• Félicitations au chef !

    « Je voulais vous féliciter à tous. »
    (entendu au cours de l'émission MasterChef, sur NT1, le 6 août 2015) 
     

    FlècheCe que j'en pense


    Entendu jeudi soir, dans la bouche de l'un des animateurs en chef : féliciter à tous. Le verbe féliciter a beau pouvoir se construire avec différentes prépositions, je ne sache pas qu'il fasse bon ménage avec à. Les esprits curieux d'étymologie me rétorqueront, et avec juste raison, que l'on a pourtant dit féliciter quelque chose à quelqu'un (« Je vous félicite la jouyssance de ce bel ouvrage », Pereisc) et féliciter avec quelqu'un (« féliciter avec un de, to rejoyce, or congratulate with one for » (1), Cotgrave), mais ça, c'était au XVIIe siècle ! En français moderne, féliciter est un verbe transitif direct : féliciter quelqu'un de quelque chose. L'hésitation ne porte plus, désormais, que sur le choix de la préposition introduisant le motif de l'éloge : de, dans la langue soutenue (« Je l'ai félicité de son discours de la veille », Hugo) ; pour, admis dans la langue usuelle (« Je vous félicite pour votre mariage », Camus) ; voire sur, dans des tours aujourd'hui considérés comme vieillis (« un homme [...] vint nous féliciter sur notre arrivée », Voltaire).

    Force est toutefois de constater que les (mauvaises) habitudes sont tenaces : « [Ne dites pas] Féliciter à quelqu'un son bonheur. Dites : Féliciter quelqu'un de son bonheur » lit-on dans un ouvrage de remarques sur la langue française, paru en 1758. De nos jours, la construction fautive est encore fréquente à l'oral : « Je suis très heureux et je les félicite à tous ! [se réjouit l'entraîneur] », « Je vous félicite à tous pour votre investissement dans la vie sportive de la ville [souligne le maire] » (La Dépêche) ; elle se rencontre aussi parfois à l'écrit : « To wish someone well, adresser ses vœux à quelqu'un, féliciter à quelqu'un » (French Vocabulary Drills, David Stillman et Ronni Gordon).

    La confusion provient, me semble-t-il, de ce que l'on dit couramment félicitations à quelqu'un pour « je présente, j'adresse mes (ou des) félicitations à quelqu'un (pour) » : « félicitations intimes à vos deux dames » (Lamartine), « Félicitations aux acquittés de l'artillerie de la Garde nationale » (Alexandre Arnoux), « Nos félicitations aux nouveaux époux » (Pierre Boulle), « Félicitations à M. le lieutenant-commandant Beckrich et aux organisateurs de cette fête » (Jacques Henric). À la réflexion, j'en suis à me demander si certains dictionnaires n'auraient pas une part de responsabilité dans notre affaire, à force de donner des acceptions qui ne correspondent pas aux constructions usuelles des verbes. Comparez : « Féliciter. 1. Dire à (qqn) que l'on est content de ce qui lui arrive d'heureux. 2. Faire à (qqn) des compliments sur son travail, sa conduite, sa réussite » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove) et « Féliciter. 1. Assurer (qqn) de la part qu'on prend à ce qui lui arrive d'heureux. 2. Complimenter (qqn) sur sa conduite » (Robert illustré). Même constat chez le concurrent de toujours : « Témoigner à quelqu'un que l'on partage la joie que lui cause un événement heureux » (Petit Larousse illustré), « Apporter ses félicitations à quelqu'un à l'occasion d'un événement heureux, d'une réussite remarquable, etc. » (Larousse en ligne). Est-il besoin de préciser qu'il n'y a pas lieu de s'en féliciter ?

    (1) Comprenez : « assurer une personne de la part qu'on prend à sa joie pour quelque chose » (selon le TLFi).

    Remarque 1 : Dans ses fameuses Remarques sur la langue française (1647), Vaugelas écrit : «  Depuis peu on se sert d'un mot, qui auparavant était tenu à la cour pour barbare, quoique très commun en plusieurs provinces de France, qui est féliciter ; mais aujourd'hui nos meilleurs écrivains en usent, et tout le monde le dit, comme féliciter quelqu'un de, etc. je vous viens féliciter de, etc. ou simplement, je vous viens féliciter. » Littré précise à ce sujet : « Ce qu'il y avait de nouveau dans l'emploi de féliciter, c'était non le verbe lui-même qui est ancien [...], mais la signification. » En effet, féliciter est attesté depuis le XVe siècle, mais dans l'acception latine de « rendre heureux » : « féliciter ta vie et ta fortune » (Georges Chastelain, vers 1460). Ce n'est qu'au XVIIe siècle que le verbe prendra le sens moderne de « complimenter d'un évènement heureux, d'un succès, d'une chose qui fait honneur ».

    Remarque 2 : On écrira correctement, au pronominal, se féliciter de (suivi d'un nom ou d'un infinitif) et se féliciter que (suivi du subjonctif), même si la première construction est plus utilisée que la seconde : « elle se félicitait du bon tour qu'elle lui avait joué » (Maupassant) ; « Marie s'est félicitée d'être arrivée à temps » (Bescherelle) ; « Il se félicitait que toute la famille fût enfin réunie » (Académie). Mieux vaut éviter le tour se féliciter de ce que, « lourd et inutile » selon Dupré.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Je voulais tous vous féliciter.

     

    « Tirer tous azimutsL'espace d'un doute »

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Août 2015 à 12:30

    Je veux croire qu'il s'agit d'une bredouillis fait à cause de l'oral, sinon c'est par trop affligeant ... encore que ça ne m'étonnerait pas plus que ça ...

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