• Le nouveau quiz de Jacques Drillon


    « Cette sorte de fruit n'est pas mûr. »

    (Jacques Drillon, sur nouvelobs.com, août 2013) 

     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Convenons d'emblée que la conception d'un « quiz de la langue française » n'est pas chose aisée, tant les divergences entre les spécialistes sont nombreuses. Le cas de l'accord après un nom désignant l'espèce (espèce, façon, genre, manière, sorte, type...) fait partie de ces subtilités sur lesquelles les ouvrages de référence ne s'accordent pas toujours... quand ils ne se contredisent pas eux-mêmes.

    Jacques Drillon, suivant les recommandations de Thomas et de Girodet à la lettre, n'envisage ainsi l'accord qu'avec le complément de sorte : Cette sorte de fruit n'est pas mûr (et non mûre). Cette sorte de fraises sont tardives. Et telle est, en effet, la position couramment admise... par ceux-là mêmes qui préconisent de laisser le verbe toujours au singulier après genre de. Allez comprendre...

    Inutile, pourtant, de chercher bien loin pour trouver avis plus nuancé (ou moins catégorique) : « Dans les phrases où sorte est employé, il ne détermine pas l'accord du verbe ; cet accord est déterminé par le substantif qui suit : Toute sorte de livres ne sont pas bons. Cependant il n'y a aucune faute à faire accorder le verbe avec sorte. » Et Littré de citer Malherbe : Toute sorte de biens comblera nos familles. Gageons que cet accord n'est pas le fruit du seul hasard.

    Hanse va encore plus loin dans la subtilité : « Si le premier nom est précédé d'un démonstratif, il est mis en relief et il détermine l'accord : Cette sorte de snobs est assez courante dans ce milieu. Ce type de recherches a déjà été entrepris. Ce genre de plaisanteries ne me plaît guère. » En d'autres termes, il est possible de faire la distinction entre Une sorte de fruit qui n'est pas mûr et Cette sorte de fruit n'est pas mûre, selon que l'on souhaite insister sur le fruit ou sur la catégorie.

    Vous l'avez compris, Jacques Drillon aurait mieux fait de nous éviter de choisir entre mûr et mûre, tant les deux accords se défendent. Il faut croire que les raccourcis estivaux ne portent pas toujours leurs fruits...


    Remarque : L'honnêteté m'oblige à préciser que les grammairiens ne sont pas davantage arrêtés sur le genre du nom complément après espèce, genre, sorte, type, etc. Le singulier semble toutefois l'emporter quand il est question d'une réalité abstraite : Cette sorte d'humour mais Une sorte de spectacle ou de spectacles (selon que l'on veut insister sur l'unicité dudit spectacle ou sur la catégorie).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Au choix : Cette sorte de fruit n'est pas mûr (ou n'est pas mûre).

     


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  • Nom de non !

    « Non de Zeus, après avoir redonné des couleurs au géant vert Hulk, Louis Leterrier, le frenchie star d'Hollywood [...], redore le blason du péplum fantastique » (à propos du film Le Choc des Titans, diffusé sur TF1 le 25 août 2013).

    (Julien Barcilon, dans Télé 7 Jours no 2778) 
     
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Nom d'un petit bonhomme ! Notre journaliste, quant à lui, est loin de redorer le blason de la presse écrite, en s'emmêlant ainsi les homophones.

    Rappelons que c'est le substantif nom (et non... l'adverbe non) qui sert à former des jurons plus ou moins édulcorés exprimant la colère, le mécontentement, la surprise ou l'impatience, sur le modèle du blasphématoire nom de Dieu ! (« au nom de Dieu, par le nom de Dieu »). L'inventivité en la matière est titanesque : Nom de Zeus ! Nom de nom ! Nom d'un petit bonhomme ! Nom d'une pipe ! Nom d'un chien ! Nom d'une bique ! Nom d'une canaille ! Nom d'un pompon ! Nom d'un pétard ! Crénom (pour sacré nom! etc. 

    À la décharge de notre journaliste, force est de reconnaître que l'ancien juron ventre-non d'un chien ! – de la non moins fertile famille de ceux formés sur le nom ventre : Ventrebleu ! (où la terminaison -bleu est une altération de Dieu, de façon à éviter de blasphémer.) Ventre de moi ! Ventre saint-gris ! – a pu semer la confusion, en donnant par ellipse... non d'un chien ! Toutefois, on dira correctement que, dans certaines légendes, Persée passait pour être fils, non de Zeus, mais de Proétos.

    Quant à Frenchie, il s'agit d'un mot anglais péjorativement connoté, employé ici comme substantif (du fait de la présence du déterminant masculin) pour désigner un Français. En toute logique, la majuscule est de rigueur.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Nom de Zeus, Louis Leterrier, le Frenchie de Hollywood, redore le blason du péplum fantastique.

     


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  • Du genre


    « Je ne suis pas du genre cochonne. »

    (publicité pour la marque Bordeau Chesnel, août 2013) 
     
     

    FlècheCe que j'en pense


    Selon le Dictionnaire historique de la langue française, « genre suivi d'un adjectif ou d'un nom attribut constitue un tour à la mode : un mec genre bobo ». Rien d'étonnant, dès lors, à ce que le roi des rillettes à la mode du Mans en vienne à nous servir une publicité (du) genre cochonne.

    Et c'est bien ce cochonne-là qui nous en bouche un... groin. De fait, comment ne pas se sentir déstabilisé par l'accord avec le sujet – en l'occurrence féminin – quand celui-ci est attendu au masculin singulier, avec genre ?

    Inutile de se précipiter ventre à terre sur les ouvrages de référence (*) qui, à ma connaissance, ne font pas leurs choux gras de la question... de genre. Il y a pourtant fort à parier que certains seront tentés d'établir une analogie avec la construction avoir l'air suivi d'un adjectif, dont l'accord se fait avec le sujet ou avec air selon que l'on privilégie le sens de « sembler, paraître » (auquel cas, il est possible d'intercaler le verbe être entre avoir l'air et l'adjectif) ou celui de « physionomie, allure, expression » : Elle a l'air (d'être) enceinte mais Elle a l'air fin (fin se rapporte à air).

    Loin de moi l'intention de faire ma tête de cochon, mais j'avoue n'être guère enthousiasmé par l'idée d'accorder (par syllepse) l'adjectif qui suit être du genre avec le sujet, sous le prétexte que l'on aurait affaire à une locution figée qui marquerait un renforcement du verbe être, du genre... être du genre (à être) ; pour ma part, j'aurais plutôt tendance à privilégier l'accord grammatical immédiat avec genre dès lors qu'il est question de souligner l'appartenance à une catégorie (groupe de personnes ou d'objets présentant des caractères communs) : Elle est du genre gourmand (entendez : elle relève de l'espèce des gens gourmands). Il n'en reste pas moins vrai que, dans sa construction familière sans préposition (Un homme genre distingué), genre s'apparente à un adverbe proche d'« assez » ou de « plutôt ».

    Est-il utile de préciser que seul l'accord avec genre est de mise après être d'un genre : une épreuve d'un genre nouveau (et non d'un genre nouvelle) ?


    (*) Mon Robert illustré 2013 mentionne seulement la construction genre suivi d'un nom ou d'un adjectif en apposition : le genre bohème, le genre artiste. Il est à noter que l'idée même d'apposition suppose – au moins dans cette construction – l'accord de l'adjectif avec genre.


    Voir également le billet Avoir l'air.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    En l'absence de caution 100 % pur porc, je suis comme une truie qui doute (pour reprendre le titre d'un livre du regretté Claude Duneton). Je vous laisse donc le choix du genre, quitte à passer pour une truffe.

     


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  • Des assurances-vie(s)

    « Selon la Gazet van Antwerpen, les assurances-vies n'auraient plus la cote en Belgique. »

    (Simon Gérard, sur rtbf.be, le 8 août 2013) 
     
     (source : Le Chat de Philippe Geluck)
     

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    Le pluriel des noms composés non plus, apparemment !

    Nos amis belges sont-ils si différents de nous pour se voir ainsi gratifiés de plusieurs vies, à l'instar du chat le plus célèbre du royaume ?

    À la décharge de notre journaliste, reconnaissons qu'un site d'« aide scolaire en grammaire » donne, avec une belle assurance, assurances-vies comme pluriel officiel, oubliant au passage que ledit nom composé doit s'entendre comme l'ellipse d'une assurance sur la vie (vraisemblablement sous l'influence de l'anglais life insurance). Partant, seul le premier terme est fondé à prendre la marque du pluriel – le second, qui fait office de complément, demeurant invariable : des assurances (sur la) vie. Telle est en tout cas la position de Larousse, de Robert, de Bescherelle, de Hanse et de l'Académie.

    La belle unanimité s'arrête là, Larousse, Bescherelle et Hanse prônant le recours au trait d'union (une assurance-vie, des assurances-vie), quand Robert et l'Académie s'en dispensent. Soyez assuré(e) que cette précision est superflue pour les habitués de ce site, qui savent à quel point ledit signe orthographique est source de divergence entre nos spécialistes...


    Remarque : Si le mot qui suit assurance n'est plus un nom complément mais un adjectif, celui-ci varie naturellement : des assurances (contre la) maladie, des assurances (relatives à l') habitation mais des assurances sociales. Quant à l'emploi d'assurance comme second élément de formation, l'Académie fait la distinction entre contrat, police, prime d'assurance (avec assurance au singulier) et compagnie, agent d'assurances (où il est question du secteur des assurances).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les assurances(-)vie n'auraient plus la cote en Belgique.

     


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  • De plus bel(le)

    « Le débat sur l'impôt a repris de plus bel ces derniers jours, encouragé par le FMI. »

    (paru sur marianne.net, le 13 août 2013) 
     
     
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Voilà qui n'est pas joli joli... Car enfin, j'en étais resté naïvement à la graphie de plus belle. À la décharge de notre journaliste, reconnaissons qu'il n'en fut pas toujours ainsi et que la situation a longtemps été confuse.

    Confusion sur la forme, d'abord. Selon le TLFi et le Dictionnaire historique de la langue française, l'expression serait d'abord apparue au masculin, mais avec la forme beau (et non bel, généralement employée devant un nom commençant par une voyelle ou un h muet) : « Bravant de plus beau Mes pensers subornez » (Agrippa d'Aubigné, avant 1580). Il n'est pourtant que de consulter le Dictionnaire du moyen français ou l'Essai de grammaire de la langue française de Damourette et Pichon pour s'aviser que l'intéressée est bel et bien attestée dès le XVe siècle, sous diverses variantes orthographiques (celles au féminin étant apparemment les plus fréquentes) : « Il se remettroit de plus belles en queste » (Perceforest, vers 1450), « [Il] se print de la plus belle sans à nully descouvrir son hault desir. [...] Et de plus belle se recommance à plaindre » (Louis de Beauvau, vers 1455), « Recommenchier de plus belle l'escarmuche » (Le Roman du comte d'Artois, avant 1467), « Mais nous le [= tel édifice] referons de plus beau S'i plaist a Dieu et a ses sains » (Le Mystère du siège d'Orléans, avant 1500) − j'ajoute : « [Les moustiques] revenoient de plus bel qu'auparavant » (Gabriel Sagard, 1636).

    Confusion sur le sens, ensuite. Le Dictionnaire historique voit dans « de nouveau » l'acception première (qui se serait nuancée en « plus fort encore »), quand le Dictionnaire du moyen français s'en tient à « de manière plus intense, plus fortement ». Richelet, dans son propre Dictionnaire (1680), a beau jeu d'apporter sa touche personnelle : « Mieux que de coutume (Il recommence de plus-belle). Plus fort qu'auparavant (Il recommence de plus-belle à jurer, etc.) », autrement dit : « plus efficacement ou plus fortement ». Citons encore : « Afresh or more earnestly than before » (Abel Boyer, 1699), « De nouveau, avec une nouvelle ardeur » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1845, conciliant les notions de nouveauté et d'intensité), « En augmentant » (Littré, 1863). Qui croire ? L'Académie, après avoir longtemps hésité (1), tente une synthèse : « De nouveau et même davantage. Il s'est remis à boire de plus belle. Elles sanglotaient de plus belle » (neuvième édition de son Dictionnaire).

    Mais au fait, me demanderez-vous, pourquoi ce féminin ? Sans doute parce que l'on s'est convaincu un beau jour que le substantif manière était sous-entendu, avance Louis-Nicolas Bescherelle dans sa Grammaire nationale (1834) : Il se mit à boire encore d'(une) plus belle (manière), sur le modèle des tours elliptiques en conter de belles (sottises), l'échapper belle (en parlant à l'origine d'une balle manquée pourtant facile à renvoyer), la bailler belle ou bonne, etc. (2) Gageons que les fans de Plus belle (la vie) retiendront que notre locution adverbiale est désormais figée au féminin singulier.

     

    (1) Comparez : « On dit aussi Rentrer de plus belle pour dire Faire un effort plus grand que le premier » (première édition de son Dictionnaire, 1694) et « Tout de nouveau » (1718-1935).

    (2) Éman Martin va plus loin : selon le rédacteur du Courrier de Vaugelas, l'idée adverbiale de bien s'exprimait autrefois par bel, beau, ainsi que le montrent ces exemples : « N'il ne s'en sorent beau partir » (Chronique des ducs de Normandie, XIIe siècle), « Bel et courtoisement a le roi salué » (Berte aus grans piés, XIIIe siècle). Cela permettait de rendre mieux sous la forme d'un comparatif régulier ; on disait plus beau ou plus bel. « Mais, par un caprice de l'usage, plus beau cessa de s'employer, cédant la place à plus bel ; et, comme ce dernier se plaçait après le verbe en qualité d'adverbe, on crut probablement que, dans les phrases où il figurait, le mot manière était sous-entendu, ce qui induisit à écrire bel au féminin, et à faire précéder plus de la préposition de comme si l'expression eût été l'abrégé de de la plus belle manière. [...] Cette expression voudrait dire, au sens littéral, mieux. »

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le débat sur l'impôt a repris de plus belle.

     


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