• Fin d'année oblige, arrêtons-nous un instant sur cette étrange et trompeuse expression. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'est nullement question ici de l'arrêt des activités des vendeurs de sucreries (voir Remarque 3). Bien au contraire : la trêve des confiseurs désigne la période de calme social et politique située entre Noël et le jour de l'an ; une période de répit traditionnellement propice au commerce en tous genres, au cours de laquelle les armées suspendent les hostilités tandis que les confiseurs font leurs meilleures ventes... et ne chôment donc pas ! Il convient donc de comprendre l'expression comme la trêve au profit des confiseurs.

    Le commerce a bénéficié de ce que l'on appelle la trêve des confiseurs.

    Les belligérants ont respecté la trêve des confiseurs.

    Les formulations du genre « Trêve des confiseurs mais pas des docteurs (des footballeurs, des agriculteurs, des éboueurs, etc.) » constituent donc des contresens.

    L'expression est apparue en 1874 (à l'occasion de vifs échanges entre monarchistes, bonapartistes et républicains, sur la future constitution de la Troisième République), comme l’atteste cet extrait des mémoires du Duc de Broglie, homme politique de l’époque : « On convint de laisser écouler le mois de décembre [1874], pour ne pas troubler par nos débats la reprise d'affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précède toujours le jour de l'an. On rit un peu de cet armistice, les mauvais plaisants l'appelèrent la trêve des confiseurs ».

    Les querelles politiques étant ainsi reléguées au second plan, le bon peuple put se concentrer sur ses achats de fin d'année et stimuler l'économie. Rien que de très bassement mercantile dans cette incitation au relâchement revendicatif...

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    Remarque 1 : La trêve des confiseurs est parfois appelée « trêve de Noël » en référence au Noël 1914, au cours duquel les soldats britanniques qui tenaient les tranchées autour de la ville belge d'Ypres fraternisèrent, l'espace d'un instant, avec les soldats allemands.

    Remarque 2 : La Trêve de Dieu désigne, aux Xe et XIe siècles, la période de suspension des guerres féodales prescrite par l'Eglise dans l'année.

    Remarque 3 : Trêve (avec un accent circonflexe) s'emploie dans le langage courant pour désigner toute suspension d'hostilités entre adversaires. Au figuré, il signifie « relâche ».

    Trêve de plaisanteries, il est temps d'agir (= assez de plaisanteries).

     

    La trêve des confiseurs
    (Editions Gallimard)

     


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  • Voilà une expression qui fait débat. Car comment considérer (regarder, voir) les choses par le petit bout de la lorgnette peut-elle signifier au figuré « n'avoir que des vues étriquées, mesquines », alors que l'utilisation d'une lorgnette (sorte de demi-paire de jumelles, généralement rétractable, dont on se sert pour voir des objets assez peu éloignés) permet en toute logique une vision rapprochée ? C'est que le champ de vision est alors rétréci et ne permet d'apercevoir de l'objet visé que des détails démesurément grossis, au détriment de la vue d'ensemble.

    La confusion provient de ce que cette expression est parfois employée abusivement pour signifier que l'on considère les choses de loin, sans s'encombrer de détails, avec un certain détachement. Dans ce sens (contraire au précédent), il convient d'utiliser l'expression considérer (regarder, voir) les choses par le gros bout de la lorgnette, autrement dit par l'objectif et non plus par l'oculaire !

    Regarder les choses par le petit bout de la lorgnette

     


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  • L'origine de cette expression nous conduit à Paris, place de l'Hôtel-de-Ville, ancienne place de Grève jusqu'en 1830.

    Cette place s'appelait ainsi parce qu'elle était occupée, justement, par une grève (du latin populaire grava, gravier), à savoir une sorte de quai en pente douce, recouvert de sable et de graviers, d'où il était facile de décharger les marchandises arrivant par la Seine. C'était un peu Paris-Plage avant l'heure... Là se développa le port de la Grève et, avec lui, le quartier très commerçant qui allait accueillir l'Hôtel de Ville.

    Les ouvriers sans travail prirent l'habitude de se réunir, à l'aube, place de Grève, à la recherche d'un employeur. De là provient l'expression se mettre en grève, qui voulait dire à l'origine... « chercher du travail » ! Singulier glissement de sens par rapport à l'usage actuel, pensez-vous ? Il se trouve que la place de Grève n'était pas seulement un lieu de rassemblement pour les travailleurs en quête d'embauche mais également pour tous ceux qui étaient en conflit avec leurs patrons et qui décidaient de se rendre « en Grève » dans l'espoir d'y trouver de meilleures conditions de travail. Le sens est donc sauf !

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    Remarque 1 : La place de Grève est restée tristement célèbre pour les nombreuses exécutions publiques qui y eurent lieu de 1310 jusqu'à la Révolution (c'est là que fut utilisée la guillotine pour la première fois, le 25 avril 1792).

    Remarque 2 : On notera l'accent grave de grève et l'accent aigu de gréviste, selon la règle d'accentuation du e évoquée dans l'article consacré à Evènement. Pas d'accent pour le verbe grever, qui signifie « soumettre à une lourde charge » (un peuple grevé d'impôts).

    Se mettre en grève

    L'Hôtel de Ville de Paris et la place de Grève en 1750.

    (source cosmovisions.com)

     


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  • Cette expression a été popularisée par Jean de la Fontaine, dans sa fable Le Singe et le Chat (à savoir Bertrand et Raton), dont voici un extrait :

    « Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd'hui
    Que tu fasses un coup de maître.
    Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
    Propre à tirer marrons du feu,
    Certes marrons verraient beau jeu.
    Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
    D'une manière délicate,
    Écarte un peu la cendre, et retire les doigts,
    Puis les reporte à plusieurs fois ;
    Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
    Et cependant Bertrand les croque. »

    Qu'y voit-on ? Le chat Raton se brûler les pattes en retirant du feu les marrons au profit du singe Bertrand.

    Voilà qui semble clair : tirer les marrons du feu signifierait « s'exposer à des risques pour le seul profit d'autrui » et non pas « tirer profit pour soi-même d'une situation délicate » comme on le croit souvent par contresens.

    Pourtant, selon Littré, la forme complète de cette expression serait tirer les marrons du feu avec la patte du chat, ce qui légitimerait le sens de « manipuler quelqu'un pour parvenir à ses propres fins ».

    Alors, contresens ou pas ? Le risque profite-t-il à celui qui le prend ou à celui qui le fait prendre ? L'Académie, dans sa grande sagesse, a fini par entériner les deux significations, précisant : « s'exposer à des risques au profit d'autrui et, par extension, se dit aussi de celui qui se tire habilement d'affaire, qui sauvegarde adroitement ses intérêts ». Au risque de faire dire à cette expression une chose et son contraire...

    Dans le doute, mieux vaut troquer les marrons contre les épingles et recourir à l'expression voisine tirer son épingle du jeu, qui prête moins à équivoque (= se dégager adroitement d'une affaire qui tourne mal).

    Séparateur de texte


    Remarque 1 : Le marron est le fruit comestible de certaines variétés de châtaigniers cultivés, qui ne contient qu'une graine, plus grosse que la châtaigne commune.

    Remarque 2 : Marron peut être également :

    • un nom de couleur invariable, en apposition (voir l'article consacré aux Adjectifs de couleur),
    • un adjectif invariable dans les expressions argotiques être fait marron (= être berné, dupé, victime d'une tromperie), et être marron (= être déçu par un concours de circonstances),
    • un adjectif variable à connotation péjorative qualifiant une personne qui exerce une profession sans posséder le titre requis, l'autorisation nécessaire, ou qui se livre à des malhonnêtetés (des avocats marrons).

    Tirer les marrons du feu

    Le Singe et le Chat, illustration de Gustave Doré
    (source wikipedia)

     


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  • La langue classique ne reconnaissait que la locution adverbiale en aveugle, qui signifie au sens propre « comme le ferait un aveugle » :

    Il avançait en aveugle dans le brouillard.

    Une dégustation en aveugle.

    et au sens figuré « sans discernement, sans réflexion » :

    Agir en aveugle.

    La variante à l'aveugle, de même sens, était alors tenue pour familière (dixit Dominique Bouhours en 1675), de même que l'ancien adverbe aveuglette(s) (aveuglectes au XVe siècle) : « Cet homme fait toutes choses à l'aveugle », « Faire une chose aveuglettes (sans la bien considérer et sans en examiner les conséquences). Cela est du langage populaire » (Dictionnaire de Furetière, édition de 1701). Désormais qualifiée de « vieillie » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) ou de « littéraire » (Robert illustré), la locution à l'aveugle est souvent remplacée de nos jours par à l'aveuglette, probablement issu du télescopage entre les deux formes empruntées à la langue familière.

    Aller, avancer, marcher à l'aveuglette (= à tâtons, sans y voir).

    Agir à l'aveuglette (= en s'en remettant au hasard ; sans discernement, sans réflexion).

     

    Séparateur de texte


    Remarque 1
     : Selon le Dictionnaire historique de la langue française, la locution en aveugle serait « sortie d'usage ». Vraiment ? Mieux vaut lire ça que d'être aveugle...

    Remarque 2 : On veillera à faire la distinction entre le substantif aveuglement (« privation du sens de la vue ; obscurcissement de la raison et du sens critique ») et l'adverbe aveuglément (« sans aucune réflexion, sans réserve » mais avec un accent aigu).

    A l'aveugle / A l'aveuglette

    (Film de Xavier Palud)

     


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