• « Je voulais vous féliciter à tous. »
    (entendu au cours de l'émission MasterChef, sur NT1, le 6 août 2015) 
     

    FlècheCe que j'en pense


    Entendu jeudi soir, dans la bouche de l'un des animateurs en chef : féliciter à tous. Le verbe féliciter a beau pouvoir se construire avec différentes prépositions, je ne sache pas qu'il fasse bon ménage avec à. Les esprits curieux d'étymologie me rétorqueront, et avec juste raison, que l'on a pourtant dit féliciter quelque chose à quelqu'un (« Je vous félicite la jouyssance de ce bel ouvrage », Pereisc) et féliciter avec quelqu'un (« féliciter avec un de, to rejoyce, or congratulate with one for » (1), Cotgrave), mais ça, c'était au XVIIe siècle ! En français moderne, féliciter est un verbe transitif direct : féliciter quelqu'un de quelque chose. L'hésitation ne porte plus, désormais, que sur le choix de la préposition introduisant le motif de l'éloge : de, dans la langue soutenue (« Je l'ai félicité de son discours de la veille », Hugo) ; pour, admis dans la langue usuelle (« Je vous félicite pour votre mariage », Camus) ; voire sur, dans des tours aujourd'hui considérés comme vieillis (« un homme [...] vint nous féliciter sur notre arrivée », Voltaire).

    Force est toutefois de constater que les (mauvaises) habitudes sont tenaces : « [Ne dites pas] Féliciter à quelqu'un son bonheur. Dites : Féliciter quelqu'un de son bonheur » lit-on dans un ouvrage de remarques sur la langue française, paru en 1758. De nos jours, la construction fautive est encore fréquente à l'oral : « Je suis très heureux et je les félicite à tous ! [se réjouit l'entraîneur] », « Je vous félicite à tous pour votre investissement dans la vie sportive de la ville [souligne le maire] » (La Dépêche) ; elle se rencontre aussi parfois à l'écrit : « To wish someone well, adresser ses vœux à quelqu'un, féliciter à quelqu'un » (French Vocabulary Drills, David Stillman et Ronni Gordon).

    La confusion provient, me semble-t-il, de ce que l'on dit couramment félicitations à quelqu'un pour « je présente, j'adresse mes (ou des) félicitations à quelqu'un (pour) » : « félicitations intimes à vos deux dames » (Lamartine), « Félicitations aux acquittés de l'artillerie de la Garde nationale » (Alexandre Arnoux), « Nos félicitations aux nouveaux époux » (Pierre Boulle), « Félicitations à M. le lieutenant-commandant Beckrich et aux organisateurs de cette fête » (Jacques Henric). À la réflexion, j'en suis à me demander si certains dictionnaires n'auraient pas une part de responsabilité dans notre affaire, à force de donner des acceptions qui ne correspondent pas aux constructions usuelles des verbes. Comparez : « Féliciter. 1. Dire à (qqn) que l'on est content de ce qui lui arrive d'heureux. 2. Faire à (qqn) des compliments sur son travail, sa conduite, sa réussite » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove) et « Féliciter. 1. Assurer (qqn) de la part qu'on prend à ce qui lui arrive d'heureux. 2. Complimenter (qqn) sur sa conduite » (Robert illustré). Même constat chez le concurrent de toujours : « Témoigner à quelqu'un que l'on partage la joie que lui cause un événement heureux » (Petit Larousse illustré), « Apporter ses félicitations à quelqu'un à l'occasion d'un événement heureux, d'une réussite remarquable, etc. » (Larousse en ligne). Est-il besoin de préciser qu'il n'y a pas lieu de s'en féliciter ?

    (1) Comprenez : « assurer une personne de la part qu'on prend à sa joie pour quelque chose » (selon le TLFi).

    Remarque 1 : Dans ses fameuses Remarques sur la langue française (1647), Vaugelas écrit : «  Depuis peu on se sert d'un mot, qui auparavant était tenu à la cour pour barbare, quoique très commun en plusieurs provinces de France, qui est féliciter ; mais aujourd'hui nos meilleurs écrivains en usent, et tout le monde le dit, comme féliciter quelqu'un de, etc. je vous viens féliciter de, etc. ou simplement, je vous viens féliciter. » Littré précise à ce sujet : « Ce qu'il y avait de nouveau dans l'emploi de féliciter, c'était non le verbe lui-même qui est ancien [...], mais la signification. » En effet, féliciter est attesté depuis le XVe siècle, mais dans l'acception latine de « rendre heureux » : « féliciter ta vie et ta fortune » (Georges Chastelain, vers 1460). Ce n'est qu'au XVIIe siècle que le verbe prendra le sens moderne de « complimenter d'un évènement heureux, d'un succès, d'une chose qui fait honneur ».

    Remarque 2 : On écrira correctement, au pronominal, se féliciter de (suivi d'un nom ou d'un infinitif) et se féliciter que (suivi du subjonctif), même si la première construction est plus utilisée que la seconde : « elle se félicitait du bon tour qu'elle lui avait joué » (Maupassant) ; « Marie s'est félicitée d'être arrivée à temps » (Bescherelle) ; « Il se félicitait que toute la famille fût enfin réunie » (Académie). Mieux vaut éviter le tour se féliciter de ce que, « lourd et inutile » selon Dupré.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Je voulais tous vous féliciter.

     


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  • « Le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur [photo ci-contre] estime ainsi qu’il est "tout à fait inapproprié de tirer des conséquences politiciennes" de ces arrestations. »
    (Rémi Clément, sur publicsenat.fr, le 16 juillet 2015) 

    (photo Wikipédia)

     

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    Notre sénateur ne croit pas si bien dire : n'est-il pas tout à fait inapproprié de tirer... des conséquences ? « On tire des conclusions ; les conséquences, elles s'imposent sans qu'il soit besoin de les tirer ou non ! », lit-on sur un forum consacré à la langue française. Les internautes, au demeurant, ne sont pas tendres avec ledit tour : « Que l'on cesse de nous rebattre les oreilles avec cette expression erronée qui est un contresens, s'enflamme un écrivain public sur son site. On observe les conséquences, on les subit, mais on en tire les conclusions qui s'imposent. »

    Mieux vaudrait, en l'espèce, ne pas tirer de conclusions trop hâtives. Car enfin, qu'en pensent les spécialistes de la langue ? « Tirer une conséquence de quelque proposition, de quelque fait » (Littré, à l'article « inférer »), « Tirer, déduire une conséquence » (Académie, à l'article « conséquence »), « Tirer des conséquences » (Petit Larousse et Robert illustrés, à l'article « argumenter »), « On dit très bien : Tirer (ou déduire) une conséquence » (Hanse). On le dit très bien − que ce soit avec conséquence ou avec conclusion − et depuis fort longtemps, du reste. Pour preuve, ces exemples... tirés du Littré et empruntés aux meilleures plumes : « D'où l'on peut tirer une conséquence infaillible » (Corneille) ; « Du premier principe il tire cette conséquence »  (Bossuet) ; « Pour en tirer des conséquences qui la déshonorent », « Il en tire des conclusions admirables » (Pascal). Ajoutons-y : « De ce principe [...], je pourrais encore tirer bien des conséquences opposées à la foi », « Peut-on de sang-froid tirer de pareilles conclusions ? » (Malebranche) ; « En prouvant que j'en tire des conséquences qui ne doivent pas en être tirées », « Mais enfin l'auteur tirera-t-il de là une conclusion claire et précise ? »  (Fénelon) ; « Quel dessein [de vouloir] mettre l'iniquité en système, d'en donner des règles, d'en former des principes et d'en tirer des conséquences ! », « Si c'est le contraire, il faudra tirer une conclusion opposée » (Montesquieu) ; « Des conséquences fausses que l'auteur en tire », « Il est vrai qu'il en tire une conclusion qui l'a fait siffler dans nos trois royaumes » (Voltaire) ; « Ils ne voient pas qu'ils devraient tirer une conséquence toute contraire », « Et vous devez tirer de là une conclusion bien naturelle sur mes sentiments à votre égard » (Rousseau) ; « L'amour est sujet à exagérer les nuances les plus légères, il en tire les conséquences les plus ridicules »,  « Les conclusions que le comte pair de France tirait des propos pleins d'humeur du général de province » (Stendhal) ; « On peut tirer des conclusions excessives de prémisses exactes », « Je ne crois pas beaucoup aux conséquences extravagantes que l'on a tirées des théories d'Einstein »  (André Maurois).

    Sans doute est-il utile de rappeler que conséquence et conclusion sont ici deux termes de logique, que le Dictionnaire universel des synonymes (1802) présente comme « synonymes » en ce qu'ils désignent également une idée ou une proposition qui dérive d'une autre ou de plusieurs autres. La différence, précise Littré, est qu'un raisonnement n'a qu'une conclusion (proposition finale déduite des prémisses), mais peut avoir plusieurs conséquences (propositions intermédiaires et proposition finale). Autrement dit, on tire des conséquences pour arriver à la conclusion, qui n'est elle-même qu'une conséquence particulière (*), ainsi que le confirme l'Académie : « Conclusion, n. f. 2. Logique. Conséquence que l'on tire d'un raisonnement ou de l'exposé des faits. » C'est dans cette acception didactique que conséquence et conclusion sont entrés en composition, dès le milieu du XVIIe siècle, avec le verbe tirer, pris quant à lui au sens de « déduire, obtenir, inférer » : « On dit Tirer une conséquence, une conclusion, pour Inférer, conclure. De cela, je tire une conséquence. On tire de là un grand argument contre lui. La conclusion que vous voulez tirer de là n'est pas juste », lit-on dans la cinquième édition (augmentée) du Dictionnaire de l'Académie, parue en 1798.

    Jean Tribouillard, contributeur de la revue Défense de la langue française, émet toutefois de sérieuses réserves quant au choix du verbe tirer : « Fréquemment employée par les hommes politiques, l'expression "tirer des conséquences" est à déconseiller, les conséquences se tirant, étymologiquement, d'elles-mêmes. » L'argument repose sur le fait que le mot conséquence − tiré du latin consequentia (« suite, succession », puis « lien d'argument, conclusion ») à partir de consequens, participe présent de consequi, lui-même formé de cum (« avec ») et sequi (« suivre ») − comporte déjà « une idée de mouvement où [des faits font suite à d'autres faits], leur sont consécutifs ». L'auteur conclut : « Mieux vaut donc remplacer ce verbe malvenu, suivant le cas, par attendre, espérer, redouter, prévoir... » ou bien user d'autres formules, « telles que "tirer un enseignement, une leçon, des conclusions" ». C'est oublier, me semble-t-il, que tirer est ici employé avec une valeur logique (« déduire d'un ensemble de prémisses, inférer ») et non spatiale. On écrira tout aussi correctement tirer une conjecture, l'idée de mouvement contenue dans conjecture − emprunté du latin conjectura, dérivé de conjicere, lui même composé de cum et jacere (« jeter »), littéralement « jeter ensemble », d'où ici, au figuré, « combiner dans l'esprit, présumer » − n'étant en rien incompatible avec le verbe tirer.

    L'Académie, au demeurant, enregistre sans barguigner les expressions tirer les conséquences, tirer les conclusions, lesquelles se sont répandues hors du champ de la logique : « Par extension. Tirer les conclusions d'un retard, d'une absence, d'un échec. J'en tire la conclusion qu'il ne viendra pas » (neuvième édition de son Dictionnaire, à l'article « conclusion ») ; « À bon entendeur salut, que celui qui a compris ce que je viens de dire en tire les conséquences » (Id., à l'article « entendeur »). Le TLFi, de son côté, a beau vouloir faire une distinction, ô combien subtile, entre tirer des conclusions (« obtenir par déduction, par raisonnement ») et tirer les conséquences (« obtenir par voie de conséquence ») − parce que conséquence, dans son sens courant de « suite qu'un acte ou un évènement a ou peut avoir », a perdu sa valeur logique ? −, la logique, justement, voudrait que l'on tirât toutes les conséquences d'un fait avant de tirer la conclusion. N'en déplaise aux fustigeurs de tout poil...

    (*) Les logiciens ajoutent une distinction, que Littré s'emploie à tirer au clair : « À un autre point de vue, la différence est que la conséquence est le lien intellectuel entre les prémisses et la conclusion ; la conclusion [...] est la proposition même qui est déduite. » Les choses sont tout de suite plus limpides avec un exemple : Toutes les cartes sont noires ou vertes ; or l'as de cœur n'est pas noir ; donc il est vert. Les deux premières propositions sont appelées les prémisses. La conséquence (liaison ici marquée par donc) est très exacte : si l'as n'est pas noir, il est donc vert. La conclusion, en revanche, est fausse, puisque l'as de cœur est, comme chacun sait, rouge. « Cela vient de ce que la majeure [= la première proposition du syllogisme] est fausse. Les cartes sont noires ou rouges, et non pas noires ou vertes », conclut Littré. Autre exemple, fourni cette fois par Victor-Augustin Vanier dans son Dictionnaire (1836) : « De ce que telle puissance est en guerre avec [l'Empire ottoman], on peut tirer la conséquence que telle autre puissance, amie de cette dernière, lui prêtera des forces ; mais on n'affirme pas le fait pour cela. La conclusion ne viendra que plus tard ; ce n'est que lorsqu'on aura la certitude du fait qu'on pourra conclure en disant : Cette puissance a secondé, ou elle a abandonné [l'Empire ottoman]. » Vous l'aurez compris : on peut tirer des conséquences − vraies ou fausses − d'un fait, sans rien conclure. Partant, pourquoi refuserait-on à nos élus, confrontés à un fait de la vie quotidienne, d'en tirer toutes les conséquences avant de prendre (ou non) les mesures qui s'imposent ? Je vous laisse tirer vos conclusions personnelles...

    Remarque : Histoire de se tirer d'affaire dans les conversations, on veillera à distinguer les constructions tirer une conséquence d'une chose (« en déduire une conséquence ») et tirer une chose à conséquence, tour attesté dès 1253 au sens de « faire valoir quelque chose pour obtenir quelque chose de pareil », d'où « lui faire produire une conséquence » et, au figuré et absolument, tirer à conséquence (« avoir de l'importance par ses suites ou ses résultats ») : Cela ne tire pas à conséquence, ce n'est pas grave.

     

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  • « Y-a-t-il encore des places de libre ? Finns det några lediga platser kvar ? »
    (Johannes Schumann, dans book2 français-suédois pour débutants, chez Goethe Verlag) 
     


     

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    Je serais bien incapable − est-il besoin de le préciser ? − de dire si les débutants en suédois y trouveront leur compte, mais, pour ce qui est de l'apprentissage du français, il me semble que ce n'est pas gagné.

    Le trait d'union, tout d'abord : rappelons ici que, si les deux servant à encadrer le t euphonique sont nécessaires, celui entre y et a n'est pas justifié. En effet, n'est rattaché par un trait d'union au verbe dont il dépend qu'un pronom qui suit immédiatement ledit verbe. C'est notamment le cas du pronom sujet inversé (Vient-il ?) et des pronoms compléments d'un verbe à l'impératif (Allez-y). Dans notre exemple, le pronom complément y précédant naturellement le verbe, le trait d'union n'a pas lieu d'être.

    Ensuite, ce non-accord de l'adjectif libre. Gageons que notre auteur n'aurait pourtant pas hésité à écrire : Il y a encore des places libres. C'est que, après les tours impersonnels il y a, il est, il reste, il se trouve, ça fait, voici, voilà (*), la préposition de est généralement facultative devant un adjectif − ou, plus souvent, un participe passé pris adjectivement − qui se rapporte à un nom accompagné d'une indication de quantité (article indéfini, numéral, déterminant indéfini) : son emploi, comme cheville syntaxique, met l'adjectif en relief (dixit Hanse), le présente avec une valeur d'attribut (dixit Grevisse) et, partant, ne saurait en empêcher l'accord régulier en genre et en nombre (avec le nom qualifié). Pour preuve,  ces exemples trouvés dans les ouvrages de référence : « Deux jours (de) libres » (Grevisse), « Il y eut cent hommes (de) tués » (Littré), « Encore une semaine (de) passée » (Hanse), « Deux jours de perdus » (Académie), « Les bermes [...] s'il en est de prévues » (Larousse) ; et jusque sous les meilleures plumes : « Il y a déjà deux mailles de rompues » (Molière), « Voilà déjà mes quatre repas de sûrs » (Marivaux), « Si la mer bouillait, il y aurait, comme on dit, bien des poissons de cuits » (Diderot), « Il y eut encore quelques mots d'échangés » (Stendhal), « Il y a déjà de la vigne vierge de plantée » (Balzac), « En voilà encore une [= une nuit] de passée ! » (Sand), « Il y a deux femmes de tuées ! » (Flaubert), « Vingt francs de fichus » (Courteline), « Il y a eu des fautes de commises » (Proust), « Encore une journée de perdue pour le travail » (Mauriac), « Il y a deux personnes d'arrivées » (Ionesco).

    À tout hasard, y aurait-il encore un correcteur de disponible sur le prochain Paris-Stockholm ?

    (*) Et aussi des verbes marquant l'état, la possession ou la perception, comme avoir, connaître, donner, être, posséder, remarquer, rencontrer, voir, etc. : « Mais on n'a pas toujours deux cent mille francs de disponibles comme ça » (Mirbeau), « On en [= des ladies] voyait d'étalées dans des voitures » (Flaubert), « Le plus ingénieux piégeur, le plus subtil braconnier d'un pays qui en possède de transcendants » (La Varende).

    Remarque 1 : Déjà débattu du temps de Vaugelas, l'emploi de ce de unissant l'expression d'une quantité à un adjectif ou un participe passé a fait couler beaucoup d'encre et continue de diviser les spécialistes. Il est aujourd'hui « consacré par l'usage » (selon Littré), « accepté dans le bon usage » (selon Thomas), « admis » (selon le Larousse en ligne), « familier » (selon l'Académie), voire carrément « à éviter » chaque fois que cela est possible (selon Girodet). Grevisse s'empresse d'ajouter que cette construction n'a rien d'incorrect, qu'elle ressortit plutôt au langage parlé, mais qu'on la trouve également chez de bons auteurs (cf. exemples sus-cités). Toujours selon lui, il est, du reste, des cas où la préposition de est obligatoire : quand l'adjectif attribut précède son sujet et que le verbe est construit avec ne... que (« Il n'est sans doute de purs que les solitaires », Henri Bosco) ; quand l'adjectif se rapporte à quelqu'un, quelque chose (autre chose, grand-chose), personne, rien, à que relatif, à qui, que et quoi interrogatifs, à ceci et cela − voilà belle lurette, en effet, que l'on dit rien de bon au lieu de rien bon (« Ceux qui trouvent rien bon », Du Bellay), rien d'impossible au lieu de rien impossible (« À qui venge son père, il n'est rien impossible », Corneille), afin d'éviter le hiatus ; voire quand l'expression comporte le pronom en − encore que, dans ce cas, les exemples sans de ne sont pas si rares : « Il y en a plusieurs attrapées à ce piège » (Furetière), « Sur quatre femmes, il y en a toujours deux frisées » (Hippolyte Taine), « Sur neuf prises, il m'en reste deux bonnes » (Cocteau).

    Remarque 2 : Girodet laisse entendre que l'adjectif ou le participe resterait « généralement invariable » quand il y a inversion, c'est-à-dire postposition du nom : « Il n'y avait d'ouvert qu'une boulangerie. » En l'espèce, il me semble que la seule inversion ne suffit pas à justifier l'invariabilité (voir Balzac : « Nous avons de prêtes deux livraisons d’Études philosophiques ») ; il faut encore que le verbe soit construit avec ne... que. L'attribut, précise Grevisse, s'accorde alors généralement avec le complément d'objet lorsque celui-ci précède l'attribut et reste invariable dans le cas contraire. Comparez : « Il n’y a de divin que la pitié » (Léon Bloy) − tour perçu comme une ellipse de il n'y a rien de divin que..., d'où l'accord fréquent au masculin singulier − et « Il n'y avait que deux personnes de suspectes » (Grevisse).

     

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    Y a-t-il encore des places de libres (ou des places libres) ?

     


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  • « Tous se réclament d'Alexis Tsipras, érigé au rang de figure mythologique pour son courage et sa détermination face à la bureaucratie bruxelloise. »
    (Hugo Domenach, dans Le Point no 2235, juillet 2015) 
    Tsipras (photo Wikipédia sous licence GFDL par Kremlin.ru)

     

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    On va encore dire que je chipote, mais enfin, j'en étais resté pour ma part à élever, porter, promouvoir (une personne ou une chose) au rang de pour « la porter à un degré supérieur » : « [L'abbé] avait été élevé au rang de bibliothécaire » (Dumas), « Je n'aurais pas désiré m'élever au rang de profès » (Huysmans), « promouvoir les travailleurs au rang d'associés responsables » (De Gaulle), « Ainsi se trouve portée au rang de force politique la poésie » (Jean-Joseph Julaud). Mais ériger au rang de ? J'avoue avoir tiqué... Pourquoi, me demanderez-vous en chœur ? Parce que, dans le sens de « donner le caractère ou le rôle de ; faire passer d'une condition dans une autre plus élevée », ériger se construit d'ordinaire avec la préposition en : « Et l'on vit des factieux ou des imbéciles érigés en héros » (Diderot), « la gauche radicale, qui s'érige en défenseur du peuple » (Mauriac), « quand [l'amour] érige deux êtres en couple modèle » (Giraudoux), « celui qui venait à peine d'être érigé en figure totémique de l'avant-garde » (Catherine Millet). La chose, du reste, paraît entendue jusque dans les rangs des meilleurs spécialistes de la langue : « La crédulité populaire érige quelquefois les scélérats en héros », « Molière a élevé la farce au rang de la comédie » (Académie) ; « ériger ses caprices en règle morale » (Robert illustré). Le Larousse en ligne ne dit rien d'autre, en citant parmi les différentes acceptions dudit verbe : « ériger en, élever à tel rang. »

    Vous l'aurez compris : l'érection, dans notre affaire, me semble quelque peu tomber à plat...

     

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    Alexis Tsipras, élevé au rang de figure mythologique (ou érigé en figure mythologique).

     


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  • L'ombre d'un doute

    « Cette silhouette noire devant un ciel ombrageux, c'est celle de William Turner. »
    (paru sur sudouest.fr, le 24 juillet 2015) 

     


    Turner, autoportrait (source Wikipédia)

     

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    Voilà un adjectif qui pourrait bien faire ombre au tableau. Car enfin, à en croire la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie, ombrageux ne se dit plus que d'un animal prompt à s'effrayer lorsqu'il voit son ombre, donc facile à effaroucher (un cheval ombrageux) et, au figuré, d'une personne soupçonneuse, portée à prendre ombrage, à montrer de la défiance, à s'offusquer de peu de chose, bref à se... cabrer (une femme ombrageuse et, par extension, un caractère ombrageux).

    D'aucuns − et notamment ceux qui passent le plus clair de leur temps à l'ombre du Dictionnaire historique de la langue française ou du TLFi − feront valoir, avec juste raison, que l'adjectif ombrageux a été attesté aux sens concrets de « qui donne de l'ombrage » et « qui a de l'ombre », mais ça, c'était avant − entendez, pour l'essentiel, du XIVe au XVIIe siècle : « Lieu ombrageux et couvert » (Louis XI), « par les bois ombrageux » (Du Bellay), « Des routes ombrageuses » (Montaigne). De nos jours, ces acceptions − réservées aux choses − se répartissent d'ordinaire entre ombragé (qui signifie « protégé du soleil par un ombrage, qui est à l'ombre des feuillages » : une terrasse ombragée) et ombreux (lequel s'est d'abord appliqué à ce qui donne de l'ombre : un chêne ombreux, puis, pour ne rien simplifier, à ce qui est à l'ombre, dans la fraîcheur ou une demi-obscurité : une vallée ombreuse, une cuisine ombreuse). Est-ce parce que ce dernier paronyme ressortit surtout au registre littéraire (voire poétique) que la langue usuelle, en mal d'adjectif pour « qui donne de l'ombre », recourt volontiers (quoique à tort) au plus courant ombrageux ?

    Il n'empêche : au « ciel ombrageux » d'un Ronsard succède, quatre siècles plus tard, le « ciel ombreux » d'un Pagnol... qui n'avait pas la tête dans les nuages !

    Remarque 1 : Selon Hanse, « même de bons écrivains font la faute d'appliquer ombrageux à des arbres ». Si le grammairien belge a eu la délicatesse de ne pas citer de noms, il suffit de consulter la Toile pour identifier les contrevenants, dussent-ils en prendre ombrage : Elsa Triolet (« malgré les arbres ombrageux »), suivie de près − tiens, tiens... − par Louis Aragon (« des chemins ombrageux »).

    Remarque 2 : Dans le domaine artistique, ombré se dit d'un tableau, d'un dessin où les ombres sont figurées par des hachures, des couleurs plus sombres, etc. Par extension, l'adjectif s'emploie à propos d'autres choses (des paupières ombrées de maquillage).

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un ciel ombreux (?).

     


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