• Quel cirque, ce flexe !

    Comment rester muet devant le déferlement d'âneries, de contrevérités et de mauvaise foi auquel on assiste dans les médias et sur les réseaux sociaux, à propos de la mort (imprudemment) annoncée de l'accent circonflexe ? C'est que l'on finirait par croire, depuis le début du mois de février 2016 et l'exhumation d'un rapport sur les « rectifications orthographiques » vieux d'un quart de siècle, que la langue va à vô-lô, pardon à vau-l'eau. Jugez-en plutôt : « appauvrissement de la langue », « nivellement par le bas », « perte de nos valeurs », « atteinte à la beauté de la langue », « recul de l'identité française », « destruction du patrimoine français », « début de l'anarchie », etc. Diable ! Quand on songe à tous ces écrivains de la Renaissance (Baïf et Ronsard en tête) qui voulurent réformer l'orthographe en préconisant − les inconscients ! − d'écrire phonétiquement...
    « En quelques jours, l'accent circonflexe est devenu l'emblème d'une résistance dont les sous-entendus politiques sont évidents », résume Slobodan Despot, directeur d'une maison d'édition. La guerre du circonflexe − à moins que ce ne soit celle du nénufar et de l'ognon − se rallume, à vingt-cinq ans d'intervalle. Pourquoi un tel déchaînement de passions pour un modeste chapeau, je vous le demande ? Tâchons d'y voir clair, en laissant de côté les vaines polémiques.

    Que disent les spécialistes de la langue ? « Hormis dans la conjugaison, fait observer Bénédicte Gaillard dans Le français de A à Z (2004), l'usage de l'accent circonflexe ne répond à aucune règle précise ni rigoureuse. » René Georgin, évoquant dans Jeux de mots (1957) « la question mineure mais souvent embarrassante de l'accent circonflexe », reconnaît que son emploi « recèle de nombreux pièges ». Pour Grevisse, il s'agit ni plus ni moins d'« une des grosses difficultés de l'orthographe française ». L'époque étant à la simplification, on ne s'étonnera donc pas de voir les membres du Conseil supérieur de la langue française (parmi lesquels un certain André Goosse, le continuateur de Grevisse) se pencher, dès 1989, sur le cas ô combien épineux dudit chevron... en poussant des « Oh ! » d'indignation : « L'emploi incohérent et arbitraire de cet accent empêche tout enseignement systématique ou historique. » Regardons-y de plus près, en reprenant un à un leurs arguments.

    I/ « Les justifications étymologiques ou historiques ne s’appliquent pas toujours. »

    D'aucuns se souviennent avoir appris à l'école que le circonflexe, issu graphiquement de la réunion d'un accent aigu et d'un accent grave, indique d'ordinaire la chute d'un s devenu muet ou, plus rarement, d'une voyelle en hiatus de l'ancienne orthographe : asne → âne, ostel → hôtel, teste → tête, aage, eage → âge, meur → mûr, cruement → crûment, etc. C'est « l'accent du souvenir », selon la formule rabâchée de Ferdinand Brunot. Force est toutefois de constater que les contre-exemples ne manquent pas. D'une part, nombreux sont les accents non justifiés par la disparition d'une lettre étymologique, comme dans âcre, alcôve, arôme, bêler, câpre, châle, diplôme, drôle, extrême, flâner, geôle, grâce, infâme, mânes, môle, pâtir, pôle, symptôme, suprême, théâtre, trône, etc. (le circonflexe n'en continue pas moins d'indiquer ici que l'on est en présence d'une voyelle longue). D'autre part, il s'en faut de beaucoup que toutes les lettres amuïes soient représentées par des circonflexes ; certaines ont disparu sans laisser de trace, comme dans coteau − que Littré préconisait d'écrire côteau, « puisque l'ancienne forme est costeau ; mais l'usage a effacé l'accent dans l'écriture, après l'avoir effacé dans la prononciation » −, dans coutume − « Noter qu'il n'y a pas d'accent circonflexe sur -ou- bien qu'il y ait eu disparition d'un s dans le mot (latin consuetudinem > coustume) », lit-on dans le TLFi − ou dans soutenir (pourtant emprunté du latin sustinere). Quant aux adverbes en -ument, « ce sont de purs fantaisistes », déplore Georgin : n'écrit-on pas assidûment, crûment, dûment... mais absolument, éperdument, prétendument ? Allez trouver une logique derrière tout ce fatras ! (1)

    II/ « [L'accent circonflexe] n'est pas constant à l'intérieur d'une même famille. »

    Pour preuve, ces quelques exemples pêchés parmi d'autres : fantôme, fantomatique ; grâce, gracieux ; icône, iconoclasteinfâme, infamie ; mêler, mélange ; symptôme, symptomatique ; etc. Le plus souvent, en effet, le circonflexe du mot simple disparaît ou se change en accent aigu dans ses dérivés, la voyelle qu'il coiffait passant de tonique à atone (notamment quand elle est suivie d'une syllabe sans e muet). Comparez : bête → bêtise et bête → bétail. Mais là encore, ajoute aussitôt Goosse, « il n'y a pas de règle nette » : bâtard et chaîne ne conservent-ils pas l'accent dans tous leurs dérivés ?

    III/ « De sorte que des mots dont l'histoire est tout à fait parallèle sont traités différemment. »

    « Pourquoi écrire , mais su, tu, vu, etc. ; plaît, mais tait ? » s'interrogent à bon droit nos experts, mus par le souci louable d'établir des régularités.

    IV/ « L'usage du circonflexe pour noter une prononciation est loin d'être cohérent. »

    Si l'accent circonflexe peut s'avérer utile − selon la région du locuteur − pour distinguer certains homonymes en en modifiant la prononciation (côte, cote ; pâte, patte ; et autres paires spécifiques), c'est loin d'être toujours le cas : allez savoir pourquoi axiome, idiome et zone n'ont pas reçu les palmes académiques alors qu'ils se prononcent avec le même o long (hérité de l'oméga grec) que celui de diplôme − (a-ksi-ô-m'), (i-di-ô-m'), (zô-n'), (di-plô-m'), selon la transcription phonétique de Littré (2). Pour ne rien simplifier, la présence du circonflexe n'implique pas toujours, même dans la langue ancienne, la prononciation longue de la voyelle ; ainsi de (vous) êtes qui, « quoique marqué d'un accent circonflexe, est, au gré du poëte, long ou bref » (Manuel élémentaire de littérature française, 1837) (3). Et que dire encore de têtu, qui se prononce ordinairement avec un e fermé quand tête se satisfait d'un e ouvert ? « Il n'y a donc pas de rapport strict entre la présence d'un accent circonflexe et la prononciation », conclut Bénédicte Gaillard.

    Aussi le Conseil supérieur de la langue française se considéra-t-il fondé à faire des propositions d'amélioration de l'usage « d'un signe qui apporte si peu d'information sur la prononciation et qui a un rôle historique si varié et si inconséquent » (Goosse). Plusieurs possibilités s'offraient à lui : rétablir le circonflexe là où l'usage l'avait oublié ou effacé ; le supprimer de tous les mots qui en étaient encore coiffés (je vous laisse imaginer le tollé !) ; le remplacer par un accent grave, à chaque fois que celui-ci pouvait en tenir la fonction ; réduire le nombre de cas où il était utilisé. La dernière option eut sa préférence : l'accent circonflexe, conservé sur a, e, et o, devint optionnel sur i et u − où il ne note pas de différence de prononciation (4) −, excepté dans la conjugaison, pour marquer une terminaison (en évitant de séparer vîmes, vîtes, sûmes, sûtes, vînmes, vîntes de aimâmes, aimâtes) et dans les mots où il apporte une « distinction de sens utile » (crû, cru dû, du ; sûr, sur ; jeûne, jeune ; tâche, tache ; etc.). Et c'est là, me semble-t-il, que le bât blesse. Car si nos experts se sont employés à rectifier avec opiniâtreté certaines anomalies étymologiques, d'autres subsistent toujours : pourquoi, par exemple, continuer d'écrire jeûner quand déjeuner, pourtant de la même famille, s'avance tête nue ? Au nom de la différenciation des homographes, nous rétorque-t-on aussitôt − le dérivé jeûne (« privation de nourriture »), ainsi chapeauté, ne risquant pas d'être confondu avec jeune (« peu avancé en âge ») (5). La belle affaire ! Il me semble que l'on ne s'émeut pas autant du risque de confusion entre le pronom tu et la forme verbale (il s'est) tu − autrefois orthographiée (vous l'aurez deviné) : « Il ne l'auroit pas tû », comme « Il a sû m'abuser » et « M'en as-tu vû capable ? » (Corneille). À ce compte-là, pourquoi ne pas avoir rétabli le circonflexe sur le a de pas, qui permettait autrefois de distinguer l'adverbe de négation du nom : « Votre enfant marchera sur les pâs de son oncle » (Mme de Sévigné) ?
    Pis, nos pourfendeurs de l'illogisme et de l'arbitraire sont à l'origine − fût-ce à leur corps défendant − de nouvelles bizarreries : ne lit-on pas dans le texte paru au Journal officiel que les adjectifs mûr et sûr ne porteraient le chapeau « qu'au masculin singulier [...] comme c'était déjà le cas pour dû » ? Voilà qui est pour le moins surprenant. D'abord, au regard de l'étymologie, tant la logique plaide en faveur du maintien du circonflexe au masculin comme au féminin et au pluriel, en souvenir de la chute de l'ancien e intercalaire (vieux français deu, deue, deues, deus). Ensuite, en vertu du sacro-saint principe de distinction des homographes : car enfin, la confusion entre (des) murs et (ils sont) murs serait-elle moins préjudiciable qu'entre (un) mur et (il est) mur ? (6) Tout porte à croire, en vérité, qu'il s'agit là d'une perle de la plus belle huître, ainsi qu'André Goosse le laisse lui-même entendre dans La Nouvelle Orthographe (1991) : « Le texte paru au Journal officiel [...] contient cette phrase, absente de la version qui a précédé : "Comme c'était déjà le cas pour , les adjectifs mûr et sûr ne prennent un accent circonflexe qu'au masculin singulier." Le critère pour maintenir l'accent étant le risque d'homographie, celle-ci vaut autant pour mûre (à distinguer du fruit), mûrs, mûres, sûre, sûrs, sûres. , au contraire, n'a pas besoin du circonflexe au féminin et au pluriel. Il serait souhaitable que le document qui sera communiqué aux enseignants soit conforme aux principes. » On croit rêver... Las ! vingt-cinq ans après, les faits sont toujours aussi têtus : « mûr, mûre. Orthographe rectifiée : masc. sing. mûr ; fém. mure, pluriel murs, mures » et « sûr, sûre. Orthographe rectifiée : sûr, sure », lit-on dans le Robert illustré 2013 ; « dans le cadre de l'orthographe rectifiée, on peut écrire sûr, sure, surs, sures », dans le Petit Larousse 2016 (7). La bourde − si tant est que c'en fût une − s'est même répandue jusque dans les colonnes de la dernière édition du Dictionnaire de nos académiciens : « mûre ou mure. » Gageons que Goosse ne leur tire pas son chapeau.

    On le voit, les propositions de 1990 − sur le chapitre de l'accent circonflexe tout du moins − donnent l'impression de nous abandonner au milieu du gué. Ne valait-il pas mieux que la docte assemblée − ainsi que Littré (que l'on peut difficilement soupçonner d'être un dangereux réformateur !) le suggérait autrefois à l'Académie à propos de la graphie des adverbes en -ument − « suivît un système, et mît partout l'accent circonflexe ou le supprimât partout » ? On retiendra que, si « les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l'Académie française et publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990 » sont désormais la nouvelle règle − à laquelle l'Éducation nationale est dûment tenue de se référer pour la rédaction de ses programmes −, elles ne sauraient être imposées à l'usager : « Les personnes qui ont déjà la maîtrise de l'orthographe ancienne pourront, naturellement, ne pas suivre cette nouvelle norme. » Les deux orthographes sont donc correctes. Mais n'était-ce pas déjà le cas pour les formes saoul et soûl, qui cuvent leur vin côte à côte dans le Dictionnaire de l'Académie depuis 1798... sans que personne semblât s'en émouvoir ? Ci-gît notre mauvaise foi.

    (1) Un rappel historique s'impose à ce stade de l'article. L'accent circonflexe − du latin circumflexus (accentus), participe passé de circumflectere (proprement « fléchir autour » et, spécialement, « prononcer une syllabe longue ») − fut introduit dans notre langue en ordre dispersé au cours de la première moitié du XVIe siècle, quand des imprimeurs, des grammairiens et des hommes de lettres eurent l'idée d'emprunter au grec un accent − figuré par une ligne sinueuse (˜) à laquelle il doit son nom − pour noter − cette fois sous la forme (^) −, qui des « diphtongues graphiques » (boîs chez Jacques Dubois, dit Sylvius), qui un e muet à l'intérieur d'un mot (vrai^ment chez Étienne Dolet), qui des voyelles allongées par la suppression d'un s (tôt chez Thomas Sébillet). Son usage mit longtemps à s'imposer en France, où il se heurta aux réticences d'une Académie « jalouse de conserver l's des étymons latins dont la connaissance était la fierté des savants » (dixit le Grand Larousse). Au XVIIe siècle, Antoine Baudeau de Somaize se moquait ainsi ouvertement de cet accent dont s'étaient entichées les Précieuses, tenantes d'une graphie simplifiée. Qui eût cru − ironie de l'histoire − que le circonflexe, aujourd'hui bastion des traditionalistes, pût être, hier, l'emblème des modernistes ? Toujours est-il que la première édition (1694) du Dictionnaire de l'Académie fit encore la part belle au s amuï, le circonflexe n'étant employé que « sur les mots dont on a retranché une lettre » (âge, j'ai pû, assidûment...). Il faudra attendre 1740 (et la publication de la troisième édition) pour que l'illustre assemblée se décidât, après deux siècles de polémiques, à en généraliser l'emploi, de façon − hélas ! − pas toujours cohérente. Qu'on en juge : « Un accent [...] qu'on met sur certaines syllabes, pour marquer qu'elles sont longues » (quatrième édition, 1762), « Un accent [...] qu'on met sur certaines syllabes, pour marquer qu'elles sont restées longues après la suppression d'une lettre » (cinquième édition, 1798), « l'accent [...] dont on se sert principalement pour marquer les voyelles qui sont restées longues après la suppression d'une lettre » (sixième édition, 1835), « Signe d'accentuation [...] dont on se sert principalement pour marquer les voyelles qui sont devenues longues par suite de la suppression d'une autre voyelle ou d'une consonne qui les suivait » (huitième édition, 1932) et enfin « signe d'accentuation [...] placé sur une voyelle, indiquant le plus souvent la disparition d'une lettre voisine (âge s'écrivait aage, tôt s'écrivait tost) et employé comme notation de certaines particularités phonétiques, étymologiques, morphologiques, ou pour distinguer dans l'écriture certains homophones » (neuvième édition, 1992). Vous l'aurez compris : la justification de ce maudit circonflexe, situé au carrefour de l'écrit et de l'oral, n'a cessé de plonger les Immortels dans l'embarras.

    (2) En 1787, déjà, Féraud dénonçait ces incohérences dans son Dictionnaire critique de la langue française, où il préférait écrire atôme, axiôme, idiôme, zône. Même constat dans le Précis d'orthographe française (1930) de Léon Clédat, diplômé ès accents circonflexes : « Dans les mots où la chute de l's a été accompagnée d'une modification du timbre de la voyelle, et où cette modification a persisté, l'accent marque utilement le timbre nouveau. Il a été introduit, pour marquer ce timbre, dans les mots savants qui n'ont jamais eu d's : suprême, extrême, grâce, cône, diplôme (mais axiome et zone, qui se prononcent de même, n'ont pas d'accent). »

    (3) Racine fait rimer êtes avec prophètes (et voutes avec toutes !) ; Corneille, avec sujettes.

    (4) La suppression du circonflexe sur les voyelles i et u serait d'autant plus justifiée qu'il ne joue, selon Goosse, « pour ainsi dire aucun rôle dans la prononciation (comparer coup et coût, coupe et coûte, goutte et goûte, ruche et bûche, cime et abîme, chapitre et épître, tait et plaît, etc.) ». S'il est vrai que la prononciation moderne ne semble plus distinguer la longueur des voyelles − d'où le recours aux moyens mnémotechniques pour retenir que le chapeau de la cime est tombé dans l'abîme −, on notera toutefois que abîme et île sont encore signalés avec un i long (noté [i:]) au début du XXe siècle (par exemple chez Paul Passy). De même lit-on dans le Grand Larousse encyclopédique (1969) : « u long comme dans bûche. » Pour Geneviève Zehringer, présidente de la Société des agrégés de l'Université, l'argument selon lequel le circonflexe serait définitivement dépouillé de sa mission phonétique n'est pas recevable : « Supprimer l'accent circonflexe de voûte, c'est renoncer à noter une prononciation qui reste, au moins chez beaucoup de locuteurs, différente de celle de route. »

    (5) Mettons les points sur les i : si jeûner − emprunté du latin jejunare − s'est vu coiffer d'un accent, c'est bien plus vraisemblablement pour réduire le hiatus (rencontre de deux voyelles appartenant à des syllabes différentes) né de la chute du second j (cf. TLFi). Tant mieux si cela a par ailleurs permis de distinguer le déverbal jeûne de l'adjectif jeune.

    (6) Comparez : C'est sûr, les plus sûrs palais ne goûtent pas les fruits surs ; le long des murs, j'ai trouvé des pommes mûres et quelques mûres (orthographe traditionnelle) et C'est sûr, les plus surs palais ne goutent pas les fruits surs ; le long des murs, j'ai trouvé des pommes mures et quelques mures (orthographe réformée ?). La langue y a-t-elle gagné en simplicité et en clarté ?

    (7) L'honnêteté m'oblige à préciser que la coquille est absente du Larousse en ligne, ainsi que du Français de A à Z, où l'on peut lire : « Sûr et mûr gardent toujours l'accent circonflexe quels que soient le genre et le nombre, contrairement à et crû. » Ouf !

     

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    Remarque 1 : D'après René Georgin, « dans les verbes, le circonflexe correspond aussi à une consonne tombée du radical, qu'on retrouve à d'autres personnes ou dans d'autres mots, comme dans connaître et il connaît (nous connaissons), croître et il croît (nous croissons et crescendo), il paît (nous paissons et pasteur). Au passé simple, il n'y en a un qu'aux deux premières personnes du pluriel, mais jamais à la troisième personne du singulier, tandis qu'il en faut un à l’imparfait et au plus-que-parfait du subjonctif où il représente deux s du latin ». Il n'empêche, là encore, l'usage brille pas ses inconséquences ; quand l'accent sur vous chantâtes (issu de chantastes) serait étymologique, celui sur nous chantâmes (qui n'avait jamais connu de s intercalaire) n'a d'autre justification que l'analogie : « Au XIIIe siècle, chantames change d'orthographe, sous l'influence de chantastes, et devient chantasmes, d'où chantâmes » (Grammaire historique de la langue française de Kristoffer Nyrop, 1903). Et que penser de la graphie (il) est, où le s amuï s'est maintenu jusqu'à nous contre vents et marées ? (En 1560, l'imprimeur Christophe Plantin n'hésitait pas à écrire il êt.)

    Remarque 2 : Aucune modification n'est apportée aux noms propres et le circonflexe est conservé dans les adjectifs issus de ces noms (Nîmes, nîmois). Ceux qui poussent des cris d'orfraie à l'idée de voir le nom de leur ville amputé de son aile protectrice ne travailleraient-ils pas un peu du chapeau ?

    Remarque 3 : Girault-Duvivier pestait contre le circonflexe dont l'Académie venait de coiffer âme dans son édition de 1798 : « Comme cet accent suppose la suppression d'une lettre, et que l'on n'a jamais écrit aame ni asme, [...] nous ne pouvons adopter la dernière décision de l'Académie. » Le grammairien ignorait-il que le mot s'est écrit en ancien français : aneme, anme, alme, arme, amme, etc. ?

    Remarque 4 : Les considérations esthétiques ne sont évidemment pas étrangères à la polémique actuelle. Elles étaient, du reste, clairement envisagées par les experts de l'époque : « Certes, le circonflexe paraît à certains inséparable de l'image visuelle de quelques mots et suscite même des investissements affectifs (mais aucun adulte, rappelons-le, ne sera tenu de renoncer à l'utiliser). » De là à voir dans cette marque graphique « que plus rien ne justifie, mais que tout légitime » (selon la formule de Bernard Cerquiglini) un signe de distinction sociale, il n'y a qu'un pas, que Maurice Tournier franchit sans peine dans À quoi sert l'accent circonflexe ? (1991) : « Placé sur ce faux terrain des divagations sentimentales ou du plaisir de l'œil, le débat autour de l'accent circonflexe ne concerne plus la transcription utile de la langue mais le seul jeu des arbitraires mondains. » Le procès en élitisme n'est pas près d'être clos.

    Quel cirque, ce flexe !

     

    « Un coup du ventPensée du jour »

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 14 Février 2016 à 00:19
    Superbe article : merci !
    2
    Michel JEAN
    Dimanche 14 Février 2016 à 12:55

    Bonjour M. Marc, devant certaines formes atones de [sur] ou [sûr], il ne me reste en travers de la gorge plus qu'un Chapeau avec le [su :r] ou [sû :r] car pourquoi cet allongement phonétique est oublié ou absent dans bien des dicos alors qu'il s'agit là d'un aspect important. Merci. Bye. Mich.

      • Vincent
        Dimanche 14 Février 2016 à 16:00

        Bonjour Michel,

        Il est probable que c'est parce que plus personne ne parle comme ça. En tout cas, si localement on fait encore parfois la différence, cela ne justifie plus à mon sens de s'acharner à vouloir conserver à tout prix cet accent circonflexe là où il n'apporte rien d'autre qu'une forme de snobisme. Il n'y a plus guère que des gens comme Philippe Meyer pour prononcer "chaine" comme au 16e siècle.

        Vincent

         

         

         

    3
    Michel JEAN
    Dimanche 14 Février 2016 à 17:28

    R' jour, désolé mais entre [nei : ge] et [neige] choisissons le premier qui est doux comme de la neige idem pour le beau prénom qu'est Nadei : ge. Bye. Mich.

    4
    Didier Fourcot
    Mercredi 17 Février 2016 à 16:15
    L'étonnant est que les plus virulents à défendre "leur" orthographe (vieille rancœur pour avoir eu tant de mal à la maîtriser si peu?) sont ceux qui ne connaissent ni l'ancienne ni la "nouvelle". Les professionnels ont l'habitude en cas de doute, qu'ils ont plus fréquent que la moyenne et plus pertinent, de consulter les ouvrages de référence, et les Usuels du Robert comportent par exemple depuis 1990 un petit fascicule sur les rectifications qui permet d'éviter de sanctionner une orthographe qui a été considérée acceptable aussi. Néanmoins on voit plus d'accents circonflexes sur les taches de couleur qui ne devraient jamais en être souillées que d'omissions autorisées sur ce qui nous plaît ou déplait, en supposant que la tolérance s'applique à chaque mot et n'exige pas de cohérence dans la phrase ou le document. Abondance d'orthographes ne nuit pas, les portes s'ouvrent aussi bien avec une clé qu'avec un clef, la tolérance supposément nouvelle est découverte par des cuistres vingt-cinq ans après, mais on se demande comment les manuels scolaires ont pu rester si longtemps en dehors de la langue française puisque les recommandations de 1990 s'appliquaient à tous?
      • Dao
        Mercredi 17 Février 2016 à 19:19

        "quand tu fais une tache, c'est bien assez sale comme ça, il n'y a pas besoin de mettre un accent dessus" me disait ma maîtresse en CM2, et depuis, cela me permet d'éviter de reproduire cette faute. en vous lisant, vous, et cet article, je m'aperçois que le petit bout d'information entendu à la radio ne concerne pas une "nouvelle" réforme qui s'ajouterait à celle de 1990, -dont je n'ai eu connaissance (façon de parler, je n'en connais guère le contenu) que bien des années plus tard-, mais cette réforme elle-même. oui, pourquoi toute cette ébullition? je ne suis pas professeur de français, mais je me dis que si une langue est vivante, elle bouge, et qu'il me faudrait être un peu plus "souple", j'ai dit "un peu"! ^-^ un nouvel usage de l'accent qui me plaît bien, un "sourire" découvert grâce à une Japonaise.

    5
    Michel JEAN
    Jeudi 18 Février 2016 à 08:37

    Bonjour M. Marc, l' union ou le couple que forme magnifiquement tout est son et contraire ( pour le meilleur et le pire ... ?) m'autoriserons à vous poser probablement cette nouvelle question :  bien du beau monde me parle aujourd'hui de reforme, de rectification, de recomandation, efin de beaucoup de mots pour me qualifier obscurément la situation tapageuse actuelle. Merci. Bye. Mich.

      • Jeudi 18 Février 2016 à 09:40

        On peut lire sur le site Internet de l'Académie française ces précisions : "C’est bien improprement que le terme de « réforme » est employé pour désigner les « rectifications » orthographiques proposées par le Conseil supérieur, qui ont été approuvées par l’Académie, et qu’elle a choisi de mentionner dans la neuvième édition de son Dictionnaire, en tenant compte pour chaque cas des évolutions réelles de l’usage [...] En effet, les rectifications proposées ne consistent en aucune manière à simplifier des graphies résultant d’une évolution étymologique ou phonétique, mais visent à mettre fin à une anomalie, à une incohérence, ou, simplement, à une hésitation, et ainsi à permettre l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple, à souligner une tendance phonétique ou graphique constatée dans l’usage, ou encore à faciliter la création de mots nouveaux, notamment dans les domaines scientifique et technique, et, de manière générale, à rendre plus aisés l’apprentissage de l’orthographe et sa maîtrise."

      • Jeudi 18 Février 2016 à 10:15
    6
    Didier Fourcot
    Jeudi 18 Février 2016 à 10:50

    C'est vrai le terme correct est rectifications plutôt recommandations, mea culpa.

    Pourquoi tant d'ébullition en effet pour accepter "ognon" que tout débutant pourra prononcer correctement ou "plateforme" qui pour être un anglicisme plus que probable (en retour: "platform" est issu de "plate-forme") n'en est pas moins cohérent avec "portefeuille".

    Le problème principal pourrait être celui de la formation continue: chacun est persuadé de connaître l'orthographe, apprise il y a longtemps comme le Code de la route. Seuls les professionnels de la langue ou de l'apprentissage de la conduite en suivent les évolutions.

    Publiez demain un article sur les trajectoires dans les ronds-points à deux voies et vous soulèverez autant d'indignation. Pourtant la règle, ici obligatoire, contrairement aux rectifications facultatives de l'orthographe, est ancienne mais aussi méconnue que mal appliquée.

    Supprimer les hésitations, c'est ce que font les rectifications de 1990: pourquoi un portefeuille ou un portemanteau sans trait d'union alors qu'un porte-drapeau ou un porte-documents en exigeaient un?

    Accepter ces fautes vénielles qui ressemblent bien à des pièges à dictées ou à des repoussoirs pour apprentis dans la langue devrait permettre de s'intéresser aux vraies fautes, de sens , de syntaxe ou de langue.

    7
    Michel JEAN
    Jeudi 18 Février 2016 à 15:50

    R' b,jour, je pense que les mots et les mentalités n'avaient probablement pas le sens éthique que l'on veut bien aujourd'hui leur faire dire, qu'il ne serait pas évident de comprendre cela me parait anormal et facile de faire sous-entendre le contraire. Alors que dire de la médecine de l'époque ainsi que de tout le reste (?) M.  J. Jejcic.  Bye.

    8
    Vendredi 19 Février 2016 à 11:24

    Si les enjeux de ces propositions est que davantage de personnes pourront accéder à une orthographe juste, et qu'ils souffriront moins dans leur rapport au français, alors je pense qu'il faut aller dans le sens de ces "réformes".

    Les débats sont souvent nauséeux et sans lien avec les questions de langue et de son évolution.

    Et pour reprendre les bons mots de Descartes :

    "Le bon sens est la chose la mieux partagée car chacun pense en être si bien pourvu, que même ceux qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont."

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