• Via

    Via

    « Pour faciliter la consultation, trois options s'offrent à vous : une recherche thématique (via les rubriques), une recherche alphabétique (via l'index) ou une découverte au fil des coquilles relevées dans les médias (via la rubrique Vu ou entendu). »

    (votre serviteur, sur parler-français.eklablog.com) 
    Via Appia (photo Wikipédia sous licence GFDL par Kleuske)
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Il était écrit que l'on chercherait un jour à me pousser sur le banc des arroseurs arrosés. Une lectrice de ce blog(ue), traductrice de son état, s'étonne ainsi de ce que j'aie pu recourir à la locution via sur la page d'accueil : « Dans le programme de traduction à l'université, on nous a appris qu'il faut à tout prix éviter l'emploi du mot "via", sauf dans le domaine du transport [...]. La définition du Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers est très claire à ce sujet : "Cet emploi qui appartient au domaine des transports est le seul usage correct en français. La préposition s'applique à un lieu et non à un moyen de communication. Un colis expédié par (et non via) autocar. Une émission diffusée sur ondes hertziennes (et non via ondes hertziennes)". »

    Il faut bien avouer que le chemin de la connaissance du mot via revêt des allures de via crucis. Jugez-en plutôt.

    Calquée sur le nom latin signifiant « chemin, route, voie, chemin », la préposition française via serait apparue en 1852 sous la plume de Victor Hugo, selon le Dictionnaire historique. Si mes propres recherches ne m'ont malheureusement pas permis de retrouver la trace de ladite occurrence (1), j'ai relevé chemin faisant un « port des lettres partant viâ Marseille » dans Documens sur le commerce extérieur, paru en 1843. Une première remarque s'impose : cette ancienne graphie avec accent circonflexe sur le a servait, semble-t-il, à marquer la longueur de la voyelle finale, correspondant à l'ablatif latin (2) – l'Académie a, de même, longtemps écrit (appel) à minimâ en souvenir du latin ab minima poena. De nos jours, via s'avance à visage découvert et sans italiques (3), comme le rappelle à bon droit cet article sur Wikipédia : « Cette préposition [via] n'existe pas en latin. Dans cet emploi, via est un mot français, qui par conséquent "ne se met pas en italique dans un texte composé en romain, ni l'inverse" (P.-V. Berthier, J.-P. Colignon, Lexique du français pratique, Solar, 1981). »

    On retiendra que notre préposition s'écrit sans accent, sans guillemets et sans italiques. Reste à préciser ce qu'elle signifie. « Par la voie de, en passant par », si l'on en croit le Robert illustré 2013 : Aller de Paris à Alger via Marseille. Et ma correspondante, marchant dans les pas de la linguiste Marie-Éva de Villers, de souhaiter s'en tenir à ce seul usage, entendez : dans des indications d'itinéraires. Et pourtant... Alain Rey, dans son Dictionnaire historique, ose sortir des chemins battus et reconnaît que « [via] s'emploie aussi au figuré », sans toutefois donner d'exemples. Il n'empêche : ceux qui veulent aujourd'hui cantonner ladite préposition dans le seul domaine des transports en seront pour leurs frais.

    C'est finalement l'Office québécois de la langue française qui nous montre la voie de la raison, en recommandant de réserver les emplois figurés de via au même sens de « en passant par » : dans le domaine de l'informatique, notamment, lieu virtuel propice à la navigation (via Internet, via le Web) ; mais également, ajouterai-je, dans tous les cas où l'idée de déplacement prévaut. Ainsi, au risque de décevoir mon interlocutrice, n'ai-je aucun état d'âme à envisager d'effectuer une « recherche via un index », dès lors qu'il est effectivement question de se reporter à ladite liste pour trouver son chemin.

    Quant à l'emploi de via au sens étendu (sans doute emprunté de l'anglais) et apparemment critiqué de « par l'intermédiaire, par le moyen de », Larousse l'enregistre – contrairement à Robert (4) –, tout en le qualifiant de « familier » : Je vous ferai passer le dossier via ma secrétaire. Certes, il sera toujours de meilleure langue de dire que l'on a reçu tel dossier par l'intermédiaire d'Untel, que telle image a été envoyée par satellite, que telle réservation a été faite par téléphone, que tel logiciel a été installé à l'aide d'une clé USB, que tel emploi a été trouvé grâce à une formation, mais comment condamner ces emplois quand on sait – par le truchement de Gaffiot (je n'ose écrire via Gaffiot) – que le mot latin avait déjà le sens figuré de « moyen, procédé, méthode » ?

    Du reste, force est de constater que nos académiciens eux-mêmes ne se sont pas privés d'appliquer ladite préposition à des réalités non spatiales : « Un autre mot fondit sur moi, tel un vautour, via ma mémoire » (Erik Orsenna), « Et là, j’emprunterai à Hamlet, via Shakespeare » (René de Obaldia). Jean-Pierre Colignon, déjà cité, n'hésite pas davantage à écrire dans Toute l'orthographe : « L'ancien verbe recroire [...] ne subsiste plus que via l'adjectif recru » et « On peut retenir l'orthographe de certains mots via des formulettes ». Quant à Bruno Dewaele, champion du monde d'orthographe, il semble prendre un malin plaisir à mettre sur notre chemin « une déformation de "balbutire", via "balbutiare" ». Enfin, que penser de ce « si les règles élémentaires de l'orthographe semblent pouvoir être ignorées pour envoyer un bref message via un téléphone portable » relevé sous la plume de Marc Lits, dans l'avant-propos du Petit Grevisse ? Rien ne dit qu'il se serait attiré les foudres du maître.

    (1) Si fait, la voici : « Ayez soin de mettre sur les adresses de vos lettres Via London » (dans Correspondances, 1852). Force est de reconnaître qu'elle n'est que de peu de valeur du point de vue de l'étymologie, tant il est clair qu'il s'agit là d'un emprunt à la langue anglaise, justifié sous la plume d'un Hugo exilé à Jersey.

    (2) Ibam forte via Sacra, « je m'en allais, au hasard, par la voie Sacrée » (Horace).

    (3) En l'espèce, l'italique sert ici à mettre en relief le mot auquel le billet est consacré.

    (4) Rien à attendre pour le moment du Dictionnaire de l'Académie : via ne figure pas dans la huitième édition et la neuvième, en cours de rédaction, n'en est qu'à la lettre R.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    N'y allons pas par quatre chemins : n'en déplaise à Marie-Éva de Villers, je persiste et signe !

     


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  • « Le XIXe siècle (...) est un siècle très pudibond, où la censure règne en maître » (propos de l'historienne Christelle Taraud à l'occasion de l'exposition Masculin/Masculin au musée d'Orsay).

    (Quentin Girard, sur liberation.fr, le 23 septembre 2013) 
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Voilà qui va en surprendre plus d'un ! Selon Girodet, l'accord en genre est de rigueur dans la locution (agir, décider, parler, régner) en maître, qui signifie « avec l'autorité de celui qui fait ou prétend faire la loi » : Ces filles régnaient en maîtresses. Thomas, autre maître ès subtilités de la langue française, confirme : Ces sortes de broderies régnèrent en maîtresses.

    Mais il faut croire que la pudibonderie n'est pas l'apanage des seuls siècles passés, tant notre époque moderne – que l'on a connu plus décomplexée – craint encore la confusion avec le sens spécial d'« amante ». Ainsi, l'Office québécois de la langue française note que, dans l’expression passé maître, « l'usage est de faire varier passé en genre et en nombre, et maître en nombre seulement » : Elles sont passées maîtres dans ces techniques artisanales. De même, Bescherelle préconise la forme masculine dans les constructions suivantes : Ils se sont rendus (elles se sont rendues) maîtres de la situation. Elle est maître à cœur (en parlant des jeux de cartes). Elle est maître de rester ou de partir. Mais, allez savoir pourquoi, « on emploie le masculin ou le féminin dans : Elle est maître, maîtresse d'elle-même ».

    Oserai-je l'avouer ? rien ne justifie selon moi ces distinctions : exception faite de certains noms de métiers (avocat, huissier, maître nageur, etc.), maître devrait avoir pour féminin maîtresse dans toutes ses acceptions. Les classiques, du reste, s'y sont employés de main de maître : « Et Rome est aujourd'hui la maîtresse du monde » (Corneille) ; « La raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ? » (Molière) ; « Cette armée (...) se rend maîtresse de tout » (Bossuet) ; « Maîtresse de moi-même » (Racine) ; « La foule, qu'il a rendue maîtresse de son bonheur » (La Bruyère). Plus près de nous, Balzac n'hésitait pas à écrire : « Promettez-moi (...) de me laisser maîtresse de choisir mes directeurs », quand Mérimée s'autorisait un « Vous voilà déjà passée maîtresse en matière de vases et de statues ». Après tout, laisser et passer ne sont-ils pas ici employés comme verbes attributifs, dont l'attribut doit en toute logique s'accorder en genre et en nombre avec le sujet ?

    Inutile d'espérer de nos dictionnaires une ligne maîtresse un tant soit peu secourable : les locutions citées dans celui de l'Académie le sont, pour la plupart, à la forme masculine ; quant à Larousse et Robert, ils ne prennent guère position qu'en faveur d'être maîtresse de soi. On devine que le maître mot chez nos lexicographes est de laisser maître dans tous les cas où le nom maîtresse n'est pas déjà entré dans l'usage.

    Il n'empêche : pourquoi cantonner la maîtrise au féminin dans les seuls domaines scolaire ou extra(-)conjugal ? On n'hésitera donc plus à dire : être maîtresse de soi, de ses actes, de son destin ; être maîtresse de faire quelque chose ; passer maîtresse dans l'art de mentir ; être seule maîtresse à bord ; se rendre maîtresse de quelque chose ou de quelqu'un ; régner en maîtresse. Oui, osons ce coup de... maîtresse !

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    La censure règne en maîtresse.

     


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  • Accro(c)

    « Si les Français continuent à être aussi "accrocs" à la carte bancaire, en dépit de la floraison de moyens de paiement alternatifs [...]. »
    (Christine Lejoux, sur latribune.fr, le 25 septembre 2013) 
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Lotus Head)
      

    FlècheCe que j'en pense

     
    Les guillemets n'y changeront rien : voilà une formule qui fera un sérieux accroc à la réputation de notre journaliste. Celle-ci n'est visiblement pas au courant (alternatif) que le c final d'accroc est hérité de croc, instrument crochu susceptible de faire une déchirure dans un tissu : Il a fait un accroc à son pantalon. Au figuré, ledit substantif masculin prend le sens de « incident fâcheux dans le déroulement d'une affaire » : L'opération s'est déroulée sans le moindre accroc. Au demeurant, il suffit de penser au c (sonore) de croc-en-jambe – fâcheuse manœuvre s'il en est – pour ne pas oublier le c (muet) d'accroc.

    On se gardera de toute confusion avec l'adjectif accro, abréviation d'accroché (lui-même dérivé de... croc) que la langue familière emploie au sens de « dépendant » (d'une drogue) ou de « passionné » (par un sujet) : Un ado accro au chocolat et aux jeux vidéos (hélas, la perfection n'est pas de ce monde). C'est un accro du chocolat et des jeux vidéos (notez l'emploi de la préposition de quand accro est utilisé comme substantif).

    Gageons que les accros de la langue française auront tôt fait de déjouer l'escroquerie en recourant, selon le contexte, à dépendant, inconditionnel, fanatique, passionné, amoureux, féru, voire mordu.

    Remarque : Las ! la coquille se trouve jusque sous des plumes d'ordinaire irréprochables ! Ne lit-on pas sur l'excellent site Merci Professeur ! du linguiste Bernard Cerquiglini : « La langue française peut, elle aussi, rendre accroc » ? De quoi nous mettre les nerfs à cran, en attendant de montrer les crocs.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Si les Français continuent à être aussi "accros" à la carte bancaire...

     


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  • Prendre à témoin(s)

    « Cet homme émacié, encadré de deux policiers sur le siège arrière du véhicule, avait brandi ses menottes en direction des journalistes comme pour les prendre à témoins » (à propos du beau-père de Fiona, fillette « disparue » en mai, à Clermont-Ferrand).

    (dépêche AFP parue sur liberation.fr, le 25 septembre 2013) 
      

    FlècheCe que j'en pense

     
    Dieu m'est témoin que ce pluriel mériterait d'être menotté sur-le-champ ! Je n'en veux pour preuve que la mise en garde que l'Académie a publiée dans la dernière édition de son Dictionnaire : « Prendre quelqu'un à témoin, Invoquer son témoignage, le sommer de déclarer ce qu'il sait. À témoin, dans cette phrase, étant pris adverbialement, on dit de même, lorsqu'il est question de plusieurs personnes : Je les ai pris tous à témoin; je vous prends tous à témoin. »

    La confusion provient de ce que le mot témoin a cumulé, selon le Dictionnaire historique de la langue française, les sens du latin testimonium (« preuve, témoignage ») et de testis (« celui qui se tient en tiers », d'où « témoin »). Dans les expressions figées prendre à témoin, appeler à témoin, c'est dans son ancienne acception de « témoignage » que doit s'entendre témoin, qui reste donc invariable : Il a pris ses amis à témoin (à l'instar de Il a pris ses amis à partie). La police a lancé un appel à témoin (entendez : un appel à témoignage). Quand l'infinitif serait sous-entendu, l'invariabilité n'en serait pas moins de rigueur (1) : Témoin ces îles qui ont été peuplées par des malades que quelques vaisseaux y avaient abandonnés (Montesquieu). Il a travaillé avec négligence, témoin les erreurs qu'il a faites (Hanse).

    En revanche, témoin s'accorde logiquement avec le nom dont il est attribut dans la locution prendre pour témoin, puisqu'il est ici question de choisir une (ou plusieurs) personne qui pourra rapporter une chose vue ou entendue : Il l'a prise pour témoin à son mariage.(2) Je vous prends tous pour témoins de mes actions. Pour s'en convaincre, il suffit de recourir à l'adjectif possessif : Je vous prends tous pour (mes) témoins, formulation qui serait impossible avec Je vous prends tous à témoin.

    À  la décharge de notre journaliste, avouons que ces subtilités ne sont plus guère perçues par nos contemporains. Jugez-en plutôt : « appel à témoins après le meurtre de l'étudiant » (Le Parisien), « pour nous prendre à témoins mais jamais en otage » (France Inter), « l'Europe et le marché pris à témoins » (Les Échos), etc. Il n'empêche : on peut prendre à témoin les grands de ce monde, Dieu Lui-même ; mais, comme le note avec malice Napoléon Landais, on ne les prendra jamais pour témoins.
     

    (1) L'honnêteté m'oblige à préciser que l'accord, bien que critiqué dans ce cas par les spécialistes, se rencontre toutefois sous la plume de ceux qui considèrent le vocable, non plus comme ellipse de pris à témoin, mais comme attribut : Je joins l'hérésie au philosophisme, témoins ces mots: Je suis chrétien (Chateaubriand).

    (2) Témoin reste du genre masculin, même pour désigner une femme : elle était le seul témoin à notre mariage (et non la seule témoin, témointe, témouine, témoigne). Employé en fonction d'épithète, il s'accorde en nombre avec le nom auquel il se rapporte : des appartements témoins.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Comme pour prendre les journalistes à témoin.

     


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  • « (...) et, en même temps, c'est un parlementaire jusqu-auboutiste » (propos de Daniel Cohn-Bendit au sujet de Noël Mamère, photo ci-contre, qui vient d'annoncer son départ d'Europe Écologie-les Verts).

    (paru sur nouvelobs.com, le 25 septembre 2013) 
     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Notre journaliste ira-t-il jusqu'au bout de sa logique, en adoptant la graphie jusqu-aubout pour orthographier la locution adverbiale employée au sens de « jusqu'à la fin, jusqu'à la limite du possible » ? Je ne le crois pas.

    Jusqu'au bout s'écrit jusqu'à nouvel ordre avec une apostrophe qui marque l'élision du e de jusque devant une voyelle (1). Le trait d'union n'est de mise que dans les composés jusqu'au-boutisme et jusqu'au-boutiste (« partisan de la guerre jusqu'au bout », selon la formule de Briand et de Clemenceau ; plus couramment « celui qui va jusqu'au bout de ses idées, de son action, sans se préoccuper des conséquences »). Telles sont du moins les graphies figurant dans nos dictionnaires, car force est de constater que, dans la pratique, les formes rencontrées sont nettement plus variées : jusqu'au boutiste (Green), jusqu'auboutiste (Rolland), jusquauboutiste (Proust), voire jusqu'au boutien (Mac-Mahon).

    Loin de moi l'intention d'être défaitiste, mais il m'étonnerait qu'avec une pareille pléthore de variantes orthographiques on tienne le bon bout.
     

    (1) À l'époque classique, on écrivait également :  (aller) jusques au bout.

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est un parlementaire jusqu'au-boutiste.

     


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