• L'année de tous les dangers

    « Un par un, les troisième année soumettent à ce jury d'exception un portfolio qui doit représenter leur univers » (à propos des élèves de l'école des Gobelins).
    (Victoria Gairin, dans Le Point n02292, août 2016) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Curieux attelage s'il en est que ce déterminant au pluriel suivi d'un adjectif et d'un nom au singulier. Peut-il s'agir d'une énième bizarrerie grammaticale qui aurait reçu la caution des ouvrages de référence ? Rien ne permet de l'affirmer à la lecture de l'article « année » du Dictionnaire de l'Académie ou des dictionnaires usuels.

    Pour savoir de quoi il retourne, il faut aller consulter le Robert à l'entrée « classe » : « Soldats de deuxième classe ; elliptiquement des deuxième classe » ou à l'entrée « pompe » : « Soldat de deuxième pompe ; elliptiquement un deuxième pompe : un simple soldat, un deuxième classe. Des deuxième pompe ». Vous l'aurez compris, l'invariabilité en nombre se justifierait par le fait que, dans ce type de substantivation, on a affaire à une ellipse : des (soldats de) deuxième classe, des (soldats de) deuxième pompe. Hanse, qui n'est pas un perdreau de l'année, confirme : « Un soldat de "première classe" s'appelle un première classe ; au pluriel, des première classe (il y a ellipse). » Curieusement, aucun de ces spécialistes de première classe n'évoque le cas, pourtant analogue, de des (élèves de) première, deuxième, troisième... année. Pour en avoir le cœur net, c'est vers le linguiste danois Kristoffer Nyrop qu'il faut finalement se tourner : « Un nom dont le sens spécial est dû à une ellipse peut parfois rester invariable. Comme exemple nous citerons l'emploi qu'on fait à l'École de Sèvres et aussi ailleurs des mots première année, deuxième année, troisième année pour élève de première année, etc. » (Grammaire historique de la langue française, 1925). Du reste, le fait que l'on prononce les première année sans liaison ne montre-il pas assez le caractère particulier de la combinaison ?

    Mais voilà, les auteurs ne l'entendent pas tous de cette oreille. Pour un Philippe Dessouliers qui revendique le singulier dans une des redoutables dictées dont il a le secret (« Dans nos régiments, les deuxième pompe ne recevaient au mieux [...] que de la semelle de bif fin comme du crêpe »), combien d'Olivier Todd, de Pierre Perret, d'Yves Courrière, d'Alain Badiou, de François Joly, de Didier Daeninckx pour prôner la graphie les deuxièmes pompes ? Pour un Jean-Paul Sartre qui décrit « des deuxième classe, fagotés, mal bâtis », combien de Raymond Queneau, de Lucien Rebatet, de Philippe Labro, de Jean-Michel Guenassia pour évoquer les deuxièmes classes ? D'autres, visiblement mal à l'aise avec ces constructions suspectes, se croient obligés de les placer entre guillemets : « Les "troisième année" ont joué M. Perrichon » (Gabrielle Réval), « Les "troisième année" fonctionnent en autonomie [...]. Les "première année" s'installent avec leur maître » (Marc Le Bris), ou de recourir au trait d'union pour mieux signifier qu'il s'agit là de véritables composés : « Les deuxième-année, les "carrés", rassemblèrent les première-année, dits "bizuts" » (Julie Ackerer). L'embarras est patent.

    Il faut dire que la langue, en la matière, ne brille pas par sa conséquence. Témoin, cette analyse de Jean-Charles Laveaux sur le pluriel des mots composés : « Quand un substantif est composé d'un substantif et d'un adjectif, il faut examiner si la phrase est pleine ou si elle est elliptique. Dans le premier cas, le sens tombant directement sur le substantif modifié par l'adjectif, l'un et l'autre sont susceptibles de recevoir la marque du pluriel : des bas-reliefs, des basses-cours, des plates-bandes, etc. Mais lorsque la phrase est elliptique, de manière que le substantif sur lequel tombe la pluralité est sous-entendu, il ne faut donner la marque du pluriel ni au substantif exprimé ni à l'adjectif qui lui est joint. Quand on dit un blanc-bec, on sent bien que le sens ne tombe point sur le substantif bec, mais [...] sur le mot jeune homme qui est sous-entendu ; c'est sur ce mot que tombe la pluralité et l'on doit dire des blanc-bec, et non pas des blancs-becs. Il en est de même du mot rouge-gorge. On ne veut point désigner par ce mot des gorges rouges, mais des oiseaux qui ont la gorge rouge ; et c'est sur le mot oiseau, qui est sous-entendu, que doit tomber la pluralité » (Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires, 1818). Force est de constater que l'usage en a décidé autrement : on écrit de nos jours des blancs-becs, des rouges-gorges. Partant, pourquoi irait-on refuser à des élèves de première année, des soldats de première classe ce que l'on a accepté pour des oiseaux à la rouge gorge ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, plus sûrement, les élèves de troisième année.

     

    « Monsieur LoyalLes dessous du séant »

    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Michel JEAN
    Jeudi 15 Septembre 2016 à 16:58

    Bonjour M. Marc, pourtant la langue fran9aise possède un couple qui est remarquable pour signaler la pluralité: Plus d'un/Plusieurs. Merci. Bye. Mich.

     

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :