• « Deux trajectoires bien différentes pour une alliance de circonstances » (entre Samsung et le groupe Canal+).
    (paru sur lepoint.fr, le 11 mai 2016)  


    FlècheCe que j'en pense


    D'aucuns trouveront à notre journaliste des circonstances atténuantes. C'est que le substantif circonstance s'écrit le plus souvent au pluriel quand il est employé au sens de « particularité qui accompagne et distingue un fait, une situation » : « Et je ne parle pas seulement des événements accomplis, mais de l'enchaînement de circonstances » (Proust). Il n'en demeure pas moins toujours au singulier quand il entre dans la composition de la locution (invariable) de circonstance avec le sens étendu de « conjoncture, occasion », « l'accent étant mis sur l'adéquation d'un fait et d'un moment donnés » (dixit le Dictionnaire historique de la langue française) : un air de circonstance (comprenez : adapté à la situation présente, d'où dépourvu de sincérité), des œuvres de circonstance (composées pour une occasion particulière). Comparez encore : Ils ont bénéficié d'un concours de circonstances favorables et On célébrait l'esprit de compétition ; les entraîneurs organisèrent un concours de circonstance. Dans le premier exemple, il est question de la rencontre fortuite de plusieurs circonstances ; dans le second, d'une épreuve organisée en vue d'une occasion particulière.

    Au moins ne sera-t-il pas dit à ce sujet que je ne vous aurai pas fourni d'explications... circonstanciées.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une alliance de circonstance.

     


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  • « Les ventes de drones ont explosé depuis cinq ans [...] Leur développement va de paire avec un besoin de sécurité accru.  »
    (François Geffrier, sur europe1.fr, le 17 mai 2016)  


    FlècheCe que j'en pense


    Ce n'est pas parce que les ailes d'un drone vont par paires qu'il faut se croire autorisé à affubler pair d'un e final dans l'expression (aller, marcher) de pair, laquelle signifie « ensemble, sur le même rang ». C'est qu'il y a paire et pair : le premier substantif, féminin comme chacun sait, désigne un ensemble constitué de deux choses semblables ou de deux êtres vivants de la même espèce (une paire de chaussures, de pigeons), quand le second, du genre masculin, ne retient que l'idée de similitude (être jugé par ses pairs, comprenez par ceux qui ont le même statut, qui exercent la même fonction que soi), jusque dans les locutions hors (de) pair, sans pair, de pair, au pair.

    « Le courage peut aller de pair avec la prudence » (Petit Robert).
    « Toutes ces choses vont de pair avec les événements précédents » (Bescherelle).
    « L'homme coquet et la femme galante vont assez de pair » (La Bruyère).
    « Oh ! je ne sache point d'aventure qui aille de pair avec la vôtre » (Marivaux).

    Les latinistes feront observer avec quelque apparence de raison que la confusion entre les deux homophones s'explique sans doute par leur étymologie commune : par, paris (« égal »). Il n'empêche : mieux vaut savoir faire la distinction entre les deux font la paire et les deux vont de pair si l'ont veut éviter de commettre un... impair.

    Voir également les billets Pair / Paire / Père et Hors pair.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Leur développement va de pair avec un besoin de sécurité accru.

     


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  • « Le système à Washington est dysfonctionnel et la capitale s’est aliénée ses citoyens à un niveau quasi historique. »
    (Matt Welch, traduction par Emmanuelle Richard, sur lemonde.fr, le 13 mai 2016)  


    FlècheCe que j'en pense


    Emprunté du latin alienare (« rendre autre, étranger » ; « égarer l'esprit ») − dérivé de alienus (« d'autrui, étranger »), lui-même issu de alius (« autre») −, le verbe aliéner est à l'origine un terme de droit, qui signifie « céder à autrui la propriété d'un bien ou d'un droit » : aliéner une rente, un domaine. Dans la langue usuelle, il s'emploie en parlant des choses au sens de « faire abandon de, laisser échapper » (aliéner sa liberté) et en parlant des personnes (ou de l'âme, de l'esprit) au sens de « rendre hostile, éloigner de soi » (ses médisances lui ont aliéné ses amis). À la forme pronominale, il convient de bien distinguer les constructions s'aliéner à quelqu'un, à quelque chose (lui faire abandon de sa personne) et s'aliéner quelqu'un (se le mettre à dos, le détourner de soi).

    Toujours est-il que, ledit verbe étant transitif direct, c'est l'éventuel complément d'objet direct (et non pas le sujet) qui commande l'accord de son participe passé, quand celui-ci suit celui-là : « les peuples, qu'il s'est aliénés par ses exactions » (Frédéric Bastiat), mais « Elles se sont aliéné nombre de bonnes âmes que je sais incapables d'un aussi grand dévouement » (Victor Cohen Hadria). Las ! la confusion se répand jusque dans des ouvrages que l'on pouvait supposer sérieux : « Elle s'est aliénée notre sympathie. Ils se sont aliénés leurs meilleurs amis » (Dictionnaire des homonymes de la langue française, où s'aliéner est traité − à tort − comme un verbe essentiellement pronominal). Pas de quoi interner pour autant les contrevenants dans un asile... d'aliénés.

    Remarque : L'adjectif dysfonctionnel, qui ne figure à ma connaissance dans aucun ouvrage de référence, est la traduction de l'anglais dysfunctional (« qui a un fonctionnement troublé » ?), « mot lui-même très à la mode dans l'anglais-qui-se-cause d'aujourd'hui » selon Pierre Merle.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    La capitale s’est aliéné ses citoyens.

     


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  • « C'est incroyable, les gens qui de leur vie n'avaient jamais voulu m'aider quand je m'escrimais avec mon français, et dont je supposais qu'ils ne parlaient pas un mot d'espagnol, les voilà maintenant qui le baragouinaient avec elle à tout vat. »
    (Zoé Valdés, dans Le Paradis du néant, traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan et paru aux éditions JC Lattès.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Selon le Dictionnaire historique de la langue française, la locution à tout va − que l'Académie écrit sans t final et sans trait d'union, à l'article « banque » de la dernière édition de son Dictionnaire (1) − serait tirée de l'expression tout va, utilisée dans les établissements de jeu pour indiquer que la mise n'est pas limitée : banque (ouverte) à tout va, baccara (à) tout va, table à (ou de) tout va. En décembre 1929, le député Lucien Lamoureux dénonçait cette pratique, fraîchement élaborée par des joueurs regroupés au sein d'un « consortium de banque » pour échapper à la fiscalité des gains : « Je veux parler d'un jeu nouveau qui a été introduit, il y a quelques années, dans certains casinos français et qui s'appelle le jeu de la banque ouverte à tout va. Le mécanisme de ce jeu repose sur deux principes essentiels : le montant des enjeux est théoriquement illimité et le banquier est obligé de tenir tous les enjeux proposés, quel qu'en soit le volume. » Le tour est ensuite passé dans le langage familier avec un sens sur lequel les spécialistes ont du mal à s'accorder − « sans limite, sans mesure, sans retenue » (selon Grevisse et Robert), « n'importe où, n'importe comment » (selon le Larousse en ligne), « de manière imprudente » (selon le dictionnaire de linternaute.com) :

    « Les jeunes grattent leur acné et délinquent à tout va » (François Cavanna), « Ouverte à tout va, la douche faisait un bruit d'averse tropicale » (Jean Vautrin), « La profession médicale se féminise à tout va » (Claude Duneton), « Séminaires atypiques puisque finalement ils étaient ouverts à tout-va » (Philippe Sollers), « Le système capitaliste du profit à tout va » (Régis Debray), « Ça flingue à tout va là-dedans » (Daniel Pennac), « On fait des mines devant les portraitistes de gazette qui croquent à tout-va la une du lendemain » (Daniel Picouly), « Une femme malingre [qui] manigance à tout va » (Calixthe Beyala), « Tandis que leurs collègues crânaient sur les cahiers, investis par leurs coloriages à tout va » (Yann Moix).

    Toujours est-il que notre locution n'est pas sans rappeler une autre expression empruntée elle aussi à l'univers du jeu : (faire, jouer, risquer son) va-tout. Le tour est attesté dès 1671 chez Madame de Sévigné au sens de «  coup où l'on risque tout l'argent que l'on a devant soi » : « Toujours il faisoit va tout sur la dame de pique. » D'après le TLFi, va correspond ici à la troisième personne du singulier de l'indicatif présent du verbe aller. Le doute est pourtant permis ; ne lit-on pas dans la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie (1762) : « Aller se dit en quelques jeux de cartes [...], en parlant de ce que l'on hasarde au jeu. De combien allez-vous ? J'y vais de deux pistoles. Il y va de son reste. Va mon reste. Va tout » ? Avouez que grande est la tentation de voir dans ce va-là un impératif.

    Concernant à tout va, le TLFi se montre tout à coup plus évasif : « Composé de à, préposition, de tout et de la forme verbale va (aller). » Mais de quelle forme verbale parle-t-on au juste : de l'indicatif présent ou de l'impératif présent ? Le mystère s'épaissit encore avec la graphie vat adoptée par notre traducteur, sous l'influence probable d'une autre locution formée avec le verbe aller : à Dieu vat ! Aussi nous intéresserons-nous à cette dernière formule, qui a déjà fait couler beaucoup d'ancre, pardon d'encre. Il s'agit, en termes d'ancienne marine, du « second commandement d'un virement de bord vent devant ». « Les navires, en ce temps, avaient peu de qualités nautiques, précise Bonnefoux dans son Dictionnaire de marine à voiles et à vapeur (1859) ; ils manquaient souvent à virer de bord, et il en pouvait résulter de fréquents naufrages lorsque l'évolution avait lieu près de la côte. Aussi trouve-t-on, dans les termes eux-mêmes d'A-dieu-va ! une invocation à la divinité, dont on implorait la protection. » La locution, qui s'emploie depuis lors dans le langage commun avec un sens proche de « advienne que pourra ; à la grâce de Dieu », paraît exister sous de nombreuses formes, avec ou sans t final, avec ou sans trait d'union, avec ou sans soudure : « adieu-va » (Trévoux, Richelet, Littré), « à Dieu-va » (dans le Supplément de Littré), « à-Dieu-va » (Larousse du XXe siècle), « à Dieu va ou à Dieu vat » (Larousse en ligne), « à Dieu vat et non à Dieu va » (P.-R. Ambrogi, Particularités et finesses de la langue française), « Ni Adieu va ! Ni à Dieu va ! Mais à Dieu vat ! » (Borrot, Didier et Rispail, Code du bon français). L'Académie, quant à elle, a adopté l'orthographe à Dieu vat ! qui, à défaut d'être la plus correcte, semble être la plus fréquemment employée par les auteurs :

    « "À Dieu vat !" cria le jeune capitaine » (Jules Verne), « Pare à virer ! À Dieu vat ! » (Alfred Jarry), « Après tout [...], j'aurai le temps de déjeuner avec eux… À Dieu vat !... » (Lucie Delarue-Mardrus), « On tiendra pendant x jours. Et puis après ? Après, à Dieu vat ! » (René Dumesnil), « À Dieu vat ! Si je m'endors, il le verra bien » (Pierre Benoit), « Il déclarait sa guerre, lui aussi, inexpiablement : À Dieu vat ! » (Jean de La Varende), « Quel autre recours ? À Dieu vat ! » (Maurice Genevoix), « Je vais faire ma toilette, et à Dieu vat ! » (Marcel Pagnol), « À Dieu vat, bonhomme ! » (Claude Lucas).

    « Le nom du navire ? de quel port ? le nom du capitaine ? d'où vient-il, combien de jours de traversée ? la latitude et la longitude ? à Dieu va ! » (Chateaubriand), « Au beau milieu d'un acte, il sait changer tout à coup sa voilure et virer de bord avec un art infini : À Dieu-va ! comme disent les matelots » (Alphonse Daudet), « J'arrache le cœur compact [d’un chou], je jette à la Seine le trognon. À Dieu va ! » (Alexandre Arnoux).

    Reste à expliquer cette bizarrerie que constitue la graphie vat. C'est qu'il ne vous aura pas échappé que, si va est une forme commune à l'indicatif et à l'impératif, vat ne figure pas dans le tableau de la conjugaison du verbe aller. Du moins, pas en français moderne. Renseignements pris (à la va-vite), la variante vat (ou vait, veit, vet) a bel et bien existé jusqu'au XVIIe siècle à côté de va : « Tut s'en vat remanant (tout va en déclinant) [...] tut bien vait remanant » (La Vie de saint Alexis, vers 1040), « Et puis s'en vat a la royne » (Antoine de La Sale, 1456). Ce t, qui se fait entendre d'ordinaire à la fin de notre locution, serait donc caractéristique de la troisième personne du singulier de l'indicatif présent (2) : À Dieu il (marin ou navire) va(t), d'où « il s'en remet à Dieu ». Mais voilà : selon Grevisse et Colignon, tout porte à croire que nous avons affaire, en l'espèce, à un impératif − qui s'entendrait plutôt comme « Pars (partons, partez), et à la grâce de Dieu ! », si l'on en croit Colignon − et non à un indicatif ; l'auteur du Bon Usage considère en outre que « le t de vat paraît bien être le même que celui qui s'ajoute, dans la langue populaire, à va (indicatif ou impératif) suivi d'une voyelle », comme dans « Malbrough s'en va-t-en guerre ». Selon d'autres sources, vat serait plutôt une ancienne forme du subjonctif (mode propre à exprimer un souhait, une prière)... dont on ne trouve pourtant nulle trace ailleurs ! D'autres encore évoquent une interjection bretonne, sans plus d'argument (3). Vous l'aurez compris : en la matière, les spécialistes de la langue naviguent à vue...

    (1) Grevisse fait toutefois observer que ledit tour est « parfois écrit à tout-va ».

    (2) Ci-après quelques témoignages recueillis à ce sujet : « En certains lieux, il est d'usage d'ajouter la lettre t [...], en particulier dans at et vat, comme il at ouy et il vat où j'ay dict » (Henri Estienne, Hypomneses de gallica lingua, 1582), « Je vais, tu vas, il va. C'est ainsi que ce verbe se doit conjuguer. Et non pas je va, tu vas, il vat, comme le conjuguent les Bourguignons, selon le témoignage de [Théodore de Bèze], et comme le conjuguent aussi les Bretons » (Gilles Ménage, Observations sur la langue françoise, édition de 1675), « D'autres disent il vat à la messe, il vat aux champs, il vat au palais, pour dire il va à la messe, il va aux champs, il va au palais, faisant sonner un t à la fin du mot va [...]. Quelques-uns m'ont dit que c'étoit pour éviter la rencontre des deux voyelles qu'ils prononçoient ainsi, mais l'usage est contraire à cette raison » (Jean Hindret, L'Art de bien prononcer et de bien parler la langue françoise, 1687), « Dans la Vie des Saints de Bretagne, par le P. Albert, imprimée en 1637, on voit souvent le mot va écrit vat par un t final, devant les voyelles comme devant les consonnes [...] : Saint Hervé vat à l'escolle, il vat trouver son oncle, vat voir sa mère [...]. Ce t est la caractéristique de la troisième personne singulière. Donc c'est pour cela que le peuple le prononce encore devant une voyelle et dit, par exemple, il vat en ville » (Éloi Johanneau, Mélanges d'origines étymologiques, 1818), « Les anciens auteurs d'arts et métiers ont pu écrire vat-et-vient, parce qu'autrefois on disait : il vat à la cave ; il vat au spectacle ; etc. » (Benjamin Legoarant, Nouvelle Orthologie française, 1832).

    (3) « M. Philipot observe qu'il existe une locution ouat (avec t prononcé), qui exprime une idée de résignation et équivaut à "tant pis, allons donc, etc." Peut-on penser à une influence de ce mot pour expliquer le t final de vat ? » (Historisk-filologiske meddelelser, 1923).

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les voilà maintenant qui le baragouinaient avec elle à tout va.

     


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