• « Sepp Blatter s'en va. Cependant davantage qu'une question de personne, c'est bel et bien le fameux "système" qui se retrouve sur la scellette. »
    (Nicolas Kssis-Martov et William Pereira, sur sofoot.com, le 3 juin 2015) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Voilà un article qui ne manque pas de... scelle ! C'est que j'en étais resté, pour ma part, à la graphie sellette, sans c intercalaire. Rien que de très logique, me direz-vous, au regard de l'étymologie : sellette n'est autre que le diminutif de selle (emprunté du latin sella, « siège »), qui n'a semble-t-il pas grand-chose à voir avec la famille de sceller (dérivé du latin sigillum, « figurine, statuette ; cachet, sceau ; signe, marque »).

    Le mot désignait autrefois un petit siège sans dossier (comparable à un tabouret) et, spécialement, celui − fort bas − sur lequel on faisait asseoir les accusés au tribunal, histoire de les mettre dans une position d'infériorité pendant l'interrogatoire. De là les expressions mettre (placer, tenir) quelqu'un sur la sellette [« l'interroger (comme un accusé) »] et, plus couramment, être (mis) sur la sellette (« être exposé à la critique ou aux questions ; être la personne dont on parle, que l'on juge, que l'on met en cause ») : «  La majorité s'ennuie et pour passer le temps elle met sur la sellette quelques membres du cabinet et ne les abandonne qu'après leur avoir fait dire toutes les bêtises du monde » (Mérimée). C'est à son tour d'être sur la sellette.

    À la décharge de nos journalistes, force est toutefois de reconnaître que la graphie dudit substantif féminin a longtemps fluctué : selleite, selete (XIIIe siècle) ; sellete, celette, cellette (XIVe siècle) ; sellete, sellète, sellette (XVIIIe siècle)... jusqu'à la variante scellette, qui pointe le bout de ses pieds dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Pas sûr, pour autant, que ces considérations historiques soient de nature à remettre en selle nos deux contrevenants.

    Remarque 1 : Selon Claude Duneton, l’usage de la sellette, qui durait depuis le XIIIe siècle, « fut aboli par la révolution de 1789, au profit du box et de la célèbre formule tout à fait inverse : "Accusé levez-vous" ». Autres temps, autres mœurs...

    Remarque 2 : On notera que la forme scelette (avec un c dur et un seul l) correspond à l'ancienne graphie de squelette, emprunté du grec skeletos (« desséché »).

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est le système qui se retrouve sur la sellette.

     


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  • « Piqués au vif, les hommes de Leonardo Jardim se sont alors complus dans leur maladresse offensive chronique » (à propos de l'équipe de football de Monaco).
    (paru sur lequipe.fr, le 8 février 2015) 

     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    En l'occurrence, feront remarquer les mauvaises langues, c'est bien plutôt la grammaire que l'on a piquée au vif. Car enfin, est-il besoin de consulter l'arbitre Girodet pour s'aviser que les participes passés plu, complu et déplu (ainsi que ri) sont toujours invariables ? Ils se sont plu à me railler. Elles se sont complu dans leurs erreurs. Ils se sont déplu dès leur première rencontre. Rien que de très logique pour qui se rappelle que les verbes plaire, complaire et déplaire ne peuvent pas avoir de complément d'objet direct.

    Mais voilà que Littré sème le trouble, en admettant que l'on peut écrire ils se sont complu ou ils se sont complus, selon que l'on considère sur le terrain que le pronom se est objet indirect [se complaire est alors interprété par complaire à soi-même (1)] ou n'est pas analysable [à l'instar des verbes essentiellement pronominaux et des verbes pronominaux non réfléchis, dont le participe s'accorde toujours (2)]. Et le lexicographe d'ajouter aussitôt : « Mais l'usage le plus général est de faire complu invariable. » Grevisse parvient à la même conclusion, au terme d'un raisonnement toutefois différent : à ses yeux, le pronom se des verbes se plaire (au sens de « trouver de l'attrait, se trouver bien »), se déplaire (« ne pas se trouver bien ») et se complaire (« se délecter, trouver son plaisir, sa satisfaction dans quelque chose ») est inanalysable, mais les participes passés plu, déplu et complu restent invariables... par exception ! Après tout, ne mesure-t-on pas la valeur d'une règle au nombre de ses exceptions ?

    Il n'empêche, les exemples d'accord avec le sujet ne sont pas rares chez les écrivains :

    « [Ils] se sont plus à ce bel art » (Jean-Pierre Camus, 1643), « [Ils] se sont plus à le maltraiter » (Pierre Bayle, 1697), « Une femme [...] s'est complue à m'entretenir dans cette opinion » (Restif de La Bretonne, 1777), « Elle s'était complue à croire qu'un homme [...] devait être resté fidèle à son premier amour » (Balzac, 1834), « Elle ne s'y était complue que comme à un pis-aller » (Mauriac, 1920), « Presque jamais les hommes ne s'étaient complus à un aspect aussi barbare de la destinée et de la force » (Aragon, 1926), « Mme de Staël, qui longtemps s'y était déplue, avait animé peu à peu la paix de cette résidence » (Herriot, 1934), « Chez tous elle s'était plue à éveiller l'amour » (Maurois, 1938), « Une anecdote [qu'ils] se sont plus à répéter » (Louis de Broglie, 1945).

    De son côté, l'Académie semble se complaire dans une stratégie d'évitement, en ne proposant dans la neuvième édition de son Dictionnaire qu'un exemple avec le masculin singulier comme sujet : « Connaître des désagréments, des épreuves qui sont la suite des erreurs où l'on s'est complu » (à l'article « pécher »). Courage, fuyons ! Dans le doute, mieux vaut encore s'en tenir à la position la plus couramment admise : l'invariabilité. N'en déplaise aux Aragon, Mauriac et consorts.

    (1) Dans la langue littéraire, complaire à quelqu'un signifie « lui être agréable en s'accommodant à son sentiment, à son goût » : Il cherche à vous complaire.

    (2) À l'exception notable de s'arroger.


    Remarque 1 : Selon Jean-Charles Laveaux, il convient d'écrire ils se sont plu à me tourmenter, car la phrase signifie « il a plu à eux de me tourmenter » (Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires, 1822). De son côté, Marc Wilmet, rejoignant la position de Littré, reconnaît que l'invariabilité des participes passés de se plaire, se déplaire, se complaire est justifiée dans Pierre et Marie se sont plu/déplu/complu (comprenez : l'un à l'autre), moins justifiable dans Pierre et Marie se sont plu/déplu/complu à la fête (comprenez : se sont amusés/ennuyés/attardés). Pour Julien Soulié, enfin, « se plaire à et se complaire à ont un participe invariable, alors que ce sont des verbes pronominaux autonomes ; cela est dû au fait que les verbes de base plaire, complaire ont leur participe invariable » (Accorder sans fautes, 2022).

    Remarque 2 : Voir également le billet Accord du participe passé des verbes pronominaux.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils se sont complu dans leur maladresse.

     


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  • « Depuis ce jour, les rêves que j'ai vus défiler sont identiques. »
    (Julien Jouanneau, sur lexpress.fr, le 11 juin 2015) 

     

     
     

    FlècheCe que j'en pense


    Le niveau de maîtrise des règles d'orthographe et de grammaire par nos concitoyens se serait dégradé ces dernières années, à en croire les résultats, publiés ce jour, du premier « baromètre Voltaire » (1). Gageons que les habitués de ce blog(ue) ne s'en étonneront guère...

    Pour l'occasion, L'Express nous convie à une plaisante pêche aux coquilles, autour d'une lettre d'amour pimentée des fautes de français les plus courantes (2). Et voilà que l'arroseur se voit bien rapidement arrosé. Car que lit-on dans le corrigé proposé ? « Depuis ce jour, les rêves que j'ai vu défiler [pas d'accord du participe passé suivi de l'infinitif] sont identiques. » Pas d'accord du participe passé suivi de l'infinitif ? On croit rêver ! J'ai comme l'impression que notre journaliste a confondu la règle et ses exceptions : seuls les participes fait et (depuis la réforme de 1990) laissé peuvent être considérés comme toujours invariables devant un infinitif. Dans tous les autres cas qui défileront devant nos yeux attentifs, le participe passé suivi d’un infinitif s’accordera avec le complément d’objet direct placé avant lui si ce dernier existe et fait l’action exprimée par l’infinitif. Comparez : La chorale que j'ai entendue chanter [j'ai entendu quoi ? la chorale (chanter)] et La chanson que j'ai entendu chanter [j'ai entendu quoi ? chanter (la chanson)]. Dans l'affaire qui nous occupe, les rêves, complément d'objet direct de vus, est placé avant ledit participe et fait l'action de l'infinitif (ce sont bien les rêves qui défilent). Partant, l'accord au masculin pluriel est de rigueur.

    Autant dire que le baromètre n'est pas à la fête !


    (1) Projet Voltaire est le nom d'un service en ligne d'entraînement à l'orthographe.

    (2) On trouvera l'intégralité de la lettre et du corrigé grâce au lien : http://www.lexpress.fr/education/corrigez-la-lettre-d-amour-du-francais-nul-en-grammaire_1688541.html. L'honnêteté m'oblige à préciser que l'accord y a été rectifié entre-temps, faisant ainsi passer le nombre de fautes à débusquer de dix à neuf...


    Voir également le billet Accord du participe passé.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose.

     


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  • Un tiens vaut mieux qu'un tien !

    « "Un tien vaut mieux que deux tu l'auras" dit le proverbe. »
    (Charles Foucault, sur usinenouvelle.com, le 10 avril 2015) 

     

    (Le petit Poisson et le Pêcheur, illustration de Gustave Doré)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Eh bien non, justement, ce n'est pas ce que dit le fameux proverbe. J'en veux pour preuve la graphie unanimement retenue par les ouvrages de référence depuis le XIXe siècle (Académie, Littré, Bescherelle, Grevisse, Larousse, Robert) : Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, comprenez la possession d'un bien présent, quelque modique qu'il soit, est préférable à la promesse d'un bien plus considérable.

    Tiens, tiens, se demanderont certains d'entre nous, mais que vient faire ce s à tiens ? C'est qu'il s'agit de l'impératif présent du verbe tenir, ici dans un emploi substantivé (1), et non du pronom possessif tien comme on le croit trop souvent. Rien que de très logique, au demeurant, tant notre langue − que l'on sait peu encline à mélanger les torchons et les serviettes − s'attend, dans ce type de construction, à ce qu'une forme verbale fasse pendant au futur tu l'auras.

    Mais voilà : les esprits rebelles ne manqueront pas de faire remarquer que l'Académie elle-même, dans la première édition de son Dictionnaire (1694), écrit : « On dit proverbialement Un tien vaux mieux que deux tu l'auras ». La graphie sans s se trouve également dans le Dictionnaire de Richelet (1680), dans le Dictionnaire de Furetière (1690), dans le Dictionnaire de Trévoux (1771), ainsi que dans une édition des Fables de La Fontaine publiée en 1668 : « Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras » (Le petit Poisson et le Pêcheur). Voudrait-on nous faire croire, après tout, qu'un pronom possessif employé comme nom masculin au sens de « ce qui t'appartient en propre »... ça se tient ? C'est oublier que tien correspond d'abord à la forme ancienne de l'impératif tiens. L'ajout du s à l'impératif des verbes du troisième groupe ne s'est généralisé qu'assez tardivement et Jean Nicot écrivait encore dans son Trésor de la langue française publié en 1606 : « Tien regarde », « Tien, tien, vien ça » et, partant, « J'aime mieux un tien, que deux tu l'auras ». Les académiciens de 1694 ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont pris soin d'enregistrer ledit proverbe − fût-il orthographié à l'époque sans s à tien − à l'entrée tenir (au sens concret de « garder dans sa main ») et non à l'entrée tien, preuve s'il en était encore besoin qu'ils avaient bien conscience d'avoir affaire à la forme verbale et non au possessif. Tenez-vous-le pour dit !

    (1) « Par l'adjonction d'un déterminant, tout mot et même tout élément de la langue peut devenir un nom » (Nouvelle grammaire française de Grevisse). L'impératif ne fait pas exception : Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Un rendez-vous.

    Remarque 1 : Force est de constater que les spécialistes sont partagés sur l'analyse de la forme conjuguée. Selon les sources, il s'agirait non pas du présent de l'impératif, mais du présent de l'indicatif du verbe tenir à la première personne du singulier (« Un je tiens, vaut mieux que deux tu l'auras » lit-on dans Les Ursulines de Québec, 1866), à la deuxième personne du singulier (« Dans le proverbe un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, on n'a pas affaire au possessif, mais à la forme verbale tu tiens », dans la Grammaire française de Knud Togeby, 1982), voire... à la troisième personne du singulier (« Un tient vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras », dans le Dictionnaire critique de la langue française de Féraud, 1787) ! Voilà qui n'arrange rien à notre affaire...

    Remarque 2 : Il suffit de se promener sur la Toile pour constater que notre proverbe a connu de nombreuses variantes : « assez vaut miex un tien que quatre tu l'auras » (Aye d'Avignon, fin du XIIe siècle), « mieux vaut un tien que deux auras » (fin du XIIe siècle), « Mieus vaut un tien ne font deus qu'on atent » (Adam de Givenchy, XIIIe siècle), « J'aimeroye, pour le cueur mien, Mieux que tu l'auras, un tien »  (Charles d'Orléans, XVe siècle), « Mieux vaut un tenez que deux vous l'aurez » (Dictionnaire français-anglais de Cotgrave, 1673) ; et, ironiquement : « Tant vaut tiens que chose promise » (Villon) ; « Ainsi sommes-nous faits que deux tiens valent moins à nos yeux qu'un tu ne l'auras jamais » (Mauriac). Sans doute le vaut-il bien...

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

     


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  • « Au cœur du bouleversant documentaire qui lui est consacré, Amy [Winehouse] est mise à nue. »
    (Julia Beyer, sur lefigaro.fr, le 17 mai 2015) 

     

     

     

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    Loin de moi l'intention de rhabiller notre journaliste pour l'hiver, mais je me dois ici de rappeler que l'adjectif nu dans la locution adverbiale à nu (« à découvert ») est invariable. Vrai, c'est la vérité toute nue ! Rien que de très logique au demeurant : écrirait-on sans sourciller monter une jument à... crue ?

    Ladite locution se rencontre notamment dans être, (se) mettre à nu, qui signifie proprement « (se) dévêtir » et, figurément, « ne rien cacher de ce que l'on a dans le cœur » : Elle se met à nu. On les a mis à nu. Mettre une plaie, une intrigue à nu.

    Notre journaliste pourra toujours se consoler en constatant que l'accord − fautif − se trouve sous la plume de Marguerite Duras (« L'absurdité de la guerre, mise à nue, plane sur leurs corps indistincts ») et dans l'encyclopédie Larousse en ligne (« la parcelle ainsi mise à nue », « laissant les sols à nus »). De quoi, convenons-en, tomber des nues...


    Voir également le billet Accord avec nu.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Elle est mise à nu.

     


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