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Ce que j'en pense
« Nous avons les mots sécurité et sûreté ; pourquoi ne dit-on pas secur tout aussi bien que sûr ? » s'interrogeait à bon droit un certain E. Miller, en 1883. Notre homme serait sans doute surpris d'apprendre que tel fut précisément le cas... en ancien français ! Je n'en veux pour preuve que ces exemples puisés aux sources les plus sûres : « Peir et sa gent se mist en lieu secur », « Soiez secur de la victoire » (L'Ystoire de li Normant, XIIIe siècle) ; « Tenir la mer secure » (Documents relatifs au clos des galées de Rouen, 1405) − fussent-ils nettement plus rares que ceux avec les formes primitives sour, seur : « Sours est Carles, ne crent hume vivant » (Chanson de Roland, fin du XIe siècle), « S'an sont tuit seur et certain » (Chrétien de Troyes, XIIe siècle), « Tenir les chemins ouvers et seurs » (Jean Froissart, XIVe siècle) (1). De même la graphie securement est-elle attestée à côté de seurement : « Il ne le pourroit faire securement » (Jean Jouvenel des Ursins, 1406), « Aller et venir securement » (Charles VII, 1440) (2). Autrement dit, le latin securus − composé de la préposition archaïque se (« sans ») et du nom cura (« soin, souci »), d'où « exempt de soucis, de danger » − est à l'origine d'une série de doublets dans notre lexique : sûr, sûreté, sûrement, de formation populaire (avec chute de la consonne latine médiane, mal assurée), et sécur, sécurité, sécurément (3), de formation savante (directement sur le radical latin) et plus récente. Aussi ne s'étonnera-t-on pas d'observer le même phénomène de double dérivation avec les verbes, (r)assurer (XIIe siècle) se voyant concurrencer sur le tard par sécuriser.
Ce dernier est attesté ponctuellement au milieu du XIXe siècle − d'abord de façon indirecte, dans un texte traitant d'économie politique : « Cette influence sécurisante et stimulante du système protecteur » (Bibliothèque universelle de Genève, 1841), puis dans le Dictionnaire de mots nouveaux de Jean-Baptiste Richard : « Sécuriser, donner, prendre de la sécurité ; faire cesser les craintes qui existent ou les causes qui peuvent les produire ; causer la tranquillité d'esprit » (édition de 1842), « Sécuriser une personne, cette personne se sécurise » (ajout dans l'édition de 1845). Mais c'est surtout un siècle plus tard que le mot sera repris dans le vocabulaire de la psychologie : « On pourrait penser que plus la cuirasse névrotique est lourde à porter plus elle a de valeur sécurisante », « Apprendre à son élève à se sécuriser lui-même » (Fernand Lechat, psychologue et psychanalyste belge, 1954), avant de passer dans la langue courante avec le succès que l'on sait. Cet emploi ne tardera pourtant pas à attirer son lot de critiques : « Une pédagogue a déclaré, à une émission de la télévision consacrée à la rentrée des écoles maternelles, qu'il convenait de sécuriser l'enfant à l'école. Je traduis : lui donner l'impression qu'il est en sécurité. Rassurer, de la même famille, n'en disait-il pas tout autant ou, si l'on tient au suffixe, tranquilliser ? Mais il fallait éblouir les profanes par la richesse et la nouveauté de son vocabulaire » (René Georgin, 1969), « Et c'est ainsi que la presse [contrainte à la surenchère expressive] remplace souvent [...] rassurer par sécuriser » (Gérald Antoine et Bernard Cerquiglini, 2000), « C'est encore par le biais des médias que le vocabulaire abstrait à coloration philosophico-psychanalytique contamine le reste de la population : des verbes comme [sécuriser, responsabiliser...] ont vu leur fréquence moyenne s'enfler ces dernières années » (Henriette Walter, 2001). Sécuriser, doublet prétentieux et accrocheur de rassurer ? Dupré n'en est pas si sûr : « En fait, [ce verbe] n'a pas été créé sans raison, lit-on dans son Encyclopédie du bon français (1972) : rassurer s'emploie généralement, dans la langue actuelle, pour indiquer qu'une garantie précise, clairement perçue par la conscience de quelqu'un, dissipe son inquiétude sur un problème précis ; sécuriser, au contraire, concerne les états d'âme vagues ou inconscients, et signifie "faire passer d'un sentiment confus d'angoisse à un sentiment de sécurité". » Hanse dresse un constat similaire, quoique de façon moins explicite : « Sécuriser, "donner un sentiment de sécurité, de confiance en soi", dit autre chose et plus que rassurer. »
Mais voilà qu'une nouvelle condamnation s'abat sur le malheureux sécuriser : son emploi au sens de « rendre plus sûr, plus stable », avec un complément direct de chose et non plus de personne, serait un affreux anglicisme ! « À raison de dix occurrences toutes les cinq minutes, relevait Alain Rey au moment de la guerre d'Irak de 2003, on entend dire qu'une route, un faubourg de ville, un secteur... sont sécurisés. Ce verbe n'est pas nouveau, mais il ne s'employait, depuis une quarantaine d'années, qu'en psychologie : une situation sécurisante, c'est-à-dire apaisante, agit en calmant, en donnant à quelqu'un un sentiment de sécurité. Puis vint un autre emprunt à l'anglo-américain ; on commença à parler, en matière bancaire, d'un paiement sécurisé, et, en informatique, de sécuriser une opération. » Qu'il me soit ici permis de faire observer que cette extension sémantique − consignée dans le TLFi et dans les dictionnaires usuels, mais ignorée par Dupré, par Hanse et par l'Académie (en attendant qu'elle atteigne la lettre S de la dernière édition de son Dictionnaire) − n'a rien que de très naturel en français : les verbes en -iser dont la base est un adjectif ne signifient-ils pas d'ordinaire « rendre + adjectif » ? Que l'on songe à immobiliser « rendre immobile », à tranquilliser « rendre tranquille » et, avec un adjectif latin en position de base, à humaniser (d'après humanus) « rendre humain », à stabiliser (d'après stabilis) « rendre stable », d'où sécuriser (d'après securus) « rendre (plus) sûr ». Ce sens était d'ailleurs en germe dès le milieu du XIXe siècle : « L'assurance donnée à M. le Préfet [d'achever une voie ferrée] ne doit laisser à cet égard aucune inquiétude au conseil général. Cette prompte terminaison étant sécurisée [4], le conseil émet le vœu que [...] » (Procès-verbal des délibérations du conseil général de la Nièvre, 1849), puis dans un emploi technique attesté dans la première moitié du XXe siècle : « Les glaces sont catathermiques bleues sécurisées » (Pierre Mariage, 1937), « Les glaces […] qui servent à sécuriser les très grands volumes » (Journal officiel de la République française, 1945). S'agit-il là d'emprunts à la langue anglaise ? Je ne saurais le dire. Ce qui ne fait guère de doute, en revanche, c'est que la construction sécuriser quelque chose (et, partant, être sécurisé en parlant d'un inanimé) est devenue à la mode sous l'influence de l'anglais to secure (to be secured)... au détriment, nous assurent ses détracteurs, des tours assurer (sa fortune, son avenir), boucler (un quartier) ou établir un périmètre de sécurité, consolider (un immeuble), escorter (un convoi), garantir (une transaction), prendre possession ou se rendre maître (d'un territoire), protéger (des frontières, des données), stabiliser (l'emploi), rendre plus sûr, mettre à l'abri du risque, etc. De là à crier au « barbarisme désormais employé à tout propos » avec Philippe de Saint Robert (Discours aux chiens endormis, 1979), il y a un pas que je ne saurais franchir en toute sécurité à propos d'un mot correctement formé il y a près de deux siècles désormais et qui s'est fait une place (fût-ce entre des guillemets précautionneux) sous quelques bonnes plumes : « Les appartements cylindriques ont quelque chose de, psychologiquement, très apaisant : ils enveloppent, protègent, "sécurisent", ramènent au sein maternel » (Raymond Jean), « En bon chien de garde, [Sarkozy] "sécurise" les abords de la maison Raffarin » (Jean-Marie Rouart), « Sécuriser ces puits de pétrole » (Bernard-Henri Lévy), « Si on avait, depuis dix ans, consacré autant d'efforts à sécuriser les mécanismes électroniques de vote que ceux qu'on a déployés pour sécuriser les transactions [...] » (Jacques Attali), « On peut sécuriser Villacoublay ou Le Bourget » (Yann Queffélec), « On peut multiplier les précautions, ajouter des gardiens, monter des murs, sécuriser les enceintes » (Éric-Emmanuel Schmitt), « Les taxis étaient "sécurisants", pour employer un mot apparu dans le champ psycho-social de cette époque » (François Weyergans).
(1) L'adjectif anglais secure, quant à lui, ne daterait que du milieu du XVIe siècle.
(2) Sont également attestées à la même époque des variantes en g : « E es granz batailles segurs » (Chronique des ducs de Normandie, XIIe siècle), « Fai lou venir segurement » (Herbert, XIIIe siècle), « En lieu segur et certain » (Clémence de Hongrie, 1328), « En aller segurement et les faire conduire en lieu segur » (Histoire de la sainte église de Vienne, 1402).
(3) Des trois termes, seul sécurité s'est maintenu, en souvenir du latin securitas. L'adverbe sécurément fut toutefois repris sous la Révolution, avec la bénédiction du grammairien Urbain Doumergue (cf. Journal de la langue française, 1791) : « [Elle] attendit securement le retour de son maître » (Restif de la Bretonne, 1795), « Chenaler sécurément dans les passages étroits » (Jules Lecomte, 1835).
(4) Notez le recours à l'italique pour souligner l'emploi d'un néologisme.
Remarque 1 : D'après Jean Girodet, à sécuriser on préférera, selon les cas et en dehors de la langue technique de la psychologie : « apaiser, calmer, pacifier, rasséréner, tranquilliser, donner une impression de sécurité, mettre en confiance » − quid de rassurer ? De son côté, Pascal-Raphaël Ambriogi précise à propos de l'emploi avec un complément direct de chose : « Rendre plus sûr plutôt que sécuriser » − on s'étonne de ne pas voir la même recommandation pour humaniser, stabiliser...
Remarque 2 : D'après Alain Rey, « sécuriser n'est pas seulement un anglicisme, c'est un euphémisme guerrier ». Cachez ces cadavres anglais que nous ne saurions voir...
Remarque 3 : D'après René Georgin, sûreté (seurté au XIIe siècle), de formation populaire, a longtemps exprimé à lui seul tous les sens qui se rattachent à l'adjectif sûr. Quant à son doublet savant, sécurité (peu employé avant le XVIe siècle), il s'appliquait à l'origine plutôt à la tranquillité d'esprit, au sentiment que l'on a, à tort ou à raison, d'être à l'abri de tout danger. Les sens des deux mots étaient donc bien distincts : sécurité avait une valeur subjective, sûreté désignait plutôt un état de fait. « Mais ces sens ont eu tendance à se rapprocher et à se confondre, et sécurité a de plus en plus détrôné son aîné [...]. Cette substitution de sécurité au bon vieux sûreté n'est qu'une manifestation, entre tant d'autres, d'une tendance générale, d'un travers éternel mais particulièrement développé à notre époque : l'amour pour les mots longs, savants et qui font riche » (Pour un meilleur français, 1951).
Remarque 4 : Fin du suspense : dans sa dernière édition, le Dictionnaire de l'Académie a accueilli sans réserve le verbe sécuriser, qu'il soit construit avec un objet de personne ou de chose : « 1. Rassurer quelqu'un, le tranquilliser. 2. Garantir la sécurité d'un lieu, d'une chose, les protéger de tout danger. Sécuriser une ambassade, un réseau informatique. Un virement bancaire sécurisé, un périmètre sécurisé. »
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