• Affronter / Confronter

    « De confronter, je ne vois, à la vérité, que peu de chose à dire » écrivait Maurice Grevisse dans Problèmes de langage. Maurice Grevisse devait avoir beaucoup d'humour, tant on sait que les spécialistes de la langue ont du mal à s'accorder sur l'emploi dudit verbe.

    Confronter − emprunté du latin confrontare (« être, mettre front à front », puis « confiner à »), lui-même composé de cum (« avec ») et de frons (« front ») − a d'abord signifié « confiner, être attenant, être situé auprès » [et aussi « établir, déterminer (spécialement les limites d'un terrain) »] : « L'Égypte du temps des Perses ne confrontait point à la mer Rouge » (Montesquieu). De cette acception aujourd'hui vieillie, on est passé « par métaphore et influence de confrontation, déjà employé figurément en ancien français » (selon le Dictionnaire historique) au sens moderne de « mettre en présence (des entités de même nature) pour (les) comparer » : confronter des personnes (surtout pour opposer et vérifier leurs déclarations), confronter des points de vue, des résultats, des textes, des écritures, des opinions (pour voir s'ils sont semblables ou non) ; confronter les témoins à (ou avec, voire et) l'accusé, confronter la copie à l'original.

    On le voit, confronter − qui se construit aussi bien avec la préposition à qu'avec la préposition avec (1) − contient l'idée étymologique de rapprochement, de juxtaposition, de présence front à front, d'examen contradictoire pour comparer, vérifier... « mais non pour se battre » s'empresse d'ajouter Hanse, par allusion au champ sémantique d'affronter (« attaquer de front, faire face avec hardiesse ; entrer en compétition avec »). Grande est en effet la tentation de faire de ces deux verbes, formés sur le même radical, de quasi-synonymes (2). Et c'est là que les désaccords apparaissent. Ne lit-on pas dans le Dictionnaire historique de la langue française : « [Confronter] comprend souvent une idée d'opposition, de conflit (XVIs.), déjà en germe dans la spécialisation du mot en droit pénal (1585, confronter des témoins) » ? Quel affront ! Le différend est encore plus net à propos du substantif confrontation. Jugez-en plutôt : « [Le mot est passé] dans l'usage courant (1690) avec l'idée moderne de "mise en présence pour apprécier par comparaison, face-à-face avec affrontement" » (Dictionnaire historique de la langue française) et « Contrairement à l’anglais confrontation, en français confrontation n’est pas synonyme des mots affrontement, conflit, dispute, différend » (Office québécois de la langue française).

    Autre source de... conflits entre les spécialistes : la construction confronter quelqu'un à (une difficulté, un problème, un danger, etc.), particulièrement répandue sous la forme passive (être) confronté à (ou avec) au sens de « être mis en présence de quelque chose auquel on doit faire face à », avec pour sujet un animé et pour complément une chose ou un élément abstrait (3). Admis par Hanse, par l'Office québécois de la langue française et par les dictionnaires usuels, ledit tour est déconseillé par Girodet et condamné par Dauzat, sous le prétexte qu'il ne comporte plus l'idée de comparaison qu'implique le verbe confronter et qu'il lorgne dangereusement du côté d'affronter. Si Hanse ne s'émeut guère de ce qu'il considère comme un banal glissement sémantique − « Il n'y a rien d'anormal à employer confronté, être confronté dans le sens fondamental de "mis en présence", même si n'intervient plus une des composantes de l'acception du verbe : pour comparer, pour vérifier » −, Girodet, plus prudent, préfère ne pas abuser de telles tournures : « On écrira plutôt devoir affronter, devoir faire face à, être aux prises avec » − j'ajoute : se heurter à.

    « Difficulté d'ordre pratique [...], à laquelle une personne privée ou un responsable se trouvent affrontés » (Grand Larousse de la langue française).

    « Bientôt, je me heurtai à des difficultés éternelles » (Paul Valéry).

    « Il est aux prises avec de graves difficultés » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove).

    « Jamais [il] n'aurait pu faire face à la crise » (Zola).

    Inutile d'espérer de l'Académie une position un tant soit peu secourable : sur ce sujet comme sur d'autres, la vénérable institution pratique la politique de l'autruche, ignorant l'emploi critiqué à l'entrée « confronter » de la dernière édition de son Dictionnaire... mais y recourant sans rechigner dans d'autres articles (4) ! L'embarras des Immortels paraît d'autant plus grand que ledit tour est très en vogue dans la langue courante ainsi que dans la littérature, et jusque sous les meilleures plumes : « Confronté jour et nuit à son crime innocent » (Camus), « une foule confrontée à la peinture de Buffet » (Mauriac), « Incapable de confronter mon héros [...] avec les problèmes réels qui avaient été les miens » (André Maurois), « Le matin de ce même jour, il fut confronté à un incident qui lui parut très énigmatique » (Jules Romains), « Les problèmes avec lesquels ils se trouveraient, alors, confrontés » (De Gaulle), « Nous fûmes confrontés à de pressants problèmes d'embouteillage » (Jean Bruller), « confrontés aux problèmes des jeunes mariés » (Michel Butor), « l'homme, confronté au problème de la création, du sens de la vie » (Françoise Mallet-Joris), « Nous étions confronté [sic] à deux types de problèmes du même coup » (Gaston Gross, grammairien).

    Grevisse voit dans cette innovation une influence étrangère récente : « Il n’en faut pas douter : c’est en calquant le tour anglais I am confronted with many difficulties que les journalistes ont fait entrer dans notre langue [depuis une dizaine d’années] le sens néologique de confronter : "Je suis confronté avec mille difficultés" » (Problèmes de langage, 1970). Voire, car cet emploi se trouve depuis 1858 dans le Dictionnaire des synonymes de Lafaye : « ce qu'on conjecture n'est pas toujours vrai, et demande à être confronté à la réalité, vérifié par les faits. » Et que dire encore de se confronter à (ou avec), utilisé dans un sens analogue : « Je ne m'étais pas confronté avec le cinéma depuis mes figurations dites intelligentes » (Jean Marais) ? Le tour pronominal a beau être attesté, dans son acception traditionnelle, en 1564 (« pour voir s'ils pourroient se confronter aux autres »), il est toujours passé sous silence dans le Dictionnaire de l'Académie...

    Un consensus semble toutefois s'établir autour du rejet de la construction confronter quelqu'un ou quelque chose au sens de « poser une difficulté à », apparemment fréquente chez nos cousins québécois (5) : « Ce n'est pas parce qu'une chose est légale qu'elle ne peut pas provoquer, au bout d'un certain temps, des problèmes qui confrontent le gouvernement et qui le forcent à prendre des décisions » (Journal des débats de l'Assemblée nationale de la province de Québec). On écrira plutôt : des problèmes qui se posent (ou qui se présentent) au gouvernement, des problèmes que le gouvernement doit affronter, auxquels le gouvernement doit faire face. Histoire de ne pas affronter... les critiques !

    (1) Thomas constate toutefois que « l'usage tend de plus en plus vers l'emploi unique d'avec », quoique le préfixe con- contienne déjà la même idée. La tendance, au demeurant, n'est pas récente : Lafaye, dans son ouvrage Synonymes français (1841), conseillait déjà d'employer « plutôt avec que à, parce que la confrontation est toujours une opération réfléchie, entreprise à dessein, et faite avec quelque soin ».

    (2) La confusion entre les verbes affronter et confronter n'est pas récente : « J'ay bien mis dans mes tablettes le jour et l'heure de vos nopces ; quand on les affrontera à celuy et celle de vostre accouchement, vous aurez de la honte » (Pierre de Bourdeille, dit Brantôme).

    (3) Le tour être confronté à (ou avec) quelqu'un est toutefois mentionné, avec le même sens, par le TLFi (à l'entrée « fuyant » : « qui refuse d'être confronté à quelqu'un ou à quelque chose ») et par Hanse.

    (4) « Où l'on se trouve [...] confronté à un choix dramatique » (à l'entrée « cornélien ») ; « Être confronté à, ne pouvoir éviter, subir » (à l'entrée « passer ») ; « Ensemble de problèmes [...] auquel un État ou un groupe d'États est confronté » (à l'entrée « question ») ; « confrontés aux bouleversements causés par la modernisation économique » (à l'entrée « poujadisme ») ; « confrontés à un contenu de pensée » (à l'entrée « ras »).

    (5) Le tour se trouve également chez Alain Bosquet (cité par Robert Le Bidois) : « le réel qui confronte Sorana Gurian. »

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    Remarque : L'Académie écrivait encore, dans la huitième édition de son Dictionnaire : « Confronter deux choses ensemble. » Ensemble (comme mutuellement) paraît à tout le moins redondant après confronter. Est-ce la raison pour laquelle ledit exemple a disparu de la dernière édition ?

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    Ou l'enfant face à la mort d'un parent...

     

    « C'est bien le minimum !Expert près les... tribunaux »

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