• Ça me chagrine

    « Les autorités régionales lui ont déroulé le tapis rouge : terrains quasi offerts, exemptions fiscales, taxe sur le jeu réduite à peau de chagrin... » (à propos de l'Américain Sheldon Adelson et de son projet d'implantation d'une cité du jeu dans la banlieue de Madrid).

    (François Musseau, dans Le Point no 2148, novembre 2013)
     

    FlècheCe que j'en pense


    Naïf comme je suis, j'ai d'abord cru qu'il s'agissait là d'un cas isolé. Il m'a suffi de parcourir la Toile pour constater qu'il n'en est rien : « Des moyens réduits à peau de chagrin » (Le Parisien) ; « Quant à l'alliance avec GM, elle s'est réduite à peau de chagrin » (Les Échos) ; « La production s'est réduite à peau de chagrin » (La Voix du Nord) ; « Un budget réduit à peau de chagrin » (Le Point) ; etc.

    Aurai-je le cuir assez épais pour affirmer que rien à mes yeux ne justifie cette construction ?

    Peau de chagrin, on le sait, se dit − par allusion au roman de Balzac paru en 1831 − d'un bien matériel ou moral qui s'amenuise, se réduit progressivement jusqu'à complète disparition. Si l'on conçoit que ledit phénomène puisse avoir de quoi mettre tout propriétaire d'humeur chagrine, rien à voir ici avec ce chagrin-là (1), mais bien plutôt avec celui, emprunté du turc sagri (« croupe d'un animal », puis par métonymie « peau qu'on en prépare »), qui désigne le cuir grenu d'une peau de bête (chèvre, mouton, âne ou mule, selon les sources), utilisé en reliure ou en maroquinerie. Dans La Peau de chagrin de Balzac, la présente pièce de cuir a le pouvoir magique d'exaucer les vœux de son possesseur, mais voit sa taille diminuer à chaque désir satisfait. D'où l'expression passée dans le langage commun se rétrécir, s'amenuiser, diminuer comme (une) peau de chagrin : Nos espoirs s'amenuisaient comme une peau de chagrin (Dictionnaire de l'Académie).

    Si le TLFi cite deux autres constructions (C'est une peau de chagrin, cela fait peau de chagrin), le tour réduit à peau de chagrin − si répandu soit-il − ne figure, à ma connaissance, dans aucun ouvrage spécialisé ni aucun dictionnaire usuel. Quel en serait le sens, au demeurant ? On est fondé à se demander si ce n'est pas plutôt réduit à l'état de peau de chagrin qui eût, bien plus sûrement, convenu à l'emploi de la préposition à. Dans le doute, mieux vaut comme toujours s'en tenir à l'expression consacrée si l'on veut éviter de se faire tanner le cuir par une peau de vache à l'air chafouin.

    (1) Un petit peu, tout de même, si l'on en croit le Dictionnaire historique de la langue française, selon lequel chagrin (de peau de chagrin) est l'altération de sagrin (du turc sagri) sous l'influence de chagrin (de chagriner).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Taxe sur le jeu réduite comme peau de chagrin (ou, plus simplement, réduite au minimum).

     

    « Veillé(e) mortuaireLa ronde des heures »

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  • Commentaires

    1
    CF
    Samedi 7 Décembre 2013 à 09:50

    Belle notule comme d'habitude et de l'utilite de lire Balzac (il se trouve par le plus grand des hasards que je viens de terminer la lecture d'une nouvelle de cet auteur).


     

    2
    Michel JEAN
    Jeudi 19 Février 2015 à 14:47

    B'jour, encore moi, que je suis enervé quand j'entend dire nous(je) sommes sous le choc; ai-je cette fois raison??? Merci.

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    3
    Jeudi 19 Février 2015 à 23:27

    Le tour figure dans le Dictionnaire du français de Josette Rey-Debove (éditions Robert) : "Je suis encore sous le choc."  

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