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Initier

Depuis le XVIIe siècle, l'usage classique veut que l'on initie quelqu'un (un élève, un disciple, un profane) à quelque chose (1), autrement dit qu'on le fasse accéder à la connaissance de certains mystères, ou bien, « avec l'idée de "commencement" mais sans celle de "secret" » (dixit le Dictionnaire historique de la langue française), qu'on lui apprenne les rudiments d'un art, d'une science ou d'une technique.

S'initier aux mystères de la religion (notez l'emploi pronominal).

Initier un étudiant aux mathématiques, à la finance, à la peinture.

Mais voilà que sous l'influence de l'anglais to initiate, nous dit-on, le français initier voit son usage s'étendre dangereusement au-delà de son sens... initial, pour prendre celui de « amorcer, commencer, engager, prendre l'initiative de, mettre en route ». C'est la raison pour laquelle son emploi avec un complément d'objet direct inanimé est l'objet de critiques répétées :

« Initier une politique, un système dans un pays pour "l'inaugurer, l'implanter, l'introduire" est, sinon un anglicisme, une expression fort incorrecte » (Jules-Paul Tardivel, écrivain québécois, 1880).

« Je trouve [sous la plume de Bertrand de Jouvenel] ceci : "Mercier doit être singulièrement irrité contre Henry qui a initié toute l'affaire." Voilà donc pour la première fois le verbe initier avec un complément d'objet qui désigne une chose, et pris au sens de commencer, inaugurer, déchaîner, etc. Il n'y en a jamais eu d'exemples, car on n'a jamais dit qu'initier quelqu'un à quelque chose » (André Thérive, 1931).

« À la Bourse s'introduit, m'apprend-on, le verbe initier avec le sens de "commencer (à tel cours)". C'est un sacrilège ! » (Maurice Schöne, linguiste, 1933).

« Chaque fois que vous verrez [le verbe initier employé au sens de "commencer"], dites-vous bien que le rédacteur a commis là un solécisme bien grave » (Images, magazine égyptien rédigé en langue française, 1942).

« Initier ne signifie pas "commencer, amorcer" » (Hanse).

« Vers le milieu du XXe siècle, sous l'influence de l'anglais to initiate, initier s'emploie pour "prendre l'initiative de (quelque chose)" ; le verbe se rattache de cette façon à initiative, mais dans un emploi sans rapport avec son sémantisme propre, ce qui rend cet emploi très critiquable » (Dictionnaire historique de la langue française).

D'aucuns s'étonneront du caractère péremptoire de ces affirmations. Car enfin, la réalité historique paraît autrement nuancée, comme le rappelle fort justement Goosse dans Le Bon Usage : « Le bas-latin initiare a connu le sens "commencer" (par exemple chez saint Jérôme [2]), sens attesté sporadiquement en français aux XVIe et XVIIe siècles » − citons : « Le mariage est initié et commencé par espousailles » (Du sacrement de mariage, vers 1480), « Quartiers [de lune] croissans, initians » (Rabelais, 1547), « Initier, Commencer, Beghinnen » (Mathias Sasbout, Dictionnaire français-flamand, 1579), « Phebus de mesme creinte espronne le courssier, Pour sans rumeur aux cieux sa course initier » (Loÿs Papon, 1581), « C'est où s'initia la creation du monde » (Antoine Fuzy, 1609), « Parquoy le sacré oracle a justement deu initier le delaschement des fleches venantes du ciel contre tel motif des divines irritations » (Jacques Severt, 1623), « A la fin d'initier nostre propos » (Id.). Ces arguments suffisent-ils à dédouaner la perfide Albion ? Nombreux sont ceux qui en doutent : « [Initiare "commencer" ?] Il s'agit là d'un sens tardif, qui n'est guère attesté avant le IVe siècle [...]. Le latin classique, lui, disposait pour "commencer" de trois verbes : coepere, incipere et inchoare » (Marcel Péju, 1997), « La proximité formelle et sémantique entre des mots comme initier, s'initier à (indiquant l'admission à une connaissance) et des mots comme initial, initialement, initiative (indiquant un commencement) a favorisé un calque [de l'anglais] aboutissant à la fois à une faute grammaticale et à une impropriété sémantique : initier quelque chose = être à l'origine de quelque chose. Le fait que cet usage retrouve inconsciemment l'étymologie latine ne change rien à l'affaire » (Maurice Pergnier, Les Anglicismes, 1989). Goosse lui-même admet que « l'emploi actuel est sûrement un calque de l'anglais ».

Alors, bas latinisme ou archaïsme remis en usage ? anglicisme à la mode ? L'Académie, pour une fois bien conciliante, tente une synthèse dans la neuvième édition de son Dictionnaire :

« Les dictionnaires d'ancien français attestent l'existence du mot inition, inicion, du latin initium, au sens de "commencement", employé par Jean de Meung, Froissart, etc. Le verbe initier, du latin initiare, est de même attesté au XVIe siècle [au sens de « commencer, inaugurer »]. On en retrouve un exemple isolé chez Chateaubriand : "Pierre, évêque de Rome, initia la papauté". Cet emploi se retrouve dans toutes les langues latines, et n'est pas en soi condamnable. Toutefois, il se répand abusivement dans les textes politiques, administratifs, journalistiques, alors que le français dispose de verbes ou de locutions tels que commencer, inaugurer, engager, entreprendre, lancer, être à l'origine de, mieux adaptés à traduire les diverses nuances de la même idée. »

Reste à comprendre pourquoi les sages du quai Conti font une exception pour l'emploi de initier dans le domaine des sciences : « Amorcer, engager, mettre en œuvre la phase initiale d'un processus. Initier une réaction chimique » et pour celui de initiateur : « Personne qui ouvre une voie nouvelle dans la connaissance ou qui est à l'origine d'une action. L'initiateur d'un projet » (3). « Indulgence sélective » ? ironise Goosse...

Dans le doute, et jusqu'à plus ample... initié, on écrira de préférence :

Une rencontre organisée par le préfet (et non initiée par le préfet).

Engager une discussion avec son interlocuteur (et non Initier une discussion).

Entreprendre la réalisation d'un projet, d'une enquête (et non Initier un projet, une enquête).

Lancer une campagne publicitaire (et non Initier une campagne publicitaire).

Être à l'origine d'un mouvement de révolte (et non Initier un mouvement).

Instaurer une politique. Mettre en place un partenariat.


Histoire d'éviter de se voir accuser de délit... d'initier !
 

(1) On a aussi dit initier quelqu'un dans quelque chose, tour aujourd'hui présenté comme vieilli.

(2) « Quam initiavit nobis viam » (Vulgate), dont Pierre Coton donne en 1618 la traduction suivante : « Par le chemin qu'il nous a ouvert (ou, si dire se peut, initié). »

(3) Pour André Thérive, « ce sens [de initiateur] n'est classique que si l'action a été de faire connaître ».

 

Séparateur de texte

Remarque 1 : Il convient de faire attention à la conjugaison du verbe initier.

À l'indicatif imparfait et au subjonctif présent : (que) nous initiions.
Au futur et au conditionnel : il initiera / il initierait.

Remarque 2 : On fera la distinction entre l'instigateur, personne qui incite, pousse à faire quelque chose, le promoteur, qui donne la première impulsion à quelque chose, et l'initiateur.

L'initiateur d'un projet. L'instigateur d'un complot. Le promoteur d'idées nouvelles.

Remarque 3 : On dira de préférence sur l'initiative de quelqu'un (comme on dit sur sa suggestion). Bien que toléré par l'Académie, le tour à l'initiative de est calqué sur à l'instigation de, selon Hanse et Girodet.

Remarque 4 : L'Académie recommande de réserver au domaine de l'informatique l'emploi du verbe initialiser, qui signifie « préparer (un ordinateur, un périphérique, un programme) à entrer en service ».

Initier
Livre de Thompson-M, Editions Larousse

 

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Z
Bonjour,<br /> Votre article m'éclaire et je vous en remercie ; j'ai pris bien note des verbes et tournures possibles. Cependant, n'y a-t-il pas une contradiction du fait qu'on ne peut initier un projet mais que sous "Remarque 2" figure "L'initiateur d'un projet" ? Alors qu'il me semble pouvoir dire que l'étudiant qui est initié aux mathématiques l'est par un initiateur (en laissant le style de côté). Est-ce que je me trompe ?
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