• Jurer sur quelque chose

    « Leurs sièges aux façades de verre fumé jurent sur les taudis environnants » (à propos de l'implantation des banques internationales à Nairobi, capitale du Kenya, photo ci-contre).
    (Nicolas Hénin, dans Le Point n° 2082, août 2012)

    (photo wikipedia sous licence GFDL par Quadell)

       

    FlècheCe que j'en pense

    Promis, juré : dans son acception figurée (« contraster désagréablement, être mal assorti »), le verbe jurer se construit logiquement avec la préposition avec.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Leurs sièges jurent avec les taudis environnants (éventuellement : Leurs sièges jurent au milieu des taudis).

     


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  • Une pomme de discorde



    « C'est pas toutes les pommes qui entrent chez Pom'Potes. »
    (Publicité actuellement diffusée sur les chaînes de télévision, août 2012).

       

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    En entendant pour la première fois cette formule publicitaire, j'ai bien failli m'étrangler. Un pépin avalé de travers, sans doute. Reconnaissez qu'il y a là de quoi tomber dans les pommes ; et dans des vertes et des pas mûres, qui plus est. Difficile, en effet, de servir pire purée syntaxique en si peu de mots.

    Passe encore que le singulier c'est ait été préféré au pluriel : après tout, l'Académie n'émet qu'une préférence pour l'accord, vivement recommandé dans la langue soignée (voir le billet C'est / Ce sont). Autrement préoccupante est la tendance actuelle à laisser tomber le ne de la négation. Vous me direz que nous sommes là à l'oral, en présence d'un message destiné aux enfants, singeant le ton relâché que l'on adopte volontiers entre... potes. Est-ce une raison pour infliger à ces derniers une double peine grammaticale ?

    Cerise sur la pomme, nos chers publicitaires semblent avoir pris un malin plaisir à faire porter ce qui reste de la négation (en l'occurrence, l'adverbe pas) sur l'adjectif toutes et non sur le verbe entrer, qui se retrouve tout pelé. En d'autres termes, ils ont fait fi de la règle selon laquelle ne... pas ne peut encadrer que le verbe (ou le précéder, quand celui-ci est à l'infinitif), sur le modèle suivant : Toutes les pommes sont mûresToutes les pommes ne sont pas mûres, Les pommes ne sont pas toutes mûres ou Certaines pommes ne sont pas mûres (négations partielles) ou Aucune pomme n'est mûre (négation totale) et non Pas toutes les pommes sont mûres (négation « compotée »).

    Face à tant de légèreté syntaxique, je n'ai qu'un mot (trois, en l'occurrence) : point de quartiers !

    Voir également le billet Accord de tout.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Toutes les pommes n'entrent pas chez Pom'Potes.

    Chez Pom'Potes, toutes les pommes ne sont pas les bienvenues.

     


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  • Bien malgré lui, le verbe dédier est l'objet d'une double confusion de sens.

    Confusion avec son paronyme dédicacer, tout d'abord. Hanse nous met en garde : « Un auteur dédie son livre à quelqu'un par une dédicace imprimée » − vous savez, ces quelques mots parfois tendres, parfois humoristiques, parfois mystérieux placés à la tête de l'ouvrage en guise d'hommage au dédicataire : À mon père qui m'a reconnu et qui se reconnaîtra... ou encore Au chien cerbère (Claude Arnaud). Hanse ajoute : « Si la dédicace est manuscrite, il dédicace son livre à quelqu'un », lors d'une séance... de dédicace !

    On aura, dès lors, beau jeu de dédire les petits malins qui prétendent dédicacer sur les ondes leur chanson préférée à qui de droit. Ont-ils griffonné quelques mots dessus, y ont-ils apposé leur signature ? Assurément, non ! Voilà pourquoi lesdits auditeurs seraient bien inspirés de recourir au verbe dédier plutôt qu'au verbe dédicacer, chaque fois qu'il est question de célébrer la pensée d'autrui.

    Dans cette librairie, un auteur célèbre dédicace des exemplaires de son dernier roman (= il y appose sa signature).

    À la radio, pour la Saint-Valentin, nombreux sont les auditeurs à vouloir dédier une chanson à leur conjoint (= ils destinent une chanson à leur conjoint, en guise d'hommage).

    Glissement sémantique, enfin. À l'origine, dédier a un sens religieux, comme le rappelle l'Académie dans son Dictionnaire : « Consacrer au culte divin. Dédier un autel, une église. Spécialement. Mettre sous l'invocation d'une divinité, d'un saint. Un temple dédié à Apollon. Une chapelle dédiée à la Vierge. » De là l'idée de mettre une œuvre littéraire ou artistique sous le patronage de celui à qui on la destine ou de lui en faire hommage : Dédier son livre à un mentor. Et, au figuré, celle de vouer toutes ses forces à une cause : Dédier sa vie (= la consacrer) à la poésie, à la science. Dédier ses efforts au relèvement de la patrie.

    Mais voilà que, sous l'influence de l'anglais dedicated, le participe passé dédié s'utilise de plus en plus fréquemment comme adjectif au sens de « consacré, réservé, spécialisé, destiné, affecté » : formulaire dédié, logiciel dédié, équipement dédié, service dédié, personnel dédié... Dans la langue soignée et précise, on gagnera à éviter cet emploi abusif, et souvent absolu, en recourant à des équivalents (le français n'en manquant pas).

    Les œuvres de cet artiste sont visibles dans une salle qui lui est entièrement consacrée (et non dans une salle dédiée).

    Un salon pour les (ou destiné aux) créateurs d'entreprise (et non dédié aux créateurs d'entreprise).

    Un espace spécialement conçu pour les adolescents (et non Un espace dédié aux adolescents).

    Un guichet réservé aux abonnés (et non dédié aux abonnés).

    Séparateur de texte


    Remarque 1 : Il faut bien reconnaître que tout prédispose à une telle confusion : l'étymologie (dédier est emprunté du latin dedicare, dont est également issu dédicacer, par l'intermédiaire du substantif dedicatio) et le fait que les mêmes substantifs valent pour nos deux paronymes : dédicace (la dédicace d'une œuvrela dédicace manuscrite d'un exemplaire), voire dédicataire.

    Remarque 2 : On notera la construction : dédier / dédicacer quelque chose à quelqu'un (et non pour quelqu'un).

    Dédier / Dédicacer
    Les Concertos brandebourgeois sont dédiés au
    margrave de Brandebourg et portent une dédicace de la main de Bach.

     


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  • Né français

    « Alexandre Yersin (1863-1943), né suisse à Morges, mort français à Nha Trang (Vietnam) » (à propos du biologiste qui a découvert le bacille de la peste et mis au point l'ancêtre du Coca-Cola, photo ci-contre).

    (Delphine Peras, dans L'Express n° 3190, août 2012)

       

     (photo wikipedia)

     

    FlècheCe que j'en pense

    La règle est connue : les noms de peuples, d'habitants et de nationalités s'écrivent avec une majuscule (Un Français. Je suis une Française), les adjectifs associés et les noms de langue s'écrivent avec une minuscule (Un citoyen anglais qui parle le français. Il est de nationalité française).

    Les choses se compliquent en l'absence de déterminant. Ainsi, dans la phrase : Je suis Français / français, est-on en présence du substantif ou de l'adjectif ? Il est intéressant d'observer au préalable que l'hésitation n'est pas de mise lorsqu'il est question d'une profession : dans Je suis médecin, médecin, bien qu'employé sans déterminant, n'en demeure pas moins un nom, en position d'attribut du sujet. Aussi retiendra-t-on que la fonction d'attribut peut être assumée aussi bien par un adjectif que par un nom sans déterminant.

    Mais revenons à notre affaire. Selon l'usage en vigueur à l'Imprimerie nationale et les recommandations de Joseph Hanse et de Charles Gouriou (1), on écrira correctement : Je suis Français, je suis né Français, car il s'agit là d'exprimer une nationalité (sous-entendu : je suis un Français, je suis né avec le statut de Français) et non l'ensemble des qualités – pour ne pas dire des stéréotypes – généralement attribuées au peuple français (comme dans : Elle est très française, avec ses manières de grande dame).

    Seulement voilà : l'Académie n'est pas de cet avis. L'entendez-vous pester sur son site Internet ? Tout en reconnaissant que « l'usage en la matière est mal fixé », elle y fait le choix inverse : « On écrira donc : Les Français aiment leur langue, mais Ma sœur est française. » (2) Grevisse, de son côté, joue comme souvent le Suisse de service : « Son mari était anglais ou Anglais » ; il observe toutefois que « la majuscule semble avoir la préférence, ce que l'on peut encourager », là où Karine Germoni privilégie la minuscule « car la majuscule peut être interprétée comme une influence malvenue de la langue anglaise, qui met systématiquement une majuscule aux noms et adjectifs désignant une langue ou un gentilé » (Majuscules, abréviations et symboles, 2013)Malgré la contribution de toute la famille, force est de constater qu'il s'agit là d'un (nouveau) point de français sur lequel nos spécialistes − et nos écrivains (3) − ne s'accordent pas. Comprenne (le Français) qui pourra !

    Quoi qu'il en soit, si l'on ne peut dire d'Alexandre Yersin qu'il est né très Suisse et qu'il est mort très Français (noms), sans doute fut-il le plus français des savants suisses (adjectifs) ! Assurément un homme d'exception qui a fait sienne la devise « impossible n'est pas... français ».

    (1) « La majuscule doit être conservée lorsque le mot remplit une fonction d'attribut : il est Anglais, elle est devenue Espagnole, ils sont naturalisés Américains, je suis Brésilien » (Memento typographique).

    (2) Exemple depuis modifié en « Il est belge ».

    (3) « Comment peut-on être Persan ! » (Montesquieu), « Puisqu'il est Allemand, je peux lui parler » (Voltaire), « Mon ami, qui est Allemand » (Balzac), « Je n'étais pas fait pour être Parisien » (Hugo), « Pour faire la grammaire française que nous concevons, il fallait donc être Français » (Damourette et Pichon), « Être humain cela ne consiste pas seulement à être Espagnol, ou Anglais, ou Français, ou Russe » (Paul Léautaud), « Il est Belge » (Julien Green), « Je suis Français, comme vous » (Georges Duhamel), « Que signifie être Français ? Et plus encore, qui est Français ? » (Hélène Carrère d'Encausse), à côté de « Le procureur est français de nation » (Jules Michelet), « Le cuisinier est français » (Jean-Marie Rouart), « [A.O. Barnabooth] est français, malgré son nom anglo-saxon » (Jean d'Ormesson), « Mon père est allemand mais ma mère est grecque » (Fred Vargas). Jean Dutourd hésite : « Si ce membre de la cinquième colonne est Français, moi je suis Chinoise », mais « M. Bowen est anglais ».

    Remarque : On notera ce cas où le nom diffère de l'adjectif autrement que par la seule majuscule : Elle est suisse (adjectif) ou Elle est Suissesse (nom, même si l'usage tend à recourir également à Suisse au féminin).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    « Alexandre Yersin, né Suisse, mort Français » (selon Gouriou et Hanse, qui ont ma préférence) ou « Alexandre Yersin, né suisse, mort français » (selon l'Académie, Larousse et Bescherelle).

     


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  • Adjectifs relationnels

    « Gilbert Collard adopte de bon gré la posture victimaire : "Les journalistes me réservent sans cesse un traitement particulier". »
    (Saïd Mahrane, dans Le Point n° 2082, août 2012)

       

     
    (Gilbert Collard, photo wikipedia sous licence GFDL par Thesupermat)

     

    FlècheCe que j'en pense

    Que notre journaliste est féru d'adjectifs relationnels, vous savez, ces adjectifs que l'époque affectionne tant pour remplacer un complément du nom : la viande bovine pour la viande de bœuf, la voiture présidentielle pour la voiture du président, les constructeurs automobiles pour les constructeurs de voitures automobiles, etc.

    Jugez-en plutôt : dans le même article, il nous gratifie d'un « écrivain médiéval » (pour évoquer Rabelais) et d'un « sympathisant cathodique » (à propos de l'avocat et député Gilbert Collard).

    Autant, « écrivain médiéval », je comprends – même si « écrivain du Moyen Âge » aurait tout aussi bien fait l'affaire –, mais « Le Parti socialiste le détesterait parce que le sympathisant cathodique a quitté la maison socialiste après la nomination de Bernard Tapie », là, mon écran personnel est déjà plus flou. Bien sûr, Larousse, dans sa légendaire promptitude à humer l'air du temps, me souffle que l'adjectif cathodique se dit, dans le registre familier, de ce qui est « relatif à la télévision » (acception non homologuée, on s'en serait douté, dans le dictionnaire académique... entendez celui de l'Académie française). Doit-on comprendre de ce charabia que Gilbert Collard éprouverait de la sympathie pour la télévision ? Ou bien qu'il était sympathisant du Parti socialiste uniquement à la télévision ? Cela irait tellement mieux si l'on prenait la peine de s'exprimer clairement !

    Mais notre journaliste, ne reculant devant aucun raccourci, évoque également la posture victimaire de l'avocat. Là encore, si l'Académie reste muette devant tant d'audace (seul le substantif trouve grâce à ses yeux, au sens de « personne chargée de frapper la victime au cours d'un sacrifice »), Larousse semble fort bien s'accommoder de l'adjectif : « se dit du comportement d'une personne ou d'un groupe qui s'estiment victimes de la société et attendent réparation ». Bigre ! Autant de sens dans un seul mot !

    La chose paraît à ce point entendue... que le Wiktionnaire prend soin de préciser à l'entrée victimaire : « Ce mot est souvent employé, comme adjectif, dans le sens de victimiste » (à savoir « enclin à revendiquer la condition de victime pour soi-même ou un tiers », d'après la même source). Enchanté ! J'ignorais jusqu'à ce jour votre existence... et il faut croire que je ne suis pas le seul, puisque ledit adjectif, dérivé d'un hypothétique victimiser – à moins que ce ne soit de victimer – ne figure dans aucun de mes ouvrages de référence. Sans doute est-il victime de son succès.

    Trêve de bavardage : à force de vouloir faire court, on en vient à faire confus. Un bon vieux complément du nom, précis et franc du collier, vaudra toujours mieux qu'un néologisme réduit à la sauce fourre-tout ou qu'une... « adjectivation » à outrance .

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Gilbert Collard adopte de bon gré la posture de la victime.

     


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