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Chaud devant !

« Il serait judicieux d'évoquer également les causes qui poussent une population à être aux devants de la scène. »
(Khalid Idouss, dans L'École de la République face aux jeunes musulmans, aux éditions de L'Harmattan)  



FlècheCe que j'en pense


D'après tous les ouvrages de référence que j'ai pu consulter, l'expression consacrée pour dire que l'on occupe une position en vue, au propre comme au figuré, est occuper (ou être sur, etc.) le devant de la scène, par référence à la partie antérieure de l'espace où les acteurs paraissent devant le public : « Les noms imprimés en caractères penchés, ou italiques, indiquent ceux des personnages qui ne sont pas sur le devant de la scène » (note relevée dans une édition du Mariage de Figaro de Beaumarchais), « C'était l'heure mélancolique où la première personne du singulier fait son entrée dans la vie humaine pour tenir jalousement le devant de la scène jusqu'au dernier soupir » (Julien Green), « Pendant quelques mois, ce prince va être sur le devant de la scène » (Georges Poisson), « Un phénomène nouveau, irréversible, était en train de se produire, qui allait durablement modifier notre rapport à la politique ; je veux parler de l'irruption sur le devant de la scène de l'homme ordinaire » (Jacques Julliard), « La France profonde [...] ne fait pas d'histoires, au contraire des "quartiers" qui occupent tous les jours le devant de la scène » (Luc Ferry).

Force est toutefois de constater que ledit tour se voit régulièrement déformer, après le verbe, en au(-)devant de la scène, aux devants de la scène, sur les devants de la scène. Jugez-en plutôt : « [Cela importe peu], pourvu que l'on soit au-devant de la scène » (Le Figaro), « L'affaire Denis Baupin remet au-devant de la scène les problèmes liés au harcèlement sexuel dans le cadre professionnel » (RFI), « La question de la sortie de la Grèce de la zone euro est au devant de la scène depuis quelques semaines » (Atlantico), « L’homme de l’ombre projeté au devant de la scène » (Les Échos), « Le printemps arabe, qui a propulsé les islamistes aux devants de la scène » (Le Figaro), « Manuel Valls [...] s'apprête à lancer une contre-offensive pour revenir sur les devants de la scène » (Europe 1), « Il revient sur les devants de la scène » (Libération).

Commençons par observer que, si devant peut prendre la marque du pluriel quand il est employé comme nom commun pour désigner la partie antérieure ou visible d'un animal ou d'une chose (particulièrement une scène de théâtre, une maison, un tableau, un vêtement) et, par extension, un objet destiné à être placé devant un autre (un devant de cheminée), les graphies aux devants de la scène et sur les devants de la scène n'en demeurent pas moins suspectes, une scène ne pouvant avoir d'ordinaire plusieurs devants. Elles se répandent pourtant, probablement sous l'influence de la locution prendre les devants, qui appartient proprement au langage de la vénerie (elle se dit pour « rechercher la voie de la bête en avant de l'endroit où elle a été perdue ») et s'emploie aujourd'hui au sens figuré de « partir avant quelqu'un ou le devancer, le gagner de vitesse dans une affaire en prenant l'initiative ».

La graphie être au-devant de la scène, formée à partir de la locution prépositive au-devant de (notez le trait d'union que l'usage a finalement imposé, comme dans les composés ci-devant, par-devant), est-elle plus recevable pour autant ? Rien n'est moins sûr. C'est que, selon l'Académie, Girodet, Thomas et Dupré, au-devant de ne s'emploie qu'après un verbe de mouvement (aller, courir, envoyer, venir...), pour exprimer l'idée d'une rencontre : aller au-devant de quelqu'un (= aller à sa rencontre, se diriger vers lui) et, au figuré, au-devant du danger, des difficultés (= s'y exposer par imprudence ou par obstination), au-devant d'une objection, d'une demande, d'un désir (= les prévenir, y répondre avant qu'ils soient exprimés). Aussi gageons-nous que la formule propulser quelqu'un au-devant de la scène, pour reprendre un des exemples précédemment cités, trouvera plus facilement grâce devant nos spécialistes (*) que être au-devant de la scène. Pourtant, l'emploi de au-devant de est mentionné sans réserves au sens de « sur le devant de, sur la face antérieure de » par le TLFi, de « en avant de » par Littré ; il reste rare : « Les différentes préfaces qui sont au-devant des actes des Saints de l'ordre de Saint-Benoît » (Louis Moréri), « Gasselin, qui s'était mis au-devant de Calyste [pour le protéger], avait reçu dans l'épaule un coup de sabre » (Balzac), « Une boîte en forme de petite chapelle, au-devant de laquelle est une ouverture en forme de cœur » (Renan), « Le fleuve est au-devant de la ville » (Littré). À y regarder de plus près, on en trouve trace jusque dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie : « Se dit d'une rampe douce ménagée au-devant d'un édifice » (à l'article « montée »). Il n'empêche, les esprits observateurs ne manqueront pas de braquer les projecteurs sur le fait que « en avant de la scène » ne désigne pas proprement le même espace que ce qu'il est convenu d'appeler « le devant de la scène », le premier plan. Partant, est-on fondé à substituer au-devant à sur le devant dans l'expression être sur le devant de la scène employée au sens figuré de « occuper une position, une situation importante où l'on est évalué, jugé » ? Pour ma part, je n'en jurerais pas... devant un tribunal.

(*) Ne lit-on pas sous la plume de Daniel Blampain, le continuateur de Hanse : « Il présente au-devant de la scène internationale des grammairiens [belges] qui dament le pion à leurs confrères français » ? En parlant d'une chose, on dira plus couramment : porter sur le devant de la scène, sur la place publique (pour « faire connaître, révéler »).

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Les causes qui poussent une population à occuper le devant de la scène.

 

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