• « Nathael, un jeune garçon de 9 ans, [...] cheveux clairs, yeux noisettes, a été enlevé par son père ce matin. »

     

    FlècheCe que j'en pense


    J'ai bien conscience que ma remarque pourra paraître déplacée au regard du drame que constitue l'enlèvement d'un enfant, mais je ne peux que m'étonner de lire dans un avis de recherche destiné à être largement diffusé que ledit garçonnet a les yeux... noisettes !

    Il s'agit là d'une faute par trop fréquente, due à la méconnaissance de la règle concernant les noms employés comme adjectifs de couleur. Rappelons donc à toutes fins utiles que, si le mot désignant la couleur est un nom commun pris adjectivement, il reste invariable (à l'exception de écarlate, mauve, pourpre, incarnat, fauve et rose, assimilés − à tort ou à raison − à de véritables adjectifs). En effet, on considère dans ce cas que l'on a affaire à un tour elliptique, où « de la couleur de » est sous-entendu : des tissus orange (= de la couleur de l'orange), des vestes crème (= de la couleur de la crème du lait), des rubans turquoise (= de la couleur de la turquoise), des cheveux paille (= de la couleur de la paille). Aussi écrira-t-on correctement : des yeux noisette, des yeux marron, mais des yeux bleus, des yeux verts.

    Le hic, c'est que la graphie yeux noisettes n'en est pas moins licite au regard de la grammaire. En effet, elle peut s'analyser − à l'instar de danseuses étoiles, dates limites, mots clés, etc. − comme un syntagme dont le second élément, mis en apposition, prend la marque du pluriel parce que l'on peut établir une « relation d'équivalence » (selon l'expression de l'Académie) entre les deux noms : les yeux ont les mêmes propriétés (de forme, et pourquoi pas de couleur) que les noisettes, les danseuses brillent comme les étoiles, etc. C'est tout du moins ce que laisse entendre Dupré, fameux lanceur d'« alerte orthographe », dans son Encyclopédie du bon français : « Des yeux noisettes, avec un s, évoquerait plutôt la forme des yeux que leur couleur. »

    Quand on vous dit que la langue française regorge de subtilités. Avouez qu'il y a de quoi s'arracher les cheveux... clairs ou foncés.


    Voir également le billet Adjectifs de couleur.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Des yeux noisette.

     


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  • « JO 2016 : Pierre-Ambroise Bosse au pied du podium du 800 m. »
    (Yann Bouchez, sur lemonde.fr, le 16 août 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Dans les amphithéâtres romains, le podium désignait le large mur, haut de plusieurs mètres, qui séparait les gradins de l'arène et formait autour de celle-ci une plate-forme sur laquelle se trouvaient les places réservées à l'empereur et aux privilégiés de l'époque. Imaginez-vous un instant la vue plongeante sur la fosse aux lions depuis les premières loges : quel pied ce devait être ! Le hic, c'est que, au regard de l'étymologie, le nom de ladite galerie − depuis tombée de son piédestal pour désigner une simple estrade de petite dimension, fût-elle foulée par des orteils médaillés − est emprunté, par l'intermédiaire du latin podium (« soubassement ; petite éminence »), du grec podion, diminutif de pous, podos (« pied »), pris dans le sens de « (qui avance comme un) petit pied », d'où « appui, saillie, tribune ». Aussi se trouvera-t-il quelques perfectionnistes au petit pied (des petits joueurs ?) pour dénoncer la maladresse de l'expression (échouer) au pied du podium, dont les journalistes ne cessent de nous rebattre les oreilles − Jeux olympiques obligent − à propos des malheureux sportifs arrivés en quatrième position d'une épreuve.

    Que l'on m'autorise ici à mettre les pieds dans le plat : irait-on sérieusement reprocher à quelqu'un de dire qu'il se trouve au pied du Puy de Dôme sous le prétexte que le nom puy dérive des mêmes antiques podium et podion ? Je n'en mettrais pas ma main ni mon pied au feu.


    Remarque : De là à prétendre que l'expression ressortit à la langue soutenue, il y a un pas que Gilles Guilleron, professeur agrégé de lettres modernes, n'a pas hésité à franchir dans son Petit Livre des gros mots (2007) : « Tocard [...] Registre courant : perdant. Registre soutenu : abonné au pied du podium. »

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose ou, plus simplement, Pierre-Ambroise Bosse, quatrième du 800 mètres.

     


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  • « Trente et une mille voix d'écart pour un second tour à suspense » (à propos de l'élection présidentielle en Autriche).
    (paru sur lemonde.fr, le 23 mai 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Quand bien même cela choquerait les oreilles les moins averties, la logique grammaticale veut que l'adjectif numéral un reste invariable dans les indications du type vingt et un mille, fussent-elles suivies d'un nom féminin. Pourquoi, vous demandez-vous ? Émile (Littré) vous le donne en mille : parce que, dans ces cas, un fait partie du nombre vingt et un qui se rapporte non pas audit nom, mais à mille. Jugez-en plutôt : « vingt et un mille personnes » (Bescherelle, Office québécois de la langue française), « vingt et un mille âmes » (Jean-Paul Jauneau), « trente et un mille personnes » (Joseph Hanse), « trente et un mille cartouches » (Maurice Grevisse), « quarante et un mille tonnes d'acier » (Académie), « quarante et un mille tonnes de blé » (Bénédicte Gaillard).

    Force est toutefois de constater que l'accord se trouve sous quelques plumes célèbres : « Le gouvernement d'Aigues-Mortes valait vingt et une mille livres de rente » (Mme de Sévigné), « Il l'acheta de son maître moyennant sept talents (vingt et une mille livres) » (Charles Rollin), « Il y en a cinquante et une mille charges dans la ville » (Mirabeau), « Il y avait [...] vingt et une mille bombes » (Voltaire), « Alors la lancette d'un chirurgien ou la canule d'un apothicaire auraient sauvé la vie à trente mille hommes, et l'honneur à trente et une mille pucelles » (Balzac), « [Elle] souscrivit une obligation de vingt et une mille livres » (Alexandre Dumas), « Il peut avoir deux cent cinquante et une mille fiches » (Charles Péguy). C'est que grande est la tentation d'écrire vingt et une mille nuits comme vingt et une nuits ou comme Les Mille et Une Nuits. Aussi certains dictionnaires prompts à caresser les (é)lecteurs dans le sens du poil se sont-ils empressés de trouver mille et une bonnes raisons de mettre de l'eau dans leur vingt, pardon dans leur vin : « On écrit en principe vingt et un mille tables, livres de rente, quarante et un mille tonnes, etc. Mais l'usage tend à accorder un avec le nom féminin et non avec mille, comme il se devrait », lit-on chez Robert. Littré a dû se retourner vingt et un mille fois dans sa tombe.

    Voir également le billet Mille.

    Remarque : Puisque l'on écrit correctement « vingt bonnes mille livres de revenu » (Alexandre Dumas), les spécialistes de la langue admettent toutefois, dans ces expressions, l'accord de un avec le nom féminin dès lors que l'adjectif bon précède mille : vingt et une bonnes mille livres de revenu (mais vingt et un mille grandes villes). Mais, à l'heure du franc puis de l'euro, « cela se dit-il encore ? », s'interroge un René Georgin qui met dans le mille.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Trente et un mille (ou trente-et-un-mille, en orthographe rectifiée) voix d'écart.

     


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  • « En deux heures de temps, l'enseigne américaine [Five Guys] a débité plus de 500 burgers, lundi 1er août, dans son premier restaurant français. »
    (Juliette Garnier, sur lemonde.fr, le 1er août 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    « Je rencontre de plus en plus souvent cette tournure sur le net, m'écrit un correspondant. Je ne pense pas qu'elle soit correcte mais qu'en pensez-vous ? »

    « Les heures ne mesurent pas autre chose que le temps », assure Bescherelle dans son Dictionnaire national (1846) ; aussi est-on fondé à se demander si l'expression heure de temps ne relève pas du pléonasme. Et tel est, en effet, l'avis de nombreux spécialistes depuis belle lurette :

    « Ce génitif [est] inutile » (Claude Favre de Vaugelas, 1647), « Le mot temps, n'ajoutant absolument rien à l'idée, fait avec les mots heure, mois, un pléonasme vicieux » (Félix Biscarrat, 1835), « Heure de temps est un pléonasme du style familier » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1846), « Tautologie détestable et très fréquente chez nous [en Suisse] » (Jean Humbert, 1947), « Une heure de temps est un pléonasme vicieux, archicondamnable et fort répandu » (Jacques Adout, 1971), « L'enchaînement heure de temps [...] est considéré comme pléonastique » (Office québécois de la langue française, 2002).

    Bigre ! Voilà une tournure qui a dû passer quelques mauvais quarts d'heure au cours de son existence... Le cas est-il à ce point pendable ? Sans doute est-il temps de remettre les pendules à l'heure.

    Tout d'abord, il semble que nous ayons affaire à un latinisme, dans la mesure où les anciens disaient déjà de bonne heure : hora, momentum ou annus temporis (1). Ensuite, force est de constater que le tour, attesté depuis au moins la fin du XVe siècle (2), n'a pas eu que des détracteurs parmi les fins connaisseurs de la langue. On le trouve ainsi sous la plume de plus d'un grammairien et d'un lexicographe : « Des six heures de temps qu'ils y donnent la semaine, ils en perdent les trois quarts en délibérations, digressions et vaines contestations » (Antoine Furetière, 1686), « Je le ferai, si je le veux, en deux heures de temps » (Jean-François Féraud, 1787), « La vitesse d'un cheval qui fait dix lieues en cinq heures de temps » (Jean-Charles Laveaux, 1820), « Les deux mois de temps que nous avons si bien employés » (René-François Bescher, 1821). Surtout, il est mentionné sans réserves dans le Littré : « Une heure d'horloge, une heure que l'attente ou une raison quelconque fait paraître longue [...]. On dit dans le même sens : une heure de temps » ; dans toutes les éditions du Dictionnaire de l'Académie (à l'exception notable de la dernière...) : « Passer une heure de temps. Voulez-vous perdre une heure de temps ? » (à l'entrée « heure ») et « Donner un an de temps » (à l'entrée « temps ») ; ainsi que dans le TLFi : « Substantif (donnant une quantité horaire) + de temps ». Beaucoup s'étonneront sans doute de la bienveillance avec laquelle ledit attelage est accueilli par ces autorités ; c'est que, admet Bescherelle, « il est fort usité, et plusieurs écrivains n'ont pas craint de s'en servir ». La liste des contrevenants a, en effet, de quoi laisser songeur :

    « Et ce n'est pas grande merveille qu'il ait trouvé en six mois de temps un nouveau biais pour se servir de sa règle » (Descartes), « Vous avez fait en quatre mois de temps, / Ce qu'autre eût fait à grand'peine en cent ans ! » (Scarron), « On disait de lui qu'en huit jours de temps il épuisait un docteur » (Gilles Ménage), « Et les chiens et les gens / Firent plus de dégât en une heure de temps » (La Fontaine), « En deux heures de temps je lui fais obtenir... » (Molière), « Après un mois de temps qu'il avait passé à ne faire qu'observer l'ennemi » (Bossuet), « Il n'avait plus qu'une demie heure de temps » (Racine), « Ceux qui [...] amusent une conversation pendant deux heures de temps sans qu'il soit possible de retenir un mot de ce qu'ils ont dit » (Montesquieu), « En trois mois de temps il n'a pas écrit trois vérités » (Voltaire), « Supposons des écoliers [...] qui veuillent bien se contenter de savoir en sept ou huit mois de temps chanter à livre ouvert sur ma note » (Rousseau), « En quatre heures de temps bien employées on peut faire la remise de bien des caisses » (Stendhal), « J'ai, dans trois jours de temps, choisi un petit appartement » (Balzac), « Bref, une heure de temps, ce fut un brouhaha » (Frédéric Mistral), « Deux petits garçons [...] expirèrent en quatre jours de temps » (Maupassant), « Combien je vous sais gré [...] de ce don d'un lieu de la nature, d'une heure de temps » (Proust), « Il fait assez beau pour qu'en une heure de temps on ait chaud jusqu'à suer, froid jusqu'à mourir » (Colette), « Il n'a, en deux heures de temps, pas cessé de parler de toi » (Céline), « J'ai tout acheté d'un coup, en une heure de temps » (Elsa Triolet). (3)

    Gageons que, face à d'aussi prestigieux répondants, il faudra se lever de bonne heure pour soutenir qu'« une heure d'horloge comme une heure de temps [sont des expressions] si ridicules, qu'on ne les trouvera jamais employées par les gens [...] pourvus de quelque justesse d'esprit » (Dictionnaire critique du langage vicieux, 1835) ! D'aucuns y voient, au contraire, un louable effort de précision − le complément exprimant non plus une nuance d'exagération (comme chez Littré), mais l'exactitude du décompte du temps écoulé (4) ; d'autres, une « distinction populaire de l'heure-durée (60 minutes) et de l'heure-moment de la journée » (Henri Bauche, Le Langage populaire, 1928).

    Résumons : de temps joint à un nom exprimant la durée (heure, jour, semaine, mois, an...) constitue un pléonasme − qualifié de « naïf » par René Georgin − que l'on gagnera à éviter, la chose est entendue ; une forme intensive qui n'a certes pas aussi bien réussi que aujourd'hui, mais que l'usage a conservé par analogie avec les tours une heure d'attente, de sommeil, de transport, de travail, etc. (5) Cerise sur le (ham)burger, les esprits scientifiques ne manqueront pas de faire observer que minute et heure, n'en déplaise à Bescherelle, ne sont pas uniquement des unités de temps, mais aussi des unités d'angle : l'heure d'angle, utilisée en astronomie et en navigation, correspond à l'angle parcouru par le soleil en une heure.

    Dans ces conditions, vous en conviendrez, mieux vaut y regarder à deux fois avant de crier à la faute. Histoire de ne pas perdre une heure de son temps.

    (1) « Ea autem rogo, ut de his rebus, de quibus tecum colloqui volo, annum mihi temporis des » (Cornélius Népos, Thémistocle).

    (2) « Regardez doncques comme en une heure de temps se mua » (Philippe de Commynes, vers 1490).

    (3) Et aussi : « Toutes les fois qu'il se présente des députations, il faut perdre douze heures de temps, pour savoir si on les entendra » (Jacques-René Hébert), « Cela prit bien deux heures de temps » (Émile Erckmann), « En huit jours de temps [...] le godelureau fut retourné comme une peau de lapin ! » (Léon Cladel), « Le corps à l'eau glacée, à tous les vents, depuis huit heures de temps » (Germaine Guèvremont), « Aujourd'hui, en deux heures de temps, nous n'avons pas même réussi à nous mettre d'accord sur la définition d'un seul mot » (Jérôme Duhamel), « Ils loueraient un van, débarqueraient à San Antonio et remonteraient jusqu'aux Grands Lacs, en deux semaines de temps » (Dominique Fabre), « Il chantait, un doigt dans l'oreille, une heure, deux heures de temps, sans s'interrompre » (Jean Peyrard), « Elle avait réussi [...] à écrire sur le tard trois livres en trois ans de temps » (Anne Pons).

    (4) « Le mot heures n'est pas pris ici dans un sens excessif, comme quand on dit : Il m'a ennuyé pendant une heure, quoique peut-être celui dont on se plaint ne soit resté qu'une demi-heure ou vingt minutes » (Bernard Jullien à propos de l'expression heures d'horloge, dans Le Langage vicieux, 1853).
    « Comme on dit : une heure de chemin, une heure de travail, une heure de repos pour indiquer le temps employé à faire le chemin, etc., c'est sans doute le désir de s'exprimer d'une façon plus claire, plus complète qui a fait dire une heure de temps » (Pierre-Auguste Lemaire, dans Grammaire des grammaires, 1853).

    (5) « C'est donc un pléonasme de dire : une heure de temps. Cependant l'usage a consacré cette locution, et l'Académie en autorise l'emploi » (Grammaire des grammaires, 1853).

    Remarque : Selon Pierre Rézeau, « ce tour est particulièrement en usage aujourd'hui dans deux aires, l'ouest et la région lyonnaise ; il est aussi attesté au Québec [...] et "usuel (familier)" en Wallonie » (Dictionnaire des régionalismes de France, 2001). Les citations de Mistral et de Humbert confirment que l'intéressé s'est également établi dans le sud de la France et en Suisse.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    En deux heures ou en l'espace de deux heures.

     


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  • « Viaduc de Millau: un automobiliste oublie sa femme sur l'aire d'autoroute. [...] On peut imaginer sans peine la scène de ménage qui a eu lieu entre les deux amoureux au moment de leur retrouvaille. »
    (paru sur francesoir.fr, le 19 juillet 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Quand il prêterait à sourire, ledit fait divers n'en soulève pas moins une question de langue digne d'intérêt : doit-on écrire retrouvaille au singulier ou au pluriel ? « Toujours au pluriel », répondent en chœur Girodet, Bescherelle et le Larousse en ligne, sans plus d'argument. Regardons-y de plus près.

    Contrairement à ce qu'avancent plusieurs ouvrages de référence (Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire étymologique et historique de von Wartburg, Grand Larousse et TLFi), retrouvaille ne date pas de 1782 ; on le trouve dès 1695 − au singulier comme au pluriel, n'en déplaise à Girodet − dans une comédie de Jean-François Regnard intitulée La Foire Saint-Germain  : « Payez moy toujours la retrouvaille [d'une certaine Angélique], et après nous ferons marche pour la reperdaille », « C'est pour vous dire comme j'ai la main heureuse pour les retrouvailles ». Le mot fait partie de ces suffixés en -aille (avec bleusaille, boustifaille, cochonnaille, mangeaille, maraudaille, marmaille, etc.) que la langue familière aime façonner pour marquer le dédain ou l'ironie.

    Dans ce sens de « action, fait de retrouver quelqu'un ou quelque chose (qui était perdu, qui avait disparu, qui s'était échappé) », retrouvaille est aujourd'hui donné pour « vieux » (TLFi), « rare » (Grand Larousse) ou... « littéraire » (Dictionnaire historique de la langue française) ! Il n'a pour autant jamais cessé d'être employé depuis la fin du XVIIe siècle : « favoriser la retrouvaille des épagneuls, des perroquets, des manchons et des cannes perdues » (Louis-Sébastien Mercier, cité dans le Complément du Dictionnaire de l'Académie française publié en 1842), « Ç’a été pour la nature une retrouvaille et pour le reste une trouvaille » (Gustave Flaubert), « la retrouvaille de tout ce qui avait été jeté dans la rue » (les frères Goncourt), « Mais presque chaque jour l'on nous fait part de nouvelles retrouvailles de soldats depuis longtemps perdus » (André Gide), « Il y a encore un point intéressant, dans cette affaire de la découverte ou plutôt de la retrouvaille des [toiles des frères] Le Nain » (Émile Henriot), « en partant à la retrouvaille de ce passé » (Éric Ollivier), « la sélection ordonnée des "lieux communs" permettant une retrouvaille immédiate » (Alain Rey), « la retrouvaille de la clef usb me requinqu[a] » (Gabriel Matzneff), « Je choisissais toujours le même banc, comme si cette retrouvaille avec la même perspective du lac [...] pouvait servir de remède à ma fragilité » (Philippe Labro).

    Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que le mot prit son sens moderne de « fait de se revoir, d'être de nouveau en présence l'un de l'autre (en parlant de personnes), après une séparation ou une absence ». Mais il serait faux de croire, là encore, que le pluriel s'est tout de suite imposé dans cette acception. Jugez-en plutôt : « Les retrouvailles bizarres de la vie » à côté de « la retrouvaille de deux hommes séparés par vingt-cinq ans d'existences » (les frères Goncourt) ; « Et après une longue séparation la joie de ces retrouvailles inopinées ! » à côté de « Les circonstances ont permis qu'entre les deux partenaires de Partage de Midi, une "retrouvaille", on peut dire, ait eu lieu, une rencontre, une explication » (Paul Claudel) ; « Retrouvailles : "Comment vas-tu, mon vieux ?" » à côté de « La joie d'une retrouvaille après une si longue absence » (André Gide) ; « Vous connaîtrai-je, édifiantes retrouvailles » à côté de « C'était la ville antique et la ville d'amour, pleine de renfoncements secrets pour l'attente et la retrouvaille » (Henry de Montherlant). Autant dire, dans ces conditions, que la distinction entre les deux acceptions, « ancienne » et « moderne », est parfois difficile à établir. D'aucuns veulent se persuader que retrouvaille insiste sur l'action quand retrouvailles s'en tiendrait au résultat ; d'autres sont convaincus que le pluriel ne peut s'envisager qu'à propos des personnes quand le singulier serait réservé aux choses. Force est de constater que les rôles entre les deux formes ne sont pas aussi nettement répartis dans les exemples précédemment cités.

    « Retrouvailles, victuailles, épousailles, [...] pourquoi un pluriel à ces mots criards ? », s'interroge à bon droit l'écrivain suisse Daniel de Roulet. Sans doute le s final s'y est-il attaché sous l'influence du suffixe latin -alia qui servait à former des noms collectifs désignant, en particulier, des cérémonies de caractère familial ou religieux : funeralia (« choses concernant les funérailles »), sponsalia (« fiançailles, repas de noces ») comme victualia (« vivres, aliments »), genitalia (« parties sexuelles »), etc. (1) Il n'empêche, j'avoue avoir bien du mal, pour en revenir à l'affaire qui nous occupe, à reprocher à notre journaliste cette marque du pluriel oubliée sur une aire de notre lexique...

    (1) Les linguistes Arsène Darmesteter et Léopold Sudre précisent ainsi dans leur Cours de grammaire historique de la langue française (1895) : « Il faut mettre à part les mots en -ailles où il semble que l'idée de pluriel contenue dans le type latin intralia funeralia a introduit le pluriel dans la forme : accordailles, entrailles, épousailles, fiançailles, funérailles, etc. Il faut noter toutefois que, conformément à la règle phonétique, ces mots en ancien français, n'ont pas l': broussaille, entraille, funéraille. »

    Remarque : À titre indicatif, je signale avoir trouvé dans Google Livres quinze occurrences de « retrouvaille avec soi » (dont une sous la plume de Péguy et une sous la plume de Cioran) contre vingt et une de « retrouvailles avec soi ». Si tant est que cette statistique soit susceptible de généralisation, elle confirme que la forme au singulier, bien que moins fréquente que celle au pluriel, est toujours vivace malgré les mises en garde de certains grammairiens.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Au moment de leurs retrouvailles (selon les dictionnaires usuels).

     


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