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Y afférant

Afférant

« Les ex-Premiers ministres ont droit à un agent pour leur secrétariat particulier, un véhicule de fonction, un conducteur automobile et à la prise en charge des dépenses y afférant. »

(L'argent de l'État, René Dosière, éditions du Seuil, 2011)

 

 

 

FlècheCe que j'en pense


Le député Dosière a beau être connu comme un ardent partisan de la bonne gestion des finances de l'État, il serait bien inspiré d'apporter le même souci de transparence à sa prose publique.

Tout d'abord, cette phrase est mal construite : il est en effet d'usage, dans la langue soignée, de répéter la préposition à devant chaque complément (dès lors que ceux-ci ne peuvent être considérés comme synonymes).

Ensuite, attardons-nous un instant sur l'expression « conducteur automobile ». Certes, le temps où l'adjectif automobile signifiait opportunément « qui se meut par ses propres moyens » semble bel et bien révolu. À force de parler d'industrie automobile, de constructeurs automobiles (au lieu de l'industrie de l'automobile, de constructeurs d'automobiles), notre époque a fait entrer dans l'usage le sens de « relatif aux véhicules automobiles », que l'Académie vient d'enregistrer dans la dernière édition de son Dictionnaire. De là à en affubler le substantif conducteur, il y a une autoroute que même les Immortels se refusent encore à franchir : « Le chauffeur, le conducteur d'une automobile ».

Venons-en enfin à l'objet principal de ce billet : afférant. Pour un peu, on croirait que le vieux verbe afferir (« convenir, appartenir », du latin ad, « vers », et ferre, « porter ») est ressuscité ou que l'on a... affaire à un hypothétique verbe afférer, forgé de toutes pièces (1). Il n'en est rien... ou si peu. Car il ne s'agit pas là d'un participe présent, comme l'a cru notre député en l'affublant de la terminaison en -ant caractéristique, mais bel et bien d'un adjectif : afférent, « qui revient à chacun des intéressés dans un partage » (en termes de droit) et « qui se rapporte à » (sens usuel moderne). Les esprits férus d'étymologie auront beau objecter que le bougre n'est rien d'autre que la réfection − d'après le latin afferens, participe présent de afferre (« apporter »), encore usuel chez les juristes du XVIIe siècle selon Grevisse − de afferant, participe présent de l'ancien français afferir (2), il n'empêche : afférent, en français moderne, s'écrit avec ent (comme convergent, divergent, différent, excellent, influent, négligent, précédent..., également empruntés de participes présents latins) et est adjectif, donc variable (les mesures afférentes ; portion, part afférente).

La présence du y n'est sans doute pas étrangère à cette confusion. C'est que l'on a tôt fait de se persuader que ledit pronom ne peut se concevoir que dans le voisinage immédiat d'une forme verbale. Là encore, il n'en est rien : y peut à l'occasion être complément d'un adjectif (ou d'un participe employé comme adjectif), pour autant que celui-ci appelle la préposition à. Témoin ces exemples empruntés à divers ouvrages de référence : « pièces y attachées » (Le Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri, 1688), « les personnes y nommées » (Littré), « les dispositions y contenues » (Code civil, cité par Grevisse), « les circonstances y relatives » (Ibid., cité par Goosse) et autres formules ressortissant d'abord à la langue juridique et administrative (3). Vous trouvez ces tours un rien archaïques (4) ? La belle affaire ! La locution y compris n'a pourtant jamais choqué personne... Toujours est-il que l'adjectif afférent, qui se construit régulièrement avec la préposition à (5), présente la particularité de pouvoir être précédé du pronom y quand celui-ci renvoie à un complément de chose préalablement explicité : les questions afférentes au commerce extérieur les questions y afférentes (c'est-à-dire les questions qui se rapportent au commerce extérieur), à l'instar de : « les pièces y afférentes » (Littré), « les documents y afférents » (Dictionnaire historique de la langue française), « inscription au Registre du commerce et publicité y afférente » (Larousse encyclopédique), « les taxes, le couvert et toutes les prestations y afférentes » (Journal officiel, 1966), « l'accord et les clauses y afférentes » (Jean-Pierre Colignon) − notez que l'accord de l'adjectif est maintenu en présence du y.

Les mauvaises langues diront que, en matière d'approximation syntaxique, René Dosière nous en donne pour notre argent. Mais que pèse un misérable barbarisme face aux sommes englouties en collaborateurs et personnel de service... s'affairant auprès de nos anciens Premiers ministres et présidents ?

(1) Un verbe afférer figure toutefois dans le Dictionnaire universel de la langue française (1856) de Louis-Nicolas Bescherelle comme ancien terme de jurisprudence, avec le sens de « imposer, répartir, régler la part de chacun dans une chose commune ». La Curne de Sainte-Palaye mentionne également la forme afférer comme variante graphique de afférir : « On a dit Afférer et Afférir dans le sens de "convenir, se rapporter". »

(2) « Avoit le nez au viaire [= visage] auferrant » (Roman de Tristan, XIIe siècle), « La barbe [de Polyphème] est au corps afferans » (Machaut, 1364), « En bien honeste et en bien afferent et utille » (Oresme, vers 1370), « Chose très afferante et necessaire » (Ordonnance du 17 mai 1413). Afferir et afferant sont encore mentionnés en 1621 dans le Thresor de Jean Nicot.

(3) Cet usage est plus rare dans la langue courante : « Si vous faites tirer la première feuille sur l'épreuve ci-jointe, du moins assurez-vous, je vous supplie, que les corrections y marquées auront été faites très exactement » (Rousseau), « Sur le rebord de la cheminée et sur les planches y attenantes » (Dumas père), « [Cette musique si mal jouée] a duré toute la nuit, où j'ai eu un cauchemar y relatif » (Flaubert), « Parmi ces plaques unies frappées par la lumière parfumée d'une forêt de bougies et de girandoles y incluses » (Léon Cladel), « Autorisation [...] pour conserver non seulement les eaux, mais encore pour recueillir toutes celles y affluentes » (Jaurès), « Le seul moyen pour les gens y intéressés de s'introduire dans les petits papiers de Stanislas » (Aragon), « Sans aucune idée y adjointe » (Damourette et Pichon).

(4) Selon le Grand Robert, la construction y afférent « constitue un archaïsme par rapport au système actuel de la langue, qui requiert normalement avec le pronom y un participe présent (les pièces y figurant). Bien que rare, elle reste cependant usitée au masculin ». À en croire Bruno Dewaele sur son excellent site À la fortune du mot, ladite expression, bien vivante dans la langue spécialisée, doit pourtant « à son côté chic, intello et un tantinet vieillot d'être plus que jamais à la mode »... au masculin comme au féminin !

(5) Il peut aussi se construire sans complément : « La première idée [d'un tableau] m'en est venue en 1845, à Gênes, [...] et depuis ce temps-là je n'ai cessé d'y songer et de faire des lectures afférentes » (Flaubert).

 

Remarque : On s'étonne de cette définition trouvée à l'entrée « relever » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Relever le fief, s’acquitter, pour pouvoir jouir d’un fief, des obligations qui lui sont afférentes auprès du seigneur dont il dépend. » Le pronom y n'est-il pas de mise en parlant des choses ?

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Les ex-Premiers ministres ont droit à un agent pour leur secrétariat particulier, à un véhicule de fonction, à un chauffeur et à la prise en charge des dépenses y afférentes (ou, plus couramment, correspondantes, associées).

 

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C
Simplement merci.
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S
Très belles explications. Claires et salvatrices car je n'osais pas souvent employer cette tournure dans mes nombreuses correspondances avec les supérieurs hiérarchiques de peur de me tromper. C'était un casse tête "afférent", afférant", accord ou pas.? Finalement je laissais tomber et pourtant j'avais toujours envie d'utiliser cette belle formule. Aujourd'hui, je suis tombé sur cette page et je suis édifié sur coment employer "y afférent" grâce encore une fois à vos éclairages. Mille MERCI
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F
Merci beaucoup.  Grâce à vos explications concernant "afférent" devant"y", j'ai évité une belle erreur.<br />  Une enseignante en retraite qui a toujours aimé la langue française.
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E
Très instructif pour moi au moment d'écrire l'objet de ma lettre recommandée, ayant pour 'objet' (titre) : "délais d’exécution des travaux, malfaçons, abandon de chantier… et préjudices y afférents…"). Votre article a été un éclairage précieux quant à l'emploi dévoyé du participe présent que j'avais employé jusqu'alors. <br /> Mais il me manquait une précision que je suis allée rechercher ailleurs et que je reviens donc vous donner pour compléter vos excellentes explications sur le groupe nominal que vous avez intitulé à dessein "y afférant" : <br /> "Y" renvoyant à ce qui précède (dans mon exemple : 'Y' exprimant que les préjudices se rapportent aux "délais d'exécution des travaux, malfaçons et abandon de chantier..."), si l'on choisit de ne pas utiliser le pronom "y" dans la phrase cela impose de noter un complément de détermination après l'adjectif "afférents", par exemple "et préjudice afférents à cette situation".<br /> Cordialement. Emjy
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H
Bonjour Marc,<br /> Je tiens d'abord à vous féliciter pour avoir relevé ces deux fautes, mais je suis en profond désaccord avec votre deuxième correction.<br /> Toutes les règles s'appliquant au positionnement des pronoms "y" et "en" se rejoignent en disant qu'ils doivent se trouver en toutes circonstances devant un verbe (sauf à l'impératif --> "penses-y"), et jamais devant un adjectif.<br /> En outre, "y compris" est une tournure signifiant "y inclus", donc "inclus là-dedans". "compris" est donc le participe passé du verbe comprendre, n'est pas utilisé comme adjectif, et l'exemple est donc caduque.<br /> Je tiens bien à faire cette précision, car comme l'ont précisé d'autres lecteurs, beaucoup cherchent des explications sur cette tournure, et s'il est rare de trouver des sources mentionnant le verbe "afférir" aujourd'hui obsolète, nombreuses sont les sources tombant dans le même piège, et beaucoup vont se conforter dans (ce qui est selon moi) l'erreur après vous avoir lu.<br /> C'est pourquoi je tenais à y répondre, afin de pousser le débat, voire corriger ce qui me semble être aujourd'hui la source la plus fiable pour répondre à cette problématique.<br /> Les seules corrections possibles selon moi sont donc:<br /> "...les dépenses y étant afférentes" ou "...les dépenses afférentes"<br /> Qu'en dites-vous?<br /> Cordialement,<br /> Mickaël
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