de France, 2001). Les citations de Mistral et de Humbert confirment que l'intéressé s'est également établi dans le sud de la France et en Suisse.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    En deux heures ou en l'espace de deux heures.

     


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  • D'après Capelovici, Girodet, Thomas et l'Académie, le nom désuétude (surtout employé dans la locution tomber en désuétude, « n'être plus en usage ») et l'adjectif dérivé désuet (« vieilli, suranné ») doivent se prononcer dé-ss-uétude et dé-ss-uè, conformément à leur étymologie latine. Tous deux sont en effet issus de desuetus (« dont on a perdu l'habitude »), qui n'est autre que le participe passé du verbe desuescere (« se déshabituer »), lequel est formé de la particule privative de- et de suescere (« s'accoutumer, s'habituer à »).

    Les tenants de la prononciation dé-z-uétude, dé-z-uè ne manqueront pourtant pas de faire remarquer que s placé entre deux voyelles est censé se prononcer z, comme dans jaser, paysan, rose, saison, etc. Sans doute est-il utile de rappeler ici que la règle dite du s intervocalique souffre de nombreuses exceptions. D'après le Guide pratique de la prononciation française (1964) de Louis-Philippe Kammans, le son ss est notamment maintenu dans : dysenterie, parasol, primesautier, résipiscence, soubresaut, susurrer, tournesol, vivisection, vraisemblable, etc., ainsi que dans les mots où la lettre s est la première d'un terme radical auquel on a adjoint un préfixe : asexué, asymétrie, antisémite, antiseptique, antisocial, cosignataire, cosinus, contresens, contresigner, sensibiliser, sulfater, monosyllabe, préséance, présupposer, resaler, ultrason, unisexe, etc. (mais pas désillusion, désaccord, désobliger...).

    Mais voilà : le locuteur moderne, qui ne connaît pas ou qui a perdu son latin, ne perçoit plus la préfixation dans désuet et désuétude et se croit fondé à soumettre ces exceptions, les rares fois où il croise leur chemin, à la règle susdite. À tel point que la prononciation avec ss, qui était autrefois la seule correcte, en vient à être considérée par certains spécialistes (dont Dauzat et Hanse) comme un rien... désuète !

     

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    Remarque : Selon Dupré (Encyclopédie du bon français, 1972), la tendance actuelle est de prononcer dé-z-uè, bien qu'on prononce toujours dé-ss-uétude. Quarante ans plus tard, force est de constater que le nom, un temps épargné par l'analogie avec mansuétude, suit désormais le même chemin que son adjectif dérivé. Pour preuve, mon Robert illustré 2013, qui admet sans sourciller les deux prononciations pour toute la famille.

    Désuet

     


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