• Dis, tonton, pourquoi tu tousses ?

    « La maladie guérit en général en quelques jours avec du repos, mais si les signes s'aggravent, que vous avez des difficultés importantes à respirer et que vous êtes essoufflé, appelez le 15. »
    (Campagne nationale d'information sur la COVID-19, printemps 2020.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Je suis tombé, au hasard de mes recherches pour un précédent billet, sur un papier intitulé « La Langue française mise à mal pendant la crise sanitaire », dans lequel l'auteur (Michel Kohn) ausculte la communication gouvernementale à l'ère du coronavirus : « Ce n'est pas la maladie qui guérit mais les malades [qui] sont guéris de la maladie (par des traitements, des médicaments...) ! s'emporte-t-il. Le verbe guérir est soit transitif, signifiant "débarrasser d'une maladie, redonner la santé", soit intransitif, son sens étant alors "se remettre d'une maladie". »

    Mais quelle mouche a donc piqué notre homme ? Car enfin, vous savez déjà, vous, qu'un tel diagnostic ne repose sur aucun fondement. Le verbe guérir présente, en effet, la particularité d'accepter pour sujet aussi bien le malade (Il guérit peu à peu), le médecin (Le professeur Raoult l'a guéri de la COVID-19), le remède (La chloroquine m'a guéri) que la maladie (La grippette guérit en quelques jours [1]). Cette dernière construction ne date pas d'hier, au demeurant. Elle est attestée depuis la fin du XIIe siècle, en parlant d'une plaie, d'une blessure, puis, plus généralement, d'un mal, d'une maladie : « Cos d'espee garist » (Chrétien de Troyes, vers 1180), « Ladite playe commançoit à garir » (Philippe VI de Valois, 1342), « Ce mal guerissoit par l'attouchement de quelques reliques » (Jacqueline Pascal, 1656), « La maladie guerit tres rarement » (Pierre Duverney, 1703), « Si la blessure guérit, la cicatrice restera » (Diderot, 1778) et figure désormais dans tous les ouvrages de référence modernes : « Cesser, se dissiper, s'arrêter dans son cours, en parlant du mal lui-même. Une maladie qui ne guérit point » (Bescherelle, 1846), « [Guérir] se dit des maladies qui s'en vont. Cette blessure est légère et guérira bientôt » (Littré, 1863), « Par métonymie. Une blessure qui tarde à guérir » (Dictionnaire de l'Académie, depuis 1878), « En parlant du mal lui-même, cesser, être supprimé : Une plaie qui guérit mal » (Grand Larousse de la langue française, 1971), « Mon rhume ne veut pas guérir » (Robert illustré, 2013).

    Mais notre auteur ne s'arrête pas là : « SI... QUE ! Le mot que n'est pas une conjonction de subordination qui peut suivre la première proposition commençant par si. Il aurait fallu répéter si ou utiliser une locution conjonctive telle que dans le cas où ou au cas où. » Il suffit, là encore, de consulter le premier spécialiste venu depuis Vaugelas (2) pour se convaincre du contraire : « Quand deux circonstancielles sont coordonnées, on utilise que [dit « vicariant »] au lieu de répéter la conjonction ou la locution conjonctive [de subordination]. Si tu arrives à l'heure et qu'il nous reste un peu de temps... » (Bénédicte Gaillard, Pratique du français de A à Z). Girodet confirme : « Toute conjonction de subordination peut être remplacée par que pour éviter la répétition. » Est-il besoin de préciser qu'il n'y a là aucun caractère d'obligation ? Quand certains lui trouveraient un léger parfum d'archaïsme, la répétition du si conditionnel (voire temporel ou concessif) reste évidemment possible, surtout − précise Goosse − « si les propositions sont senties comme nettement distinctes » (comprenez : sans que l'une puisse être considérée comme la conséquence ou la circonstance de l'autre) : « Si j'étais toujours professeur et si je siégeais dans un jury » (Pierre Gaxotte) ou − selon Dupré − par souci de clarté, quand la seconde proposition est trop éloignée de la première ; elle est même nécessaire avec le si de l'interrogation indirecte : « Sans bien savoir s'il était secouru ou si au contraire il portait secours » (Marguerite Yourcenar). Il est pourtant encore un cas, semble-t-il oublié par nos grammairiens modernes, où la répétition de si pourrait bien être de rigueur : « Il s'agit des [phrases] où, par une sorte de redoublement oratoire, la même idée se trouve exprimée plusieurs fois de suite sous des formes plus ou moins différentes, ou encore détaillée, pour ainsi dire, trait par trait, au moyen d'une série de propositions toutes introduites par si : "Il tomberait à tes pieds, si tu t'expliquais à lui, s'il te comprenait et s'il savait ce que tu es" (George Sand), observait finement Pierre Horluc en 1903. Du reste, en pareil cas, et manque très souvent, pour plus de vivacité, avant le dernier si : "Si l'on écrit comme l'on pense, si l'on est convaincu de ce que l'on veut persuader, cette bonne foi avec soi-même [...] lui [= au style] fera produire tout son effet" (Buffon). » Autrement dit, la reprise de si par que, pour élégante qu'elle soit, ne se justifie pas quand une seule condition est exprimée par une série de propositions, sans que l'une puisse être, par la pensée, subordonnée à l'autre (3). Mais revenons à notre affaire de coronavirus. Il ne vous aura pas échappé qu'une même idée (l'aggravation des signes) y est déclinée en plusieurs symptômes : les difficultés respiratoires et l'essoufflement, celui-ci pouvant être considéré comme la conséquence de celles-là. Bel exemple, s'il en est, de construction hybride ! La stricte application des principes que nous venons de rappeler conduit donc à écrire : Si les signes s'aggravent, si (parce que l'on s'apprête à détailler l'idée précédente) vous avez des difficultés importantes à respirer et si (ou et que, pour insister sur le lien de causalité) vous êtes essoufflé. L'honneur de notre auteur est sauf... sans que celui du gouvernement soit réellement entaché.

    Une subtilité reste encore à éclaircir : le mode du verbe après que remplaçant une conjonction de subordination. Selon Hanse, ce doit être le même que celui employé après ladite conjonction... à une exception près, imposée par la grammaire normative : « Que remplaçant le si conditionnel ou comme si doit, en principe, être suivi du subjonctif : S'il vient me voir et qu'il se plaigne... (à côté de : s'il vient me voir et s'il se plaint). » En effet, confirme Léon Clédat, « l'ancienne langue employait le subjonctif même après si ; puis, le doute étant considéré comme suffisamment marqué par la conjonction si, l'indicatif a pris la place du subjonctif, mais seulement après si, et non après que, qui ne marque aucun doute par lui-même » (4). Force est toutefois de constater avec Hanse que, dans la langue courante, que est plus souvent qu'à son tour « perçu avec la valeur de la conjonction qu'il remplace » ; aussi ne s'étonnera-t-on pas de la haute contagiosité de l'indicatif après que remplaçant si, jusque dans l'usage littéraire. Comparez : « Si jamais vous allez à Rome et que vous puissiez y faire un petit séjour, je vous donnerai des adresses » (Jules Romains), « Si parfois ils se trouvaient seuls et qu'elle l'embrassât, il frissonnait de la tête aux pieds » (Émile Gaboriau) (5) et « S'il faisait froid et que la bonne montait lui allumer du feu, il attendait que le feu ait pris » (Marcel Proust), « Si elle vous quitte et que vous savez pourquoi, je vois mal ce que je peux ajouter » (Françoise Sagan). Et Hanse d'ajouter avec quelque apparence de raison : « À vouloir imposer le subjonctif après que remplaçant un si conditionnel, on a provoqué des emplois analogiques, mais peu justifiables, du subjonctif après que remplaçant un si qui n'a pas cette valeur, soit qu'il signifie "chaque fois que" [valeur temporelle itérative], soit qu'il ait le sens de "s'il est vrai que" [valeur concessive]. » Reste donc à déterminer la valeur de si dans l'exemple qui nous occupe : hypothétique (« en supposant que ») ou temporelle (« quand, lorsque ») ? Dans le doute, l'usager pourra s'en tenir prudemment au subjonctif prescrit après que « selon l'usage le plus soigné » (dixit Goosse). Ou se réclamer de Hanse pour justifier un indicatif qui « ne peut être considéré comme fautif » − quand bien même Jean-Paul Colin affirmerait le contraire (6).

    Vous l'aurez compris : il n'y a pas plus d'unanimité sur ce sujet que sur celui de la chloroquine. Pourvu qu'on n'en fasse pas une maladie !
     

    (1) Et aussi à la forme pronominale, sans différence de sens : La grippette se guérit en quelques jours. Dupré perçoit toutefois « une nuance d'intervention personnelle » dans Il s'est guéri (surtout au sens figuré), qui n'est pas dans Il est guéri.

    (2) « Cette particule [si] estant employée au premier membre d'une periode peut bien estre employée au second joint au premier par la conjonction et, mais il est beaucoup plus françois et plus elegant, au lieu de le repeter au second membre, de mettre que », « La conjonction si peut recevoir une mesme construction aux deux membres d'une mesme periode, comme on dira fort bien : si vous y retournez et si l'on s'en plaint à moy, vous verrez ce qui en sera. Mais la façon de parler la plus ordinaire et la plus naturelle est de dire : si vous y retournez et que l'on s'en plaigne à moy, etc. » (Remarques sur la langue française, 1647).

    (3) Des contre-exemples existent, me rétorquera-t-on, mais ils sont rares, comme le laisse indirectement entendre Goosse dans Le Bon Usage : « [La conjonction est] plus rarement [reprise par que] quand la coordination est implicite. »

    (4) L'indicatif est pourtant attesté après que représentant si au XVIIe siècle : « Si je n'ai pas eu des sentimens humbles et que j'ai élevé mon âme, Seigneur, ne me regardez pas » (Bossuet). À la fin du siècle suivant, Féraud écrivait encore : « Celui-ci [l'indicatif] peut se dire, mais l'autre [le subjonctif] vaut mieux. »

    (5) Notez, dans ces deux premiers exemples, la concordance des temps : si + indicatif présent... et que + subjonctif présent, à côté de si + indicatif imparfait... et que + subjonctif imparfait (souvent remplacé dans la langue courante par le subjonctif présent). Et, dans celui de Gaboriau, l'emploi du subjonctif même après un si à valeur temporelle (« parfois »).

    (6) « L'emploi de l'indicatif après que, dans ces tours, est incorrect » (Dictionnaire des difficultés du français).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La maladie guérit en général en quelques jours avec du repos, mais si les signes s'aggravent, si vous avez des difficultés importantes à respirer et que vous soyez (ou êtes ?) essoufflé, appelez le 15.

     

    « Juste ciel !Coup de cent »

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  • Commentaires

    1
    jean-paul
    Jeudi 18 Juin 2020 à 14:10

     

    La maladie guérit généralement au bout de quelques jours de repos, mais en cas d’aggravation des symptômes, de grandes difficultés à respirer ou d’essoufflement, appelez le 15.

     

    2
    Vaugelas
    Lundi 20 Juillet 2020 à 23:02

    Cette dernière phrase proposée ressemble à de la langue administrative française telle qu'on la pratiquait  il y a quelques années encore : des substantifs ayant un sens et pas d'excessive rareté à se reprocher... Las ! Des amateurs de "lisibilité" se sont avisés de réformer la langue des formulaires et autres écrits "grand public". Il a fallu des verbes conjugués et des phrases qui impliquent l'interlocuteur, au motif inavoué mais transparent que l'usager du service public est un âne qui ne s'intéresse même pas assez à ses propres affaires pour essayer de comprendre ce qu'on lui dit en français courant !

     

    3
    Jah
    Lundi 21 Septembre 2020 à 15:48

    J'entends parfois  : "on doit s'interroger sur comment", ou "il s'interroge sur pourquoi".

    Cela ne me semble pas correct. me trompé-je ?

    Merci.

    J.H.

      • Mardi 22 Septembre 2020 à 19:43

        On écrira correctement : s'interroger sur la manière dont..., sur la raison pour laquelle...

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