• « Le domestique recouvrit la vue deux jours plus tard, grâce aux soins du bon docteur Duraffort. »
    (Jean-Paul Malaval, dans son livre La Villa des térébinthes, paru chez Calmann-Lévy) 

     

     
    FlècheCe que j'en pense


    Pauvre passé simple, sur lequel achoppent même nos écrivains !

    La confusion entre les paronymes recouvrir (« couvrir de nouveau ou entièrement ») et recouvrer (« rentrer en possession de ; acquérir de nouveau une chose qu'on avait perdue ») n'est évidemment pas étrangère à cette entorse à la conjugaison. À en croire Littré, elle ne date pas d'hier : « L'usage, au XVIIe siècle, avait tellement confondu recouvert et recouvré que Ménage [à la suite de Vaugelas] admettait qu'on pouvait se servir indifféremment de l'un ou de l'autre avec le sens de recouvré. » Et le lexicographe de citer Malherbe : « N'y en a-t-il pas eu qui, pour être tombés en cœur de l'hiver dans une rivière, ont recouvert leur santé [...] ? » À la vérité, l'abus ne portait pas seulement sur les participes passés (1) et sévissait déjà au siècle précédent. Ainsi Louis XII écrivait-il en 1513 « [qu']il ait été naguaires mal disposé d’une maladie nommée la petite verolle, dont à présent, graces à Dieu, il est recouvert » (au lieu de recouvré, employé au sens de « délivré, guéri » aujourd'hui sorti d'usage). On lit encore, dans le Gargantua (1534) de Rabelais : « Je n'ai peu recouvrir ni aultour ni tiercelet » et, à quelques lignes d'intervalle, « J'ay recouvert un gentil levrier » ; dans les Deux dialogues du nouveau français italianisé (1579) d'Henri Estienne : « Les mesmes vous diront, J'ai recouvert cela au lieu de dire, J'ai recouvré cela » ; dans le Recueil des Dames (vers 1580) de Brantôme : « Adieu : vous avez perdu une occasion que vous ne recouvrirez jamais » ; dans le Second livre des bergeries de Juliette (1592) de Nicolas de Montreux :  « j'ay perdu mon bien, et l'espérance que je pouvois avoir de recouvrir le salaire de mes travaux passés » et « un forfaict qui ne peut estre recouvert ny effacé » ; dans Zaïde (1671) de Madame de La Fayette : « Les vaisseaux furent revenus d'Afrique avant que Zaïde eût recouvert sa santé » ; dans les Mémoires (1675-1677) du cardinal de Retz : « Il avoit recouvert la jambe » (à propos d'un estropié) ; et, un siècle plus tard, dans Le grand vocabulaire français (1770) : « Guérir [...] signifie recouvrir la santé. » L'Académie, quant à elle, attendit la cinquième édition (1798) de son Dictionnaire pour recouvrer ses esprits et recommander de réserver la forme recouvert au seul verbe recouvrir : « On a dit autrefois Recouvert, pour signifier Recouvré. On dit encore proverbialement en ce sens, Pour un perdu, deux recouverts. Il vaut mieux dire Recouvrés. »

    Si l'emploi abusif du participe recouvert semble désormais appartenir au passé (2), il n'est pas rare, encore de nos jours, de voir les autres formes de recouvrer contaminées − un comble pour un verbe du premier groupe ! − par celles de recouvrir (lequel, cela va sans dire, se conjugue comme couvrir). Jugez-en plutôt : « Elle ne recouvrit ses sens que sur la première marche » (Mauriac), « Quand il recouvrit ses sens » (Frison-Roche), « Quand je recouvris la vue, la fille avait disparu de la vitrine » (Jean-Baptiste Rossi), « Puis, passé l'hébétude, Matthieu recouvrit l'usage de son patois » (Philippe Bouin), « le miracle de sœur Marie-Agnès, qui recouvrit l'usage de ses jambes » (Thierry Ottaviani), « l'invalide recouvrirait l'usage de ses jambes » (Jean-Michel Riou), « il s'était fait diplomate, pensant recouvrir la liberté d'écrire ce qu'il voulait vraiment » (Pia Petersen), « Recouvrir la liberté » (Gilbert Sinoué), « Il fut détenu encore quelques mois puis il recouvrit la liberté » (Amadou Koné), « Le roi recouvrit la santé » (Yves-Marie Bercé), « une malade proche de la mort recouvrit la santé » (Jean-Yves Leloup), « Il ne recouvrira la santé qu'en 1856 » (Michel Vernus), « Je recouvris mes forces » (Jeanne Faivre d'Arcier), « Tout à coup, les gradins recouvrirent leurs forces » (William Navarrete), « L'important était que Kuang Hsu recouvrît ses forces » (Isaure de Saint Pierre), « afin que la France recouvrît sa souveraineté politique » (Frédéric Schiffter). La confusion est d'autant plus grande que recouvrer, d'un usage nettement moins courant que recouvrir, possède, il est vrai, quelques formes en commun avec ce dernier (au présent et à l'imparfait de l'indicatif : il recouvre la santé, il recouvre un fauteuil de tissu), en plus d'un même nom dérivé (recouvrement).

    Les deux verbes n'ont pourtant rien à voir, au regard de l'étymologie : recouvrir vient du latin cooperire (« couvrir entièrement ») et recouvrer, de recuperare (« rentrer en possession de » et, au figuré, « ramener à soi »). Ce dernier, apparu dans notre lexique au XIe siècle, est d'ailleurs présenté comme la forme populaire issue de l'évolution phonétique du latin recuperare, lequel a également donné récupérer quelque trois cents ans plus tard. Selon Jules Gilliéron, « récupérer, formation sémantiquement superflue, [serait né] du besoin de suppléer à la confusion de recouvrir et de recouvrer et plus particulièrement de recouvert et de recouvré ; mais récupérer n'a pas éteint recouvrer en français [...] et il y a eu pour recouvrer retour à une tradition rassainie. » Aussi s'efforcera-t-on, afin de ne pas doucher l'optimisme de ce distingué linguiste suisse, de ne pas employer recouvrir pour recouvrer. Histoire d'éviter de se couvrir de ridicule !

    (1) Hanse a beau laisser entendre que, du temps de Vaugelas, « les deux verbes étaient encore nettement distincts à l’infinitif », rien n'est moins sûr : « Recouvrir est employé constamment par Rabelais pour recouvrer, et recouvert, pour recouvré, note ainsi le lexicographe Louis Barré. Cette confusion se trouve dans tous les écrivains de son époque. » On peut encore citer le Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy : « Recouvrir s'est dit par confusion avec recouvrer. »

    (2) Le barbarisme se trouve encore chez Jules Verne : « De fait, quelques mois plus tard, le jeune comte avait recouvert la raison. »

     

    Remarque : Au sens de « regagner, ravoir », recouvrer disparaît, dans la langue usuelle, au profit de retrouver : retrouver la raison, la liberté, la vue, etc. Rien que de très prévisible, aux yeux de Dupré : « La langue tend à résoudre cette "collision homonymique" [entre recouvrer et recouvrir], comme elle le fait souvent, en remplaçant recouvrer par d'autres verbes comme son doublet savant récupérer et surtout retrouver » (en raison d'une proximité graphique et sémantique évidente). Le bougre ne perdure plus guère que dans le registre soutenu (« Il recouvra la raison quand on eut retrouvé sa femme », Thomas) ou dans son sens spécial de « encaisser, percevoir en retour » (recouvrer une somme, les impôts).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le domestique recouvra la vue.

     


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  • Des subtilités en héritage

    « Un quinquagénaire new-yorkais [...] débarque à Paris avec la ferme intention de vendre le bel appartement dont il a hérité de son père. »
    (Jérôme Garcin, sur nouvelobs.com, le 6 mai 2015) 

     

     
    FlècheCe que j'en pense


    Hériter
    fait partie de ces verbes (avec décider, discuter, ignorer, rêver, traiter...) qui admettent tantôt un objet direct, tantôt un objet indirect introduit par de (1). Quand il n'a qu'un complément (nom de personne ou nom de chose), il est suivi de la préposition de : Il a hérité de son oncle. Il a hérité d'une grande fortune. Mais quand il en a deux, celui indiquant le bien hérité est direct et celui désignant le généreux donateur, indirect : Il a hérité une grande fortune de son oncle, sur le modèle du « Vous avez hérité ce nom de vos aïeux » de Corneille. Partant, on dira logiquement, avec le pronom relatif : l'oncle dont il a hérité, la grande fortune dont il a hérité mais la grande fortune qu'il a héritée de son oncle (notez l'accord du participe passé). Subtil !

    Il apparaît toutefois que cette position défendue par l'Académie et Thomas est loin de faire l'unanimité. D'abord, observe Hanse, si le complément de chose est seul, hériter peut se construire avec ou sans de : Il a hérité d'une maison ou Il a hérité une maison (d'où La maison dont il a hérité ou La maison qu'il a héritée). Et Goosse, le continuateur de Grevisse, d'ajouter :  « La seconde [construction], qui n'est pas mentionnée par l'Académie, [est] plus littéraire ». Plus littéraire ? Voilà qui ne laisse pas de me surprendre. Car enfin, si tel était le cas, pourquoi les académiciens persisteraient-ils à l'ignorer ? Il suffit, du reste, de consulter les écrivains pour constater que l'usage littéraire, en la matière, est loin d'être fixé : « Ils avaient, à la mort de leurs parents, hérité quelques milliers de francs de rente » (Pierre Benoit) mais « Un malheureux collatéral qui avait hérité de six cents livres de rente » (Sade) ; « Sylviane avait hérité une fortune assez considérable » (Lucie Faure) mais « Il avait hérité d'une fortune considérable » (George Sand) ; « Rabelais avait hérité le domaine [...] de Chavigny » (Anatole France) mais « À sa majorité, il hérite du château d'Amboise » (Raymond Queneau) ; « Il hérite une belle maison » (Julien Green) mais « Il épouse Mildred qui a hérité d'un manoir hanté » (Jean Tulard) ; « Le jour qu’elle hérita un accordéon » (Antoine Blondin) mais « Il venait d'hériter d'un piano » (Thérèse Delpech) ; et, au figuré, « Il avait hérité le goût des manies tranquilles » (André Thérive) mais « J'ai hérité de ce goût pour la propriété » (Francine Mallet) ; « Ma fille a fâcheusement hérité cette infirmité » (André Gide) mais « Émilie n'a pas hérité de votre prudence » (François Mauriac) ; « Nous avons hérité ce caractère » (Alexandre Arnoux) mais « De votre injuste haine il n'a point hérité » (Jean Racine) ; « Mais vous avez hérité la patience et la ténacité, vertus paysannes » (Henry Bordeaux) mais « J'ai hérité de ses vices » (Roger Vailland). Maurice Druon, quant à lui, réussit le tour de force de réunir les deux constructions dans la même phrase : « Il pensait avec humeur que celui qui héritait d'un trône eût bien dû hériter aussi la force de s'y tenir droit. » Subtil, vous dis-je !
    N'en déplaise aux spécialistes de la langue, le choix entre la construction directe et la construction indirecte ne semble obéir à aucune règle stricte − même si la seconde reste plus fréquente que la première. Sans doute me rétorquera-t-on à bon droit que Pierre-Benjamin Lafaye avance une hypothèse séduisante dans son ouvrage Synonymes français (1841) : « [Le tour sans de] est usité quand il s'agit d'une chose peu ou point spécifiée. Il n'a rien hérité ; voilà tout ce qu'il a hérité [...]. Mais on hérite d'une maison, d'une bibliothèque » ; autant dire que cette nuance − si tant est qu'elle ait jamais existé − n'est plus du tout perçue de nos jours. D'aucuns évoquent encore − de façon peu convaincante à mon sens − des raisons d'euphonie (Thomas), de détermination du complément d'objet (Dupré [2]) ou de place de chaque groupe de mots dans la phrase (L'Intermédiaire des chercheurs et curieux), quand Girodet, visiblement dans l'embarras, se contente de préciser que la construction sans de est « assez fréquente dans la langue actuelle, mais critiquée par quelques grammairiens ».
    ..

    Ensuite, Goosse admet que, si le tour hériter de quelque chose de quelqu'un est « rare et peu recommandable − les deux régimes [n'étant] pas là différenciés, sans compter que le double de ne plaît pas aux oreilles délicates −, cela choque moins avec dont et surtout avec en ». Deux remarques s'imposent. La première est que tout porte à croire que Goosse − et plus encore Grevisse (3) − exagère un tantinet ! Rare, la répétition de de après hériter ? Il fut un temps où elle ne choquait apparemment pas : « Il a hérité de cette terre de son père » (De Bussy de Lamet), « Il avait hérité de ce défaut du Marquis de Breauté » (César de Rochefort), « J'ai hérité de lui d'un opéra qui était admirable » (Marivaux), « Le peuple a hérité d'eux de cette ignorance » (De Sainte-Maure), « Le dauphin et le château appartenaient exclusivement à la branche aînée, et aux familles qui ont hérité d'elle du titre de dauphin et du palatinat de Viennois » (chevalier de Courcelles), « Cette nation qui de nos jours n'a rien de commun avec les Romains semble avoir hérité d'eux de cet enthousiasme qui [...] » (Babié de Bercenay), « J'ai malheureusement hérité de cette terrible imagination de ma mère » (Lioult de Chênedollé), « [Elle avait] hérité de lui d'un nez aquilin » (Charles Ponsonailhe), « Ayant hérité d'eux d'une ferme et d'excellentes terres » (La Grande Encyclopédie) ; et jusqu'à notre époque : « Ils ont hérité d'eux de gènes défectueux ou d'une éducation déficiente » (Christian Godin). Au demeurant, l'argument de l'euphonie me paraît ici d'autant moins pertinent que l'on dit très correctement, avec un complément du nom (4) : « L'hôpital général a hérité de tous les biens de ce testateur » (Furetière), « Christian a hérité du caractère de fer de son aïeul paternel [...] et des vertus morales de son bisaïeul maternel » (Chateaubriand), « Les palais bourgeois [...] ont hérité du goût des grands seigneurs » (Charles Nisard), « Hériter de la gloire de ses pères » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Ils ont hérité de la maison de leurs parents » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove) ; et avec l'article indéfini : « Il a hérité de son oncle de très grands biens » (Jean-François Féraud). Il semble donc bien que ce soit avant tout le souci de distinguer formellement les deux objets de valeurs différentes qui justifie le choix de ne pas répéter de devant le nom de la chose quand hériter possède à la fois un complément de personne et un complément de chose : « Il avait hérité ces sentiments de son père » (Racine), « Il avait hérité de l'oncle Paul ses amitiés et ses dégoûts » (Émile Henriot), « De leur père ils avaient hérité le désordre, l'élégance, les caprices furieux » (Cocteau), « Ils ont hérité ces maisons de leurs parents » (Ionesco), « Elle héritera de son père plusieurs immeubles » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).
    Concernant l'emploi du pronom relatif − et c'est là ma seconde remarque −, force est de constater, là encore, que l'usage littéraire est pour le moins indécis : « Un secret dont j'ai hérité de mes pères » (Charles Nodier), « Une demi-douzaine de plaisanteries dont il avait hérité d'un oncle » (Stendhal), « Dans cette villa du Roc-Fleuri, dont il avait hérité de son frère » (Jérôme et Jean Tharaud), « Cette propriété indivise dont on hérite de certains parents » (Édmond Jaloux), « L'Italie n'a pas inventé la mosaïque : elle en hérita des Grecs » (Claude Roger-Marx) ; et, plus fréquemment, « C'est une maison qu'il a héritée de son père » (La Bruyère), « [Une couverture]
    qu'il avait sans doute héritée de quelque mulet » (Théophile Gautier), « Il a hérité de la grande école républicaine et impériale l'amour des poètes » (Baudelaire), « Le vieux baron de Rungsberg, dont elle avait hérité une fortune de deux millions de francs » (Octave Mirbeau), « Les enfants étaient riches de plus de deux mille francs chacun, qu'ils avaient hérités de leur mère » (René Bazin), « La déesse dont il avait hérité le courage » (Maurras), « J'avais sans doute hérité de mon père ce brusque désir arbitraire de menacer les êtres que j'aimais le plus » (Proust), « À sa mère, il doit le goût des lettres qu'elle avait hérité de sa propre mère » (André Maurois), « Cette réputation de gaieté qu'elle a héritée d'une époque heureuse » (Julien Green), « Cette drogue dont il avait hérité la recette de son père » (Raymond Queneau). Las ! Goosse ne nous dit pas si le tour « Voilà tout ce dont il en a hérité » − qui traîne çà et là en lieu et place du « Voilà tout ce qu'il en a hérité » préconisé par l'Académie − trouve grâce à ses (subtiles) oreilles...

    (1) Le verbe hériter peut aussi s'employer absolument : « Il hérite beaucoup » (Molière), « Théramène était riche et avait du mérite ; il a hérité, il est donc très riche et d'un très grand mérite » (La Bruyère).

    (2) Selon Dupré, hériter ne peut se construire directement avec un complément d'objet de sens moral dans un emploi figuré que si « le complément n'est pas déterminé par une référence à un nom de personne : Il a hérité les vertus ancestrales mais il a hérité de l'intelligence de son père ». Les exemples contraires ne manquent pourtant pas : « Les enfants héritant l'iniquité du père ! » (Lamartine), « [Ils] avaient hérité la splendeur de Salomon » (Paul-Jean Toulet), « Elle avait hérité l'esprit de sa mère » (Martin du Gard), « Il a hérité les goûts de son père pour la guerre et la séduction de sa mère » (Michel Peyramaure), « Cet enfant a hérité le caractère inflexible de son père » (Jean-Paul Jauneau), « Hériter l'élégance, la grâce de quelqu'un » (TLFi).

    (3) « Cette construction [hériter de quelque chose de quelqu'un] ne se rencontre que très rarement », affirmait bien imprudemment Grevisse dans Le Français correct. On notera, par ailleurs, que la variante hériter de quelqu'un de quelque chose, considérée par beaucoup comme encore plus improbable, se trouve notamment chez Marivaux (cf. citations ci-dessus).

    (4) Il n'est pas toujours aisé de distinguer de introduisant un complément du nom et de introduisant un complément d'objet indirect. Comparez : Elle a hérité des magnifiques yeux bleus de son père et Elle a hérité de son père ses magnifiques yeux bleus. Pour ne rien simplifier, certains spécialistes (dont Cayrou et Jauneau) parlent plus volontiers de « complément circonstanciel d'origine » à propos du complément précisant la personne de qui provient l'héritage.
    Même hésitation entre de préposition et de article partitif : Il hérita de nombreux biens.

    Remarque : Hériter est emprunté du latin hereditare (« donner ou recevoir en héritage »), lui-même dérivé de heres, heredis (« héritier ») qui, par les formes hereditas et hereditarius, a donné nos substantifs hérédité et héritier. Le verbe a connu diverses variantes orthographiques (hereter, ereter, eriter, ireter, irriter), jusqu'au rétablissement du h étymologique et au changement du e intercalaire en i. Selon le Dictionnaire historique de la langue française, hériter s'est d'abord employé « pour "donner (quelque chose) en héritage à quelqu'un", puis pour "recevoir (quelque chose) en héritage" (1160-1174), d'où l'emploi moderne sans complément direct (1655, hériter de quelqu'un) ».

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le bel appartement qu'il a hérité de son père (?).

     


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  • « J'aimais déjà pas les dimanches soirs.... Et sans Claire Chazal... Ça ne va pas s'arranger. »
    (Patrick Timsit, sur Twitter, le 13 septembre 2015) 

    Claire Chazal (photo tf1.fr)

     
    FlècheCe que j'en pense


    Rappelons à notre comique national que soir (comme matin ou midi), employé après un nom de jour, reste logiquement invariable, car on considère qu'il y a ellipse de au : tous les dimanches (au) soir, et non tous les soirs des dimanches. Telle est en tout cas la position de l'Académie (« Le magasin est fermé tous les lundis matin »), de Thomas, de Girodet et de Bescherelle.

    Mais voilà que Hanse, dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, vient semer le trouble : « Tous les lundis soir ou tous les lundis soirs » (à l'entrée « soir ») et « tous les lundis soir (au soir ; des auteurs écrivent soirs) » (à l'entrée « date »). Il faut reconnaître que la tentation d'accorder au pluriel est d'autant plus grande que chaque terme de l'expression, pris séparément, ne saurait rester invariable. Et Grevisse d'ajouter : l'autre solution, qui consiste à mettre le second élément au pluriel, n'est pas moins logique que la première, car l'idée de tous les matins (midis, soirs) se superpose volontiers, dans l'esprit du locuteur, à celle de tous les lundis.

    De fait, l'usage en la matière semble assez indécis, jusque chez les meilleurs écrivains : « Tous les dimanches matin, il partait avec une casquette neuve ; tous les dimanches soir, il revenait avec une loque » (Alphonse Daudet), « Les longs dimanches soir » (Georges Rodenbach), « Les heures de supplément non payées les dimanches matin » (Rolland), « [Il] fait des lectures publiques tous les mardis soir » (Gide), « tous les jeudis matin » (Romains), « les bicyclettes des samedis soir » (Mauriac), « Jacques venait tous les jeudis soir » (André Thérive), « toutes les salades ruissellent d'urine les samedis soir » (Céline), « On avait les dimanches soir » (Giono), « C'est pourquoi, tous les jeudis matin » (Pagnol) ; mais « Tous les dimanches soirs nous entendions [le bruit du bal] » (Michelet), « Votre fils qui a eu la bonté [...] de venir à mes lundis soirs » (Edmond de Goncourt), « on m'y conduisait régulièrement tous les mercredis soirs » (Pierre Loti), « Mallarmé recevait tous les mardis soirs » (Gide), « c'était la pause au lit tous les dimanches matins » (André Maurois). La confusion est telle qu'il n'est pas rare que les graphies varient d'une édition à l'autre, voire au sein du même ouvrage : « Ce garçon ne devait pas s'embêter les samedis soir ! » et « la foule élégante des samedis soirs » (Gabrielle Roy, Bonheur d'occasion). Pas facile d'y voir... clair.

    Dans le doute, mieux vaut encore s'en tenir prudemment aux recommandations de l'Académie. Matin, midi et soir.


    Remarque : On notera que les noms de jour sont des noms communs comme les autres, qui prennent la minuscule et la marque du pluriel. Voir également le billet Soir

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Je n'aimais pas les dimanches soir (selon l'Académie).

     


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  • « Cazeneuve : "La France accueillera dans les meilleurs délais un millier de migrants". »
    (paru sur BFMTV.com, le 7 septembre 2015) 

    Bernard Cazeneuve (photo Wikipédia sous licence GFDL par Mahmoud)

     
    FlècheCe que j'en pense


    Est-il besoin de préciser que le sujet que je m'apprête à aborder ici pourra paraître, et à juste raison, fort dérisoire à côté de ce que vivent actuellement lesdits réfugiés ? Il n'en a pas moins sa place dans une chronique de langue.

    C'est que, à en croire Dupré, la locution dans les meilleurs délais, couramment employée dans la langue commerciale ou administrative au sens de « le plus rapidement possible, au plus vite », serait une impropriété : « Ce n'est pas la qualité des délais qui est en cause, mais leur longueur. Il faut dire : dans les plus brefs délais. » Si l'argument semble frappé au coin du bon sens − gageons que l'on y réfléchirait à deux fois avant de dire dans de bons délais (1) −, force est de constater qu'il n'est guère entendu de nos contemporains. Jugez-en plutôt : « Nous souhaitons vivement que soit établi dans les meilleurs délais […] un lexique orthographique de la langue française » (Maurice Druon), « ce que le roi demandait surtout à la Compagnie, c'était de venir à bout du dictionnaire dans les meilleurs délais » (Hélène Carrère d'Encausse), « Je vous laisse mener à bien la récupération d'un prépuce dans les meilleurs délais » (Yann Moix), « Marcello se fit un devoir de régler mon affaire dans les meilleurs délais » (Olivier Poivre d'Arvor), « obtenir dans les meilleurs délais le transfert de son camarade » (Pierre Lemaitre), « atteindre avec célérité, dans les meilleurs délais possible, le zéro rêvé » (Daniel Picouly).

    Il faut dire que les spécialistes de la langue sont plutôt divisés sur la question. Si les dictionnaires usuels semblent s'en tenir aux brefs délais (« À bref délai, dans les plus brefs délais : très bientôt », Robert illustré) Hanse répond sans détour à Dupré : « Pourquoi rejeter [l'expression dans les meilleurs délais] ? Ne peut-on, à la lettre, apprécier la qualité d'un délai ? » Voire. Et que penser de la position de l'Académie qui, à l'entrée « délai » de la dernière édition de son Dictionnaire, ignore ledit tour au profit de sans délai, sans plus de délai, à bref délai, dans les plus brefs délais, mais ne rechigne pas à l'employer à l'entrée « ce » : « Vous rejoindrez votre poste, et ce, dans les meilleurs délais » ? Allez comprendre.

    Pis : Goosse, le continuateur de Grevisse, n'hésite pas à taxer dans les meilleurs délais d'anglicisme ! À y regarder de plus près, rien n'est moins sûr : « L’influence de l’anglais n’est pas si évidente, fait judicieusement remarquer l'Office québécois de la langue française, les multiples façons de traduire dans les meilleurs délais (as soon as possible, as quickly as possible, promptly, at your earliest convenience, without delay, etc.) ne rappellent en rien la formule française. » Quant à ceux qui, à l'instar d'Abdallah Naaman dans son livre Le français au Liban, laissent entendre − sans plus d'argument − que sans délai serait également « inspiré de l'anglais », il leur sera rétorqué que ladite locution est tout de même attestée dans notre langue... depuis la seconde moitié du XIIe siècle : « Or faisons tost et sanz delai » (Chrétien de Troyes, Érec et Énide). La confusion provient, me semble-t-il, de ce que délai (proprement « temps accordé pour faire quelque chose » ou « prolongation consentie pour achever la réalisation d'un projet ») est un anglicisme sémantique quand il est employé au sens de « retard »... alors que l'on peut dire correctement sans délai ou sans retard pour « sur-le-champ, immédiatement ».

    Anglicisme ou pas, le succès de la locution dans les meilleurs délais s'explique surtout par son côté moins catégorique, moins autoritaire que dans les plus brefs délais, sans délai ou le plus tôt possible. Et il se trouve de beaux esprits pour s'en plaindre, me dites-vous ? C'est la meilleure !


    (1) Le tour se trouve toutefois chez quelques auteurs modernes : « En un temps où l'acheminement du courrier est un souci constant, il parvient toujours à faire parvenir ses lettres dans de bons délais » (Nicolas Schapira), « Pour avoir de bonnes statistiques, il fallait faire du chiffre, dans de bons délais » (David Messager), « les entreprises susceptibles de les [= les travaux] effectuer dans de bons délais » (Yvette Roudy), « pour pouvoir servir dans de bons délais les commandes des libraires » (Alban Cerisier).


    Voir également le billet Sans délai

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La France accueillera dans les plus brefs délais un millier de migrants.

     


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  • « J'ai résilié sans m'appauvrir un abonnement à la publication épaisse où la faim de savoir doit se suffire de l'apport des avis mortuaires. »
    (Gaston Cherpillod, dans son livre D'un ciel bleuâtre, paru aux éditions L'Âge d'homme) 

     

     
    FlècheCe que j'en pense


    Parmi les diverses constructions du verbe suffiresuffire à (ou pour) suivi d'un nom ou d'un infinitif, il suffit de (ou que), etc. −, intéressons au tour pronominal se suffire. Employé absolument, il signifie « subvenir à ses propres besoins », mais on le rencontre souvent suivi de la préposition à au sens de « trouver en soi le moyen de se passer des autres » (en parlant d'une personne) ou de « n'avoir besoin d'aucun complément, d'aucune amélioration » (en parlant d'une chose) : « La vertu a cela d'heureux qu'elle se suffit à elle-même » (Labruyère), « N'attendez rien de grand de qui croit se suffire » (Houdar de La Motte), « Quand on se suffit l'un à l'autre, s'avise-t-on de songer à un tiers ? » (Rousseau), « Ah ! ma fille, la triste et pénible résolution que celle de vivre seul, et de se suffire à soi-même ! » (Marmontel), « Mais se suffire n'est que tuer le temps et tromper la tristesse » (Sand)
    .

    J'ai eu beau chercher dans les dictionnaires et ouvrages de référence à ma disposition, nulle trace de se suffire construit avec la préposition de. À dire vrai, ce n'est pas tout à fait exact. On peut lire à l'entrée « patrimoine » du Littré cette citation de Philippe de Remy (XIIIe siècle), annotée de la main du lexicographe : « Clercs qui ne marceandent pas, ançois se cevissent [se suffisent] de lor patremongne ou de lor benefices. » Avouez que la caution est mince, pour ne pas dire... insuffisante. Le tour se trouve pourtant sous quelques plumes avisées : « se suffisant de trois ou quatre nuits par an » (Zola), « Les amants [...] se suffisent de l'espace qu'il faut pour étendre leur corps près d'un autre » (Guy de Pourtalès), « éprouver si elle [= une pièce de théâtre] se suffirait de ne comporter rien qui ne fût nécessaire à cette action » (Henry de Montherlant), « Quand on a regardé en face le soleil et la mort, peut-on se suffire de la mesure ? » (Jean-Marie Domenach), « il était dans la misère mais se suffisait de peu » (Michel Peyramaure), « je me suffis de ceux qui ont dit à peu près ce que je pense » (Guy Lardreau), « ceux-là se suffisaient de la spontanéité du vouloir » (Comte-Sponville), et jusque chez des académiciens : « Bernard devrait se suffire de la tranche de jambon et du pot de yaourt laissés pour lui dans le réfrigérateur » (Dominique Fernandez), « ceux qui se suffisaient de la gomme arabique » (Frédéric Vitoux) ; il est surtout présent chez Albert Camus, qui en fait un grand usage : « [Ils] ne peuvent se suffire de regrets exprimés à la cantonade », « Le premier lui apprend à vivre sans appel et se suffire de ce qu'il a », « ceux qui se suffisent de l'homme et de son pauvre et terrible amour », « Vous vous suffisiez de servir la politique de la réalité » et, comme si cela ne suffisait pas, « il a toutes les chances d'être connu par un assez grand nombre de personnes qui ne le liront jamais parce qu'elles se suffiront de connaître son nom et de lire ce qu'on écrira sur lui ». On peine à croire que l'auteur de La Peste ait ainsi confondu se suffire et se contenter − lequel verbe, est-il besoin de le préciser, se construit régulièrement avec la préposition de.

    Dans le doute, il suffit de passer son chemin.

    Remarque 1 : À ma connaissance, la plus ancienne attestation de se suffire de date tout de même de 1588 : « Le Roy Anglois [...] s'estoit remis au requoy [= au repos], se suffisant de ranger les Escossois & Galois quand ils luy faisoient la guerre » (Bertrand d'Argentré, L'Histoire de Bretaigne).

    Remarque 2 : Selon Girodet, le tour se suffire à soi-même est un « pléonasme admis dans la langue cursive », qu'il convient d'« éviter dans le registre soutenu ».

    Remarque 3 : Se suffire fait partie de ces verbes pronominaux dont le participe passé ne s'accorde jamais, parce qu'ils ne sauraient avoir de complément d'objet direct : Cette communauté s'est longtemps suffi à elle-même.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La faim de savoir doit se contenter de l'apport des avis mortuaires.

     


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