• Hors-jeu !

    « C’est l’histoire d’un affrontement qui dépassa largement le cadre serré de l’échiquier. Une lutte de style [...] entre deux joueurs d’échecs hors pairs [...]. Karpov et Kasparov, les deux "K" les plus célèbres de l’histoire des échecs. »
    (Guillaume Fraissard, sur lemonde.fr, le 22 janvier 2014)

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Alan Light) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Formée de la préposition hors (« au-dessus de, en dehors de, au-delà de ») et du mot pair exprimant l'idée de similitude, la locution hors pair signifie proprement « au-dessus de ses égaux, au-dessus des choses semblables », d'où « sans égal ; hors du commun ». D'après le TLFi, elle serait apparue au XIIe siècle sous la forme sanz per (« sans pareil »), avant d'évoluer en hors du per (1534) − vraisemblablement orthographié hors du pair sous l'influence du substantif paire −, puis hors de pair (1718) et enfin hors pair chez Verlaine (1896).

    Sans s'accommodant, selon le contexte, d'un substantif au singulier ou au pluriel, on a pu écrire correctement sans pair ou sans pairs : « Ce sont des gens sans pair » (Académie) ; « Elle se sentait sans pairs qui la comprissent » (Balzac) ; « Cette autorité salutaire dont la vertu, la beauté et le mérite sans pairs constituent le privilège » (Gobineau). De là, peut-être, la tentation de ce hors pairs bien audacieux. C'est qu'il ne faudrait pas se méprendre sur la nature dudit pair : il s'agit en l'espèce du nom − emprunté de l'adjectif latin par, paris (« égal ») pris substantivement − et non de l'adjectif, comme le confirme la présence du déterminant dans les variantes (aujourd'hui vieillies) hors du pair, hors de pair (*). Au demeurant, viendrait-il à l'idée de quelqu'un d'évoquer une joueuse hors paire (pieds nus ?) ou un haute-contre hors paire (émasculé ?) ? Eh bien... oui ! Il n'est que de consulter la Toile pour constater que la confusion − entre le nom et l'adjectif pair d'une part, entre les homophones pair et paire d'autre part − règne en maîtresse : une maman hors paire, une comédienne hors paire, un cuisinier hors paire...

    Il faut bien reconnaître que les exemples proposés par le célèbre duo de dictionnaires usuels laissent l'usager de la langue sur sa faim. Jugez-en plutôt : « Talent hors pair » (Robert illustré), « Employé hors pair » (Larousse en ligne). Les deux font assurément la paire : en prenant soin d'éviter les emplois avec un nom féminin ou pluriel, ils ne contribuent guère à dissiper les ambiguïtés. Même frilosité coupable du côté du Dictionnaire de l'Académie : « Un pianiste hors pair. Une intelligence hors de pair. » La belle affaire ! Seuls Littré, Hanse et le TLFi prennent clairement position : les deux premiers en présentant hors (de) pair comme une locution adverbiale (ce qui va de pair avec son invariabilité) ; le dernier, comme une locution adjectivale invariable (l'analyse diverge, mais le résultat est heureusement le même). Quant à Grevisse, en fin spécialiste de l'échiquier linguistique, il se contente de remarquer non sans malice que le pluriel dans cette citation de Duhamel : « Des cliniciens hors pairs » doit résulter d'une faute d'impression. Échec et mat ! N'en déplaise à notre journaliste, hors (de) pair ne saurait varier ni en nombre ni en genre.

    (*) Girodet et Hanse conseillent toutefois de préférer la forme hors de pair (hors du pair n'étant plus d'usage) à sa concurrente populaire hors pair, pourtant bien partie pour lui damer le pion.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Deux joueurs d’échecs hors (de) pair.

     

    « Et quand bien même !Là, je ne dis pas respect »

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  • Commentaires

    1
    Isabelle
    Samedi 4 Octobre 2014 à 07:29

    ouf! merci de ces renseignements! je viens de lire "une communication hors paire" dans une offre d'emploi.... :-)

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