• Politiquement et grammaticalement incorrect

    « "Jean-Luc Mélenchon insulte Jean-Michel Blanquer de "crétin". »
    (vu sur la chaîne CNews, le 14 janvier 2022.)  


    FlècheCe que j'en pense


    Après le bras d'honneur de Zemmour, voici l'insulte verbale de Mélenchon. Pas sûr que la langue française sorte grandie de ces échanges d'amabilités. C'est que le stagiaire de CNews − vous savez, cette main anonyme et souvent mal assurée qui rédige à la va vite les bandeaux de la chaîne d'information − ajoute inutilement le solécisme à l'insulte, en s'emmêlant les pinceaux entre les constructions des verbes insulter et traiter. Je laisse à l'Académie française le soin de ramener le contrevenant dans le droit chemin : « La phrase Il m'a insulté d'abruti est incorrecte grammaticalement. On doit écrire Il m'a traité d'abruti, abruti étant attribut du complément d'objet direct me », « Traiter signifie aussi par extension "insulter", mais, dans ce cas, il doit obligatoirement être construit avec un nom attribut du C.O.D. : Il a traité son voisin de cafard. La construction sans attribut est incorrecte avec ce verbe. Rappelons que, à l'inverse, le verbe Insulter ne doit pas être suivi d'un attribut du C.O.D. On dit : Il me traite d'idiot, de lâche, d'assassin, etc. Il m'a insulté. On ne dit pas : Il me traite. Il m'a insulté de voleur, de voyou, etc. » (rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet).

    Las ! la langue adolescente et insoumise s'est persuadée du contraire, comme en témoigne François Bégaudeau dans son roman Entre les murs (2006) : « Un matin, deux élèves ne cessent de pouffer en conseil de classe. Il [= le professeur] leur déclare au cours suivant qu'elles se sont comportées comme des pétasses. "C'est bon, c'est pas la peine de nous traiter", dit l'une. "Ça s'fait pas monsieur d'nous traiter", ajoute l'autre. "On dit pas traiter, on dit insulter", corrige le prof. "C'est pas la peine de nous insulter de pétasses", reprend l'une. "On dit insulter tout court, ou traiter de", corrige le prof. » Il est vrai que se faire traiter de pétasses passe tout de suite beaucoup mieux...

    Mais revenons plus sérieusement aux propos de l'Académie, lesquels appellent plusieurs remarques. D'abord, traiter ne signifie pas ici « insulter » mais « appeler, qualifier », comme il est indiqué dans la huitième édition de son propre Dictionnaire : « Traiter quelqu'un de fat, de fou, d'impertinent, L'appeler fat, fou, impertinent » ; de là la nécessité d'un attribut du complément d'objet pour préciser ladite qualification (le plus souvent péjorative, de nos jours). Ensuite, et quand bien même l'information serait de nature à semer la confusion dans les esprits, il convient de ne pas oublier qu'il est un cas où insulter quelqu'un (plus couramment que quelque chose) se construit correctement avec la préposition de : quand celle-ci, mise pour par, introduit non pas un attribut du complément d'objet mais un complément circonstanciel de moyen spécifiant ce qui constitue une insulte. Je n'en veux pour preuve, là encore, que ces exemples empruntés au Dictionnaire de l'Académie : « Insulter quelqu'un de paroles [= l'attaquer par des paroles blessantes] » (1694-1878), « Insulter une femme par des propositions offensantes, par des propos grossiers » (1935-2005) (1). L'auteur de la rubrique Dire, ne pas dire va donc un peu vite en besogne quand il affirme, péremptoire, qu'« on doit écrire Il m'a traité d'abruti » en lieu et place de Il m'a insulté d'abruti. Car enfin, vous l'avez compris, il est une autre construction, certes un rien plus lourde, qui permet d'associer le dernier verbe au terme d'injure... sans risquer d'insulter la grammaire : « On les insulte par le mot d'exaltés » (Joseph Ferrari, 1848), « Quand Voltaire insulta du terme de faquins Les Rousseau, les Gresset et d'autres écrivains » (Jean Faure du Serre, 1860), « Rien ne permet de l'insulter par l'épithète de courtisane » (journal L'Univers israélite, 1876), « Elle aurait la joie [...] de l'insulter d'un bravo » (Jean-Louis Dubut de Laforest, 1888), « Une colère cependant montait en moi, qui me fit l'insulter du mot de : misérable ! » (Georges Maldague, 1903), « [Des Américains] vous insultent du mot de foreigner » (Théodore Bost, avant 1920), « Des soldats [...] les insultent du mot de toutes les défaites : "Traîtres !" » (René Arnaud, 1929), « [...] après l'avoir insulté du qualificatif espagnol de "veillaque" » (Edmond Lablénie, 1964), etc. (2)

    De là à voir dans insulter de l'ellipse de insulter (du mot) de, il y a un pas que je ne vous ferai pas l'injure de franchir.

    (1) Autres exemples de construction avec de ou par : « Les auteurs séditieux qui l'avoient insulté par des libelles » (Claude-François-Xavier Millot, 1769), « Quelquefois ils se retournoient pour insulter par des gestes et des paroles de mépris la ville de Toraxène » (Jean de Pechméja, 1784), « On emploie la préposition de et non avec après le verbe insulter, pour exprimer une idée de moyens, comme dans Insulter quelqu'un de paroles » (Alexandre Boniface, 1816), « Insulter quelqu'un de ou par des paroles » (Pierre-Claude-Victor Boiste, 1819 ; Louis-Nicolas Bescherelle, 1846), « Garde donc d'insulter d'un sourire moqueur » (Alexandre Dumas, 1842), « [Il] m'a insulté de gestes et de paroles » (Mme Massart, 1854), « Qui ose nous insulter par cette ironie blasphématoire ? » (Baudelaire, 1857), « Un ivrogne incivil Vous insulte en passant d'un amour dérisoire » (Id., 1859), « Il m'a insulté, d'un mot, d'un geste » (Jules Vallès, 1879), « Et le petit Farou les insulta du regard » (Colette, 1929). On notera au passage que insulter, contrairement à traiter de, ne concerne pas seulement la parole, mais aussi l'attitude, les gestes, les actes...

    (2) Ces exemples sont à distinguer des formes passives être, se croire, se sentir... insulté par : « J'ai été témoin de la colère d'un député wallon, qui se croyait insulté par le mot susceptible » (Gérard de Nerval, 1852).


    Remarque 1 : Les emplois transitifs indirects de insulter insulter à (au sens de « constituer un défi, un outrage à ; manifester du mépris pour »), insulter contre (au sens de « s'emporter, se révolter contre »), insulter sur (au sens étymologique de « sauter sur ») − sont aujourd'hui considérés comme archaïques ou littéraires : « Insulter sur les gens de bien persecutez » (Michel de Marolles, 1656), « Le second [médecin] insultant contre le premier, qui s'opposait à son avis » (Pascal, 1657), « Insulter aux Dieux » (Fénelon, 1699), « Je ne capitule pas devant un enfant qui insulte à mon autorité » (Hervé Bazin, 1948).

    Remarque 2 : Selon Dominique Lagorgette, l'emploi critiqué de traiter sans attribut de l'objet (Il m'a traité) « [fait] porter tout le poids de l'injure sur l'action même, c'est-à-dire sur le fait d'injurier et non plus sur le contenu de l'injure [...] qui passe en réalité au second plan. La formule banale traiter de tous les noms, qui, elle, est syntaxiquement correcte, va dans le même sens, car si c'est "de tous les noms", peu importe au fond lesquels ». Le piquant de l'affaire, c'est que traiter (sans de) pourrait bien être attesté dès l'ancien français au sens de... « insulter », si l'on en croit Walther von Wartburg. Le Dictionnaire historique n'est pas loin de partager cet avis : « Le sémantisme du "mauvais traitement" a réapparu au XXe siècle (se faire traiter) », y lit-on à la suite de l'expression traiter comme un chien. Assisterions-nous, médusés, à la reviviscence d'un archaïsme dans les cours de récréation ?

    Remarque 3 : Le verbe insulter est emprunté du latin classique insultare (formé de in et de saltare « sauter, bondir »), proprement « sauter sur, dans, contre » et par figure « se démener avec insolence, être insolent ; braver, attaquer, insulter ».
    Quant à crétin, il s'agit, selon le Dictionnaire historique de la langue française, d'un « terme originaire des régions alpines de Suisse romande où existait à l'état endémique un syndrome d'hypothyroïdie (crétinisme) parmi des populations carencées en iode. Ce mot régional est issu du latin christianus avec un traitement de la finale caractéristique du franco-provençal. L'évolution sémantique s'explique par euphémisme, le mot ayant dû être employé par commisération au sens de "innocent" et par référence au caractère sacré et protecteur des simples d'esprit [...]. Il est devenu usuel au sens péjoratif de "personne stupide", par l'intermédiaire de l'usage moqueur des expressions crétin des Alpes, crétin du Valais, comme nom et comme adjectif ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Mélenchon insulte Blanquer du mot de crétin ou, plus simplement, Mélenchon traite Blanquer de crétin.

     

    « Le bonheur n'est pas dans le pré-À la grâce d'adieu ! »

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