• Monsieur Loyal

    « On n’est pas dans un club où il s’agit de savoir s’il a été loyal à son président. C’est le débat que j’ai entendu à propos de Macron. »
    (propos de François Fillon, photo ci-contre, rapportés par Amandine Réaux sur europe1.fr, le 2 septembre 2016) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Avec quelle préposition l'adjectif loyal (et ses dérivés) est-il censé se construire ? La question pourra paraître anodine ; elle n'en est pas moins justifiée, tant les ouvrages de référence sont peu diserts sur le sujet.

    Aucune aide à attendre de la part de Littré − pourtant réputé pour ses bons et loyaux services lexicaux −, qui ne donne que des exemples où l'adjectif est employé absolument. L'Académie, de son côté, laisse le choix dans la dernière édition de son Dictionnaire entre les prépositions avec  et envers : « Je veux être loyal avec vous » (à l'entrée « loyal »), « Être déloyal envers son parti » (à l'entrée « déloyal »), « Il s'est montré loyal envers son rival » (à l'entrée « envers »), quand Larousse et Robert, dans une belle unanimité, s'en tiennent à la seule seconde préposition : « Agir déloyalement envers quelqu'un » (Grand Larousse), « Faire preuve de loyauté envers ses amis » (Larousse en ligne), « Elle est loyale envers ses amis » (Petit Larousse illustré), « Elle a été loyale envers lui », « procédés loyaux envers un adversaire », « loyauté envers quelqu'un », « être déloyal envers un parti, une cause » (Petit Robert). C'est encore envers qui a les faveurs du site Orthonet : « des sujets loyaux envers leur souverain, citoyens loyaux envers l’État. »

    Est-ce à dire que la préposition à est incorrecte après loyal ? Rien n'est moins sûr. Car enfin, me rétorquera-t-on avec quelque apparence de raison, ce n'est pas parce qu'une construction n'est pas consignée dans les dictionnaires qu'elle est nécessairement fautive. Et de fait, le tour (être) loyal à quelqu'un (puis à quelque chose) est attesté de longue date, notamment (au XIVe siècle) dans un texte sur l'affaire du cardinal Caetani : « Il est bon homme et loial a moi » et chez Jean Froissart : « Pour donner l'exemple aux autres [femmes] d'estre loyales à leurs maris », « estre loyal en tous services au roy d'Angleterre et au pays » (à côté de « estre bons et loiaux envers lui ») ; (au XVe siècle) dans un manuscrit anglais du roman de Ponthus :  « Vroy amoureux [...] doit estre loial a s'amie », chez Louis XI : « Avoir esté bons et loyaux à feu nostre très-cher seigneur et père », chez François Villon : « Belles armes, loyal au Roy », chez Simon de Phares : « Estre bons et loyaulx au roy Richard » et chez Octavien de Saint-Gelais : « Pour estre loyal à sa dame » ; (au XVIe siècle) chez Pierre Sala : « Le chien loyal au maystre », chez Clément Marot : « Et faut que tout homme périsse / Qui n'est loyal à ton service », chez Jean Le Clerc : « Le serement d'estre bon et loyal au roy », chez Jean Calvin : « Qu'il soit noté d'avoir esté desloyal à l'Evangile », chez Claude Fauchet : « loyal à son Seigneur » et chez Pierre de Bourdeille : « Il fut très-ferme et loyal à son maistre »  ; (au XVIIe siècle) chez Théodore Agrippa d'Aubigné, citant un psaume : « J'ai esté desloyal à la génération de tes enfans » et chez Jean Nicot : « Estre toujours loyal au peuple romain » ; et, plus près de nous, chez Jules Michelet : « Lui fut loyal », chez Prosper Mérimée : « Jamais on ne me reprochera d'avoir été déloyal à mon souverain », chez Louis Duchesne : « Tout en restant loyal à l’État républicain », chez Anatole France : « La voyant toute pleine de chevalerie et si loyale à Charles », chez Henri Bremond : « loyal à tous ses devoirs », chez Maxime Weygand : « des seigneurs loyaux au souverain », chez Paul Claudel : « Il trouvera une femme fidèle à la maison, [...] chienne de la maison, loyale à un, mauvaise aux ennemis », chez Jean Giraudoux : « Un visage resté loyal à soi-même », chez André Maurois : « Elle était loyale au Sud », « les Montmorency, loyaux à la Couronne mais rivaux des Guise », chez Paul Morand : « Le Londonien type, tel qu'il est resté, loyal à son roi et à sa reine », chez Jean Cocteau : « Je compte sur votre attachement à ma personne et sur votre loyauté à ma cause », chez Marcel Brion : « Rebelle à son amour et loyale à son devoir d'épouse », chez Louis Aragon : « [Hugo] a été étonnamment fidèle, loyal à la réalité et par elle, au peuple français », chez Raymond Aron : « loyal à son roi », chez Roger Peyrefitte : « Louis Racine était loyal à la mémoire de sa mère », chez François Nourissier : « Pour être loyal au jeu des questions et des réponses » et chez Jean-Christophe Rufin : « Être loyal à ses amis ». On trouve sa trace jusque dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (XVIIIe siècle) : « Un vassal doit être féal et loyal à son seigneur », dans le Complément du Dictionnaire de l'Académie française (1842) de Louis Barré : « Être loyal à son seigneur » et dans l'Encyclopédie Larousse en ligne : « très loyal à Hitler », « un village prospère et loyal au roi d'Angleterre ».

    Entendons-nous bien : envers reste, me semble-t-il, la préposition que les spécialistes de la langue emploient le plus volontiers pour introduire le complément de loyal, mais elle subit depuis belle lurette la concurrence − pas si déloyale − de à (et de avec). Rien que de très logique, en effet, quand on pense à l'analogie avec fidèle et, plus généralement, avec les adjectifs exprimant une disposition favorable ou défavorable envers autrui, dont la plupart ont longtemps été utilisés avec l'une ou l'autre préposition : « Affable, comptable, cruel, ingrat, indulgent [ainsi que responsable et rude] se construisent avec à ou envers », lit-on encore dans la Grammaire pratique (1837) de Gilar. Aussi le TLFi est-il fondé à écrire que loyal peut être « suivi d'un complément introduit par une préposition, par exemple à, avec, envers » (1). D'aucuns considéreront l'emploi de avec comme plus « standard », celui de à comme « plus littéraire » et celui de envers (ou de à l'égard de) comme « plus explicite quoique d'un registre un peu plus formel » (2). Peu importe, à dire vrai, tant que l'on met un point d'honneur à débattre... à la loyale.


    (1) Quelques exemples avec pour et à l'égard de sont également à signaler : « Le gouverneur est trop bon serviteur et loyal pour le Roy » (Mémoires de Guillaume de Villeneuve, 1495), « Le Français se montre loyal pour qui le combat, généreux pour qui l'implore, indulgent pour qui le hait, cruel pour qui le méprise » (Pierre-Édouard Lémontey, 1818), « Nous sommes entièrement loyaux à l'égard de nos alliés britanniques » (Charles de Gaulle), « sans loyauté à l'égard de l'information » (Georges Duby), « Il ne l'avait plus vue peut-être par loyauté à l'égard de Julien » (Max Gallo), « être loyal à l'égard de quelque collectivité que ce soit » (Jacques Attali).

    (2) Lire à ce sujet l'étude de Michèle Noailly intitulée Pour et la bienveillance, où sont reprises certaines analyses du linguiste danois Ebbe Spang-Hanssen.

     

    Remarque 1 : Témoin de l'hésitation de l'usage, ces exemples dénichés dans le Dictionnaire de l'histoire de France, sous la direction de Jean-François Sirinelli : « La France se voulait loyale à l'égard de la Suède », « tout en restant loyal à son roi », « loyal envers le roi », « par loyalisme envers la France », « un loyalisme sans faille vis-à-vis de la monarchie », « patriotisme et loyalisme à l'égard de la France », « sa loyauté envers le roi ».

    Remarque 2 : Selon le Robert, « envers a des emplois moins étendus que à l'égard de ou que pour. En premier lieu, il s'emploie après un mot marquant un sentiment ou une action. On dira indifféremment : Sa gentillesse envers moi ou à mon égard, mais on dira : Son opinion à mon égard, et non envers moi. En second lieu, envers a pour complément une personne ou une chose d'ordre moral : Une infirmière est pleine de sollicitude envers ou pour son malade, mais un banlieusard est plein de sollicitude pour et non envers son jardinet. »

    Remarque 3 : Le tour impersonnel il est loyal à quelqu'un de faire quelque chose se trouve sous quelques plumes avisées, sans que l'on sache trop dans quel sens l'adjectif doit être pris (« légitime », « raisonnable » ?) : « Nous verrons s'il est loyal à trois misérables de cette espèce de faire à trois enfans un procès criminel de six mille pages » (Voltaire) ; « J'ai donc cru, Messieurs, qu'il ne serait pas loyal à nous de vouloir résoudre sur-le-champ cette question » (Thiers) ; « Est-il bien loyal à vous de venir s'asseoir dans le cœur d'un pauvre poète ? » (Balzac).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Savoir s’il a été loyal envers (voire avec ou à) son président.

     

    « Nom d'un petit bonhominem !L'année de tous les dangers »

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