• Augurer

    Rarement verbe aura donné autant de fil à retordre aux grammairiens et aux lexicographes. Il n'est que d'interroger lesdits spécialistes sur la construction de l'intéressé pour mesurer l'étendue de leurs désaccords :

    « Augurer, verbe transitif direct » (Hanse, 1987 ; Bescherelle La Conjugaison pour tous, 2019).

    « Augurer, verbe intransitif [au sens de "qui n'admet pas de complément d'objet"] » (Le Bescherelle pratique, 2006).

    « Lorsque le verbe augurer est suivi d'un complément, les grammairiens (en tout cas, ceux qui parlent de ce point de grammaire) prônent la construction avec la préposition de (du, de la…) : Cela augure mal du résultat final. La forme transitive directe ne semble pas être donnée » (Jean-Pierre Colignon, 2020).

    Allez vous étonner, devant pareille cacophonie, que le commun des mortels ne sache plus à quel augure se fier ! « Que faut-il dire : "Cela augure d'une situation compliquée" ou "Cela augure une situation compliquée" ? », « J'ai vu à deux reprises dans la presse, qui n'est certes pas un maître pour le bien parler, que le verbe augurer était employé intransitivement. Ne doit-on pas dire augurer l'avenir ? », « Augurer est un verbe transitif direct. On ne dit pas "augurer de quelque chose" mais "augurer quelque chose" », « Contrairement à ce que l'on peut entendre autour de soi, le verbe augurer est transitif indirect, c'est-à-dire qu'il nécessite l'ajout de la préposition de devant son complément d'objet. On augure DE quelque chose », lit-on sur les forums de langue...
    Les sibylles, pythonisses et autres prophétesses consultées à distance (quelques kilomètres à peine, à vol d'oiseau) seront au moins d'accord sur un point : une clarification s'impose.

    Employé au sens de « pressentir, prédire, conjecturer » − donc avec un nom de personne comme sujet −, augurer est un verbe transitif direct, tout comme son compagnon d'infortune et synonyme présager : « J'augure un heureux butin et une heureuse conquête ! » (Georges Duval, 1909), « Il inclinait à présager le pire » (Paul Valéry, 1938). Il n'est pas rare cependant que le complément d'objet direct soit accompagné d'un second complément, généralement introduit par la préposition de et désignant tantôt le signe, l'évènement d'après lequel on forme la prévision, tantôt la chose ou la personne à laquelle se rapporte ladite prévision : quelqu'un augure présage quelque chose de quelque chose ou de quelqu'un.

    (Avec de = "d'après") « De ce soupir que faut-il que j'augure ? » (Racine, 1674), « De ce premier succès, j'augure la réussite de votre projet. Qu'augurez-vous de son attitude ? − Je n'en augure rien de bon » (Larousse en ligne), « Nous pouvons augurer son succès de ses premiers essais ; nous pouvons en augurer son succès » (Grand Robert) ; « On peut de ces temperatures de l'air presager que l'année suivante sera abondante » (Noël Chomel, 1709), « Des premiers résultats, il présage la victoire » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Nous présagions cette éventualité des nouvelles qui nous sont parvenues » (Larousse en ligne), « Je ne présage rien de bon de son silence prolongé » (Girodet).

    (Avec de = "à propos de") « Je voudrais bien savoir ce que vous augurez de mon avenir » (Victor Hugo, 1826), « Voilà ce que vous augurez de moi ! » (George Sand, 1845), « Je ne sais quoi augurer des heures qui vont suivre » (Patrick Grainville, 1986), « Augurer quelque chose de (= à propos de) quelque chose ou quelqu'un » (TLFi) ; « On pouvait tout présager de lui dès ce jeune âge » (Louis Baunard, 1886), « Je ne présageais rien de bon de ce rendez-vous » (Alfred Fabre-Luce, 1957).

    Ce second complément est-il un complément d'objet (indirect) ? Oui, selon Togeby et Blinkenberg, qui présentent respectivement augurer comme un verbe « doublement transitif » (c'est-à-dire susceptible de prendre à la fois un objet direct et un objet indirect) et comme un verbe « à objet tantôt direct, tantôt indirect ». Non, selon Girodet qui, s'exprimant sur la syntaxe du verbe présager, y voit un « complément [circonstanciel] d'origine ou de cause ». Plaide, me semble-t-il, en faveur de cette dernière analyse l'existence de constructions avec d'autres prépositions (ou locutions prépositives) que de pour introduire ce qui autorise ou ce sur quoi porte la prévision :

    (avec à) « [Il] augura leur future grandeur à leur modestie » (Nicolas Perrot d'Ablancourt, 1651), « J'augure à certains signes que le temps nous est désormais étroitement mesuré » (Anatole France, 1912) ; « On peut présager à certains signes à peu près infaillibles si la vérole sera forte ou faible » (Melchior Robert, 1861) ;

    (avec à partir de) « Louis XIV [...] pouvait augurer à partir des dépêches de Constantinople [...] qu'il y avait de très fortes chances pour que [...] » (Le Soleil, l'aigle et le croissant, 1983) ; « Aussi n'est-il pas illicite de présager [les] événements futurs à partir de leur cause » (traduction de la Somme théologique de Thomas d'Aquin, aux éditions Eslaria, 2013) ;

    (avec d'après) « J'augure d'après votre lettre que vous vous portez bien » (Anatole France, 1917) ; « À ce qu'on peut présager d'après les signes que nous voyons » (Pierre Grappin, 1943) ;

    (avec par) « Augurer la grandeur future d'un monarque par les circonstances qui accompagnerent son entrée au monde » (Gabriel Seigneux de Correvon ?, 1760), « On y faisait galoper de jeunes poulains, afin d'augurer par leur course à quel parti resterait la victoire » (Pierre-Michel-François Chevalier, 1844) ; « Un avocat, seul compétent pour présager, par l'étude des décisions anciennes, la décision prochaine du juge actuellement constitué » (Élie Halévy, 1901) ;

    (avec sur) « Il y en eut qui auguroient sur ledict brouillard qu'il signifioit qu'on alloit prendre terre dans un royaume brouillé » (Brantôme, avant 1614), « Je ne crois pas que l'on puisse rien augurer sur des signes si différents » (Joseph Adde-Margras, 1855) ; « Les connaisseurs [...] n'osaient rien présager sur l'issue de ce combat » (Gustave Aimard, 1864). (1)

    Dans le doute, mieux vaut prudemment parler de « complément indirect », notion fourre-tout de la grammaire moderne, qui regroupe les compléments d'objets indirects et certains compléments circonstanciels de la grammaire traditionnelle.

    Mais laissons là cette question de terminologie et venons-en au cas où le COD est supprimé et le second complément maintenu. Le verbe est alors employé « absolument » (dixit Poitevin, Littré et Rey) au sens de « tirer un augure, un présage ; faire des prédictions » et, le plus souvent, modifié par un adverbe qualitatif précisant si lesdites prédictions sont bonnes ou mauvaises : quelqu'un augure présage bien (mal, mieux, favorablement...) de quelque chose ou de quelqu'un.

    (Avec de = "d'après") « J'augure bien des premiers résultats atteints jusqu'ici » (Hanse), « J'augurai bien de sa phisionomie et de ses civilitez » (abbé Prévost, 1731).

    (Avec de = "à propos de") « J'augure bien du résultat définitif » (Hanse), « Augurer favorablement de l'évolution d'une maladie » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « J'augure mal de la suite de cette aventure » (Girodet), « J'augure mal de cette rousse bien faite [...], mais d'une laideur flagrante » (Colette, 1900) ; « On présage mal de ce voyage » (Edmond Jean François Barbier, 1722), « Je présage bien du jeune artiste » (Le Constitutionnel, 1818). (2)

    Aucun doute cette fois pour Andreas Blinkenberg : « Combiné avec bien ou mal, le verbe [augurer] s'emploie avec un objet indirect, introduit par de » (Le Problème de la transitivité en français moderne, 1960). À tant faire que d'alimenter la querelle des grammairiens, le romaniste danois aurait dû aller au bout de son raisonnement et évoquer le cas, plus troublant encore, où ledit tour est employé sans l'adverbe attendu : augurer / présager de quelque chose. Mais non, pas un mot.
    Blinkenberg, au demeurant, n'est pas le seul à être pris en flagrant délit d'omission. Le TLFi, pour ne citer que l'ouvrage le plus détaillé sur la syntaxe des verbes, n'évoque pas davantage la construction indirecte sans adverbe. Celle-ci n'est pourtant pas inconnue de nos spécialistes :

    (avec augurer) « Combinaison de cartes que des personnes superstitieuses essayent pour augurer du succès [pris au sens neutre de « résultat »] d'une entreprise, d'un vœu, etc. » (Bescherelle, 1846 ; Complément du Dictionnaire de l'Académie, 1847 ; Littré, 1863 ; Grand Larousse, 1875 ; à l'article « réussite »), « Jeu de cartes [...] que l'on utilisait autrefois comme procédé divinatoire, afin d'augurer du succès d'une entreprise, d'un vœu » (TLFi, à l'article « réussite ») − à comparer avec : « Les Grecs, qui s'étoient entêtés du cottabe [jeu d'adresse consistant à jeter le fond d'un verre dans un récipient], auguroient bien ou mal du succès de leurs amours, par la manière dont il leur réussissoit » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1754 ; à l'article « cottabe ») ;

    (avec présager) « Vivre [dans l'incertitude], sans pouvoir présager de l'avenir » (TLFi, à l'article « branche »).

    N'en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, le tour augurer / présager de quelque chose n'a rien que de très correct ; il ne se prête simplement pas à la même analyse que augurer / présager quelque chose : ici, le verbe est pris dans son sens transitif et suivi de l'accusatif de la chose prédite ; là, il est employé dans son sens absolu et suivi d'un complément indirect indiquant la chose sur laquelle porte la prévision (plus fréquemment, soit dit en passant, que la chose à l'origine de la prévision). Seul le sens permet donc de déterminer si la préposition est requise ou non : est-il question de concevoir des espérances ou des craintes sur une chose ? ou bien de la prédire, de l'annoncer ? Comparez :

    « Il n'étoit pas difficile d'augurer [= prédire, annoncer] ce qui arriva par la suite » (Charles-Jean-François Hénault, avant 1770) et « Ce n'est pas une raison pour que désormais le médecin ne tienne compte que de la dynamoscopie pour augurer de [= faire des conjectures, bonnes ou mauvaises, sur] ce qui arrivera du malade » (Léo Collongues, 1862).

    « J'augurois sa gloire et ses succès » (Charles Frey de Neuville, 1776) et « Interroge tes cartes. Tu t'en sers bien pour augurer du succès d'un vœu, d'une entreprise ! » (Bernard Waller, 1980).

    « Elle augurait un avenir favorable [= tel était son pressentiment] » (Anatole France, 1899) et « Il est trop tôt pour augurer de l'avenir [= pour savoir de quoi l'avenir sera fait] » (Bernadette Cailler, 1988).

    « J'ose présager un brillant avenir à [telle] méthode » (Alphonse Toussenel, 1872) et « Je ne pouvais présager de l'avenir, mais d'ici une trentaine d'années, quand j'aurais atteint l'âge de Jansen, je ne répondrais plus au téléphone » (Patrick Modiano, 1993).

    « Je présage des choses très extraordinaires en Hollande » (Charles-François de Bonnay, 1805) et « Le voicy Qui praesagist de toutes choses [= qui fait des prédictions sur toutes choses] » (Rabelais, avant 1553). (3)

    Mais là n'est pas le seul écueil que nous réserve notre duo infernal. Selon la commission du Dictionnaire de l'Académie, augurer et présager « sont synonymes mais n'admettent pas les mêmes sujets. Présager peut avoir comme sujet des personnes ou des choses, contrairement à augurer, dont le sujet ne peut être qu'une personne [seule douée d'une faculté de prédiction] ; Littré écrivait d'ailleurs : "Les choses n'augurent pas" » (Dire, ne pas dire, 2016). C'est, me semble-t-il, aller un peu vite en besogne... 

    Que dit exactement Littré ?

    « Le présage est également le signe qui est dans la chose considérée, et le pronostic que nous en tirons. L'augure n'est que le pronostic. Nous présageons, et les choses présagent ; nous augurons, mais les choses n'augurent pas. Ainsi, en parlant du temps, on dira : les présages visibles au ciel, et les présages qui nous viennent à l'esprit en le considérant ; mais, en parlant d'un événement, on dira bien : l'augure que j'en tire ; mais on ne dira pas : l'augure qui y est manifeste. C'est en cet emploi qu'est la différence entre augure et présage » (Dictionnaire de la langue française, 1863).

    À y regarder de près, cette distinction, établie dès 1785 par l'abbé Roubaud (4) et reprise par plus d'un spécialiste au XIXe siècle (Laveaux, Bescherelle, Lafaye, Littré...), paraît bien artificielle, quand on songe que, en latin déjà, augurium comme praesagium possédaient les deux acceptions : « Augurium, (en général) prédiction, prophétie ; le présage lui-même, le signe qui s'offre à l'augure » (Dictionnaire latin-français de Félix Gaffiot), « Praesagium "connaissance anticipée, prévision, pressentiment" et, par métonymie, "signe permettant de prévoir l'avenir" » (Dictionnaire historique). La métonymie latine est passée en français, au plus tard au milieu du XVIe siècle comme l'attestent les exemples suivants : « Le bon heur d'un augure Venant du ciel pour signe tres heureux » (Ronsard, 1572), « L'augure est visible et manifeste [n'en déplaise à Littré !] » (Nicolas Gueudeville traduisant Plaute, 1719), « Jupiter lui avait manifesté sa volonté par un augure manifeste (expressions de Julien dans sa Lettre aux Athéniens) » (Émile Lefranc, Histoire romaine, 1846), « On y voit [dans ces applaudissements] l'augure de l'union du pouvoir et du peuple » (Alphonse de Lamartine, 1847), « Cet astre souverain [...], c'est l'augure, l'augure manifeste des destinées glorieuses de Rome » (Eugène Fallex, Anthologie des poëtes latins, 1878). Depuis lors, le sens de « signe annonciateur » est consigné dans la plupart des ouvrages lexicographiques : « Augure, pour signe ou presage, augurium » (Dictionnaire françois-latin de Jean Thierry, 1564 ; de Jean Nicot, 1573), « Il se dit et du signe et de l'interprète » (Dictionnaire critique de Féraud, 1787), « Le signe lui-même. Synonyme auspice » (TLFi), « Ce qui semble présager quelque chose ; signe par lequel on juge de l'avenir » (Robert en ligne) et − un comble ! − « Présage, signe par lequel on juge de l'avenir » (Dictionnaire de l'Académie, depuis 1740).

    De la même époque datent les plus anciennes attestations que j'aie pu relever du verbe augurer employé avec un sujet non humain, au sens de « être le signe de, annoncer (une chose à venir) » :

    « Par un vol trop frequent d'orfrayes, de corbeaux, De huppes, de chahuants, qui sinistres oiseaux N'augurent rien de bon » (Pierre de Brach, 1576), « Ainsi que la comete, en un ciel obscurcy, Presage la ruyne, augure le tonnerre » (Loÿs Papon, 1588), « Mais tout si tu vois clair du malheur nous augure » (Antoine de Montchrestien, 1604), « Tel changement n'augure rien de bon au public » (André de Nesmond, avant 1616), « Cela auguroit la grande calamité qui arrivoit en suitte » (Claude Malingre, 1630), « [Un mortel accident] de nostre famille augure la ruine » (Jean Mairet, 1636), « Cela n'augure rien de bon » (Louis de Fontenettes, 1652), « Tout ceci n'augure rien de bon » (Guy Miège, 1688), « Il crut que cet événement auguroit quelque chose de grand » (Edme Baugier, 1721), « Les presages des mots et des noms étoient lorsque le nom qui se presentoit auguroit quelque chose de bon ou de sinistre » (Bernard de Montfaucon, 1722), « Cela nous augure telle chose » (Grégoire de Rostrenen, 1732), « Cette espece de dévotion sévere et misantrope, qui augure mal de son prochain » (Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts, 1735) − il est à noter qu'on retrouve là les mêmes constructions qu'avec un sujet humain.

    Partant, on peine à comprendre pourquoi l'Académie, qui admet de longue date l'emploi de augure au sens métonymique de « signe annonciateur » (« Cet évènement est un bon augure, est d'un bon augure, est de bon augure », lit-on encore dans la dernière édition de son Dictionnaire), se réclame aujourd'hui de Littré pour préconiser le recours à une périphrase factitive ou au verbe présager plutôt que de construire augurer avec un nom de chose comme sujet : « On pourra donc dire : son apparition laissait (faisait, permettait d') augurer une catastrophe, on augura une catastrophe à son apparition, son apparition laissait (faisait, permettait de) présager une catastrophe ou son apparition présageait une catastrophe, mais non : son apparition augurait une catastrophe » (Dire, ne pas dire, 2016).

    On ne comprend pas davantage les soupçons d'anglicisme que nos amis québécois font peser sur cet emploi de augurer : « Augurer [est] mis à tout propos pour présager [...]. On dit : "Telle chose augure bien" pour "on augure bien de..." » (Arthur Buies, Anglicismes et canadianismes, 1888), « Prêter à augurer cette acception de présager [« faire prévoir par quelque indication »], c'est commettre un anglicisme : le verbe anglais to augur exprime également l'action des personnes qui augurent et celle des choses qui présagent » (Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, 1967) (5). Pas certain, sur ce coup-là, que les Anglais aient tiré les premiers...

    Hanse, de son côté, a le mérite de reconnaître la correction séculaire d'une phrase comme : « Son attitude augure une collaboration fructueuse », mais il ajoute : « Tour vieilli. On dit plutôt : laisse augurer. » Vieilli, ledit tour ? Qu'on en juge :

    « Ce début dans la vie me semble bien mal augurer de la suite » (Jean Dutourd, 1965), « Une pluie fine et molle qui n'augurait rien de bon » (Victor-Lévy Beaulieu, 1974), « Ces appréciations [...], qui auguraient assez mal des découvertes en Orient de l'archéologue et de l'historien d'art » (Jean d'Ormesson, 1982), « Voilà qui augure bien mal de la nuit de noces ! » (Juliette Benzoni, 1985), « Au moins, cela augurait bien de la nuit qui viendrait » (Claude Duneton, 1991), « La bonne grâce chanceuse qui vous caractérise, et qui augurait bien de votre venue parmi nous » (Bertrand Poirot-Delpech, 1999), « Cette solitude qui en augurait une autre » (Véronique Olmi, 2011), « Que le terme orthographe soit lui-même irrégulier, cela augure mal et fait un peu désordre ! » (Bernard Cerquiglini, 2012), « Les chuchotis d'entourage n'augurent rien de bon » (Marc Lambron, 2014), « Tout cela augurait mal du XXVIIIe Congrès » (Hélène Carrère d'Encausse, 2015), « [Il] avait goûté l'échantillon de rosé [...] sans déplaisir, ce qui augurait une commande » (Angelo Rinaldi, 2016), « Avec une jubilation qui augurait le pire » (Didier van Cauwelaert, 2016), « Cette décision symbolique augure mal des temps à venir » (Jean-Marie Rouart, 2017), « Ce message augurait le pire pour nous tous » (Éliette Abécassis, 2018), « Neuf fois sur dix, les éclipses, les étoiles filantes ou les halos bizarres augurent des désastres » (Éric-Emmanuel Schmitt, 2021), « Divorce entre le substantif [fraternité] et l'adjectif [fraternel] qui augurait bien mal de leur Révolution » (Erik Orsenna, 2021), « Cela augurait une relation plus longue que d'habitude » (Marc Dugain, 2022).

    « Ce début augure mal » (TLFi, à l'article « promettre »), « Ces résultats augurent bien, mal de l'avenir » (Le Bescherelle pratique, 2006), « Tout cela n'augure rien de bon » (Larousse en ligne), « Tout ceci n'augure pas bien de la suite » (Robert en ligne).

    Vous l'aurez compris : il en va, là encore, de augurer comme de présager. Autrement dit, le choix nous est laissé d'écrire, avec ou sans semi-auxiliaire : quelque chose augure / présage quelque chose (ici, le verbe est pris au sens de « être le signe annonciateur de ») ou quelque chose laisse (fait) augurer / présager quelque chose (là, le verbe est pris au sens de « prévoir »). Comparez : « Son attitude augure (ou, plus courant, laisse augurer) de bonnes relations futures » (Larousse en ligne) et « Son silence présage souvent une explosion de colère », « Cet incident ne laisse rien présager de bon » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Est-il besoin de préciser, cela dit, que rien n'empêche ceux qui le souhaitent de se conformer aux recommandations de l'Académie et de réserver augurer aux sujets animés ? Encore leur faudra-t-il ne pas commettre d'impair au moment de construire son complément... Ils écriront donc de préférence : j'augure bien de la suite, cela présage bien de la suite, cela présage une suite favorable, cela laisse augurer une suite favorable, la suite s'annonce bien... et se garderont d'imiter les exemples suivants : « Un premier roman écrit avec une sûreté qui laisse augurer d'une très belle carrière » (Pierre Moinot, 1999), « Voilà qui augure bien les choses » (Jean Rinaldi, 2007), « Rarement en Russie succession d'un souverain à un autre se révéla plus aisée, ce qui semblait augurer d'un règne heureux » (Hélène Carrère d'Encausse, 2013), « Tout cela présageait d'un avenir meilleur, tour fautif pour Tout cela présageait un avenir meilleur » (Girodet).
    Mais brisons là. De ce (saint) augure on ne va pas faire tout un fromage !
     

    (1) On relève encore d'autres compléments, introduits par :

    à (sur le modèle de annoncer quelque chose à quelqu'un) : « Quand les Candiens vouloient augurer un grant mal à quelqu'un » (Claude Gruget, 1557), « Quoi qu'on nous augure et qu'on nous fasse craindre » (Malherbe, 1615), « J'eus droit d'augurer à la Suède une félicité [éternelle] » (Simon Arnauld de Pomponne, avant 1699), « Ce n'est pas qu'il manquât de sceptiques pour augurer à ce nouveau pacte le sort de ses aînés » (Louis Reybaud, 1848), « Je vous augure tous les biens que vous méritez » (George Sand, 1853) ; « Cette horrible catastrophe que je vous ai présagée depuis si longtemps » (Marat, 1790), « Ils ont trop beau jeu à nous présager des malheurs » (Anatole France, 1905) ;

    pour (sur le modèle de tirer un bon, un mauvais augure de quelque chose pour quelqu'un) : « Je n'ai garde d'augurer une si glorieuse destinée pour le glossaire françois » (La Curne de Sainte-Palaye, 1763), « Il se fait une maligne joie d'augurer pour moi un échec » (Balzac, 1849), « C'est donc un avenir de loyauté et de fidélité que j'augure pour vous » (R. P. Constant, 1885) ; « Je présageais pour nous un avenir fort triste » (Augustin Boyer d'Agen, 1896).

    De là des constructions complexes à trois compléments : « Je félicite M. Bochart de l'achèvement de son travail et lui en augure un grand accroissement de réputation » (Jean Chapelain, 1663), « Je n'augure rien de bon pour elle de ce voyage là » (Id., 1666), « Que peut-on augurer pour notre littérature de ce goût mesquin ? » (Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts, 1765), « Ce que vous dites n'est que trop vrai [...] et j'en augure un bon succès pour l'objet de ma mission » (Voltaire, avant 1778) ; « Je n'en presage rien de bon pour [...] » (Jean-Pierre Camus, avant 1652).

    (2) Exemples de cette construction avec d'autres compléments : « Il n'a jamais eu l'imagination bien vive [...], mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire [= de son jugement] » (Molière, 1673), « J'augure bien pour vous du trouble de leur ame » (David Augustin de Brueys, 1699), « Chacun augure favorablement pour soi » (Jean-Baptiste Massillon, avant 1742), « Sur ce que je vois, j'augure bien de vous » (François Andrieux, 1822), « Vous me faites plaisir de me parler ainsi, et j'en augure bien pour le sort d'Edmond » (Alexandre Dumas, 1846), « Vous pouvez augurer mieux, pour vos intérêts, de l'avenir que du passé » (George Sand, 1862) ; « Il présage bien de ce choix pour cellui qui devra être fait en députés » (Archives historiques du département de la Gironde, 1791).

    À l'inverse, le tour augurer / présager bien (mal...) est attesté sans complément au sens de « faire des prédictions exactes (fausses) » ou de « avoir un pressentiment (favorable, défavorable) » :

    « Mais si j'augure bien [...], mardy ne sera pas Si mouillé qu'aujourd'huy » (Ronsard, 1584), « [Louys de] Bretailles n'auguroit pas mal » (Jean de Serres, 1597), « J'en ai, si j'augure bien, Un infaillible moïen » (Henri Richer, 1729), « J'étois consterné de cette prédiction [...]. Aujourd'hui, j'augure mieux » (Paul-Louis de Bauclair, 1765), « Vous avez auguré vrai » (Restif de La Bretonne, 1778), « La Fayette lui-même augurait mieux » (Denys Cochin, 1912), « Condamnés à ne voir ni ne toucher rien, nous devons augurer juste » (René Boylesve, 1924) ; « Et si je présage bien, [ils] arriveront bientôt » (Léon Boucher, 1874).

    (3) Autres exemples de cette construction indirecte : « On dut augurer par la hardiesse et la force de son coup d'essai, de ce qu'il pouvait faire » (Joseph Naudet, 1825), « Ils augurent, d'après leurs cris, du succès de la bataille » (Charles Cayx, 1836), « [Je] m'en rapporte aux faits visibles pour augurer des volontés de Dieu » (Adolphe Thiers, 1848), « Ne faut-il pas examiner le présent pour augurer de l'avenir ? (George Sand, 1871), « [Des princes de la science] arrivaient sur le terrain avec des dispositions d'esprit que je trouvais profondément indépendantes, acérées, agressives même. Et j'augurais d'un beau tournoi » (Georges Duhamel, 1918), « On se gardera bien, sur le seul examen des titres, d'augurer de la nature des ouvrages » (Bernard Quemada, 1967), « On ne pouvait mieux faire que de donner à un lycée [...], pour augurer de ses succès, [...] le nom d'André Maurois » (Maurice Druon, 1970).

    (4) « Le présage est également le signe, la chose même qui annonce l'avenir ; et la conjecture, le pronostic que nous tirons des objets. L'augure est simplement l'idée que nous nous formons de l'avenir d'après certaines données [...]. Nous augurons, mais les choses n'augurent pas. Les choses présagent, et nous présageons. On tire l'augure, on voit certains présages. L'augure est dans notre imagination, et non dans l'objet ; le présage est dans l'objet et dans notre esprit. Ainsi le mot présage a deux acceptions différentes, et celui d'augure n'en a qu'une » (Nouveaux Synonymes françois, 1785). Et Roubaud d'ajouter cette remarque, en forme de réponse anticipée à une objection prévisible : « Si nous disons d'une chose que c'est un bon ou mauvais augure, c'est pour dire qu'elle est d'un bon ou mauvais augure. » Bel exemple de raisonnement fallacieux, dans la mesure où l'argument métonymique vaut aussi bien (fût-ce à rebours) pour présage : si nous disons d'une chose qu'elle est d'un bon ou d'un funeste présage, n'est-ce pas pour dire qu'elle est un bon ou un funeste présage ?

    (5) Et aussi, plus généralement : « Ça augure bien, ça augure mal. En France, on dit : Nous augurons, mais les choses n'augurent pas » (Sylva Clapin, Dictionnaire canadien-français, 1894), « Dites : Je n'augure rien de bon de cette affaire, et non : Cette affaire augure mal » (Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Montréal, 1896), « Augurer est un verbe transitif qui signifie "conjecturer". Il ne peut donc avoir pour sujet qu'un nom de personne » (Bulletin du parler français au Canada, 1904).

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    Remarque 1
     : Augurer est emprunté du latin augurare (« prendre les augures, en particulier d'après l'observation du vol des oiseaux ; prédire, pressentir, conjecturer »), lui-même issu de augur (« prêtre chargé de prendre les augures »). L'origine de ce dernier mot reste floue : les uns le dérivent de augere (« augmenter ») − l'idée étant celle d'un prêtre qui fournit des présages favorables, « propres à accroître les entreprises humaines » (selon le Dictionnaire historique) − ; les autres de curare, « dont la signification propre est "regarder, voir, observer" » (selon Antoine Court de Gébelin, 1773) − de là augurare, littéralement aves curare (« observer les oiseaux ») ou ave curare (« voir d'après, par l'oiseau ») − ; d'autres encore de garrire (« gazouiller »).

    Remarque 2 : Sur le genre de augure, voir cet article.

    Remarque 3 : On s'étonne de lire à l'article « augure » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Conjoncture, présage qu'on tirait [dans l'Antiquité romaine] de l'observation du vol des oiseaux, de l'appétit des poulets sacrés, de l'observation du ciel, etc. » Conjecture eût été autrement congruent... à la situation !

    Augurer

     

     

     

    « La syntaxe à privilégierEt "voque" la galère ! »

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