• « Lundi, à midi pile, élus et anonymes se sont retrouvés devant le parvis de la mairie afin de procéder à une minute de silence en l’honneur des victimes des attentats de vendredi dernier. »
    (paru sur leclaireurdechateaubriant.fr, le 19 novembre 2015)
    (photo Vincent Boisot / Le Figaro)

    FlècheCe que j'en pense


    Actualité oblige, on ne compte plus les minutes de silence égrenées sur le territoire, en hommage aux victimes des récents attentats parisiens. Trop souvent, hélas ! ces appels au recueillement apparaissent sur la Toile avec leur cortège d'approximations (« une minute de silences » !), quand ce n'est pas le choix du verbe qui, comme dans notre affaire, laisse grandement à désirer. Car enfin, procéder à au sens d'« effectuer, exécuter, accomplir » ne devrait-il pas se construire qu'avec un complément désignant une opération technique et complexe, une tâche comportant plusieurs phases (procéder à un inventaire, à un examen approfondi, à une élection...) ou, spécialement, un acte juridique (procéder à une arrestation, à une enquête) ? Telle est du moins la position des spécialistes de la langue, TLFi et Académie en tête. Partant, tout porte à croire que lesdites minutes de silence s'accommodent mal d'un verbe qui, suivi de la préposition à, « suppose une certaine technique, une certaine méthode » (dixit Hanse). L'Office québécois de la langue française confirme (non sans avoir procédé aux vérifications d'usage) : « On doit éviter d'employer ce verbe dans ce sens à propos d'une action simple. » À la bonne... heure !

    Remarque : Si la tradition de la minute de silence est née le 11 novembre 1919, à l'occasion du premier anniversaire de l'armistice, je ne saurais passer sous silence le fait que l'expression est attestée dès le XVIIIe siècle avec le sens littéral de « temps de silence » (sans idée particulière de recueillement) : « L'abbé se tut et parut confus d'être pris ainsi sur le fait. Après une minute de silence, il prit la main de celui qui l'avait averti et lui dit [...] » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert). 

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Observer une minute de silence.

     


    2 commentaires
  • Et tout le bataclan !

    « Ne cherchez pas, essuyez vos larmes, reprenez vos activités normales et tout le bataclan, c’est bien parce que nous sommes le pays le plus libre, le plus indépendant et le plus insolent du monde [...] qu’ils veulent nous faire la peau. »
    (Olivier Berger, sur lavoixdunord.fr, le 17 novembre 2015)
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Céline)

    FlècheCe que j'en pense


    Quelle est l'origine du mot bataclan ? La question pourra paraître dérisoire, au regard des évènements tragiques que nous venons de vivre ces derniers jours. Elle n'en est pas moins intéressante.

    Bataclan est attesté depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle dans la locution familière et tout le bataclan − comprenez « et tout le reste, et tout ce qui s'ensuit, et tout le toutim, et tout le saint-frusquin » −, où il désigne usuellement un « attirail hétéroclite et embarrassant » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), un « attirail encombrant composé d'objets dont on veut se dispenser de donner le nom » (TLFi) : « Un catéchisme pour les acteurs, danseurs, gagistes, et tout le bataclan » (Charles-Simon Favart, 1761) (1), « J'ai pris tout le bataclan [= tous mes effets], et m'en suis allé » (Antoine-Fidèle Poyart, 1811), « Il a renvoyé tout son bataclan » (sixième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1835), « Il veut savoir à quel prix vous prendriez tout le bataclan de là-haut » (Honoré de Balzac, 1847), « Il lui faudra, au moins, un jour ou deux pour resserrer tout son bataclan » (Gustave Flaubert, 1866), « Ah ! si l'on n'avait pas la religion, la prière dans les églises, [...] la Sainte-Vierge et saint Antoine de Padoue, et tout le bataclan, on serait bien plus malheureux » (Octave Mirbeau, 1900), « Une réserve de coton-poudre, avec un détonateur, un système d'horlogerie et tout un bataclan » (Georges Duhamel, 1938).

    L'origine du mot reste obscure : selon le Dictionnaire historique de la langue française, bataclan est « probablement formé sur une onomatopée imitant le bruit d'objets qui tombent, que l'on déplace ». Nombreuses sont en effet les imitations de bruits de coups, de chocs, de chute, de galopade, de bavardage, etc. à avoir été forgées sur le radical patt- (pat- ou pata-). Que l'on songe à patati, patata, à patatras et à... pataclan − « bruit d'un corps qui tombe », en picard ; « bruit, tapage, vacarme (spécialement des meubles qu'on remue avec fracas) », en provençal (2) −, qui pourrait bien avoir été déformé en bataclan sous l'influence de battre (3). Suivra, à partir de 1834, le très voisin rataplan (et sa variante rantanplan), employé cette fois pour transcrire le roulement du tambour.

    Quel rapport, me direz-vous, avec la salle parisienne où le massacre que l'on sait a eu lieu ce vendredi 13 novembre 2015 ? Il se trouve que Ba-ta-clan est le titre d’une opérette composée en 1855 par Jacques Offenbach, une « chinoiserie musicale » dont le livret (signé du compère Halévy) raille le goût du public de l'époque pour l'exotisme (de pacotille) en multipliant les onomatopées censées imiter les sonorités du chinois : « Ba-ta-clan ! Fè-ni-han ! Fich-ton-kan ! » D'aucuns firent la fine bouche devant pareille loufoquerie : « La musique bondit, voltige, casse les vitres, fait tapage ; mais tout cela ne constitue pas une œuvre lyrique ; c'est justement qu'elle est appelée Ba-ta-clan, si le mot Ba-ta-clan veut dire cohue, tapage, assemblage de choses sans nom » (Félix Clément et Pierre Larousse, Dictionnaire lyrique ou histoire des opéras, 1869). Il n'empêche : l'opérette connut un tel succès populaire que le café-théâtre qui ouvrit dix ans plus tard sur le boulevard Voltaire à Paris lui emprunta le nom et le style orientalisant, avec rideau de scène en forme d’éventail et toit en pagode.

    La suite de l'histoire, hélas ! prête nettement moins à sourire. À dire vrai, cé-pa-tré-ma-ran.


    (1) N'en déplaise à nos spécialistes, il y a lieu d'observer que cette première attestation du mot bataclan concerne, non pas des choses, mais des personnes ! De là, sans doute, la définition plus étendue donnée par Pierre-Claude-Victor Boiste dans son Dictionnaire universel de la langue française (édition de 1819) : « Attirail, cohue, troupe, etc. qui embarrassent. Variante Pataclan. »

    (2) Dans la langue d'oc, les deux notions (effets personnels et bruit) sont rattachées au mot bataclan et à sa variante pataclan : « Bataclan, ou frusquin. Ce qu'une personne a d'argent et de nippes » (Dictionnaire languedocien-français de Pierre Augustin Boissier de Sauvages, 1785) ; « Pataclan. Bataclan. Apanage, bien, tout l'avoir d'une personne » et « Pataclan. Fatras, anticaille, vieux meuble, qui n'est plus de mode ; bruit, tapage, vacarme, etc. Garçon pataud » (Dictionnaire provençal-français de Simon-Jude Honnorat, 1847).

    (3) Littré voit dans bataclan « une composition arbitraire faite avec battre ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose !

     


    votre commentaire
  • Laissé, er, ez : le choix ?

    « Vous ne parvenez pas à maintenir votre poids de croisière ? Déculpabilisez et laissez tomber votre cure annuelle de soupe, car tout ne dépendrait pas de votre laissez-aller. »
    (Ophélie Ostermann, sur madame.lefigaro.fr, le 13 octobre 2015)


    FlècheCe que j'en pense


    Loin de moi l'intention de me laisser aller à la critique facile, mais j'en étais resté, pour ma part, à la graphie laisser-aller, puisqu'il s'agit là de la substantivation du syntagme verbal (se) laisser aller, avec deux infinitifs. On écrit de même du laisser-faire... mais un laissez-passer. Pourquoi cette différence de traitement, vous demandez-vous ? Hanse avance un argument de poids : parce que, dans les deux premiers cas, l'infinitif exprime une attitude, « une manière d'être où on se laisse aller, où on laisse faire », alors que l'impératif est préféré dans le dernier exemple car il est question d'un ordre, d'une injonction : laissez-le passer, à l'instar de cessez-le-feu.

    Mais voilà que le TLFi nous apprend que la forme laissez-aller s'est rencontrée, autrefois, et particulièrement chez Balzac qui en fit grand usage : « Ce laissez-aller général porte ses fruits », « une attitude pleine de laissez-aller », « un angélique laissez-aller », « le délicieux laissez-aller avec lequel cette belle fille de la Toscane portait le vêtement français ». Tout bien pesé, cette variante orthographique n'a rien d'étonnant, ainsi que le notaient Carpentier et Noël, en 1831, dans leur Dictionnaire étymologique : « Ce mot, très utile, est nouveau (1) ; les auteurs ne paraissent pas encore d'accord sur la manière de l'écrire. » C'est peu de le dire, à en juger par ces exemples anciens : « le laisser aller de sa conversation » (Mme de Staël, citée par Littré), « dans ses pas, formés au hasard.... il y avait un moelleux.... un laisser-aller » (Eugène Scribe), « ce laissé-aller » (André Grétry), « Les artistes de la capitale sont [...] d'un laissé-aller charmant » (Journal des dames et des modes, 1816), « Les Polonaises [...] ont un laissez-aller, une élégance, un piquant et un charme supérieur à toutes les femmes des autres pays » (Charles-Joseph de Ligne).

    Las ! il n'est que de consulter la Toile pour constater que ces hésitations ont la vie dure : « Il y avait eu du laissé allé », « [les domaines] qui ont le plus souffert du laissez allez », « cette joie continentale qui n'est en fin de compte que du laisser-allez », etc. L'homophonie des formes verbales de laisser (infinitif, impératif, participe passé) n'est évidemment pas étrangère à cette situation. Il n'empêche : l'usage en la matière est désormais suffisamment fixé, si l'on en croit les dictionnaires usuels, pour ne plus tolérer un tel laisser-aller orthographique.

    (1) Selon le Dictionnaire historique de la langue française et le TLFi, laisser-aller est attesté en 1786 (sans trait d'union) sous la plume de Mirabeau, au sens de « négligence dans la conduite » : « ses tons bruyans, son laisser aller. » Le mot a plus généralement trait à l'absence de soin, à la négligence dans l'attitude, le langage, le comportement, notamment dans la tenue vestimentaire : Affecter un certain laisser-aller.

    Remarque : On notera que les trois noms composés masculins laisser-aller, laisser-faire et laissez-passer s'écrivent de nos jours avec un trait d'union et sont invariables.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Votre laisser-aller.

     


    5 commentaires
  • Nous voilà verni(s) !

    « Puis, interviendra tout le travail sur la polychromie. Cela consiste d'abord par retirer le verni et la crasse afin de retrouver les couleurs d'origine » (à propos de la restauration du retable de la cathédrale de Rennes).
    (Hélène Pédech, sur francetvinfo.fr, le 13 octobre 2015)
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Pymouss)

    FlècheCe que j'en pense


    Rappelons à notre journaliste qu'il convient de ne pas s'emmêler les pinceaux entre verni, participe passé (le plus souvent adjectivé) du verbe vernir, et vernis (avec un s final, même au singulier), nom masculin désignant l'enduit servant à vernir : retirer le vernis d'un meuble verni ; mettre du vernis à ongles.

    J'aurais aimé pouvoir affirmer ici que ledit s est étymologique. Las ! les spécialistes ne s'accordent pas sur l'origine du mot : les uns croient pouvoir le tirer du latin vitrinus (de vitrum, « vitre »), les autres de vernus ros (« la rosée du printemps », parce qu'elle semble rendre les feuilles luisantes). L'étymologie la plus communément admise de nos jours reste toutefois celle donnée par le Dictionnaire historique de la langue française : « Vernis est une adaptation (v. 1265 ; verniz, v. 1131), par l'intermédiaire de l'italien vernice, du latin médiéval veronice (IXe s.) "résine odoriférante, sandaraque" (1), emprunté au grec tardif beronikê (Ier s.), prononcé veronikê », lui-même probablement rattaché au nom de la ville de Bérénice (actuelle Benghazi) où l'on aurait produit cette résine.

    Toujours selon le Dictionnaire historique, le verbe vernir, attesté à l'infinitif en 1294, serait quant à lui issu de vernisser − lui-même dérivé de vernis et attesté dès le milieu du XIIe siècle selon Godefroy (2) −, d'après des formes comme nous vernissons, vous vernissez, qui pouvaient laisser supposer l'existence d'un infinitif en -ir. Voire. Car la formation des doublets vernir et, spécialement en parlant de poterie, vernisser pourrait tout aussi bien s'expliquer par les hésitations de l'époque quant à la prononciation de la finale de vernis : [vernisse], avec s sonore, d'où vernisser ; puis [verni], avec s muet, d'où vernir. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir figurer dans le Dictionnaire de Richelet (1694) les deux formes verni et vernis pour désigner la « sorte de composé qui sert à donner un lustre au bois de menuiserie »...

    Mais ça, vous l'aurez compris, c'était avant ! De nos jours, la distinction graphique entre l'adjectif et le substantif ne saurait souffrir aucun à-peu-près. Gageons que notre journaliste est, ce soir, dans ses petits souliers... vernis.

    (1) Dans la revue Romania (1908), Antoine Thomas précise que ladite résine, qui entrait primitivement dans la composition du vernis et qui lui a donné son nom, fut successivement appelée en latin veronix, veronice, veronicum et, après la chute du o, vernix (ou bernix), vernicium.

    (2) On le trouve dans la chanson d'Aiol : « Si bien refiert le duc, sor l'evre vernissie » (Le duc rend le coup sur le bouclier vernissé).

    Remarque 1 : À ceux qui ne manqueront pas de se demander comment on est passé du meuble verni à la personne vernie, le Dictionnaire historique répond : « par métaphore de l'idée de brillant. » J'entends déjà les mauvaises langues rétorquer qu'il s'agit là d'une explication à la gomme, depuis que Esnault a suggéré que (être) verni a d'abord signifié « protégé » (contre le malheur) − comme un meuble peut l'être par son vernis −, d'où « veinard ». Peu importe, à vrai dire. Le fait est que l'adjectif verni s'est employé dans ce sens familier comme substantif (« Gauvain, le veinard, le verni, avait profité d'une chance extraordinaire », Alexandre Arnoux), ce qui a pu ajouter à la confusion orthographique.

    Remarque 2 : Concernant la construction du verbe consister, voir ce billet.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Cela consiste d'abord à retirer le vernis et la crasse.

     


    votre commentaire
  • Si ce n'est que ça...

    « [...] rien n'avait plus d'importance, si ce n'étaient ces comptes, ces chiffres alignés qui n'avaient pour lui pas la moindre signification. »
    (Christian Signol, dans son roman Une année de neige, paru aux éditions Albin Michel)
      

    FlècheCe que j'en pense


    D'après la plupart des spécialistes de la langue, le singulier s'impose dans la locution si ce n'est, employée au sens de « excepté, sauf, sinon » : « Si ce n'est eux, quels hommes eussent osé l'entreprendre ? » (Littré), « Deux des meilleurs romans, si ce n'est les meilleurs » (Hanse), « Il a tout emporté, si ce n'est quelques livres » (Girodet), « Ma mère n'a plus de famille, si ce n'est des cousins éloignés » (Grevisse), « Il n'y a pas de fautes, si ce n'est quelques erreurs d'étourderie » (Bénédicte Gaillard).

    La règle ne date pas d'hier ; elle figure dès 1768 dans le Dictionnaire grammatical de la langue française de Féraud : « On dit si ce n'est toujours au singulier, même quand les noms qui suivent sont au pluriel [...]. D'Ablancourt dit : "Tous les exercices en seront bannis, si ce ne sont ceux de récréation." On doit dire : si ce n'est ceux, etc. » Fait troublant, le lexicographe oublie de préciser qu'elle ne vaut que pour si ce n'est employé au sens de « excepté », autrement dit pour la locution prépositive nouvellement figée. Il en va tout autrement de si ce n'est conservant son caractère primitif pour former une proposition incidente (conditionnelle ou causale), où s'applique alors la règle ordinaire d'accord de c'est. Comparez : « Si ce ne sont (pas) vos frères, ce sont vos cousins », où ce est mis pour « ces personnes dont je parle », et « Je ne connais personne à cette table, si ce n'est [= excepté, sinon] vos cousins », où ce répète la proposition principale et peut se traduire selon le grammairien Charles-Louis Marle par ceci : « si ceci n'est, ou, si n'est ceci (ce que je dis) vos cousins. Si ce n'est est là une espèce d'expression adverbiale » (*).

    Les Le Bidois vont plus loin : selon eux, si ce n'est est une formule figée qui doit rester invariable non seulement en nombre, mais aussi en forme temporelle. Et les deux linguistes de citer Hugo : « Rien n'égalait Nemrod si ce n'est Attila. » Force est toutefois de constater dans plus d'un ouvrage de référence que le verbe ne se rencontre pas qu'au présent de l'indicatif : l'Académie et Hanse admettent également la forme si ce n'était, à laquelle Thomas et le Larousse en ligne ajoutent encore si ce n'eût été. Qui dit mieux ?

    Vous l'aurez compris, il n'est pas rare, n'en déplaise à ces spécialistes, que notre locution sorte de son figement (« parfois », selon Grevisse ; « facultativement », selon Jean-Paul Jauneau) :

    « Les Chinois ne savent point que leur pays s'appelle la Chine, si ce ne sont ceux qui trafiquent avec les Européens » (Bernardin de Saint-Pierre), « L'opinion est égarée ; qui la redressera, si ce ne sont ceux qui disposent du plus sûr moyen pour la diriger ? » (Chateaubriand), « Rien ne restait en lui du démagogue affamé, si ce n'était une insupportable intolérance de doctrine » (Zola), « Rien... si ce ne sont les campagnes qui dansent en tourbillons avec les arbres » (Lautréamont), « [Elle] ne s'intéressait plus à rien, si ce n'était aux menus incidents de l'hospice » (Martin du Gard), « Si ce n'étaient les monticules de terre qu'elle [= la taupe] élève en cheminant [...], on ne soupçonnerait pas sa présence » (Pesquidoux), « Qui grimperait dans le haut Sérianne, si ce n'étaient des amoureux ? »  (Aragon), « En temps normal, il ne se souciait pas d'aimer, si ce n'étaient les combinaisons infinies des chiffres et des figures abstraites qui ravissaient son esprit » (Barjavel).

    D'aucuns voient dans ces variations la persistance de l'usage ancien, où le verbe pouvait se présenter au passé et au pluriel :

    « Il n'i avoit boiz dont on le peust feire, se ce n'estoit dou merrien des neis » (Jean de Joinville, début du XIVe siècle), « Qui eust de quoy fit collation ; mais bien peu en avoient, si ce n'estoit quelque lopin de pain » (Philippe de Commynes, 1495), « Jamais je ne vy faire un temps si morfondant, si ce n'a esté possible l'année du grand hyver » (Odet de Turnèbe, vers 1580), « Il y a peu de personnes qui facent si bon marché de leur vie [...] si ce ne sont des esprits melancholiques » (Nicolas Coeffeteau, 1614), « Sans rien épargner, si ce n'estoient les personnes qui auroient contenance de pouvoir payer rançon » (Boyvin du Villars, avant 1618), « Les noms latins terminés en us, s'ils ne sont que de deux syllabes, on ne les change point, comme Cyrus, Cresus, Pyrrhus et une infinité d'autres semblables, si ce ne sont des noms de saints, comme Petrus, Paulus… qu'on nomme Pierre, Paul, etc. » (Vaugelas, 1647), « Que hors cela on ne les voyoit presque jamais, si ce n'estoit pour affaire » (Claude de Sainte-Marthe, 1665).

    Aussi bien, là n'est pas le plus surprenant. On s'étonne en effet de lire à l'article « être » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Si ce n'est, si ce n'était ou, elliptiquement et d'un emploi littéraire, n'était, n'étaient, n'eût été, n'eussent été, pour indiquer une exception. » Que peut bien justifier, je vous le demande, cette différence de traitement du verbe être, en nombre et en temps, entre la locution d'origine et sa forme elliptique ? Pas grand-chose, je le crains, si ce n'est... un certain manque de cohérence.

    (*) Las ! Littré sème la confusion en laissant entendre − à tort, cela va sans dire − que si ce n'est est à prendre au sens de « excepté » dans cette citation de La Fontaine : « Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. »

    Remarque 1 : Thomas précise à bon droit que si ce n'est, exprimant une restriction, s'emploie sans l'adverbe de négation pas. Cependant, note Jean-Charles Laveaux dans son Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française (1822), « dans le cas où la négation serait suivie de pas, le verbe être changerait de temps et de nombre » (en fonction du nom qui suit et qui est le sujet réel). Comparez : « [L'ambitieux] ne jouit de rien, si ce n'est de ses malheurs et de ses inquiétudes » (Jean-Baptiste Massillon) et « Si ce ne sont pas de bons livres, pourquoi les lisez-vous ? » (Noël-François De Wailly), où ce est mis pour « ces livres ».

    Remarque 2 : Certains spécialistes (dans un souci de clarté ?) entendent réserver la forme au passé si ce n'était (ou, elliptiquement, n'était) au sens de « s'il n'y avait pas, sans » : « Si ce n'était la crainte de vous déplaire, je ferais telle chose » (Littré), « Si ce n'était la crainte de rester sans travail, il démissionnerait » (Bénédicte Gaillard), « Si ce n'était sa timidité, c'est un garçon très agréable » (Larousse en ligne), à comparer avec si ce n'est employé au sens de « excepté ». Les exemples cités plus haut montrent que cette distinction est inégalement respectée dans l'usage.

    Remarque 3 : La forme si ce ne sont serait « cacophonique » selon René Georgin. Si c'est son avis...

    Remarque 4 : On trouve les mêmes hésitations à propos de si ce n'est que, au sens de « excepté que, sauf que ».

    Remarque 5 : L'unanimité, vous l'aurez compris, n'est pas davantage réalisée sur n'était, n'eût été (au sens de « s'il n'y avait eu »), que ce soit chez les spécialistes : « Toujours accordé. N'étaient mes amis, je quitterais cette ville sans aucun regret » (Girodet), « N'était, n'eût été peuvent s'accorder avec le pluriel qui suit − c'est le plus fréquent − ou être assimilés à des prépositions ou considérés comme des locutions figées et rester invariables » (Hanse), « N'était, n'eût été, verbes de sous-phrases de valeur conditionnelle, restent assez souvent au singulier avec un sujet au pluriel » (Goosse) ou chez les écrivains : « Le visage aurait paru passable, n'eût été les yeux gonflés » (Mauriac), « Tu n'entendais même rien du tout, n'était les briques des faîtes » (Bernanos), « N'étaient ces malheureuses jambes insensibles et inertes, je me croirais à peine en danger » (Bernanos).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Rien n'avait plus d'importance, si ce n'est (ou si ce n'était ?) ces comptes.

     


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique