• L'école est finie !

    L'école est finie !

    « Pour ne pas que le temps leur semble trop long, Le HuffPost est allé chercher 12 activités pour enfants de tous âges. »
    (Sandra Lorenzo, sur huffingtonpost.fr, le 19 juillet 2014)
     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Vous aurez deviné que la lecture d'une bonne grammaire ne risquait pas de figurer sur la liste des activités proposées par notre journaliste pour occuper ces chères têtes blondes pendant le trajet des vacances.

    Rappelons − en tâchant de ne pas être trop long − que, lorsqu'une subordonnée de but introduite par pour que est à la forme négative, la négation est censée se trouver à l'intérieur de la subordonnée, c'est-à-dire après pour que : Il reste pour qu'elle ne se sente pas seule (où ne... pas encadre le verbe de la subordonnée au subjonctif) et non pas Il reste pour pas qu'elle se sente seule (tour critiqué, quoique fréquent à l'oral) ni même Il reste pour ne pas qu'elle se sente seule (avec rétablissement de la négation ne par souci de correction grammaticale). Mais force est de constater, avec Grevisse et Georgin, que le solécisme − formé par analogie avec la construction pour ne pas + infinitif − tend à passer de la langue parlée populaire dans la langue écrite, en dépit des condamnations de nombreux spécialistes (1) :

    (pour pas que) « Pour pas que je l'embrasse » (Courrier de la Moselle, 1836 ; chronique judiciaire), « Pour pas qu'on vous trouve » (Le Moniteur parisien, 1837 ; chronique judiciaire), « Pour pas qu'elle se perde » (Paul Féval, 1855 ; dialogue), « Pour pas qu'on lui fasse du mal » (Armand Fouquier, 1861 ; dialogue), « Pour pas qu'il étouffe là-dedans » (Jules Lermina, 1876 ; dialogue), « Pour pas qu'ils s'ennuient » (Anatole France, 1882 ; dialogue), « J'ai touché un plumet, c'est pour pas que j'le mette ! » (Courteline, 1887 ; dialogue), « Elle dit ça pour pas que ça ait l'air... » (Gyp, 1894 ; dialogue), « Pour pas que vous vous trouviez face à face » (Abel Hermant, 1913 ; dialogue), « Pour pas qu'on se sauve » (Proust, 1919 ; dialogue), « Pour pas qu'ils se cavalent » (Roger Vercel, 1934 ; dialogue), « Pour pas qu'elle m'attrape » (Sartre, 1945 ; dialogue), « Pour pas que le Syrien te passe n'importe quoi » (Germaine Guèvremont, 1945 ; dialogue), « C'est pour pas qu'elles traînent, expliquait mystérieusement le moutard » (Jean Dutourd, 1952 ; dialogue), « Pour pas qu'elle croie » (Robert Merle, 1970).

    (pour ne pas que) « Pour ne pas que les Russes, Allemands, Espagnols, etc., méconnaissent le droit divin » (Le Choléra-morbus, le patriote, la gripette et les royalistes, 1831), « Pour ne pas qu'il me pleure » (Sand, 1848 ; dialogue), « Pour ne pas qu'il [= le dîner] se refroidisse » (Paul Féval, 1850 ; dialogue), « Pour ne pas qu'il s'ennuie » (frères Goncourt, 1856), « Pour ne pas qu'ils vous mangent » (Zola, 1891), « Pour ne pas que la rue [...] fût sans corolles » (Georges Rodenbach, 1892), « Pour ne pas qu'il me vît me tordre de rire » (Pierre Benoit, 1918), « Pour ne pas qu'Armand le voie » (Gide, 1925 ; dialogue) (2), « Pour ne pas qu'il vous brûle la tête par les yeux , le soleil » (Céline, 1932), « Pour ne pas qu'il y ait des ronds sur la table en chêne clair » (Elsa Triolet, 1945), « Pour ne point qu'il fût étouffé » (Francis Carco, 1946, cité par Grevisse), « Pour ne pas qu'il y ait de distorsion » (Vian, 1947 ; dialogue), « Pour ne pas qu'on le plaigne » (Gilbert Cesbron, 1949 ; dialogue), « Pour ne pas qu'on vous prenne trop au sérieux » (Robert Mallet, 1950 ; à l'oral), « Pour ne pas qu'elle reperde pied » (Simenon, 1953), « Pour ne pas que les autres puissent insinuer [que...] » (Alain Decaux, 1953 ; dialogue), « Pour ne pas qu'il te tue » (Pierre Gamarra, 1955 ; dialogue), « Pour ne pas qu'elle [= une chaîne] se défît prématurément » (Entretiens avec Emmanuel Roblès, 1967), « Pour ne pas que ses collègues entendent » (Erik Orsenna, 1988), « Pour ne pas que je me presse » (Didier van Cauwelaert, 1995 ; dialogue), « Pour ne pas que m'échappe une idée » (Hubert Nyssen, 2002, cité par Goosse), « Pour ne pas que la musique perde son harmonie » (Henri Lopes, 2003), « Nous cherchons à la [= notre histoire coloniale] dépasser, pour ne pas qu'elle nous enferme » (Emmanuel Macron, 2021 ; discours).

    Effet de style, pour imiter le registre oral (populaire, relâché ou enfantin) ? « Désir instinctif d'énoncer la particule négative aussi près que possible du début de la phrase » (Georges et Robert Le Bidois) ? Besoin d'expressivité ? Peu importe, après tout. « "Pour pas que" m'écorche les oreilles... », m'écrit un lecteur de ce blog(ue). Bah, avec le bruit du moteur et de la climatisation, l'incorrection pourrait bien finir par passer inaperçue.

    (1) Thomas, Girodet, Hanse, Le Bidois, Dauzat, Georgin, etc., à l'exception notable de Ferdinand Brunot, qui n'hésita pas à jeter un pavé dans la mare dès 1922 : « Une locution négative est en train de se forger : pour pas que [...]. Cette locution traduit excellemment l'intention négative, elle serait logique et commode » (La Pensée et la langue).

    (2) Gide a beaucoup écrit sur le sujet, et parfois tout et son contraire : « Sarah dit "pour ne pas que" − faute horrible, si fréquente aujourd'hui, et que je n'ai vue dénoncée nulle part » (Journal des Faux-Monnayeurs, 1922), « Jamais je n'ai vu relever le "pour ne pas que" qui tend à s'installer et commence à être à ce point admis que je renonce à le trouver déplorable » (Journal, 1923), « J'ai gardé pour la fin une faute qui me paraît importante, mais particulièrement difficile à dénoncer, car ce n'est pas dans les imprimés qu'elle se trouve ; du moins pas encore. On ne la lit point ; on l'entend, et de plus en plus, et dans les conversations du meilleur monde [...]. Il m'est parfois arrivé, passant outre la bienséance [...], de marquer quelque étonnement lorsque j'entendais dire : "J'ai réprimandé cet enfant pour ne pas qu'il recommence" ou "Je lui ai mis son gros manteau pour ne pas qu'il s'enrhume" [...]. Et tout aussitôt, en riposte à ma remarque : "Mais comment, selon vous, doit-on dire ?" Et le "pour qu'il ne recommence pas", "pour qu'il ne s'enrhume pas", que je proposais à la place, était jugé plat, prétentieux et sans vigueur. J'en venais à battre en retraite, à douter si j'avais raison de protester » (Le Figaro, 1946). Il faut croire que Gide ignorait que des observateurs avaient relevé la construction nouvelle bien avant lui : « Pour pas que j'aillegions (pour que nous n'allions pas). [...] cette transposition de l'adverbe pas n'appartient qu'au Maine, je le crois du moins » (Charles-Raoul de Montesson, Vocabulaire du Haut-Maine, 1859), « Bossuet n'admettait pas pour que, même en prose [...]. Qu'aurait-il dit de pour ne pas que, rencontré dans le Journal [des Goncourt] ? » (Émile Deschanel, Les Déformations de la langue française, 1898), « [On trouve] pour pas que (au lieu de pour que... ne... pas) dans le langage des enfants et des personnes sans instruction [...]. L'ajout de ne représente une sérieuse maladresse de style » (Philipp Plattner, Ausführliche Grammatik der französischen Sprache, 1907).


    Remarque : Voir également les articles Pour ne pas que et Un "ne" peut en cacher un autre.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Pour que le temps ne leur semble pas trop long (ou Pour éviter que le temps ne leur semble trop long).

     

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